Chapitre 16 : Maladie

Le jeune homme ne se tenait dans aucun des salons et Sanhild décida de tenter sa chance à la bibliothèque. Cette dernière, en plein jour, se trouvait éclairée par une coupole servant aussi bien de puits de lumière que d'aération. Il n'aurait pas fallu que les livres qui garnissaient les multiples étagères ne pourrissent. La cheminée voyait mourir ses braises et personne ne semblait occuper les grands fauteuils. Éclairé d'un soleil hésitant, le lieu paraissait désert.

Déçue, Sanhild fut bientôt tentée de flâner entre les rayons. Elle n'était pas une lectrice assidue, mais certains sujets l'intéressaient plus que d'autres. Un manuel sur "l'art de faire confesser par la torture" retint bientôt son attention. Si seulement elle en avait eu la possibilité, elle ne doutait pas que cette méthode eut été efficace pour savoir lequel des frères ou de la sœur était coupable de lèse-majesté.

Un "Recueil des venins" l'attira ensuite et elle s'y plut à reconnaitre nombre de poisons aussi bien animaux que végétaux. L'ouvrage était agrémenté de petits dessins à la mine de plomb, tracés d'une main experte. La nature était décidément bien cruelle. Sanhild sourit pour elle-même. Cruelle, certes, mais grandement utile.

Un raclement de gorge discret la fit sursauter. Plongée dans la lecture, entre deux rayons, l'Officieuse n'avait vu ni entendu le nouvel arrivant. Aodan paraissait gêné de la découvrir là. Pas autant qu'elle, qui s'efforça de remettre le livre compromettant à sa place avant qu'il ne puisse savoir ce qu'elle lisait. Ce fut peine perdue, car le jeune homme devait bien connaitre la bibliothèque et ses trésors. Il lui lança un regard surpris.

- J'ignorais que ce genre de thème pouvait intéresser une jeune femme...

Était-il fait du même bois que son frère, persuadé qu'une demoiselle ne devait s'intéresser qu'à ses jupons et sa broderie ? Comme s'il s'apercevait de l'impolitesse qui pouvait se cacher dans sa réplique, il se reprit en bafouillant :

- Non pas que je... enfin... je voulais dire que c'est un sujet peu commun.

- Je crains que la curiosité soit au nombre de mes défauts, sourit Sanhild. Je comprends que ce thème étrange ne trouve aucun écho en vous.

Aodan parut vexé et pinça les lèvres.

- Point du tout ! Au contraire, ce domaine est, à mon sens, passionnant ! Voir avec quelle subtilité quelques gouttes d'un breuvage peut venir à bout d'un homme en pleine santé... Je trouve cela fascinant.

Il parut à nouveau prendre conscience de ce qu'il disait et eut un sourire contrit :

- Vous devez me prendre pour un fou dangereux, à présent !

Sanhild se mit à rire et reprit le chemin du centre de la bibliothèque.

- Point du tout, messire ! Il n'y a pas de science inutile tant que cette dernière est utilisée à bon escient.

Il hocha la tête et parut retrouver assez de son aplomb pour la suivre. Quand il lui fit à nouveau face, il présentait à nouveau un visage impassible. Sanhild eut un instant de flottement. Il fallait qu'elle se dépêche de trouver un sujet de conversation si elle voulait en savoir plus sur son rapport à la reine. Pourtant, contre toute attente, ce fut lui qui reprit la parole.

- Avez-vous échangé avec ma sœur Larinda au sujet de son futur époux ?

Surprise, Sanhild ne sut que répondre et Aodan se sentit obligé de s'expliquer :

- Ma question doit vous sembler incongrue mais... Elle parait vous apprécier et vous n'êtes pas liée à notre famille comme peuvent l'être ses amies plus proches. Je pense qu'elle se montrera peut-être davantage honnête avec vous. Avec mon père, mes frères ou moi... Elle craint trop de nous décevoir.

Il paraissait sincèrement inquiet pour sa sœur, mais Sanhild préféra le pousser à parler avant elle.

- Vous semblez soucieux, messire...

Il soupira et l'invita à s'asseoir dans un des fauteuils tandis que lui-même prenait place. Il marqua un temps d'arrêt, comme s'il hésitait à se livrer. Sanhild se peignit une expression de calme patience sur le visage alors qu'elle s'impatientait intérieurement.

Il finit par reprendre la parole, d'un ton mesuré.

- Je n'ai pas particulièrement cautionné ces fiançailles, ce n'est un secret pour personne. Mon père s'est laissé convaincre par Cierhan qui a fait des recherches sur les partis qui seraient disponibles. Bregan espère un soutien militaire en cas de conflit et s'est montré peu regardant.

