Chapitre 17 : Casser les Règles

Ses yeux pétillants vinrent flotter devant moi. Je murmurai :
-Elle était si belle.

Ma mère, comme elle était belle ! Je souris bêtement, ravi d'avoir revu son visage et peut-être sa jeunesse dans mon rêve.

En même temps, un pincement au cœur me fit frissonner. Je ne lui avais plus parlé depuis dix ans. Je n'avais plus respiré son odeur depuis aussi longtemps. Je ne m'en souvenais même plus. Ni du son de sa voix, ni de la douceur de ses gestes, ni de ce qu'elle nous préparait à manger.

Tout ce dont je pouvais me rappeler était que je souriais avec elle, je riais même parfois. Et ses câlins. Ses câlins me réconfortaient plus que n'importe quelle parole, car rien ne pouvait égaler un signe d'affection d'une mère.

Mes yeux s'embuèrent, je les chassai rageusement.

-Elouan ?

Je levai les yeux vers Noal. Une rage bouillonnante s'empara de moi. Sire Jildis n'avait pas le droit de séparer des enfants de leurs parents, de les séparer de leur amour. Et lui, le sauveur, se permettait de tenter d'effacer mon identité, cacher ce qu'il restait de moi.

-Elle m'a nommé Alex, répliquai-je. Elle voulait que je porte ce prénom, et je le ferais.

Je n'osai pas lever les yeux vers Noal après avoir dit cela, mais au moins je l'avais fait.

-On peut dire que ma leçon sur l'esprit d'initiative a porté ses fruits, je t'entends parler de toi même pour la première fois, constata le sauveur.

Je fronçai les sourcils. Il ne me reprochait pas mon attitude.

-Je l'approuve, au contraire, m' encouragea Noal. Continue, dis moi ce que tu as sur le cœur !
-Et bien...c'est tout je crois, balbutiai-je pris au dépourvu.
-Parfait, dans ce cas mangeons puis occupons nous de ta formation, annonça-t-il. Au fait, arrête de bégayer. Je n'aime pas trop ça.

Sans plus de cérémonie, il se leva et quitta la chambre. Je le suivis et le trouvai assis sur un des fauteuils.

-Tu sais cuisiner j'espère, lâcha-t-il.
-Pas vraiment messire.
-Noal. Tu sais que ça va finir par m'énerver ce comportement Elouan.

Je me permis un sourire espiègle, hésitai un moment puis répliquai :
-Alex.

Le Sauveur s'esclaffa.
-Tu as le sens de l'humour finalement.

Je haussai les épaules.

-Bon, je suppose que je vais devoir nous nourrir aujourd'hui. Mais que cela ne devienne pas une habitude !

Il se leva, se dirigea vers ses placards auxquels je n'avais pas osé toucher et les ouvrit. Il en sortit deux œufs que je ne pus identifier, un pain bien rond et le tout vola jusqu'à la table.

Je l'observai faire planter au milieu du salon. Soudain je l'i'terrogeai :
-Vous prenez un petit déjeuner ?
-Je ne vois pas pourquoi je m'en priverai, répondit-il. Cela t'étonne ?
-Je crois que mon père disait qu'il était honteux pour un homme de manger le matin. Il appelait ça de la gourmandise je pense. Sire Jildis approuvait et ne s'est mis à se nourrir le matin uniquement sur le front, car il aurait été dangereux de combattre le ventre vide, expliquai-je.

Le Sauveur ne répondit pas tout de suite. Il me jaugea, sembla hésiter puis répliqua :
-Si tu trouves cela honteux, je ne t'oblige en rien à le faire. Mais sachant ce qui t'attend, je te le conseille vivement.

Je m'assis sur la chaise qu'il me proposait et il me donna un œuf. Je l'i'terrogeai du regard :
-Un délice, crois moi. Les Mirzus, en plus d'avoir un pelage confortable nous pondent des merveilles.

Il cassa le sien en le frappant sur la table. Je m'attendais à voir du liquide s'échapper mais à la place, une forme ronde à la matière gluante et compacte à la fois en sortit. Noal l'attrapa et le goba. Je le regardai faire dégoutté.

Il m'invita à faire de même d'un signe de la main. Je laissai tomber le mien contre le bois de la table. Il se cassa.
Mais je n'eus pas le même résultat que lui. Ce qui en sortit fut liquide, un œuf pas cuit en somme.

Je fronçai les sourcils, désappointé. Noal, lui, riait aux éclats de ma mine effarée.

-Qu'est ce qui t'as fait croire que tu ne devais pas cuire ton œuf ? s'enquit-il en reprenant son sérieux.
-Vous ! m'exclamai-je.
-Vraiment ?
-Oui, affirmai-je étonné.

Un sourire énigmatique éclaira son visage rasé de près, sa mâchoire carrée sembla se décontracter.

-Première leçon du jour : ne crois que ce que tu sais. Pas ce que tu vois. Ce que tu sais déjà uniquement.

Je restai eberlué. Mes yeux étaient donc capables de me tromper ?

-Crois moi, dans une vie de sauveur, la magie est omniprésente. Tu ne pourras plus te fier entièrement à tes sens. Seulement à ton instinct et ce que tu sais, répéta-t-il.

