Chapitre 38 : Justice

- Cierhan, il doit être dans un des bureaux. Il a forcé son frère à coopérer, soi-disant qu'serait pas fait de mal à Thoran.

Une bonne nouvelle. Si Bregan agissait sous la menace, il était possible de le convaincre de changer de camp. Quant au père, Sanhild se surprit à se sentir soulagée pour Aodan. Elle se gifla mentalement. Concentration. Elle aurait bien le temps, plus tard, de se préoccuper de l'aîné de la fratrie. Si les wrags ne l'avaient pas retrouvé avant elle.

- La garde s'est retournée contre Thoran ? demanda-t-elle.

Nerveux, l'homme louchait sur le poignard avec lequel Sanhild jouait négligemment.

- Ouais, mais pas tous. Le second s'est débarrassé du commandant qui restait fidèle. Y a eu un peu de grabuge, on a mis en geôle pas mal de gars. Mais le reste a suivi, savent où trouver leur intérêt...

- Et Aodan ?

La question n'était pas innocente. Elle avait besoin de savoir ce qui se disait dans la forteresse.

- Paraît qu'il a déguerpi dans les souterrains. M'est avis qu'les wrags l'ont bouffé ! ajouta-t-il avec un rire gras qui s'éteignit sous le regard noir de l'Officieuse.

Sanhild recueillit encore le nom du second, dont elle prévoyait de se débarrasser par sécurité. Puis elle acheva l'homme en lui brisant la nuque sans état d'âme. Elle devait se hâter de tuer Cierhan, capable de faire le rapprochement entre son absence et celle de son frère. La mort du traître était nécessaire aussi bien pour la mission que pour protéger sa couverture.

Elle détacha le cadavre et le laissa au sol. Puis elle se précipita sur son coffre et entreprit de passer sa tenue d'Officieuse, cachée dans le double fond. Le soulagement la saisit tandis qu'elle se débarrassait de son accoutrement improvisé pour passer ses habits noirs. Vêtue ainsi, elle se sentait beaucoup mieux. Prête à prendre à bras le corps la suite des événements. Son masque était bien plus confortable que le linge enroulé sur son visage, qu'elle avait porté jusqu'à présent. Ses vêtements de tissu et de cuir suivaient chacun de ses mouvements à la perfection.

Elle prit tout de même le temps de soigner et bander ses pieds blessés. Ses solides bottes, munies de minuscules lames tranchantes sur la semelle, achevèrent de la rasséréner. A sa ceinture, elle plaça son poignard et un petit sachet contenant un œuf à fumée empli de cendres. Enfin, comme ultime touche, elle s'empara d'une épée courte parfaitement affutée.

Cependant, avant de poursuivre, elle entreprit de tout remettre en ordre, comme à son arrivée. Il ne s'agissait pas qu'un domestique venu nettoyer les lieux trouve quoi que ce soit de compromettant.

Il fallut traîner le corps de l'homme pour l'abandonner un peu plus loin. Une alcôve fit l'affaire. Inutile de perdre du temps à cacher les cadavres. D'une part, Sanhild se doutait qu'elle en disséminerait quelques autres sur son chemin à cause de l'urgence de la situation et, d'autre part, elle supposait que Cierhan avait lui-même versé le sang pour faire régner sa loi. Les morts ne pouvaient vendre celui qui les avait fait passer de vie à trépas.

La progression de la jeune femme se voyait facilitée par l'obscurité. L'Officieuse longeait les murs, puis fondait, par surprise, sur ceux qu'elle croisait. Deux nouveaux corps rejoignirent ainsi les premiers. Puisque Cierhan avait eu le dessus, l'Officieuse supposait que ceux qui circulaient étaient de son côté. Au pire... elle n'était pas à un pion sacrifié près.

Un rai de lumière. La porte du bureau du félon. Des voix s'opposaient, avec violence, à l'intérieur de la pièce. 

Sanhild resserra sa prise sur son épée. A elle de jouer.

Silencieuse, elle entrouvrit le battant, assez pour apercevoir Cierhan en colère et son frère attaché à un fauteuil. De toute évidence, Bregan ne s'était pas montré si coopératif que le voulait le traître. Cinq soldats haut-gradés se tenaient là et quatre d'entre eux semblaient à deux doigts de sauter sur leur confrère. La prise de pouvoir ne devait pas se dérouler comme Cierhan l'avait espéré.

- Des ordres de Bregan ? aboyait ce dernier avec hargne, face à l'homme récalcitrant. Il en donnera moins, quand il sera mort !

Comme il s'emparait de son épée à sa ceinture, Sanhild passa la main par l'ouverture et lança l'œuf qu'elle avait emporté : il éclata au sol, libérant une fumée âcre qui envahit la pièce. Les personnes présentes toussèrent, surprises par cette brusque interruption.

