Chapitre 10 : Kackling

L'Aigle ressentit une secousse faire trembler son nid. Il releva une tête étonnée, déplia ses ailes et s'étira. Il secoua la queue puis reprit sa position initiale. Il se recroquevilla sur lui même, le bec appuyé contre ses pattes et à nouveau, se perdit dans de sombres pensées.

Depuis qu'il avait eu la Vision, il ne bougeait plus, n'entretenait plus le conseil des Aigles Sages. Il ne faisait plus sa toilette: son plumage s'emmêlait à la crasse, ses serres perdaient de leur force, elles n'étaient plus aussi tranchantes qu'avant.

Et surtout, son moral diminuait. Il perdait sa prestance de dieu mais surtout ne se considérait plus comme tel. Lui qui avait eu l'habitude d'être un Aigle Sage courageux, combatif, fort, patient et impressionnant, se trouvait à présent tassé sur lui-même, sans espoir, sans envie, sans motivation. Sans rien. Il n'avait plus envie de rien. Ni manger, ni boire, ni dormir, ni bouger.

Il ne ressentait qu'un vide en lui. Un vide immense et effrayant, un vide profond et qu'il ne parvenait pas à combler. Il ne songeait plus qu'à la mort, mais ne savait pas comment faire pour se tuer.

Il avait bien essayé de sauter de la falaise, cependant ses ailes s'étaient ouvertes toutes seules sans qu'il ne le veuille et l'avaient obligé à remonter jusqu'à son nid. Il avait tenté de se laisser mourir de faim, mais les membres du conseil des Aigles Sages le maintenaient coincé contre le mur une fois par jour, lui ouvraient la bouche et le forçaient à avaler les vers et animaux qu'ils avaient chassés.

Alors il vivait à reculons, appréhendant chaque jour la venue de Noal. Il redoutait ce moment pourtant vital lors duquel le sauveur viendrait lui réclamer en face un nouvel apprenti. Il craignait la réaction du centenaire plus que tout car Noal avait été pendant longtemps son meilleur ami avant...

Avant...

Il chassa cette pensée en secouant vivement la tête. Il s'obligea à penser à autre chose et décida de chercher l'origine de la secousse qui avait ébranlé le nid géant.

Il vida son esprit de toutes ses idées de suicide, de peur, d'abandon et visualisa le continent. Il sortit sa conscience de sa tête et la fit explorer le continent dans son entièreté.

Il survola la partie non magique d'Okitio, juste pour être sûr. Il constata sans surprise que le choc ne venait pas des comtés de Saïrens, Ahraî, Hyera ni Kewoaï. La capitale, Eurlana, non plus. Aucune trace de magie n'y avait été détectée depuis plusieurs milliers d'années.

Il passa par la forêt des elfes et dut se concentrer pour ignorer toutes les manifestations surnaturelles qui la parsemaient. Aucune d'entre elles ne semblait avoir été assez puissante pour le secouer à ce point.

Il vérifia que les fées n'étaient pas responsables de ceci puis passa du côté magique d'Okitio.

Il se rua sur la capitale Oka-city, les comtés magiques de Jildis et Bohémion. Aucun d'entre eux ne pouvait avoir accueilli plus tôt une telle force.

Il survola rapidement le désert et n'y détecta ni trace de vie, ni trace de pouvoir. Il continua son chemin jusqu'au confin du continent, s'arrêtant même à la montagne des nains. Il soupira quand il n'y trouva pas ce qu'il cherchait.

"Tes pouvoirs faiblissent" constata L'Aigle Sage avec regret. Il pesta contre lui-même, râlant de ne pas avoir assez entretenu sa magie pour repérer sans la chercher l'origine de la secousse.

Il retourna dans son corps, troublé de n'avoir vu nulle part la force immense qui l'avait secoué. Ce mystère occupa ses pensées pour le reste de la journée. Il se creusait les méninges, faisait les cent pas, s'énervait.

Et enfin, il comprit.
"Quel idiot! Tu ne connais même plus ton monde, alors que tu es censé le protéger !"
Il reprit ses recherches mais se dirigea directement vers la baie de la Fahra.

Il étouffa un cri perçant qui voulait s'échapper de son bec. Comment avait-il pu ne pas être au courant des combats qui avaient lieu sur la plage ?
Cela était impossible !

Et pourtant, sous ses yeux, se trouvaient des tentes de guerre qu'il ne connaissait que trop bien, des corps ensanglantés et morts gisaient ça et là. "Tu as délaissé tes responsabilités à ce point." se mortifia-t-il.

Il fit un saut dans le temps, remonta jusqu'à l'origine des combats et il se força à compter, bien qu'à contre cœur, le nombre de fois... le nombre de fois où les habitants d'Okitio l'avaient supplié de les aider.

Chaque nouveau cri lui transperça le cœur, lui déchira l'esprit et le rendit fou.

Un soldat dès le premier jour avait supplié : "Pitié, grand Aigle Sage, faites en sorte que cette guerre ne dure pas plus de quelques mois, ma femme doit mettre au monde mon premier héritier dans deux mois. Je vous en supplie, je veux être avec elle pour ce moment.
Merci, ô grand dieu suprême."

