Chapitre 16: Elle

Je m'écartai de ses bras brusquement. Je frissonai, les cheveux ébouriffés par un vent frais qui soufflait. Je posai mon regard sur Noal qui me tenait chaud.

Il me fixa d'un regard intense, ses prunelles brillant dans le noir. Je baissai les yeux.

-Désolé messire, je n'aurais pas dû, m'excusai-je.

Je ne la vis pas arriver, elle était dissimulée par l'obscurité environnante. Cependant, je la ressentis. Ma tête bascula en arrière, les larmes me montèrent aux yeux: Il venait de me gifler.

-Tu n'écoutes donc pas quand on te parle ? Je vais finir par penser que sire Jildis te traitait trop bien. Je viens de te dire de m'appeler Noal, siffla-t-il.
-Désolé... Noal.
-Rentrons, un peu de sommeil ne te fera pas de mal avant de commencer ta formation !

J'approuvai d'un signe de tête, sûrement dissimulé par la nuit oppressante. Il saisit mon poignet sans prévenir, me ramena contre son torse et murmura :
-Attention !

"Attention à quoi ?" Aurais-je voulu demander. Mais je n'en eus pas le temps. Mes sens me trompaient, m'envoyaient des informations sans queue ni tête.

Je crus me trouver dans un trou. Une sorte de vide effrayant. Les pieds en l'air, les cheveux en bataille. Plus aucun son ne parvenait à mes oreilles, plus aucune odeur ne flottait autour de moi. Ni celle de la mort, ni celle enivrante de la forêt. Rien. Et ce vide enveloppait mon corps entier. Mes mains s'agitaient sans jamais cogner d'obstacles. Mes pieds battaient l'air mais ne heurtaient rien du tout.

Il n'y avait qu'une seule chose dans cet endroit. La peur. Mon ventre se retournait. Le sang battait à mes tempes bien trop fort, bien trop vite. J'ouvris la bouche pour hurler cependant aucun son ne franchit mes lèvres. Je paniquais, m'affolais, cherchais quelque chose à quoi me raccrocher.

La terre ferme. Mes pieds touchèrent enfin un sol. Ils ne restèrent pas dessus bien longtemps, mes chevilles se mirent à trembler et je me retrouvai sur les genoux. Je me soutenais avec mes mains pour éviter d'atterrir à plat ventre.

Pieds et mains ancrés dans le sol, je ne pus retenir un haut le cœur. Un goût amer me répugna puis j'entendis un liquide tomber au sol. J'essuyai mes lèvres avec mon avant bras et m'assis.

Une main tapota mon épaule. Je me retournai.

-Ça va ? s'enquit le sauveur.

Non, évidemment que non.

-Oui me-merci, bredouillai-je.

Noal s'esclaffa et attrapa mon poignet pour m'aider à me relever. Une fois remis sur pied, je le suivis le pas hésitant mais sans m'effondrer cette fois-ci. Il me guida et je me laissai faire, incapable de distinguer le contour de mes pieds.

-Entre, m'invita Noal.

Je battis plusieurs fois des paupières pour tenter de m'habituer à la pénombre mais ne parvenais pas à voir l'endroit dans lequel il voulait que je m'avance. Je déposai un pied prudent devant moi et ne rencontrai aucun obstacle.

-Allez, n'aie pas peur, avance ! ordonna le sauveur.

J'obéis et sentis un sol ferme sous mes bottes. Du bois me semblait-il. L'odeur apaisante des pins me le confirma. Je fermai les yeux, rassuré par l'impression de bien-être qui m'enveloppa. J'entendis comme une brindille craquer et me retournai vers la provenance du son.

Mes yeux furent agressés par la lumière vive des flammes qui diffusaient une chaleur agréable dans la pièce. Un salon visiblement. L'âtre central me permit de voir une table longue, en bois massif. Deux fauteuils en cuir souple lui tenaient compagnie.

Le sol, recouvert d'un tapis en poil de Mirzu, renforçait le sentiment de calme et de douceur de la pièce. Je n'eu aucune pensée pour la bête tuée, obnubilé par les bienfaits de l'endroit.

-Alors ? demanda le sauveur.
-C'est magnifique messire ! m'enthousiasmai-je.
-Noal, corrigea-t-il. Mais je dois t'avouer que tu es le premier à dire du bien de cet endroit. Mes anciens apprentis regrettaient le confort de leur maison.
-Peut être est-ce parce que je n'ai jamais vraiment eu de maison, expliquai-je en haussant les épaules.

Il soupira puis m'invita d'un signe de la main à prendre place sur un des fauteuils. Je restai un instant figé devant le siège. Il me donnait envie, avec ses courbes moelleuses néanmoins cela devait cacher un piège. Il voulait sûrement me tester.

-Je ne peux pas, affirmai-je.
-Si je te disais que c'est un ordre ?

J'hochai la tête et pris place sur l'assise.

