Chapitre 22 : Isolement
La jeune femme ne savait pas exactement ce qu'elle espérait trouver dans la bibliothèque ce soir-là. Peut-être voulait-elle simplement un peu de calme avant de rejoindre Landarn et ses désormais habituels sarcasmes.
Les lieux étaient déserts et seule la cheminée éclairait les rayonnages qui disparaissaient dans l'obscurité. Prudente, Sanhild alluma quelques chandeliers autour des fauteuils. Elle, mieux que quiconque, savait ce que la nuit pouvait dissimuler dans son ombre trompeuse.
Pourtant, tout semblait tranquille et seul le craquement des bûches dans l'âtre troublait le silence de la pièce. Sanhild avait appris à aimer ce lieu où, au fil des jours, elle avait fini par trouver refuge lorsqu'elle voulait réfléchir. L'endroit était rarement fréquenté aussi tard et la seule personne avec laquelle elle y avait réellement échangé quelques mots était Aodan.
Le fils ainé semblait aimer cet endroit encore plus qu'elle. Sanhild avait deviné qu'il devait compenser ses lacunes dans le métier des armes par son érudition.
La lueur d'une bougie s'approcha soudain, des rangées de livres les plus éloignées, puis une silhouette élancée se précisa :
- Je vous souhaite le bonsoir, dame Sannarhia.
Justement, Aodan avançait vers elle, avec cet éternel maintien qui donnait l'impression qu'il la prenait un peu de haut. A force de mieux le connaitre, elle avait fini par comprendre que ce n'était qu'une forme de réserve excessive. Sans doute sa position instable de fils ainé ne l'aidait-elle pas à se montrer confiant avec son prochain.
Elle le salua à son tour, tandis qu'il s'éloignait à nouveau pour aller trouver un ouvrage au milieu des rayonnages. De son côté, Sanhild alla s'asseoir près de la cheminée. Appréciable en cette froide soirée, le feu dégageait une chaleur vive qui invitait à la détente. La jeune femme avait, pour une fois, décidé de mettre sa mission de côté. Elle feuilleta donc un herbier en essayant de ne pas trop montrer qu'elle s'attardait sur les plantes les plus toxiques. Aodan avait certes reconnu ses talents, mais n'importe qui d'autre pouvait surgir et elle ne voulait pas passer pour une empoisonneuse notoire.
Elle finit par lever les yeux de son livre, intriguée : le jeune homme était revenu par deux fois vers elle, avant de repartir. Sans jamais s'asseoir dans un des fauteuils et les mains vides de tout ouvrage. Elle se demanda un instant, s'il n'hésitait pas à lui parler. Mais pour quelle raison aurait-il différé un échange ? Après tout, il était le maître ici, après son père, il pouvait se permettre d'aborder le sujet qu'il souhaitait avec ses invités.
Aodan revint encore quelques secondes plus tard et s'arrêta devant elle, un petit livre à la main. Toujours cet air froid, exempt de toute émotion :
- Dame Sannarhia, j'aimerais que vous me fassiez l'honneur d'accepter cet humble présent. Je souhaite vous remercier pour l'aide que vous m'avez apportée tantôt.
Surprise, Sanhild se leva et se saisit de l'ouvrage. Il s'agissait d'un traité sur le tir à l'arc, exactement ce qu'elle avait évoqué quelques temps plus tôt avec le jeune noble. Les pages étaient couvertes d'une calligraphie délicate et des enluminures colorées venaient les égayer. Ce petit bijou devait valoir une fortune ! Les livres n'étaient déjà pas une denrée à la portée de toutes les bourses, mais celui-ci semblait d'excellente qualité.
Stupéfaite devant cet improbable présent, la jeune femme commença par protester :
- Je ne peux accepter, voyons ! Je n'ai rien fait d'autre que confirmer vos propres déductions, c'est beaucoup trop !
Aodan refusa de reprendre le livre et son front se creusa de contrariété :
- J'insiste, vraiment, cela me fait plaisir.