Il lui jeta un regard de biais avant de poursuivre :

- Vous allez sans doute trouver mes sentiments étranges, mais j'aimerais m'assurer que Larinda est convaincue du bien-fondé du choix de son époux. Bien entendu, je ne suis pas assez idéaliste pour penser qu'une jeune fille comme elle peut prétendre, dans sa position, à un mariage d'amour. Mais qu'elle partage quelques affinités avec son futur époux serait mieux pour elle. Elle pourra ainsi apprendre à l'aimer avec le temps et n'en sera point malheureuse.

C'était un point de vue sur le mariage plus arrangeant que dans la plupart des familles nobles. Ce n'était pas pour rien que l'Officieuse ne regrettait en rien d'être entrée dans son Ordre, si l'on excluait ce qui l'y avait amenée. Au moins était-ce là un avantage : elle n'aurait jamais à accepter qu'un malappris pose ses mains sur elle pour faire plaisir à sa famille.

- Vos pensées vous honorent, messire, finit-elle par répondre. Je suis au regret de vous avouer que votre sœur ne parait guère heureuse de la rencontre avec son époux. Mais vous vous trompez lorsque vous pensez que je suis sa confidente. Je ne peux vous en dire davantage.

Il parut déçu et quelque peu contrarié. Pourtant, il finit par acquiescer :

- Qu'elle soit peu encline à cette union n'est guère étonnant. Ce Gredor me parait plus intéressé par sa situation que par elle... Je comprends qu'il s'agit d'un mariage d'intérêt, mais un peu de savoir-vivre et d'égards pour sa future épouse ne serait pas de refus.

Sanhild se demandait pourquoi il lui parlait de cela, à elle. Peut-être n'était-ce pas Larinda qui avait besoin d'une confidente extérieure à sa famille, mais lui ? En tous les cas, elle se félicitait de le découvrir moins froid qu'elle ne l'avait imaginé. L'occasion idéale d'en apprendre davantage.

- Vous dites que Cierhan est l'instigateur de cette union ? demanda-t-elle, étonnée. Je ne comprends pas. Quel intérêt y trouve-t-il ?

La question était franche, peut-être même un peu trop. Mais, à chaque fois qu'elle avait voulu se jouer du jeune homme, Sanhild avait manqué de se trahir. Il était loin d'être stupide et, contre toute attente, paraissait apprécier lorsqu'elle lui parlait sans détour en donnant un avis éclairé.

Cette fois ne fit pas exception et il haussa les épaules en un geste désabusé.

- Je l'ignore, en vérité. Cierhan et moi n'avons jamais été... très proches.

Aodan se maîtrisait, eut égard pour les convenances mais, à en voir son expression, il ne s'agissait pas que d'un manque d'amour fraternel. Il y avait bien plus que cela. Sanhild se rappela que, s'ils partageaient le même père, ils n'étaient pas nés de la même mère. Elle chercha comment pousser le jeune homme à la confidence. Elle ne le connaissait pas bavard et, sa tirade sur ses inquiétudes quant à sa sœur, était bien la plus longue qu'elle eut entendue.

- Votre frère semble pourtant prendre très à cœur la bonne marche de la forteresse, hasarda-t-elle avec une innocence feinte.

Le rictus du jeune homme suffit à lui faire comprendre qu'elle avait touché un point sensible.

- Mon frère semble prendre très à cœur la bonne marche de sa petite vie égocentrique, siffla-t-il avec mépris.

S'apercevant de ce qu'il venait de proférer, il se reprit aussitôt et se leva, le visage à nouveau fermé :

- Je vous prie de bien vouloir me pardonner. Nos querelles n'ont guère d'intérêt et Cierhan reste mon frère, quelques soient les points de vue sur lesquels nous sommes en désaccord.

Une légère inclinaison du buste pour prendre congé et il s'en alla prestement.

Frustrée par cette sortie rapide, Sanhild leva les yeux au ciel : ce ne serait pas encore ce jour qu'elle saurait ce qu'Aodan pensait de la reine !

***

Résignée, Larinda gardait les yeux dans le vague sans voir sa broderie. Sanhild était seule avec elle, dans son petit boudoir. Elles auraient dû chanter, mais la noble n'avait de toute évidence pas le cœur à cette activité. Quant à son aiguille, cette dernière restait en suspens.

- Larinda ? Est-ce que tout va bien ? Vous m'inquiétez... Est-ce votre prochain mariage qui vous tourmente ainsi ?

