Chapitre 12 : Chasse
- Ma dame, quel plaisir de vous voir à mes côtés !
Cierhan était plus resplendissant que jamais, dans sa tenue de chasse bariolée, et ravi de la présence de Sanhild. Cette dernière lui retourna un sourire affable. Elle avait mis de côté sa déconvenue : après avoir échangé avec Landarn, elles s'étaient accordées sur le fait qu'il n'y avait qu'à continuer à jouer les idiotes. Comme avait dit la prétendue suivante, que le jeune homme soit engagé ou non ne changeait rien au fait qu'il était prêt à beaucoup pour plaire à Sanhild et qu'il fallait en profiter.
Ainsi, malgré le soupçon de déception qu'elle avait pu ressentir, l'Officieuse poursuivait le même but : donner de faux espoirs au jeune homme. Cependant, elle avait troqué ses robes de riche tissu pour une tenue de chasse plus conventionnelle dans l'Ouest : une chemise de toile épaisse et un pantalon de cuir avec de hautes bottes. Ces habits mettaient davantage en valeur sa silhouette finement musclée par les années d'entrainement. Sanhild avait hésité à érafler quelque peu sa couverture, mais sa crainte de voir débouler un wrag lors de la sortie était bien trop grande pour qu'elle prenne le risque de s'encombrer de jupons de dentelle.
- Quelle arme désirez-vous ? s'enquit Bregan qui avait pris la direction des opérations.
Ils se tenaient dans l'armurerie du château laquelle, de toute évidence, était la pièce favorite du jeune homme. Là, se trouvaient épées, lances et épieux, mais aussi boucliers et autres matériels hétéroclites, servant aussi bien pour la chasse que pour les tournois. La pièce était décorée de têtes d'animaux empaillés et le noble semblait avoir un penchant pour les serpents dont les dépouilles ornaient parfois jusqu'aux présentoirs d'armes.
L'Officieuse prit le temps de la réflexion en entendant la question. Les nobles qui se voulaient délicates étaient censées pratiquer la chasse au vol. Mais ce n'était pas avec un faucon sur le poing que Sanhild se défendrait en cas de besoin. De plus, les femmes dans l'Ouest n'étaient pas réputées pour rester en retrait dans ce genre de situation. De là à imaginer Sannarhia se jeter sur le gibier, la lance à la main...
- Un arc, je vous prie.
Bregan haussa les sourcils, surpris, mais chercha dans l'armurerie, avant de dénicher ce que la jeune femme avait demandé.
- Essayez celui-ci. Peut-être un peu trop puissant...
Sanhild s'imposa de diminuer sa force. À la vérité, elle n'avait aucune difficulté à bander cet arc. Elle était excellente archère depuis son enfance, distinction qui lui avait entre autres valu sa place parmi les Officieuses. Autant dire que cette arme de débutant ne lui causait aucune difficulté. Elle n'était pas non plus certaine qu'elle pourrait se défendre face à un écureuil, mais c'était mieux que rien. La qualité n'était somme toute pas mauvaise et elle s'équipa des flèches adaptées sans se plaindre.
- Quel choix intéressant, se sentit obligé de commenter Cierhan. J'ai grande hâte de vous voir manier cette arme !
Le jeune homme lui avait fait confier un cheval au poil brillant et prit soin de s'assurer qu'elle montait avec aisance. Il lui renouvela plusieurs fois son plaisir de la voir se joindre à eux avant d'aller se choisir des armes.
Outre les deux frères, Sanhild eut la satisfaction de voir Aodan, ainsi que quelques invités, se joindre à eux. Ainsi, il lui serait plus facile de discuter avec les uns et les autres sans attirer l'attention. Larinda et ses amies n'étaient pas de la partie et les dames présentes étaient armées pour la plupart d'armes blanches permettant de prendre pleine part à la chasse. Leur tenue était semblable à celle de l'Officieuse qui se félicita de ses choix. Avec la potentielle menace d'un wrag en liberté, il n'était cependant pas étonnant que seuls les plus audacieux, hommes comme femmes, prennent part au divertissement.
Cierhan et Bregan semblaient plein d'assurance et pressés de faire montre de leurs talents. Ils se mirent en selle et prirent la tête de la petite troupe. Sanhild, quant à elle, se retrouva rapidement à l'arrière. Non seulement son personnage lui imposait de se montrer craintive mais, de plus, se trouver parmi les derniers lui permettait d'observer ses compagnons de route avec plus de discrétion.
Il lui apparut bientôt que le plus jeune des frères lui lançait de fréquentes œillades dans l'espoir, supposa-t-elle, d'être admiré. Ainsi monté sur son fier destrier qu'il prenait plaisir à faire caracoler, le jeune homme se montrait à son avantage. Il fallait reconnaitre qu'il se faisait remarquer de loin par sa prestance et Sanhild s'aperçut que les autres convives le regardaient avec une sorte de fascination.