Sanhild ne pouvait continuer à se récrier, au risque de se montrer grossière. Pourtant, en tant qu'Officieuse, elle n'avait en aucun cas le droit de profiter ainsi de la situation. Mais Aodan avait l'air à présent tellement inquiet à l'idée qu'elle rejette son présent qu'elle finit par le remercier.
- Bien...Je vous remercie, c'est vraiment très aimable à vous.
Le cadeau lui faisait plaisir, elle ne pouvait le nier. L'ouvrage paraissait réellement intéressant. Quant au fait que ce soit lui qui lui offre, elle devait reconnaitre que cela ne la laissait pas indifférente, bien qu'elle ne sache pas vraiment ce qu'elle pouvait en déduire.
- Vous trouverez, vers la fin, les techniques enseignées dans les plaines du Sud, reprit-il en se détendant un peu, à présent qu'elle avait accepté son cadeau.
N'importe quel archer savait que vivaient là des peuples qui s'étaient transmis un art ancestral d'une efficacité redoutable. Plongée dans le livre, Sanhild parcourut quelques lignes au hasard, son intérêt croissant à mesure qu'elle découvrait des secrets insoupçonnés.
Quand, enfin, elle releva les yeux vers Aodan et lui sourit sans réserve pour renouveler ses remerciements, le jeune homme rougit, gêné.
- Ce n'est pas grand-chose, voyons. Nous avons bien assez de livres ici pour que je sache celui-ci entre de bonnes mains... Je dois vous laisser, à présent, mon travail m'appelle.
Puis, s'inclinant comme à son habitude, il sortit d'un pas vif.
Etrange comportement. Sanhild resta avec le petit volume et se demanda ce qu'elle allait faire de ce dernier. Si elle en parlait à Landarn, comme elle était supposée le faire, alors son amie lui demanderait pourquoi Aodan s'était montré si généreux pour un simple avis à propos des poisons. Or, elle soupçonnait le jeune homme d'avoir voulu se montrer gentil avec elle et, de son côté, elle ne pouvait nier que ce geste l'avait touchée. Elle commençait à apprécier Aodan et, cela, il n'était pas question de l'avouer à Landarn qui en tirerait des conclusions extrêmes.
- Tu discutais encore avec notre premier suspect ? intervint une voix facilement identifiable.
Eh bien justement, quand on parlait du loup... Sanhild sourit à son amie et, d'un geste discret, dissimula le livre dans les plis de son ample robe. Un regard alentour pour vérifier que personne ne les entendait et elle reprit d'un air qui se voulait détaché :
- Oui, il se montre assez bavard, contre toute attente.
- Vraiment ? Je le croyais froid et distant ! L'aurais-tu changé ?
Sanhild se contint pour ne pas rougir. Il était vrai qu'en sa présence, Aodan se montrait de plus en plus ouvert. Elle haussa les épaules et entreprit de souffler les bougies allumées un peu plus tôt. Maintenant que son amie était là, elle n'avait d'autre choix que d'abandonner sa lecture : les Officieuses avaient quelques projets pour la nuit.
- Je l'ignore, mais depuis que je l'ai aidé pour son père, il parait me faire confiance.
- Parfait ! Dans ce cas, souris un peu plus et, bientôt, il t'invitera lui-même dans son bureau !
Sanhild acquiesça, bien que la perspective de manipuler le jeune homme la mette mal à l'aise. Elle avait moins de scrupules avec Cierhan car ce dernier se montrait aussi retors, mais elle n'avait pas vraiment envie de trahir Aodan. Pourtant, rien ne lui disait encore qu'il n'était pas le traître recherché et qu'elle n'aurait pas à l'assassiner. D'un autre côté, Aodan lui facilitait la tâche en paraissant se montrer plus sensible à son honnêteté qu'à des minauderies fallacieuses.
Les Officieuses s'en retournèrent dans leur chambre pour que Landarn puisse se changer. Cette fois, elles avaient décidé de fouiller les appartements de Bregan. Selon les domestiques, ce dernier passait une soirée animée avec ses amis les plus proches et ne mettrait donc pas les pieds dans son bureau.
