Elle ne se souvient pas de quand elle s'est rendue compte qu'elle était malheureuse avec lui.

Peut-être c'était quand ils se sont revus après leur rencontre dans l'euphorie vespérale, peut-être était-ce quand ils ont passés des journées mains dans la mains et qu'elle se peignait de l'illusion que c'était de l'amour, ou quand il l'avait embrassée, ses lèvres parfumées d'alcool qui la rendait nauséeuse.

Peut-être que c'était quand il lui avait enfin dit je t'aime.

Cette phrase, cette douce petite phrase seule lui a soudainement donnée le tournis, sortant de sa bouche. Et à sa bouche pâteuse quand elle s'entendit répondre moi aussi.

Et chaque fois qu'elle recevait un message de lui, elle se souvenait de son existence. C'était comme si son cerveau refusait de s'imprimer de lui, de sa voix, de ses mots blessants et de ses actions dénués de l'amour qui lui disait lui porter.

Trop lourde, elle s'est accroché aux chevilles des poids en refusant de le lâcher. Par peur d'être seule à nouveau.

Sortir au restaurant, se voir, encore et encore, il l'emmène partout il lui fait voir le monde et il s'attend à ce qu'elle fasse de même.

Mais elle ne peut pas. C'est encore une enfant. Elle ne sait rien de ce monde nouveau qui s'ouvre à elle, gorge béate dans laquelle il l'attire tandis qu'elle tente de se débattre silencieusement, arrachant des cris de douleur à son cœur. 

Elle a peur, c'est trop fatiguant ,trop fatiguant de grandir dans les bras d'un autre, trop fatiguant de se partager à un homme qu'elle n'aime pas.

Et une larme roule, tandis qu'elle voudrait redevenir enfant, sans lui, sans eux, sans les fumées des cigarettes, sans les liqueurs nauséeuses, sans les cris, sans les pleurs, sans tout le trouble qu'eux causent dans son monde fermé. Elle ne veut pas, elle ne veut pas faire comme eux, ça ne lui plaît pas, elle a peur, peur de se mélanger aux peaux embrumées, aux corps malmenés, aux lèvres trop chargées, aux haleines trop enivrées de joies qui ne sont pas les siennes.

Elle ne veut pas de lui, mais elle ne dit rien. Parce qu'elle devrait être heureuse non ? Tout le monde voudrait être avec quelqu'un, on se sent moins seul avec quelqu'un. Mais elle, avec lui, elle se sent plus seule encore que les nuits où elle n'avait personne pour entendre ses cris.

Et elle se donne aux inconnus, brillants, macérant dans l'acide des jeunes jours pleurant à tout rompre. Comment font-ils pour ne pas avoir peur, comment font-ils pour goûter à l'inconnu sans avoir l'envie irrépressible de rentrer chez eux, en sécurité chez eux, là où personne ne peut les atteindre ? 

Comment chez lui, tout semble simple ,naturel, comme si ces jours lui étaient normaux ?

Elle ne veut pas ; il la force, elle ne dit rien.

Et elle pleure, silencieusement; il n'entendra pas ses larmes, au bout du fil. Elle veut redevenir enfant, unisexe. Elle veut disparaître de lui, d'eux, de ce monde trop grand pour elle qui l'arrache de ce qu'elle aime le plus.

Elle veut le quitter, malheureuse.

Mais elle ne peut pas.