-Je sais que tu dois être fatigué mais j'aimerais parler d'une ou deux choses avec toi avant de te laisser dormir.
-Je vous écoute.
-Tu sais lire n'est-ce pas ?
-Oui.
-Compter ?
-Aussi.
-Écrire ?
-Oui.
-As-tu déjà été instruit sur l'histoire ?
-Jamais.
-Sur l'art ?
-Non plus.
-La géographie ?
-Non.

Il soupira puis lâcha :
-Tu n'es pas très coopératif.

Je fronçai les sourcils intrigué. J'avais répondu à toutes ses questions pourtant.

-Ne fais pas cette tête, me rassura-t-il. C'est juste que tu manques un peu d'esprit d'initiative.
-C'est-à-dire ? m'enquis-je.
-D'habitude je reprochais à mes élèves leur curiosité et leur manie de me couper sans cesse la parole.

Il s'arrêta, sembla réfléchir à ses mots puis reprit :
-Tu vois, parfois tu peux m'interrompre et m'aider. Lorsque je te demandais si tu savais lire, puis compter, tu pouvais prendre les devants. Me dire tout de suite ce que ton maître t'avait appris ou non. Tu ne dois pas attendre que je te pose la question précisément. Tu comprends ce que je veux dire ?
-Oui, affirmai-je.

Cependant ses paroles m'intriguèrent. Comment aurais-je pu deviner la teneur des questions suivantes ? Je haussai les épaules et attendis la suite, les yeux rivés sur les flammes dansantes.

-Elouan.

Je mis un petit temps à répondre, marquant toujours une hésitation face à cette appellation puis lâchai :
-Oui?

-Je vais refaire toute ton éducation. Depuis le début. Oublie ce qu'ils t'ont appris là bas. Oublie cette douleur et concentre toi sur ta nouvelle formation.

Je me crispai. Oublier. Impossible pour moi de le faire. Ils avaient tout mis en œuvre pour qu'on s'en souvienne. Pour toujours. Cette marque sur mon bras, cicatrice éternelle. Ce fantôme devant moi, image constante de leur cruauté. Ces coups sur mon corps, témoins de la rudesse du traitement subi.

-Il faudra que tu la laisses s'en aller pour commencer, annonça le sauveur.
-Je ne décide pas de sa présence, rétorquai-je.
-Si. Et bien plus que tu ne le crois. Tant que tu te penseras responsable de sa mort, elle restera. Si tu veux l'oublier, tu dois comprendre que ce n'est pas de ta faute.

Je réfléchis quelques instants, perdu dans la contemplation de ces yeux bruns qui me fixaient. Elle ne prononçait pas un mot pour une fois. Mais elle était là. Elle me scrutait. Ce soir, elle ne me jugeait pas, ne m'agressait pas, ne m'encourageait pas. Elle était là, simplement.

-Je ne veux pas l'oublier, soufflai-je alors.

Noal écarquilla les yeux, me dévisagea un moment puis dissimula ses émotions derrière ce masque. Ce fameux masque impassible. Cette bouche neutre, ces traits immobiles, ces yeux vides. Ce front lisse, duquel tous les plis soucieux avaient été cachés. Plus rien ne pouvait se deviner sur son visage.

-Bien. Je vais te laisser te reposer. Je dois faire quelque chose d'important ce soir. Va dormir, demain sera une dure journée pour toi.

Il se leva, se retourna, ouvrit la porte et disparut. Il revint quelques secondes à peine plus tard :
-Il y a du pain dans les armoires et tu devrais trouver sans difficulté l'endroit où tu dois dormir, c'est plutôt petit ici.

Je hochai la tête et il repartit. Je n'osais pas fouiller les placards malgré l'annonce de nourriture dans ceux-ci. Je n'étais pas chez moi après tout. Fatigué, je décidai de directement aller dormir.

Mes yeux se posèrent automatiquement sur une porte entrouverte. Je m'approchai et observai l'intérieur de la pièce par la fente. Un lit, plutôt humble, trônait en maître dans la chambre. Sûrement la sienne au vu de l'arc posé contre une armoire et d'une cape allongée sur le lit.

Je reculai et balayai le salon du regard. Il restait encore une porte, en dehors de celle pour sortir. Néanmoins elle était fermée et je ne me serais pas permis de l'ouvrir. Ainsi, il ne restait que ce qui semblait être la cuisine et ses placards clos également.

Je n'avais aucune idée de l'endroit où j'étais censé me reposer ce soir.

Je haussai les épaules et sortis. La chaleur de la demeure me manqua aussitôt. Je frissonnai. Je resserrai ma cape sur mes épaules et m'avançai. Je fis le tour de la chaumière, gardant une main appuyée contre le bois pour me repérer.

Je finis par buter sur quelque chose de dur. Je clignai des yeux plusieurs fois, plissai les paupières pour tenter de percer l'obscurité. Ma vue s'adapta à la pénombre, je chassai de mon mieux l'image d'horreur qui tentait de s'immiscer en moi.

