Chapitre 8 : Valse courtoise
Une nouvelle valse, plus rapide, reprit aussitôt. Cierhan partit d'un pas léger, entrainant la jeune femme avec aisance. Autour d'eux, la fête se poursuivait, les danseurs virevoltaient en un grand ballet coloré. L'Officieuse ne se sentait toujours pas à sa place, mais tâchait de garder le sourire : Sannarhia ne pouvait qu'apprécier ce genre de divertissement, alors il fallait faire bonne figure. Il n'y avait plus qu'à espérer que Cierhan n'avait pas dans l'idée de l'interroger à son tour.
Ce dernier ne semblait pourtant pas décidé à discuter, comme s'il se contentait de savourer l'instant. Ses gestes étaient si doux qu'il ne paraissait pas mener la danse. Malgré tout, il se révélait un excellent partenaire, souriant avec bienveillance aux maladresses de Sanhild qu'il rattrapait de façon imperceptible. Cette dernière se maudissait intérieurement pour ne pas avoir suivi avec plus d'assiduité les cours dispensés par son ordre. Ce n'était pas le moment de se ridiculiser !
Ce ne fut que lorsque l'air entrainant ralentit un peu, qu'ils purent échanger quelques mots.
- Avez-vous réfléchi à ma proposition ? demanda le jeune homme avec espoir. Nos jardins sont magnifiques, je peux vous l'affirmer sans prétention aucune !
En cet instant, les fleurs étaient le cadet des soucis de Sanhild, mais elle était prête à saisir l'occasion qui se présentait à elle.
- Oh ! Rien ne me ferait plus plaisir que de le découvrir avec vous ! minauda-t-elle.
Elle ne perdait pas de vue qu'accepter ainsi un tête-à-tête, avec un inconnu, pouvait paraitre inconvenant. Cependant, la réputation de Sannarhia n'était pas la priorité, alors autant tenter sa chance. Et puis, il ne s'agissait que d'une promenade, après tout.
- Je ne me rappelle pas vous avoir déjà rencontrée lors de nos bals annuels, poursuivit-il avec entrain.
L'histoire de la noble était déjà écrite et Sanhild n'eut aucun mal à répondre :
- Non, je le crains. Il m'est apparu qu'il était temps pour moi d'entrer dans le monde. On m'a tant vanté les mérites de vos réceptions !
Cierhan était ravi. Elle n'ignorait pas qu'il était l'instigateur de ces fêtes et les flatteries semblaient faire des merveilles chez son hôte.
- Je ne peux que me réjouir de votre présence, ma chère. Nul doute que j'aurais davantage insisté pour vous recevoir, si je vous avais rencontrée avant !
Le sourire charmeur qui accompagna ces mots fit rougir Sanhild. Elle ne s'habituait toujours pas à cette sensation d'être... courtisée ? Car il s'agissait bien de cela, non ? Elle préféra baisser les yeux, gênée par le regard insistant du jeune homme. Il était grand temps de tirer parti de cette discussion et de faire parler le noble à son tour.
- Je vous remercie pour votre intervention, un peu plus tôt...
Il n'était pas question de critiquer elle-même Bregan, mais elle espérait une réaction qui lui indique la relation qui liait les deux frères. Le premier avait paru agacé par son cadet qui l'avait raillé ouvertement. N'était-ce qu'une chamaillerie comme il y en avait dans toutes les fratries ou bien la mésentente était-elle plus profonde ?
- Je n'ignore pas que mon frère peut se montrer quelque peu... grossier. Vous paraissiez ennuyée, durant la danse... Je suis heureux de savoir que mon arrivée a pu vous soulager.
De nouveau, ce ton d'une gentillesse désarmante. Sanhild se surprit à lui rendre un sourire sincère.
- Grossier, non, n'exagérons rien, reprit-elle avec une innocence feinte. Disons qu'il tenait à ce que nous parlions de... mes mésaventures. Il m'a expliqué qu'il prenait en charge la sécurité de vos terres.
Prêcher le faux, pour savoir le vrai. Ce n'était pas exactement ce qu'avait prétendu Bregan. Elle crut sentir la main de Cierhan se crisper un instant dans la sienne, mais le jeune homme reprit rapidement contenance :
- Cela est vrai, il veille sur nous, grâce à ses patrouilles ! Que ferions-nous sans lui ? Je me le demande ! Mais, reprit-il avec un nouveau sourire enjôleur, parlez-moi plutôt de vous ! D'où vous vient cette passion pour les fleurs ?
