Chapitre 20 : Demande d'aide

- Vous m'avez dit avoir étudié la science des poisons, n'est-ce pas ?

Assise dans la bibliothèque, Sanhild s'efforça au calme. Aodan tirait des conclusions de leur dernière rencontre et elle espérait qu'il n'allait pas finir par la soupçonner de s'en prendre à Thoran. D'un autre côté, il avait reconnu lui-même que les souffrances de son père avaient débuté bien avant le bal.

- Oui... ce n'est sans doute pas une étude des plus recommandables, mais je me suis intéressée à ce sujet, il est vrai.

Loin de paraître s'en offusquer, le jeune noble hocha la tête et referma le livre qu'il lisait en silence un instant plus tôt.

- Vous allez sans doute trouver ma requête étrange cependant... je souhaiterais recueillir votre avis.

- A quel propos ?

Il hésitait encore mais, après quelques secondes, il rassembla son courage et se lança :

- J'aimerais que vous veniez, avec moi, rendre visite à mon père. Que vous l'interrogiez sur ses symptômes, que vous me disiez quelles conclusions vous en tirez. Si elles coïncident avec les miennes, alors cela lèvera mon incertitude.

Sanhild masqua sa surprise. Voilà qui était étonnant. Lui faisait-il réellement confiance, ou bien était-ce un piège destiné à la prendre en faute ? Une telle demande avait tendance à le disculper. A moins que ce ne soit justement une façon, pour lui, de montrer patte blanche parce qu'il avait démasquée l'Officieuse.

- N'y a-t-il pas quelque médecin ou apothicaire qu'il vaudrait mieux consulter auparavant ? demanda-t-elle pour la forme.

Aodan se leva, nerveux, et commença à faire les cent pas :

- Le médecin se montre évasif et je le suspecte d'être tout simplement incompétent. Il prescrit nombre de saignées qui laissent mon père toujours plus affaibli. L'apothicaire que j'ai fait mander ne s'est toujours pas présenté. Mon frère Bregan doit aller à sa rencontre afin de vérifier qu'il n'a pas été arrêté en chemin.

Le jeune homme tournait comme un wrag en cage. S'il était responsable de l'empoisonnement de son père, alors il cachait vraiment très bien son jeu. D'autant que, même pour donner le change, il eut été absurde de demander à une tierce personne, comme elle, d'intervenir.

Sanhild était en effet compétente pour poser un diagnostic assez fiable s'il s'agissait d'empoisonnement. Mais elle se montra réticente par principe afin de ne pas éveiller les soupçons.

- J'ignore si je saurai me prononcer... mais j'accepte de vous apporter mon aide... à une condition.

- Laquelle ? interrogea-t-il, surpris, en haussant les sourcils.

Il n'avait pas l'air habitué à ce que l'on discute ses demandes et s'était immobilisé devant elle.

- Je voudrais votre parole que mon intervention sera discrète. Comme pour l'archerie, je pense que mes parents ne verraient pas d'un bon œil que je m'adonne à la médecine et encore moins à celle traitant des poisons.

Il hocha la tête, soulagé, et lui accorda un de ses rares sourires :

- Cela va sans dire. A la vérité, j'aime autant que votre examen se fasse sans bruit car si empoisonneur il y a, il ne faut pas l'alarmer.

- Avez-vous des soupçons ?

Aodan soupira et garda le silence un moment. Le jeune homme paraissait désemparé. Il cessa de marcher pour se rasseoir et se prit la tête dans les mains.

- Non, aucun. Nos domestiques sont à notre service depuis des dizaines d'années. Je les considère comme faisant partie de ma famille.

- Et votre famille, justement ?

Il lui lança un regard perdu :

- Que voulez-vous dire ?

- Pardonnez ma franchise, messire Aodan, mais votre père a des terres et un héritage à vous léguer.

Un silence ébahi s'ensuivit. Il n'avait de toute évidence pas songé à cette possibilité.

- Non, je... Et puis, je serais le premier concerné si mon père venait à rendre l'âme.

- Et ensuite ?

- Mais...

Sanhild prenait de gros risques en menant ainsi la conversation. Mais Aodan paraissait tellement atterré par ce qu'elle sous-entendait, qu'il était possible qu'il ne lui en tienne pas rigueur. Aussi, elle poursuivit son interrogatoire.

- N'avez-vous pas de symptômes semblables à ceux de votre père, au moins ? Vous sentez-vous en bonne santé ?

Le teint pâle d'Aodan vira subitement au rouge avant qu'il ne se ressaisisse :

- Non... non... je vais fort bien, je vous remercie.