Comme lors de leurs précédentes sorties nocturnes, Sanhild fit le guet et Landarn se glissa dans l'ombre. Les souterrains, déserts à cette heure, résonnaient de façon sinistre au moindre bruit. Par bonheur, l'entrainement dispensé par l'Ordre assurait une discrétion remarquable aux deux jeunes femmes qui glissaient dans le noir, telles deux fantômes.
Sanhild attendit. Seule. Aux aguets.
Par deux fois, la jeune femme faillit avertir son amie alors que des pas approchaient. Mais, par chance, la personne choisit un autre souterrain au croisement.
Les minutes passèrent. Pesantes. Silencieuses. Etouffantes.
La jeune femme comptait. Pourtant habituée à ce genre d'attente, elle commença à s'inquiéter. Landarn mettait trop de temps. Beaucoup trop de temps. Le jour n'allait pas tarder à poindre bien que, dans ce noir, Sanhild ne vit pas la différence. Avant l'aube, les domestiques allaient recommencer à circuler, les mettant en difficulté. Surtout, Bregan allait revenir de sa folle nuit et peut-être se rendre à son bureau.
Ce fut alors qu'elle allait se hasarder à aller chercher Landarn, que cette dernière surgit. Son pas pressé semblait indiquer quelque découverte, à moins qu'elle n'eût elle aussi conscience de l'heure avancée.
Abandonnant quelque peu la discrétion au profit de la rapidité, les deux amies se dépêchèrent de rejoindre leur chambre.
Sanhild verrouilla comme toujours la porte. Landarn n'avait amené aucun document, mais elle paraissait très inquiète, ce qui n'était pas dans ses habitudes.
- J'ai trouvé des informations concernant une organisation dont les membres seraient hostiles à la reine, commença-t-elle d'une voix blanche. Ils porteraient des manteaux beiges comme signe de reconnaissance. Bregan tient des recherches sur ce sujet car il semblerait qu'ils agissent dans tout le royaume et s'en seraient déjà pris à quelques fidèles.
Sanhild tenta de se rappeler si elle avait déjà entendu parler de ces individus, mais cette découverte ne lui évoquait rien.
- Penses-tu que Bregan en fait partie ?
- Non, j'en doute. Il parait au contraire s'en méfier. A moins qu'il ne cherche à mieux les comprendre pour les rejoindre, mais cela m'étonnerait. Selon les papiers que j'ai trouvés, je devine qu'il pense davantage à protéger ses terres puisqu'elles dépendent de la reine. Il paraissait alarmé.
- Il n'est pas disculpé pour autant...
- Non, en effet. Je pense que le traître, ici, n'a sans doute rien à voir avec cette affaire, qui est d'une autre envergure.
- Nous devons avertir la Mère Supérieure au plus vite.
- Je suis d'accord.
Elle se regardèrent, en arrivant à la même conclusion qui leur déplaisait autant à l'une qu'à l'autre.
- C'est à toi de partir, murmura Sanhild.
Il était en effet plus simple de garder les liens avec leurs hôtes pour Sannarhia que pour sa suivante. Sans compter que la seconde n'avait aucune raison de demeurer à Tremoria si sa maîtresse rentrait chez elle.
***
Ainsi fut fait.
Il fut prétexté que Landarn était demandée par sa famille en difficulté et, compte tenu des circonstances, Aodan lui donna la permission exceptionnelle de quitter les lieux.
Bregan se plaignit de devoir dépêcher une escorte pour accompagner la suivante jusque dans son prétendu château, mais son ainé se sentait obligé par Sanhild et était prêt à lui accorder ce qu'elle demandait en se montrant clément.
Ce fut ainsi que, le lendemain, Sanhild se retrouva tout à fait isolée pour mener à bien sa mission. Lorsqu'elle se retrouva dans sa chambre en tête à tête avec elle-même, elle prit conscience de l'étendue de la difficulté. Elle ne pouvait plus compter que sur ses propres facultés. Si traître il y avait, elle devrait s'en accommoder sans aide et porter le coup de grâce toute seule. S'il lui arrivait quoi que ce soit, son Ordre ne le saurait sans doute pas avant plusieurs jours, voire semaines.
Finalement, les sarcasmes de Landarn pourraient bien finir par lui manquer...
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