Un elfe, après le premier combat : "Grand Aigle Sage, je suis votre fervent serviteur depuis des années. Vous avez toujours pris soin de mon peuple, mes enfants, ma famille. Vous avez accédé à mes demandes à chaque fois. Je crois fermement en vous alors pitié... Je vous en supplie, faites fuir ces monstres ! "

Et cela continuait. Chaque jour, plusieurs dizaines de demandes avaient été effectuées. La plus poignante fut celle d'un seigneur qui l'avait prié toute la nuit la deuxième année.
" Grand Aigle Sage, père de la terre, de l'eau et des cieux, père des hommes et des Okitiens, père de la vie, protecteur et gardien d'Okitio, aujourd'hui je me tourne à nouveau vers vous. Je vous en conjure, venez à notre aide. Venez nous sortir de cette guerre interminable. Je n'en peux plus, j'ai besoin de votre aide. Je me dois d'être fort pour mes hommes, mais je n'y arrive pas. J'aimerais tellement les mener à la victoire, les reconduire chez eux.

"Ils ont vu tant d'horreurs ces dernières années ! Ils ont besoin de vous. Nous avons tous besoin de vous. Ou bien d'un nouveau sauveur. Désignez en un, je vous en prie. Nous ne vaincrons pas tous seuls, pas sans votre aide.

" J'ai fait tuer deux agneaux en votre honneur aujourd'hui, je sais que cela est bien peu, que vous méritez des veaux et des plus gros sacrifices... Mais nous sommes en guerre ! Je n'ai plus rien à vous offrir, nous n'avons plus que de maigres provisions !

"Cependant, sachez que je me dévoue à vous corps et âmes, je remets ma vie entre vos mains, je suis prêt à tout pour vous. Je suis capable de me sacrifier moi-même si cela peut permettre à mes troupes de gagner.

" Montrez moi la voie. Désignez moi une tactique à suivre, un plan pour gagner, une manière de vaincre ses monstres.

" Je me prénomme sire Jildis, je suis un noble pour certains, mais uniquement votre humble serviteur. Sauvez moi. Sauvez nous. Sauvez Okitio."

L'Aigle se sentit déchiré par tant de détresse perçue dans la voix de cet homme. Cet homme qui acceptait de lui offrir sa vie et lui qui ne lui avait rien offert, jamais aidé, jamais exhaussé. Il s'en voulait terriblement, mais il était trop tard pour les regrets.

Il ne trouva pas la force de continuer à écouter les suppliques de tous les peuples en guerre et se concentra plutôt sur la force qui s'en était dégagée.

Il plongea vers le champ de bataille et vit l'insigne de Noal pendue au cou d'un esclave briller de mille feux. Elle scintillait, d'un éclat pur et éblouissant, tandis que le garçon qui la portait tournoyait sur lui-même.

"Ainsi c'est un esclave qui possède une magie aussi puissante !" s'émerveilla Kackling.

Il se concentra sur l'intérieur du jeune homme et fut stupéfait par la réserve de pouvoir ancrée en lui. Il eut l'impression qu'elle était inépuisable, que jamais il n'en serait à court. Il plongea au cœur de sa source et se laissa flotter sur le flux de magie qui se déversait.

Il glissa sur le flot incontrôlable, la tempête puissante qui fuyait le corps de l'esclave. Et plus il constatait sa puissance, plus il la craignait. Plus il la ressentait, plus il se demandait d'où elle provenait.

Il sauta dans le passé du jeune homme et constata, volant de surprise en surprise qu'il était né de l'autre côté d'Okitio. Le détenteur d'une telle magie avait des parents dénudés de tout pouvoir, qui habitaient dans un comté non magique !

Il quitta la vie du garçon pour récupérer une vue d'ensemble et constater l'effet qu'une telle force avait eue sur son entourage.

Il observa le gobelin qui le transperçait de sa griffe se décomposer. Il constata que tous les monstres s'immobilisèrent, paralysés. Que tous les soldats tombèrent au sol, assomés.

Les gobelins furent tous poussés, rassemblés au centre du champ de bataille. Il hurlèrent de douleur, soudain libres de leur mouvement. Ils se mirent tous à courir, gigoter en tous sens, mais n'arrivaient pas à sortir d'un cercle que L'Aigle voyait, mais invisible aux yeux des êtres moins puissants.

Il put détailler le cercle flamboyant emprisonnant les monstres se resserrer. Il se concentra jusqu'à écraser les bêtes, les broyer dans une étreinte mortelle. Elles suffoquèrent une à une, jusqu'à ce que tous les monstres disparaissent.

Alors, le garçon s'effondra tandis que le sauveur se relevait déjà et courait vers lui.

L'Aigle Sage stupéfait retourna dans son nid. La scène à laquelle il venait d'assister le sidéra.

"Peut-être qu'au fond, ils n'ont pas besoin de moi pour trouver un nouveau sauveur.
Rien n'est perdu !"

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Hey!
Voilà un petit chapitre qui présente un élément clé de ce livre, Kackling, L'Aigle Sage.

Je ne sais pas trop ce que vous en pensez, j'attends vos avis avec hâte ! :)

Bisous,
Dream

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