- De ma mère, improvisa Sanhild naturellement. J'herborise depuis que je suis enfant.
- Vraiment ? Vous n'avez de cesse de dévoiler de nouvelles qualités !
Malgré elle, Sanhild se sentit touchée par le compliment. Si sa science des plantes se limitait aux poisons, elle était suffisamment instruite en ce domaine pour ne pas avoir à rougir de ses connaissances. Cependant, elle n'ignorait pas que Cierhan en faisait un peu trop pour la flatter. Était-ce une habitude dans ce milieu pour s'attirer les faveurs d'une dame ou était-il en train d'essayer de la manipuler ? À moins qu'il ne soit sincère et quelque peu maladroit ?
Il dut lire dans ses pensées car il esquissa une moue piteuse :
- Je vous importune, avec mes compliments, je le vois bien. Veuillez me pardonner, il est rare que je rencontre de nouvelles personnes qui me semblent dignes d'intérêt.
Sanhild s'empressa de lui lancer un sourire rassurant. Elle ne pouvait se passer de ce soutien pour demeurer au château. Larinda l'avait certes invitée également, mais mieux valait deux garanties plutôt qu'une.
- Je n'ai guère l'habitude, pour ma part, de converser ainsi avec des inconnus... Ne vous excusez pas. Je suis quelque peu nerveuse, voilà tout.
Il s'apprêtait à répondre lorsque la musique repartit de plus belle, les empêchant de poursuivre la conversation. Avec un tel cavalier, Sanhild devait reconnaitre que danser devenait agréable. Il dut s'apercevoir qu'elle se détendait car il la fit tournoyer en riant. Le rythme s'accélérait et la jeune femme se prit au jeu, s'amusant elle aussi lorsqu'elle manquait un pas. À mesure qu'elle virevoltait, la tension accumulée depuis la veille s'envolait.
Lorsque le morceau s'arrêta, elle s'écarta de Cierhan à contrecœur. Le jeune homme n'avait pas quitté son rayonnant sourire et il lui présenta son bras pour l'entrainer vers le buffet. Acceptant l'invitation, Sanhild se laissa servir un jus de fruit par un domestique.
Landarn se trouvait non loin et discutait avec des invités du même rang supposé qu'elle. Les deux jeunes femmes échangèrent un regard qui ramena Sanhild sur terre. Elle était là pour enquêter et, le cas échéant, tuer. Elle s'était bien assez distraite auprès de Cierhan, maintenant qu'elle avait obtenu l'invitation tant convoitée. Il était temps de se rapprocher des autres membres de la famille ou, au moins, de laisser trainer ses oreilles afin d'espionner les conversations des convives.
Cependant, Cierhan ne semblait pas disposé à la laisser s'enfuir si facilement.
- Parlez-moi encore de vous, très chère ! Serait-ce un petit accent de la capitale que j'entends lorsque vous parlez ?
Sanhild aurait aimé fuir ces questions indiscrètes qui risquaient de la démasquer. Il était vrai qu'elle avait beau s'appliquer, elle n'était pas parvenue à retrouver des inflexions aussi marquées que celles de l'Ouest dans son langage. Cierhan avait l'oreille fine et la curiosité un peu trop exacerbée !
Par bonheur, elle n'eut pas à improviser une réponse maladroite, car une jeune fille d'une quinzaine d'années s'approcha d'eux et leur coupa la parole sans vergogne :
- Cierhan ?
Une ombre passa sur le visage de l'interpellé, mais il retrouva bien vite son sourire de circonstance.
- Erhilda ! Quel plaisir !
L'absence de titre pour chacun d'eux laissait à penser qu'ils se connaissaient bien. Pourtant, Sanhild sentait une réticence dans leurs attitudes respectives. Elle s'attendait à ce que des présentations s'ensuivent, ce qui aurait été la moindre des politesses en pareille situation, mais le jeune homme ne sembla pas y songer.
La dénommée Erhilda dévisagea l'Officieuse avec un soupçon de mépris, ou peut-être de la tristesse, avant de l'ignorer pour reporter son attention sur le noble :
- M'inviteriez-vous à danser, cher Cierhan ?
