Chapitre 11 : Océan Trouble

Je voguais dans un rêve sombre, naviguant dans des eaux tumultueuses. Je me cognais à chaque paroi de ce qui m'entourait: des hautes roches.

J'étouffais, luttais pour remonter à la surface. Je me débattais mais suffoquais. Je hurlais. Je tapais. Seules des bulles sortaient de ma bouche, seuls des échos sourds répondaient à mes coups.

Je levai la tête et regardai au dessus de moi. J'aperçu une lueur. Une lueur brillait au dessus de moi ! Un échappatoire !

Je battis furieusement des jambes, enragé. Mais où étais-je ?

La lumière se rapprochait, je n'avais plus qu'à tendre la main pour effleurer la sortie. Je tendis le bras, je continuai à me démener pour sortir.

Enfin, ma tête atteignit la surface, j'inspirai. À peine une première goulée entra dans mes poumons, je ressentis un choc dans ma tête.
Le noir m'enveloppa. Je fermai les yeux à bout de souffle.

****

J'ouvris les yeux. Je clignai plusieurs fois des paupières pour m'habituer à la lumière qui irritait mes pupilles.

De l'eau. J'avais besoin d'eau. Mes lèvres s'écartèrent pour parler, mais ma voix rauque n'arriva qu'à prononcer quelques mots indicernables.

Des bruits de pas parvirent aussitôt à mes oreilles et des exclamations accueillirent mon réveil.
-Gamin ! Tu es vivant ! hurla une voix si envoûtante.
-Que s'est-il passé ? demanda immédiatement mon maître.

Je les fixai éberlué.
-Je ne sais pas, articulai-je après avoir toussé bruyamment.
-Tu ne te souviens de rien ? demanda le sauveur.

Je fermai les yeux pour me concentrer. Aëris ! Cela avait un lien avec elle ! Je me souvenais des gobelins, du goût du sang dans ma bouche, de la douleur qu'avait provoquée la griffe plantée dans mon dos, de la rage de ne pas avoir pu sauvé la fillette... Et puis rien. Rien qui ne justifie que je le réveille ici, sur...

Sur un lit ! J'étais couché sur un lit ! Il devait y avoir une erreur, où était ma paillasse ?

Je me redressai brusquement. Mes doigts palpèrent le lit. Moelleux, confortable. Il y avait même un coussin fait de plumes.

Je me tournai vers sir Jildis et le sauveur.
-Où suis-je ? questionnai-je.
-Dans la tente des soins, chez les fées.
-Depuis quand ? m'interrogeai-je aussitôt.
-Hier. Nous sommes déjà le lendemain midi, cela fait environ un jour que tu dors.

Je hochai la tête soulagé qu'aussi peu de temps ne se soit écoulé. Soudain, quelque chose me frappa.
-Mais... Midi? Et les combats ? Que...?

Les deux hommes éclatèrent de rire. Je ne laissai rien paraître de ma frustration de ne pas comprendre et attendis patiemment qu'ils se calment.
-La guerre est finie petit ! lança sire Jildis.
-Maître ? m'étonnai-je.

Le cœur battant à tout rompre, j'appréhendais sa réponse. Il plaisantait, il se gaussait de moi !
-Les gobelins sont tous morts, la magie ne leur a laissé aucune chance, expliqua mon maître.

Je me tournai vers le sauveur.
-Merci. Merci messire. Je... dois vous donner quelque chose, commençai-je hesitant.

Mais je n'eus pas l'occasion de terminer ma phrase, les deux hommes repartirent dans un rire sonore.
-Merci de quoi ? s'étonna le sauveur hilare.
-De... De les avoir tué de votre magie messire ?
-Tu ne te souviens donc de rien !

Je secouai vivement la tête, de plus en plus intrigué. Mon souffle s'accélerait comme si inconsciemment je comprenais que l'information qui allait me parvenir allait bouleverser ma vie. Comme si je sentais que ce qui allait suivre allait tout changer.

