Rêve de Noël : Dernier flocon
Le regard farouche, la fillette serra la petite boule de poils bleutés contre elle. Lur' n'avait pas peur. Les grands qui la toisaient n'étaient que des idiots.
L'un d'eux grogna en s'avançant, l'œil mauvais :
- Rends-nous l'écureuil !
- Non ! Vous voulez le tuer ! riposta-elle en enveloppant dans un pan de son manteau fourré le petit animal terrifié.
Le garçon devait avoir une dizaine d'années, peut-être un peu plus. Ses vêtements épais, mais sans valeur, désignaient le fils de paysan aisé. Sans doute n'avait-il pas compris qu'il avait affaire à la fille de son seigneur, sans quoi il eut baissé les yeux et tourné les talons pour éviter des ennuis.
Mais Lur' avait joué dans la neige pendant des heures avant d'aller de ce côté-ci de la forêt et ses habits étaient si crottés qu'il était difficile de voir en elle la moindre trace de noblesse. Sauf peut-être dans la façon qu'elle avait, du haut de ses six ans, de relever le menton face à des plus âgés qu'elle.
- Tu vas prendre une raclée, gamine, menaça l'un d'eux en faisant un pas de plus.
Lur' n'était pas lâche, mais elle savait reconnaitre une situation où elle ne pouvait avoir le dessus. Faisant volte-face, elle prit son élan pour fuir et... manqua s'assommer contre l'un de ses agresseurs qui venait dans son dos par surprise.
Sous le choc, sa capuche tomba en arrière révélant ses boucles châtaines emmêlées par son errance. Elle avait lâché l'écureuil, qui fila dans les arbres en couinant. Les garçons rugirent de colère.
- Il s'est échappé ! C'est ta faute ! Tu vas payer !
Maintenue par le bras, Lur' se mit à hurler de sa petite voix, tout aussi furieuse qu'eux :
- Lâchez-moi ! Vous allez le regretter !
Ses mots résonnèrent dans la clairière déserte. La fillette se débattait aussi vivement que possible. Mais ses coups de pieds et de poings ne lui valurent que des rires moqueurs. Trop jeune pour être menaçante !
- Aïe ! brailla soudain celui qui la maintenait. Elle m'a mordu, la bougresse !
Il la projeta au sol, rageur, et regarda son doigt ensanglanté avec des yeux effarés. Lur' eut un sourire satisfait : elle n'y était pas allée de main morte. C'était bien fait ! Mais, à présent qu'elle était par terre, cernée par ces idiots, elle allait passer un mauvais moment. Elle serra les dents : elle ne voulait pas leur donner le plaisir de la voir pleurer.
- Que se passe-t-il, ici ?
Le prince charmant ! Sa lourde cape de fourrure sur son corps frêle, mais un regard perçant qui imposait un respect immédiat. La fillette ne lui avait jamais vu l'air aussi sérieux et décidé. Lui, au moins, avait l'allure du noble qu'il était et les garnements qui cernaient la fillette s'immobilisèrent en le voyant serrer les poings.
- Rien, on joue, monseigneur, marmonna l'un d'eux, plus futé que les autres.
- Menteurs ! clama Lur' en se relevant.
Elle souriait. Avec le grand prince charmant de son côté, elle ne risquait plus rien ! Enhardie, elle se permit même de bousculer l'un des garçons pour aller se placer près de son sauveur qui fit un pas pour se mettre entre elle et ses agresseurs. Le regard de défi qu'elle leur lança acheva de les convaincre de libérer les lieux. A moins que ce ne soit la crainte d'un châtiment pour s'être opposé à un noble.
- Est-ce que ça va ? demanda le prince charmant héroïque, les sourcils froncés.
Lur' hocha la tête, radieuse. Elle en avait vu d'autres et sa peur était déjà passée.
- je suis contente que tu sois là, s'exclama-t-elle tout de même en le serrant brièvement dans ses bras.
Gêné, et les joues un peu rouges, il ne répondit rien se remit à marcher en l'entrainant avec elle.
- Tu ne devrais pas traîner toute seule... La nuit va bientôt tomber.