Il enfonça son index dans mon cœur, puis tapota ma tête. J'approuvai d'un signe vif de la tête.

-Compris ?
-Oui.
-Non.

Sa négation claqua et me fit sursauter. Étonné, je relevai les yeux vers lui.

-Je t'ai dit de ne croire que ce que tu savais, n'est-ce pas ?
-Oui, commençai-je hesitant.
-Alors pourquoi m'as tu aussitôt cru lorsque je t'ai dit que ta vie de sauveur serait entourée de magie et que tes sens ne t'aideraient plus ? Le savais-tu déjà ?
-Non messire.

Il me gifla si fort que les larmes me montèrent aux yeux. Ma tête vola et je la gardai dirigée vers le bas.

-Je déteste me répéter ! S'il te faut de la violence pour comprendre, je te la donnerais. Bon, mange, je t'attends dehors. Et ne laisse pas la table dans cet état.

Il se leva brutalement et disparut. Mon souffle était encore haletant et je mis plusieurs secondes à me ressaisir. Je ne comprenais pas cet homme. Comment pouvait-il être aussi d'humeur aussi changeante d'un moment à l'autre ?

Je haussai les épaules et me levai. J'attrapais un morceau de pain, le fourrai dans ma bouche et regardai l'état pitoyable de la table. Les deux coquilles d'œufs étalées sur le bois, l'intérieur du mien coulant dessus.

Je fronçai les sourcils, jetai plusieurs coups d'œil autour de moi, puis, avec une mine de dégoût, je m'approchai de la table. Je me baissai et aspirai l'œuf. J'engloutis le tout puis attrapai les coquilles et sortis avec. Je les laissai tomber dans l'herbe.

Je cherchai ensuite le sauveur du regard, en profitai pour admirer le nouveau lieu dans lequel je me trouvais. Il différait du château de sire Jildis et du champ de bataille. De mon ancienne ferme aussi.

Beaucoup plus calme, l'endroit m'apaisait. Il n'y régnait pas un silence froid, dérangeant, au contraire. Tout n'était que bienveillance et douceur. Aussi bien les gazouillis des oiseaux que leurs battements d'ailes effrayés. Aussi bien le doux bruissement de l'eau que le courant plus vif qui faisait claquer le liquide contre des roches. Aussi bien le vent frais qui murmurait des mélodies aux oreilles attentives que ses bourrasques plus violentes parfois.

La nature, maîtresse des lieux, clamait haut et fort son indépendance. Des lianes grimpaient sur les murs de la chaumière de Noal, les feuilles poussaient où bon leur semblait. Je laissai ma main se balader dans les herbes hautes tandis que je tournais autour de la maison à la recherche de mon maître.

Je finis par l'apercevoir, assis en tailleur sur un rocher, tête tournée vers le ciel. Je m'approchai et attendis. Il finit par descendre ses yeux verts sur les miens et me fixer.

-Ils sont aussi bleus que le ciel, lâcha-t-il. Lui aussi les avait de cette couleur là.

Il me sourit :
-Mais tu ne le connais pas, ne parlons pas de lui. Entamons ta deuxième leçon du jour... Combien y avait-il de règles à respecter en tant qu'esclave ?
-Quinze principales, plus celles propres à chaque maître.
-Cite les moi, une à une.

Je fermai les yeux. Je revis notre groupe apeuré, ma main dans celle d'Aëris, les premières règles annoncées, la première esclave marquée et la première tuée.

-Interdiction de pleurnicher, se plaindre, commençai-je.
-Il est recommandé de se plaindre lorsque quelque chose ne va pas. Dis moi à chaque fois que tu as une plainte à émettre.

Il se tut puis ajouta :
-Par contre évite de pleurnicher. Continue.

-Interdiction de se révolter.
-Révolte toi contre la vie ! Contre les injustices, les riches, veux qui t'auront fait du mal. Continue.
-Interdiction de désobéir.
-Écoute ton instinct. N'obéis qu'à ce qui te semble juste.

Il marqua une nouvelle pause puis m'avertit :
-Mais je te déconseille de trop me défier...

Et ainsi commença ma première leçon. Noal s'amusa à contredire la moindre des règles apprises. Une par une, il les démonta et m'exposa les siennes.

-Appeler les instructeurs maître.
-Appelle moi Noal.

"Le fouet qui claquait.
-Oui qui ? me demanda-t-il hargneux.
-Oui maître, balbutiai-je."

-Et les autres messire.
-Noal.

"Mon dos qui se couvrait de plaies.
-Répète les ! Répète moi les règles le merdeux.

Mon cœur s'affolait, je ne les connaissais pas encore toute !
-Et pour chaque erreur..."

-Se souvenir de sa place dans l'échelle sociale, au niveau le plus bas.
-Tu vas atteindre un des niveaux les plus hauts.

" Clac clac.
Mon hurlement déchira le silence. Il n'y avait pas besoin d'explications, je savais ce que chaque erreur signifierait"

-Accepter toutes les tâches confiées.
-Refuse ce qui te paraît insurmontable.