La réponse troublée n'échappa pas à la jeune femme, mais elle préféra ne pas insister. Lui qui lui avait paru innocent venait de lui mentir sciemment. Un mystère de plus à ajouter à cette famille.

- Votre frère Bregan ? interrogea-t-elle malgré tout.

Aodan s'était reprit et secoua la tête :

- Je ne partage certes pas toujours les positions de mon cadet, mais je jure que c'est quelqu'un de fiable et de fidèle à sa famille. Il n'aurait pas cette lâcheté de prendre une place qui ne lui revient pas, de si vile manière !

- Mais serait-il capable de le faire ouvertement ?

Le jeune noble réfléchit et finit par hausser les épaules :

- Je l'ignore. Peut-être s'il me pensait incapable d'assumer ma charge pourrait-il me provoquer en duel, comme l'ancienne coutume l'y autorise.

- Et, gagnerait-il ?

A nouveau Aodan rougit mais, cette fois, parce qu'elle l'avait piqué au vif. Pourtant, s'il parut sur le point de protester, il dut se faire violence pour acquiescer :

- Je l'avoue, à mon grand regret. Je n'ai jamais été très habile au métier des armes.

Sanhild n'osa pas le lui faire remarquer, mais c'était plus qu'étonnant pour un premier né. Qu'est-ce qui avait bien pu pousser Aodan à se détourner d'un entrainement militaire ? Cet état de fait était déjà rare dans le reste du royaume mais, dans l'Ouest, ou chaque hiver il fallait lutter pour sa survie et chaque été maintenir la paix entre seigneurs, c'était tout simplement incompréhensible !

Le jeune noble, sans être chétif, était élancé, mais visiblement peu musclé. A côté d'un homme comme Bregan, qui paraissait né avec une arme dans les mains, il était évident qu'Aodan ne lutterait pas longtemps.

- Sauf votre respect, vous n'êtes peut-être donc pas celui que les gens pensent être le futur héritier.

Il la foudroya du regard, mais elle refusa de baisser les yeux. Maintenant qu'elle s'était engagée dans cette conversation, elle ne pouvait plus fuir. Il avait semblé apprécier qu'elle se montre plus intelligente qu'écervelée, il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle n'avait pas fait fausse route.

- Vous vous montrez impudente, siffla-t-il.

- Et vous, vous vous montrez naïf, rétorqua-t-elle sans s'émouvoir.

Comme il ne disait plus rien, elle tenta de le convaincre avec un peu plus de douceur :

- Vous venez de m'avouer que votre frère n'aurait aucun mal à revendiquer votre place. Sire Bregan représente votre bras armé, si je comprends bien. C'est ainsi que se prend le pouvoir, je ne vous apprends rien.

- Je persiste à penser que mon frère n'est pas fait de ce bois-là. Il sait aussi bien que moi que son tempérament tapageur ne siérait pas à de plus grandes responsabilités.

Il marquait un point. Bregan paraissait aimer vivre sa vie sans en référer à quiconque. Il pouvait en effet se contenter de la seconde place si Aodan le laissait diriger les défenses comme il semblait se complaire à le faire depuis qu'elle le connaissait.

- Très bien. Et votre frère Cierhan ?

Aodan lâcha un rire bref, où le mépris transparaissait :

- Lui ? Mis à part courir la donzelle comme si sa vie en dépendait, il ne me parait pas présenter d'autres centres d'intérêt !

- Il a pourtant, si j'en crois les rumeurs, organisé aussi bien ses fiançailles que celles de votre sœur. Voilà qui me parait davantage digne de l'homme politique que du courtisan.

Le jeune homme parut songeur un instant mais finit par secouer la tête :

- Oui, comme je vous l'ai dit, Cierhan arrange sa petite vie comme il l'entend et il est vrai que mon père lui a toujours laissé beaucoup de latitude à ce sujet.

Le dédain était perceptible dans son ton, mais il poursuivit :

- Cependant... Non, vraiment, je ne l'imagine pas en tête pensante d'un vaste complot visant à nous tuer notre père et moi. Je ne l'apprécie certes pas, mais il ne me parait pas assez... intelligent pour avoir de telles pensées.

Sanhild n'était pas convaincue. Aodan avait pu garder, sans le vouloir, l'image altérée d'un petit frère turbulent. Mais Cierhan avait grandi et, quand elle entendait ce dernier discourir, il ne lui paraissait pas stupide et au contraire plutôt fin observateur. Il semblait capable de subtilité, si l'on excluait ses manières trop flatteuses.

- Votre sœur pourrait-elle prétendre à l'héritage maintenant qu'elle est presque mariée ?

- Sans doute, mais en dernière place et Larinda est bien trop gentille pour se permettre pareille trahison.