Sanhild commençait à perdre patience. Elle n'avait aucune envie de jouer les dames de compagnie si elle ne progressait pas un tant soit peu dans ses recherches. Il lui fallait des réponses, rapidement, sans quoi elle allait devenir folle et attraper une crampe à la mâchoire à force de se plaquer ce faux sourire bienveillant sur le visage. 

Larinda soupira et fit la moue, tristement :

- Non, je m'inquiète pour mon père. Son état s'est brusquement dégradé cette nuit. J'ai prié les Six de l'épargner, mais rien n'y fait... Ce matin, il avait le teint plus pâle que je ne l'ai jamais vu.

Elle étouffa un sanglot tandis que Sanhild, plus intéressée par les circonstances de l'événement que troublée par la détresse de sa prétendue amie, cherchait la meilleure manière d'en apprendre davantage.

- Comment cela est-il possible ? finit-elle par demander avec autant d'innocence qu'elle en était capable. Votre père paraissait pourtant au mieux de sa forme, il y a quelques jours encore !

Enorme mensonge. Mais Larinda, qui se tordait les mains de désespoir, n'y vit que du feu.

- Oh, non ! Père se sentait de plus en plus faible ! Il a même déclaré à Aodan qu'il prendrait bientôt les rênes de nos terres. Il lui a fait jurer d'en être digne.

- Et votre frère a accepté ?

Larinda parut surprise et, chose étrange, quelque peu apeurée, au point de se précipiter dans une réponse fébrile :

- Oui, bien entendu, pourquoi cette question ? Mon frère est apte à diriger notre seigneurie !

Sanhild se hâta de hocher la tête et de lui opposer un sourire rassurant :

- Oui, bien entendu ! Ma question n'était que rhétorique ! Votre frère me parait être un jeune homme parfaitement capable, avec la tête bien sur les épaules !

Et il me semble être à présent le principal suspect si l'état de santé de son père se dégradait encore... songea-t-elle pour elle-même. Avec les prochains mariages de son frère et de sa sœur, il était possible qu'il hâte le moment d'hériter tant que les concurrents n'étaient pas trop sérieux.

Larinda sembla s'apaiser un peu et esquissa un pâle sourire à son tour.

- Vous savez, il ne faut pas croire tout ce que l'on dit sur lui quand il est question de la reine.

Sanhild dut se faire violence pour ne pas laisser échapper un « QUOI ? QUOI ? QUE DIT-ON ? » tonitruant en sautant sur le canapé. Au lieu de cela, elle hocha simplement la tête, comme peu convaincue.

- Hum... Oui, certes... mais tout de même...

Larinda fronça les sourcils, agacée, et releva le menton :

- Mon frère est très fidèle à nos terres et ne veut que le bien de nos gens. Il ne comprend simplement pas pourquoi la reine se montre parfois si insensible à nos difficultés.

L'Officieuse fit celle qui ne comprenait pas, quoiqu'elle trouve le reproche infondé. Siehildra se préoccupait de chacun de ses sujets, bien évidemment. Mais la souveraine ne pouvait faire de miracle et tous ces petits nobles ne se montraient jamais satisfaits !

- A quel propos la blâme-t-il exactement ? Notre souveraine a sans doute beaucoup à gérer.

- Il pense que le soutien magique pour faire fondre la neige ne devrait pas être dépendant des finances des seigneurs. Il estime que la vie du peuple importe davantage qu'une question d'argent.

- Voilà qui démontre sa grandeur d'âme, mais est fort idéaliste, je le crains.

- C'est ce que dit mon frère Bregan. Il pense que nous devons, avant tout, apprendre à nous défendre par nous-même.

Ainsi, Aodan avait des griefs contre la reine, tandis que Bregan pensait se passer d'elle... Intéressant. De là à les accuser de complot, il ne fallait pas se précipiter. Il était de notoriété que la majorité des nobles de l'Ouest briguaient leur indépendance tout en profitant des bienfaits prodigués par Siehildra.

- Comment, par les Six, espère-t-il se passer de la magie bienfaisante de notre souveraine ? reprit Sanhild avec une curiosité qu'elle n'espérait pas trop flagrante.

Larinda haussa les épaules et soupira d'un air las.

- Je l'ignore...

Elle n'avait pas envie de discuter davantage et Sanhild n'insista pas. L'Officieuse préféra s'excuser pour aller retrouver Landarn. Elles devaient absolument savoir si Thoran était ou non victime d'une tentative d'assassinat.

Le meilleur moyen d'en avoir le cœur net était de rendre une discrète visite au malade, la nuit suivante.

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