"-Allez, dis moi la première !
-Je... Ne sais pas, balbutiai-je, les mots hachés par des sanglots.

Le cuir fin entra en contact avec mon dos, le lacéra. Mon cri ne fut pas assez fort pour exprimer ce que je ressentais. Mille brûlures à la fois, mille couteaux qui s'enfonçaient dans ma chaire en même temps. "

-Tu n'es rien.
-Tu es notre avenir.

"-Arrêtez... S'il vous plaît ! sanglotai-je.
-S'il vous plaît qui ? hurla-t-il.

Clac, clac. "

-Être respectueux.
-On s'en fout du respect.

-S'il vous plaît maître, arrêtez.
-Tu n'as pas le droit de me donner des ordres le merdeux !

Clac clac. "

-Toujours regarder le sol.
-Ne le regarde jamais.

"Chaque mouvement m'envoyait des vagues de douleur insurmontables. Que ça cesse ! Il fallait que ça cesse."

-Interdiction de dormir dans un vrai lit.
-Interdiction de se priver du confort d'un bon matelas.

"-On te nourrira seulement quand tu connaîtras toutes les règles, décréta mon bourreau. Ça devrait t'éclaircir les idées "

-Interdiction d'avoir des objets personnels.
-Que ferait-on sans ? Garde toujours un objet précieux sur toi.

"La porte claqua, il me laissa seul. Enfin... Pas si seul. Elle me tenait compagnie, elle. La douleur. Ma tête basculait, mes yeux se fermaient.

Mais pas question de s'endormir ! Elle y veillait. Et quand elle oubliait, ils s'en chargeaient.

Clac clac. "

-Interdiction de manger avant son maître.
-Mange lorsque tu as faim. Avant le roi si cela te paraît justifié.

"-On ne dort pas et on ne mange pas avant de m'avoir récité toutes les règles !

Mes yeux voyaient flou. Je ne distinguais qu'un rictus sévère et le reste était brouillé. Des points noirs me cachaient la vue."

-Interdiction de se reposer plus de trois heures par nuit.
-Interdiction de manquer de sommeil !

" Je ne vis pas arriver le coup cette fois-ci. Il n'arrivait pas de derrière pour ouvrir mon dos, mais de devant. Un coup de pied brusque, puissant, qui m'acheva pour la journée.

Seuls mes liens m'empêcherent de tomber. Je me recroquevillai et m'évanouis. "

-Oublier son identité.
-Reste toi même. À jamais, ne laisse personne te changer, souviens toi de qui tu es, ce qui te pousse à te battre.

Mon flot de parole cessa. Je sortis de mes souvenirs, quittai la cellule sombre de torture et me retrouvai à nouveau dans la clairière apaisante du sauveur.

Je clignai des yeux, ébloui par le soleil.

-Tu ne m'as pas écouté.

Il ne lançait pas cela comme un reproche, il constatait simplement, énonçant une vérité.

Je baissai les yeux et marmonnai :
-Désolé Noal.

Il me gifla, sûrement peu satisfait de mes excuses.

-Si tu avais écouté mes nouvelles règles, tu aurais su que tu n'avais plus le droit de baisser les yeux. Relève les, affronte moi ! Reconnais tes erreurs dignement à partir de maintenant. Je peux me montrer aussi cruel d'eux s'il le faut. Voir plus encore.

Je relevai la tête. Ses yeux verts, déterminés, me dévisageaient. Je lui rendis un regard aussi scrutateur que le sien.

-Vous ne serez jamais pire que ces monstres.

Il ricana.

-Tu me connais mal. J'ai endurci tous mes apprentis. Ils n'avaient certes pas un passif aussi... dur que le tien mais aucun ne prétendrait que je n'étais pas un maître sévère. Je me dois d'être intransigeant. Un sauveur ne peut se permettre d'avoir des faiblesses, un quelconque défaut.

-Tout le monde a des défauts, répliquai-je en haussant les épaules. Et ils sont plus cruels que vous.

Son regard se durci. Ses yeux lancèrent des éclairs. Sans un mot, il releva sa tunique sombre, la retirant d'un mouvement fluide. Son corps bien taillé fut dévoilé sous mes yeux ébahis. Son torse semblait avoir été taillé dans de la roche; fin et musclé à la fois.

Il fit un tour sur lui-même et son dos m'apparut.

Je retins un hoquet de stupeur en détaillant les nombreuses cicatrices barrant sa peau boursoufflée. Rouge et gonflée. Aucune partie de son dos n'avait été épargnée. Ici des cicatrices, là des marques de brûlures. Des plaies profondes, d'autres longues.

Il se retourna pour me fixer.

-Eux n'en ont pas. Et ils sont plus monstrueux que tes prétendus bourreaux. Ils sont le mal. Ils sont là peur. Ils sont la mort. Ta mort, comme la mienne.

****
Hey!
Un chapitre avec plus de dialogues que ce dont j'ai l'habitude, j'espère qu'il vous plaira quand même :)

Noal va entamer la formation et la reconstruction d'Alex.... Mais le temps risque de les prendre de cours...

Bisous,
Dream

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