Protégée par son masque, Sanhild avait déjà bondi et verrouillé la porte. Avant même qu'ils aient réagi, elle trancha la gorge des deux soldats les plus proches qui lui avaient paru se ranger du côté de Cierhan. Evitant un coup, elle roula près du fauteuil de Bregan et coupa ses liens. Le jeune homme se releva avec peine. Du sang goutta au sol. Sanhild se maudit intérieurement. Elle venait de perdre son temps : il était blessé et d'aucune utilité.

D'un coup dans le dos, Cierhan abattit lui-même le soldat qui avait osé s'opposer à lui. Les deux autres se mirent sur le chemin de l'Officieuse. Elle para une première tentative pour la désarmer. Leur nombre leur donnait l'avantage, mais rien dont elle ne puisse se tirer. D'un coup de pied fouetté, elle se débarrassa d'un homme de plus : le visage lacéré, le soldat s'écroula.

La jeune femme l'acheva d'un geste vif, remonta son arme pour fendre le second qui ne put éviter l'estoc. La fumée se dissipait. Sanhild perdait son avantage, mais la voie était libre.

Cierhan.

Il se campa devant elle, épée au poing. Un rictus haineux déformait son beau visage. Il était bien loin de l'image du jeune noble rougissant, dégoulinant de compliments. Sanhild comprit qu'il était au moins aussi bon comédien qu'elle.

Le regard dur, il se mit en position de combat. Une garde basse, parfaitement maitrisée. Bon comédien et excellent bretteur, à n'en pas douter.

Immobile, il attendait qu'elle attaque. Autour d'eux, ne gisaient plus que des cadavres. Seul Bregan était encore en vie, recroquevillé dans un coin sous la douleur occasionnée par ses blessures. Sanhild l'ignora. Qu'il meure ou non n'avait aucune importance pour la réussite de sa mission.

Il y avait plus important. Cierhan avait une épée longue et elle allait devoir compenser le manque d'allonge de sa propre arme. L'Officieuse tenta une feinte sur le côté. Il se contenta de sourire avec malice en se déplaçant avec souplesse. L'avait-il reconnue à son regard ? Possible. Peu lui importait car, de toute façon, elle ne le laisserait pas en vie.

- Tu devrais te mêler de ce qui te regarde, Officieuse, proféra-t-il. Ta reine et toi ne serez bientôt plus qu'un souvenir méprisable dans l'esprit des gens.

Concentrée sur les infimes déplacements qu'il esquissait, Sanhild ne répondit rien. Mieux valait ignorer la provocation. S'il ne savait toujours qui elle était, sa voix ne pourrait que la trahir. Si, par malheur, il parvenait à s'échapper...

Mais Cierhan ne semblait pas décidé à se taire et laissa son sourire s'élargir, confirmant les craintes de la jeune femme.

- Dommage ! ricana-t-il. Si j'avais compris plus tôt, je t'aurais fait miroiter plus d'informations pour voir si je te menais jusqu'à ma couche ! Je serais curieux de savoir ce qu'une petite traînée comme toi serait prête à faire pour sa tant aimée souveraine !

La jeune femme serra les dents et dut se faire violence pour juguler la colère qui l'envahissait. Profitant de l'avoir déstabilisée, il attaqua à son tour. Sanhild pivota pour se dérober. Pas assez rapide. Une douleur fulgurante au dos la cueillit dans son élan. La jeune femme recula avec précipitation. Le traître avait frappé fort et perforé le cuir pourtant épais de sa tenue. L'Officieuse respira un grand coup. Ignorer la souffrance aigue qui irradiait. Ce n'était qu'un détail. Surtout, rester concentrée. 

Fort de ce succès, Cierhan poussa son avantage. Sanhild dut plonger, rouler, se rattraper de justesse pour parer. Sa blessure la ralentissait. Il enchaina coups de biais et fente avant. Fit glisser sa pointe vers sa gorge. D'un geste souple, elle accompagna le mouvement pour le retourner contre lui. Trop tard. Si elle s'était tirée d'affaire, elle ne le toucha pas. Il rompit et reprit sa distance.

Excellent combattant que celui qui tenait tête à une Officieuse. La jeune femme était capable de reconnaitre quand elle se trouvait en difficulté. Or, il en savait trop pour qu'elle le laisse filer. Elle devait reprendre l'avantage et ce n'était pas en le laissant la provoquer qu'elle y parviendrait.

Un pas sur le côté, elle le força à bouger. Sans grand succès, car il se déplaçait souplement, tel un rund prêt à bondir. Il souriait toujours avec un mépris évident. Trop confiant en ses capacités, elle devina qu'il peinerait à accepter de reculer, même si tel était son intérêt. Aussi, elle enchaina de petits coups destinés à le pousser contre le mur. Elle ne le toucherait pas ainsi, mais chaque pas en arrière effritait un peu plus l'ego du jeune homme. Assez, du moins, pour le voir perdre ce rictus moqueur.