Las d'attendre une réponse, je portai une main à mon cou pour enlever l'insigne et la rendre à son propriétaire. Mes doigts ne rencontrèrent que du vide. Je plaquai mes doigts contre mon cou, étonné. Rien. Il était vide.

Je relevai la tête et vis l'air grave du sauveur.
-Je te l'ai enlevée, tu risquais de provoquer trop de dégâts.

J'haussai les sourcils.
-Alex, c'est toi.
Mon cœur s'emballa, mes doigts tapaient nerveusement le bout du lit.
-C'est moi qui quoi messire ?
-C'est ta magie qui a tué les gobelins.

L'annonce me fit un choc. Je me sentis trembler, mes membres échappaient à mon contrôle. Une sirène hurla dans ma tête, retentissant dans tout mon corps. L'information parvenait à mon cerveau, il l'assimilait avec mal. Il refusait de croire ce que mes oreilles avaient ouï dire. Je me heurtai à un refus catégorique de sa part.

Comme pour me prouver que le sauveur m'avait annoncé la vérité, je revécu les sensations qui m'avaient envahi lors de la bataille. Je senti à nouveau le pouvoir gronder en moi, me fuir par le cœur noir.

Ébahi, je plantai mes ongles dans la chair de ma cuisse pour ramener mon esprit à la réalité.
-Alors la guerre est finie ? répétai-je.

Le sauveur soupira.
-Je n'appelle pas ça une guerre. Disons que les combats de la baie de la Fahra sont terminés. Grâce à toi, ajouta-t-il.

Je hochai la tête doucement avant de tourner les yeux vers mon lit. Je n'avais jamais eu droit à autant de luxe depuis que j'étais esclave.
-Maître ! m'écrai-je. C'est bien trop pour moi !

Il me fixa avec une lueur nouvelle dans les prunelles. Il ne me regardait plus comme avant, plus comme un esclave mais comme un homme. Comme s'il éprouvait une sorte de respect envers moi, de la considération.
-Cela représente peu par rapport à ce que tu m'as offert. Je t'en remercie jeune ho...

Il fut interrompu par les pans de la tente qui s'ouvrirent à la volée.
-Messires ! hurla un elfe en déboulant à l'intérieur. J'ai entendu dire que le garçon s'était réveillé !

Il me regarda et sourit. Il inclina la tête et posa un genou au sol :
-Monseigneur, je vous suis obligé. Je vous dois la vie. Le gobelin s'apprêtait à me tuer quand vous nous avez délivrés. Je...

Il se coupa dans son élan et pointa du doigt la marque qui couvrait mon bras.
-Un esclave ? s'offusqua-t-il avant de se relever prestement. Il frotta les pans de sa tunique qui avait touché le sol.
Il me dévisagea d'un air froid.

Il voulut sortir à reculons, mais une main lui saisit fermement le bras. Le sauveur l'aggripait d'une poigne forte.

Il approcha sa bouche de l'oreille de l'elfe et souffla :
-Tu répètes ça, t'es un homme mort.
-Un elfe, rectifia l'intéressé avant de baisser la tête.
-Tu vas sortir, annoncer qu'il est réveillé et qu'il fera une annonce dès qu'il sera habillé. Et interdiction de dire que c'est un esclave. Compris ?

L'elfe s'empressa d'acquieser puis s'enfuit.

Je le regardai partir encore trop choqué pour réagir.
-C'est bon pour toi aussi, si tu dis à qui que ce soit que t'es esclave, tu meurs de ma main ! me menaça le sauveur.

Mon maître sembla ne pas comprendre et voulut intervenir mais il n'en eut pas le temps.
-Pareil pour vous. Il n'est plus votre esclave.
-Il l'est, répliqua sire Jildis. Je l'ai acheté et bien que je lui sois reconnaissant et que j'ai prévu de lui améliorer ses conditions de vie, il reste en ma possession.

Le sauveur secoua la tête, un sourire aux lèvres et sortit une bourse d'un pan de sa cape. Il saisit les mains de mon maître et lui déposa le paquet dedans.
-Plus maintenant.