- je cherchais des fées, expliqua Lur' en gambadant, sans avoir paru entendre l'argument de son ami.
Le garçon tentait d'avoir l'air sérieux, mais il ne put dissimuler un sourire amusé :
- N'importe quoi... la seule petite fée que je vois ici, c'est toi ! Allez, je te raccompagne, tes parents vont s'inquiéter.
- Pas autant que ton per...prétep...
- Précepteur. Allez, viens, j'ai pris ma luge.
Les yeux de Lur' se mirent à briller.
- C'est vrai ?
Ca l'était. Le grand prince charmant avait un carrosse digne des contes de fées : un petit traineau de bois rouge et or qui filait entre les arbres. Le garçon se disait doué pour le conduire et, étant donné sa capacité à slalomer entre les sapins couverts de givre, Lur' n'en doutait pas.
Il vérifia qu'elle était bien assise et s'installa derrière elle.
La luge prit de la vitesse, pour le plus grand bonheur de la fillette.
- YAHAAAAAAAAAAA !
Il avait renoncé à demander à sa petite camarade de se taire. Ivre de joie, Lur' hurlait comme une folle, cramponnée à son ami. Il fallait pourtant rester prudent : le début de l'hiver offrait peu de neige et les vastes étendues d'herbe, parfois caillouteuses, pouvaient de révéler de véritables dangers. Habile, le garçon fit zigzaguer la luge avant de s'immobiliser non loin d'une route de terre battue bien dégagée.
Lur' sautait déjà à bas de l'engin, avec une énergie qui paraissait n'avoir aucune limite.
- C'était formidable !
Le prince charmant se leva à son tour et esquissa un sourire :
- Ravi que ça te plaise.
Puis, son visage s'assombrit :
- Ecoute, Lur'... Demain, je repars chez moi.
La fillette fronça les sourcils, peu sûre de ce que cela signifiait.
- J'ai fini ma... enfin... Mon père me réclame. Je retourne à Tremoria.
- Ohhh...
La mine déconfite de Lur' le poussa à se mettre à sa hauteur avec un sourire rassurant. Il lui posa les mains sur ses petites épaules :
- Mais, je reviendrai un jour, promis.
- Promis-promis ?
- Promis-promis, Lurhanda.
La fillette retrouva son sourire et, après un instant d'hésitation, déposa un bisou sur la joue de son ami qui fronça les sourcils pour masquer sa gêne.
- T'as intérêt, déclara-t-elle avec sérieux. Sinon, c'est moi qui viendrai te chercher par la peau des fesses !
Pas peu fière de l'expression empruntée à son père, elle lui décerna un grand sourire et lui fit un dernier aurevoir avant de se mettre à courir sur le chemin de toute la vitesse de ses petites jambes.
***
**
*
Sanhild rouvrit les yeux, tremblante. Une part de soulagement flottait en elle : elle n'avait pas revu sa famille et évitait ainsi un souvenir douloureux. Le vieil homme lui avait montré les seuls vestiges de son ancienne vie rattachée à la nouvelle. Elle devait reconnaitre que le sentiment de nostalgie qui l'habitait réchauffait son cœur d'une agréable douceur.
Les autres convives reprenaient leurs esprits avec un sourire hébété sur le visage, sans se préoccuper d'elle. Larinda semblait avoir attrapé un fou rire et même Bregan paraissait pleinement heureux. Cierhan avait la bouille réjouie d'un petit garçon et Thoran s'empressa de féliciter leur invité pour le bon moment qu'il venait de passer.
Plus réservé, Aodan s'efforça de froncer les sourcils. Cependant, son sourire nostalgique n'échappa pas à Sanhild. Quand elle croisa son regard entendu, elle blêmit. Fidèle à la demande muette de la jeune femme, il ne dit rien. Mais elle n'avait pas besoin de lire dans son esprit pour avoir deviné : il venait de revivre exactement les mêmes souvenirs qu'elle.
*** J'espère que ces petits chapitres "spécial Noël" vous auront plu ! Dès demain, nous repartons sur un rythme de publication d'un chapitre tous les trois jours et ce, jusqu'à fin janvier ! ***
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