Le noir. Je le détestais. Il prenait un malin plaisir à m'entourer, m'envelopper. Il me volait la vue sans scrupules, m'empêchait de respirer à un rythme normal. Il refusait que la lune le chasse, il refusait de céder sa place. Et moi, perdu au milieu de son emprise, je m'imaginais tant de choses. Je m'imaginais des cadavres, grouillants d'insectes; des fantômes revenant nous hanter ; des yeux rouges brillants dans la nuit; des viols ignobles.
Oh oui, être aveugle afutait mon imagination.

Pense à autre chose ! Ce sur quoi mon pied avait cogné. Je tâtonnai quelques instants, cherchais avec mes mains à deviner ce que la nuit me dissimulait.

Après quelques minutes, je finis par deviner qu'il s'agissait d'un abri extérieur. À quoi pouvait-il servir ? Je n'en avais aucune idée. Je décidai de m'y engouffrer et d'y passer la nuit.

Je me roulai en boule sur le sol, dur. Cela ne m'avait jamais dérangé pour dormir, nous avions toujours eu à nous reposer à même le sol... Néanmoins d'habitude nous étions plusieurs, nous nous tenions chaud. Aujourd'hui j'étais seul.

Je finis par plonger dans un sommeil profond, les hiboux et les camris ne parvinrent pas à me tirer des bras de morphée. Noal me soulevant et me déplaçant non plus. Mon corps récupérait et rien ne pouvait me réveiller cette nuit là. Je rêvais.

Je rêvais d'elle. Pas d'Aëris. Elle. Cette fille apeurée, tapie seule dans une cabane en bois. Du haut de ses dix ans, elle se débrouillait de son mieux pour survivre. Un lance pierre à la main, elle guettait l'arrivée d'un ennemi qui n'arriva jamais dans mon rêve. Ses yeux noirs, rivés sur la petite porte, semblaient terrifiés.

Noirs. Ils étaient d'un noir profond qui me fascina toute la nuit. Cette couleur de jais sonnait familière en moi. Comme si je les avais déjà vus quelque part. Mais si je les avais déjà croisés, je n'aurais pas pu les oublier !

Je passai la nuit à détailler la fillette. Ses traits me semblèrent aussi usuels. Ce nez retroussé, cette bouche fine et pincée, ces pommettes hautes, ce visage parsemé de tâches de rousseur, ces cheveux bruns, tout. Je les avais tous déjà admirés. Mais où ?

Ma mémoire me faisait défaut, les souvenirs se mélangeaient. Le reste de mon rêve fut confus, les décors se succédèrent, sans aucun lien entre eux... Sauf ses yeux. Je les vis dans une ferme, dans un champ de bataille, dans des ruines, dans une chaumière chaleureuse.

Cette chaumière... Sa maison ! Celle du sauveur. Ce fut sur ce dernier endroit que j'émergeai. Je battis des paupières et fus long à comprendre que j'étais allongé sur un lit.

Je remarquai une armoire derrière moi et un arc contre celle-ci. La chambre ! Celle que j'avais identifiée comme étant celle du sauveur, je dormais dedans. Je fronçai les sourcils. Comment cela était possible ?

La porte s'ouvrit brutalement, je sursautai.

-Pourquoi es-tu allé dormir dehors ? m'agressa aussitôt la voix de Noal.

Je ne sus quoi lui répondre.

-Tu te rends compte à quel point tu m'as fait peur ? continua-t-il.
-Désolé mess... Noal.

Sa main s'était déjà levée, prête à s'abattre sur moi lorsque j'avais failli l'appeler messire.

-Pourquoi ? répéta-t-il.
-J'ai cru que c'était votre chambre...

Il s'esclaffa :
-Jamais je n'aurais laissé ma chambre ouverte crois moi ! Et jamais tu ne la verras, moi vivant.

Je hochai la tête, songeur. Cette pièce devait renfermer des secrets intéressants, sans aucun doute.

-Dis moi, tu n'as rien senti cette nuit ? demanda-t-il soudain.
-Non.
-Tu as le sommeil trop profond, un sauveur doit être alerte à tout moment. Je ne sais pas encore comment, mais on va travailler ça aussi.
-Je... D'habitude le moindre bruit le réveille, m'expliquai-je, piteusement.

Il sourit.

-Vraiment ? Alors le sol de ma réserve est si confortable que cette nuit, justement, tu n'as même pas senti que je te deplaçais ! se moqua-t-il.

Je baissai la tête.

Ses pupilles noirs revinrent me hanter. Mais cette fois-ci, une seconde image se superposa :
Une tête. Claire, nette dans mon esprit.

Cette tête aux mêmes traits, aux mêmes yeux. Il n'y avait plus de doute possible, la fillette était le portrait craché de Agnès.

Ma mère.

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