Là, mon cœur lâcha. J'eus du mal à reprendre mon souffle. Tout s'était enchaîné bien trop vite. Le sauveur venait de m'acheter ! Et il parlait d'une annonce publique ? Mais qu'allais-je pouvoir dire ?

Sire Jildis semblait aussi perdu que moi. Il commença à sortir les pièces qu'il avait reçues et les compter. Plus il avançait, plus ses yeux s'écarquillaient. Avant d'avoir fini d'écouler toute la bourse, il s'arrêta et releva des yeux exhorbités vers mon nouveau propriétaire.
-Il y a...
-Vingt-mille écus, oui je sais.
-Vingt-mille ? répéta sire Jildis.

Le sauveur hocha la tête, visiblement pressé d'en finir.
-C'est assez ?
-Même beaucoup trop, balbutia le seigneur.
-Parfait, maintenant vous pouvez disposer.

Le seigneur s'empressa d'obéir et je me retrouvai seul avec le sauveur. Je restai bloqué quelques secondes devant lui, la bouche ouverte, trop ému ou perdu pour dire quoi que ce soit.

-Bon, écoute moi bien maintenant gamin. Ne m'interromps pas sauf si c'est vraiment urgent.

J'ignorai ses paroles et m'écriai ce qui restait bloqué dans ma gorge :
-Vous êtes mon nouveau maître ?
-Oui, mais pas dans le sens où tu l'entends.

Avant que je n'ai le temps d'intervenir une nouvelle fois, il leva la main et je ne pus que capituler devant son air déterminé.
-Je viens de t'ordonner de te taire et m'écouter.
Je m'empressai d'hocher la tête.

-Bien, reprit-il. À partir de maintenant, on va faire croire que les dieux t'ont choisi comme nouveau sauveur.

La phrase tourna plusieurs fois en boucle dans ma tête avant que mon cerveau n'intègre l'information. Seul l'ordre donné par mon maître m'empêcha d'ouvrir à nouveau la bouche.
-À partir de maintenant, tu t'appelleras Elouan, tu seras un humain venant de la terre. Tu n'as jamais été un esclave et n'est pas né ici. Tu as reçu plusieurs visions des dieux t'appellant ici, tu m'as rejoint et hier, tu as arrêté les gobelins. Compris ?

Je le regardai. Il me fixa, d'un œil critique, les bras croisés sur sa poitrine, un air sévère affiché sur le visage. Il semblait avoir trouvé une détermination nouvelle, chassé l'accès de folie qui l'avait pris lors de notre discussion dans la forêt.

Il avait trouvé un plan et commençait à placer ses pions. J'étais le tout premier.
-Compris ? répéta-t-il insistant.
-Oui maître.
-Parfait. Comment t'appelles-tu petit ?
-Al...Elouan maître.
-D'où viens-tu ?
-Tairre ?

Il sourit faiblement, mais son air implacable reprit le dessus.
-Il n'y a pas de "I". Terre, comme la terre sur le sol. D'où viens-tu ?
-De terre, maître.
-On dit: de la terre. Pas de terre. Recommence, d'où viens-tu ?
-Je viens de la terre.

Il acquiesça.
-On va y arriver, on va réussir à te faire passer pour un sauveur gamin.
-Mais, maître, et le vrai sauveur ?
Il plissa les yeux d'un air sinistre :
-Il n'y en aura pas. On se contentera de ce qu'on a, c'est à dire toi.

Je ne pouvais pas accepter. Je ne pouvais pas faire semblant d'être un sauveur, qui serait réellement là pour nous aider lorsque ceux que mon maître semblait tant craindre attaqueraient ? Si j'acceptais le plan du sauveur noir, nous pourrions mentir au peuple, mais pas à nous même. Nous pourrions toujours faire semblant, mais pas nous battre. Nous pourrions redonner de l'espoir, mais... l'espoir suffisait-il à vaincre les monstres qui nécessitaient normalement l'intervention d'un sauveur ?

Non. Si je me faisais passer pour un élu, Okitio disparaîtrait.
-Maître... Pourquoi moi ? demandai-je finalement.