Était-ce une prière, ou un ordre ? Sanhild ne parvint pas à le deviner. L'attitude ambiguë de Cierhan, entre retenue et courtoisie, n'était pas pour l'éclairer.
- J'allais vous le proposer, mon amie ! Dame Sannarhia, si vous voulez bien nous excuser...
Il tendit le bras à la jeune fille qui s'avança avec satisfaction, les lèvres pincées. Se retournant à l'insu de sa nouvelle cavalière, Cierhan lança un regard à Sanhild : les yeux au ciel, il paraissait se moquer d'Erhilda. C'était l'expression qu'un adulte emploierait alors qu'il passe un caprice à un enfant trop gâté.
Sanhild les regarda s'éloigner, curieuse du lien qui unissait ces deux-là. Il fallait qu'elle en apprenne plus.
- Jalouse ? lui souffla Landarn qui s'était glissée près d'elle, moqueuse.
Sanhild se mit à rire et continua à mi-voix :
- Non, intriguée, seulement. J'ai vu notre hôte sourire à tous, ici, ce soir. Mais cette fois, son expression était vraiment fausse. Je pense qu'il méprise cette fille et j'aimerais savoir pourquoi. Elle ne parait pas non plus le porter dans son cœur, bien qu'elle ait presque exigé une danse.
- Toutes ici lui tournent autour comme des mouches, fit remarquer son amie en acceptant une coupe de cristal proposée par un domestique. Ce serait bien la première à ne pas lui faire les yeux doux.
- À ce point ? Je n'ai pas eu le temps de l'observer avant que nous dansions.
- Oh oui... Cet homme a du succès et sait en jouer. Es-tu parvenue à obtenir une faveur de lui ?
- Il me propose de me faire visiter les jardins.
- Un rendez-vous galant ? Landarn se mit à rire à son tour avant de baisser à nouveau la voix. Mais c'est que tu es plus douée que je ne le pensais !
- Tu te moques et tu te trompes, je n'ai rien eu à faire d'autre qu'à sourire niaisement !
- Mais je n'en doute pas, voilà tout ce qui intéresse les hommes !
Sanhild haussa les épaules. Parfois, les soi-disant évidences dictées par son amie l'agaçaient au plus haut point. Mais l'attitude d'Erhilda méritait d'interroger la jeune fille. Cette dernière se révélerait peut-être bavarde si on lui laissait l'opportunité de critiquer le noble.
- Minauder comme une idiote n'a pas suffi à distraire Bregan, fit-elle remarquer en observant Cierhan qui évoluait sur la piste de danse avec sa partenaire.
Le jeune homme avait retrouvé son chaleureux sourire, et sa partenaire dansait avec grâce. À les voir ainsi valser, ils paraissaient faits pour s'entendre. Sanhild se demanda si elle n'avait pas rêvé le soupçon d'animosité qu'elle avait décelé. Était-ce parce qu'elle ressentait de la jalousie ? Non, elle connaissait à peine Cierhan, il ne fallait pas être ridicule. Elle devait reconnaitre que se voir flattée était agréable, mais elle ne perdait pas de vue qu'il pouvait aussi bien être en train de comploter contre la reine.
- Et donc... Bregan ? fut forcée d'insister Landarn.
Sanhild sursauta et reporta son attention sur son amie. À nouveau, elle chuchota, attentive à ce que personne ne puisse les écouter.
- Il est très attaché à protéger ses terres et ses gens. Il se méfie de moi, je dirais qu'il a senti un mensonge quelque part. Mais je pense qu'il n'a pas réussi à comprendre en quoi je pouvais le tromper et mes explications paraissent l'avoir convaincu. Il faudra prendre garde : il est loin d'être stupide.
La piste de danse se vida en partie alors que les musiciens entamaient des airs plus calmes. Nombre de danseurs en profitèrent pour aller se restaurer et les deux jeunes femmes s'éloignèrent du buffet pour éviter l'affluence.
Alors que Landarn envisageait d'aller converser avec Erhilda pour en apprendre plus, Sanhild vit Aodan fendre la foule dans sa direction. Se dirigeait-il réellement vers elle ?
- Dame Sannarhia, la salua-t-il avec une légère inclinaison du buste, j'espère que vous passez une bonne soirée.
Apparemment, oui : c'était bien elle qu'il cherchait. Landarn s'éclipsa aussitôt afin de les laisser. Aodan esquissa un sourire embarrassé.
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