Il parlait de sa sœur avec beaucoup de tendresse, mais il oubliait un détail que l'Officieuse ne tarda pas à lui rappeler :

- Si votre sœur est mariée, rien n'indique que son époux sera du même avis qu'elle et porté à l'écouter.

Aodan grommela, agacé de devoir lui donner raison.

Si Sanhild récapitulait la situation, on avait Aodan, l'héritier légitime, qui semblait occuper une place instable pour elle ne savait qu'elle raison ; Bregan qui était le bras armé de la seigneurie ; Cierhan qui se montrait moins naïf qu'il voulait le montrer et un fiancé peu avenant qui parlait beaucoup d'argent.

La question, à présent, était de savoir qui, de tout ce petit monde, était fidèle à la reine et assez fiable pour rester en place. Sanhild avait un héritage à favoriser, mais lequel ?

***

Dans l'antichambre, Sanhild attendait Aodan en silence. Le jeune homme était allé voir l'état de son père. Landarn avait déjà donné beaucoup d'informations sur l'aspect de Thoran et Sanhild avait aperçu elle-même le seigneur lorsqu'elle avait soutenu Bregan. Pourtant, elle était impatiente de savoir si elle pourrait ou non découvrir quelques indices supplémentaires.

Aodan semblait ébranlé lorsqu'il revint la chercher. Son souffle court se faisait quelque peu sifflant, comme si le choc de ce qu'il avait vu l'avait un instant empêché de respirer. Quand enfin elle fut admise, ce fut pour découvrir un vieillard mourant. Elle avait assez usé de poison pour deviner que la prochaine dose risquait d'être fatale.

Thoran n'était même plus conscient et l'examen fut rapide tant les effets de la drogue se montraient dévastateurs. En pleine journée, les yeux bouffis, la salive abondante et rougeâtre, les stries violacées sur les membres, tout criait la vérité.

- C'est du venin de screton, murmura Sanhild sans l'ombre d'un doute.

Aodan hocha la tête et l'entraina à nouveau dans l'antichambre dont il verrouilla la porte de sortie. Sanhild se raidit : se trouver dans un lieu clos n'était pas pour lui plaire. Que le jeune homme avait-il l'intention de faire ? Était-elle découverte ? Son esprit cherchait déjà où cacher le cadavre d'Aodan – car elle ne doutait pas d'avoir le dessus sur le noble – lorsqu'il s'assit dans un des fauteuils qui meublait la pièce :

- Ainsi, je ne suis donc pas fou de penser à l'empoisonnement. Je penchais aussi pour ce venin en particulier. L'état de mon père s'est dégradé très rapidement, depuis hier, et les indices sont devenus d'une évidence...

Il devait regretter d'avoir fait appel à elle, à présent, car même le médecin adepte des saignées inutiles allait pouvoir poser le juste diagnostique.

- Votre frère Bregan doit pouvoir obtenir ce venin sans mal si j'en crois son armurerie, remarqua Sanhild aussitôt, soulagée de ne pas avoir à le tuer de sitôt.

C'était sans doute idiot de montrer qu'elle avait autant réfléchi à la question, mais la volonté du jeune homme à sauver son père la touchait. Cette envie de l'aider n'avait certes pas sa place dans la mission mais... tant que ce soutien ne mettait pas d'obstacle à son but...

- Bregan, ou n'importe qui ayant assez d'argent pour se payer ce genre de potion, fit remarquer à juste titre Aodan qui ne paraissait toujours pas vouloir accuser son frère.

Il avait raison, hélas. Quoique... Les services d'un empoisonneur étaient non seulement chers mais en plus risqués à employer. Chacun des frères ayant potentiellement les ingrédients et les connaissances pour créer ses propres poisons, il aurait été stupide de leur part de faire intervenir une tierce personne risquant de les trahir.

- Mais, vous avez raison, je ne peux plus me montrer naïf en pensant que mon père se fait juste vieux. Je vais donner l'ordre de restreindre les entrées dans sa chambre.

- A qui, exactement ?

- Moi, et moi seul. Les repas seront communs à tous et je me chargerai de lui apporter sa part. Au moins, je serai certain de lui sauver la vie. Je vais également donner l'ordre de fermer les portes. L'empoisonneur ne m'échappera pas et sera jugé, je vous le certifie !

***

Ainsi fut fait. Aodan donna ses ordres et les soldats du château se chargèrent de les appliquer. Sanhild, après avoir fait son compte rendu à Landarn, se mit en tête d'aller discuter avec Bregan et Cierhan. Allaient-ils enfin se trahir si, comme elle le suspectait, l'un des deux était le coupable ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top