Il reprit son souffle alors qu'il touchait la tapisserie et fit un grand moulinet pour se dégager. Sanhild recula à son tour, toujours désavantagée par l'allonge supérieure de son adversaire. Elle avait pourtant repris le dessus en l'acculant et, contrairement à lui, ne montrait aucun signe de fatigue. 

C'était le moment de le pousser dans ses retranchements. Si elle passait au corps-à-corps, les tailles déséquilibrées de leurs épées n'aurait plus aucune importance.

Un coup de biais, elle saisit la lame de son gant de cuir et plongea. Cierhan poussa un cri de douleur et porta la main à sa gorge. Elle l'avait entaillée... pas assez, cependant. Il rugit et se jeta sur elle. Sanhild para de justesse, le coup résonna le long de son bras. Le bougre était vraiment doué pour tenir tête à une Officieuse !

Landarn aurait préconisé de jouer la faiblesse pour le surprendre, mais Sanhild détestait ce genre de stratagème. Elle redoubla d'effort, le harcelant de coups pour le fatiguer. Tourner autour de lui sans discontinuer. Le forcer à changer sans cesse de garde. L'empêcher d'utiliser son allonge.

Haletant, il se jeta sur elle, la lame haute. Il était temps d'en finir. Saisissant l'épée de sa main, elle réprima un cri quand le fer mordit sa chair sous le cuir déjà entaillé. De son autre bras, elle lâcha son épée, attrapa Cierhan à la nuque et appuya avec son pouce. Il eut un hoquet de surprise. Elle le fit lourdement basculer au sol. Il mourut de sa propre lame dans le cœur.

Au même instant, la porte fut défoncée par un groupe de soldat qui s'immobilisa devant le spectacle sanglant.

Sanhild n'eut que le temps de se mettre en garde avant de se figer. Elle était entourée de cadavres et Bregan était prostré dans un coin, blessé. Avaient-ils tous compris qu'elle était une Officieuse ? Dans la capitale ce statut aurait suffi à lui permettre une immunité mais, dans les montagnes, où l'on prônait une certaine indépendance, cet état de fait jouait plutôt en sa défaveur. L'ingérence de la reine était rarement bien vue. De façon plus prosaïque, ces soldats devaient se dire qu'elle venait de tuer les leurs et que, pour cela, elle méritait de payer.

- Arrêtez-là ! beugla celui qui devait être le capitaine.

Sanhild leva l'épée, prête à en découdre. Cependant, Officieuse ou non, elle risquait de ne pas faire le poids face au nombre. Elle avait certes mis le traître hors d'état de nuire mais, pour que sa mission soit complète, elle devait retourner chercher Aodan et lui permettre de prendre la place qui lui revenait.

- Bregan ! s'exclama-t-elle, en désespoir de cause, en déguisant sa voix. Je suis votre alliée !

Peut-être l'autorité du second fils suffirait-elle à les arrêter ? Après tout, il devait avoir compris qu'ils étaient dans le même camp, elle et lui. Inutile de lui préciser qu'elle voulait juste se servir de lui !

L'interpellé se redressa avec difficulté, comprimant une plaie sanglante à l'abdomen. Les hommes jetèrent un regard à leur capitaine, indécis. Bregan vacilla mais fit quelques pas vers le groupe armé :

- Il suffit ! grommela-t-il. Cierhan n'est plus. Vous me devez obéissance !

Sanhild se retint de lever les yeux au ciel. Était-ce bien le moment de revendiquer son héritage ? Ne pouvait-il se contenter d'apaiser la garde ?

- Tu n'es qu'un bâtard, ricana le capitaine. Tout le monde le sait ! Je ne prendrai pas mes ordres de toi !

- Tu préférais les prendre d'un traître ? grogna Bregan en cherchant une arme du regard.

L'autre hésita. Mais l'absence de chef le laissait indécis : ses frères d'armes venaient d'être tués et, à n'en pas douter, c'était le fait de cette femme qui se tenait au milieu de la pièce. Quant à Bregan, il tenait à peine debout. Ses velléités de résister paraissaient ridicules.


*** J'ai eu beaucoup de mal à écrire ce chapitre, surtout pour l'aspect réaliste et crédible (les jeux de pouvoirs, coups d'état et autres, ce n'est pas trop mon truc ! ^^). Bref, j'aimerais bien savoir s'il y a des choses qui ne vous paraissent pas cohérentes. N'hésitez pas à me relever ce qui cloche, même les petits détails. :) ***

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top