Il baissa les yeux, perdant quelques secondes de sa superbe. Il se tordait les mains dans le dos, comme réfléchissant lui-même à cette question. Il finit par redresser la tête et lâcha froidement :
-Pourquoi toi? Je ne sais pas. Les dieux ne t'ont pas choisi, tu n'as aucun pouvoir magique, tu n'es pas celui que j'espérais. En fait je ne sais pas, depuis que je n'ai plus l'aide des dieux je suis perdu. Je suis perdu et je t'ai vu. Tu as juste l'air moins pire que les autres au fond, mais il faudra bien que ça fasse l'affaire.

Il débita le tout sans interruption, butant juste un instant avant de dire que je n'avais aucun pouvoir magique. Si cela était le cas, pourquoi disait-il que mon pouvoir avait tué les gobelins ?

Semblant lire mes pensées, il me devança et répondit :
-C'est mon insigne qui t'as permis de faire ça. Disons juste que tu as comme une bonne réception à la magie, tu as une sorte de réserve vide que l'insigne a remplie. Sans elle, ta réserve ne te sert à rien.
-Mais alors, pourquoi maître ? répétai-je.

Il planta ses prunelles vertes dans les miennes. Il m'obligea à soutenir son regard en m'attrapant le menton d'une main ferme. Je lus en lui sa solitude, son sentiment d'abandon. Je me noyais dans l'océan de regrets, de lassitudes, de tristesse qui le rongeait. Au fond, seule une infime partie de lui brillait de force, d'assurance, d'espoir. Et cette lumière émanait d'un garçon.

Un garçon perdu, autant que lui. Un garçon dont les iris bleues luisaient de douleur et d'amertume cachées derrière un masque indifférent et des rêves inateignables. Un garçon qui le fixait, se raccrochant comme il pouvait à l'image que cet homme représentait pour lui.

J'étais le garçon, il incarnait la force en laquelle j'avais toujours crue. Chacun voyait en l'autre sa bouée, la sortie à sa peine, son échappatoire. Chacun voulait y croire, malgré ce que l'autre pouvait dire.

Je pensais ne pas être le bon, il croyait être maudit. J'avais confiance en lui, il voulait avoir confiance en moi. Je constatais le lien qui nous unissait quand il relâcha ma mâchoire, brisant le contact.

-Habille toi, tu dois faire une apparition aujourd'hui. Ta première sortie en tant qu'apprenti sauveur. Et souviens toi, en tant qu'Élouan. C'est plus sûr, affirma-t-il, comprenant mon doute face à la nécessité de ce nouveau prénom.

Il s'apprêtait à sortir quand il se retourna :
-Veille à couvrir tes bras. Tes vêtements sont là, annonça-t-il en désignant un tas apparu sur le bout de mon lit.

Il sourit, voulant me réconforter, comprenant mon impression de solitude.

Il souleva le pan de l'entrée de la tente et me laissa seul. Je m'enfonçai dans mon lit tandis que des larmes se frayaient un chemin jusqu'à mes yeux.

Je ne voulais pas faire semblant d'être un sauveur, je voulais encourager et soutenir un vrai apprenti. Je ne désirais pas une gloire que je ne méritais pas, j'aspirais simplement à rejoindre ma famille et vivre.

-Lève toi Alex, sois fort, va te changer et obéit aux ordres de ton maître. Mais rien qu'en murmurant cette phrase, j'enfreignais un de ses ordres.

"Sois fort Elouan" sussura une voix dans ma tête.
***********
Hey!
Je vous souhaite de passer une excellente soirée de nouvel an !

J'espère que ce chapitre vous a plu, on va enfin plonger dans son apprentissage de sauveur et la vraie menace va pouvoir surgir. J'ai vraiment hâte :p

J'espère que votre année 2018 sera bonne, que vous avez plein de résolutions à appliquer, qu'elle vous sera riche en découvertes (littéraire et autre), que vous pourrez atteindre les objectifs que vous vous serez fixés. Qu'elles soient fructueuse en amitié, amour, travail, épanouissement.

Bref, pleins de bisous !
Dream

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