De son côté, Bregan ne se souciait plus de personne et se contentait de donner des ordres brefs aux veneurs. Lui n'était pas là pour le spectacle, mais pour la chasse. À le voir ainsi avancer, on aurait pu penser que, même seul, il aurait poursuivi à travers la forêt.
Au pas, Sanhild commença par observer les alentours : le bois était clairsemé à la lisière et la neige parsemait le chemin. Du haut de son cheval, la jeune femme ne voyait aucune empreinte, ni de wrag, ni de tout autre animal. Elle restait persuadée qu'avec le hurlement entendu lors du bal, il ne devait rester aucun gibier qui put intéresser les frères. Elle avait déjà participé à une chasse à courre auprès de la reine et l'équipage de Tremoria n'avait pas grand-chose à voir avec cet art. Les deux frères voulaient faire bonne impression auprès de leurs invités, mais l'ensemble restait brouillon, l'organisation maladroite.
Les sabots marquaient de leur pas sourd le chemin terreux. Dans l'air vif hivernal, Sanhild ne se sentait nullement en sécurité. Quelques autres convives étaient armés d'arcs, comme elle et, finalement, ils restèrent aussi en retrait. Elle fut surprise de voir qu'Aodan faisait partie du nombre. Elle eut imaginé le fils ainé du seigneur asseoir son autorité en prenant la tête de ses frères, mais, à en voir son expression, la chasse ne l'intéressait que peu. Non, la jeune femme s'aperçut qu'il scrutait lui aussi le sol d'un air qui ne pouvait cacher un soupçon de contrariété.
Il fut décidé de tirer quelques flèches sur les rares oiseaux qui passaient entre les branches dénudées. Sanhild éprouva son arc et s'aperçut qu'elle obtenait finalement une puissance et une précision acceptable. Elle dut se fixer des objectifs discrets afin de ne pas se faire remarquer. Si elle ne toucha volontairement aucun volatile, elle savait à présent comment se servir de son arme en cas de besoin.
- Votre visée me parait quelque peu étrange, fit soudain remarquer Aodan qui s'était approché sans qu'elle n'y prenne garde.
- Oh ? Vraiment ?
Sourire niais, regard vide, Sanhild fit ce qu'elle put pour donner le change. Il devait être un excellent archer pour avoir suspecté la supercherie. Ou bien l'observait-il depuis le début de l'exercice et avait remarqué qu'elle touchait toujours un élément du décor en particulier plutôt que le gibier.
- Auriez-vous des conseils à me prodiguer, messire ?
Aodan parut réfléchir et secoua finalement la tête :
- Je ne prétends pas être un maître en la matière et votre position m'a paru en tout point parfaite. D'où mon questionnement quant à votre visée.
Comme l'un de ses compagnons lui adressait la parole, il reprit sa place un peu plus loin, ce qui permit à Sanhild de se reprendre. Elle allait devoir se montrer un peu plus fine si elle voulait préserver son anonymat.
Ces quelques flèches tirées, elle reprit donc son observation. La lumière de l'orée de la forêt avait disparu depuis de longues minutes. Un soleil pâle perçait à travers la frondaison, nimbant le chemin d'une lumière blafarde. Les rares oiseaux qui n'avaient pas désertés les lieux poussaient quelques cris rauques. Pas un écureuil bleu dans les branches, pas un lapin dans les fourrés. Sanhild, pourtant guère impressionnable, sentait les bois se refermer sur elle dans un silence sinistre.
N'y tenant plus, elle donna un léger coup de talon à sa monture pour venir se placer à la hauteur d'Aodan.
- Votre frère m'a assuré que le wrag s'était retiré, mais je ne peux m'empêcher d'en chercher quelque trace, avoua-t-elle à voix basse.
Le jeune homme la dévisagea un instant en silence et elle craignit quelques secondes qu'il ne prétende à nouveau l'avoir déjà connue. À moins qu'il ne réfléchisse encore aux compétences en tir à l'arc qu'elle avait si mal cachées.
- J'aimerais partager l'assurance de Bregan, remarqua finalement Aodan à mi-voix. Cierhan et moi aurions dû peut-être l'accompagner afin de confirmer ses dires. Car mon frère est si enclin à chasser qu'il serait bien capable de prendre ses désirs pour des réalités.
Nulle motivation à rassurer la jeune femme dans ces propos énoncé avec sècheresse. Sanhild remarqua que, selon lui, seul Bregan était allé en reconnaissance, ce qui ne cadrait pas avec ce qu'avait prétendu Cierhan. L'un des deux mentait...
Elle estima de bon ton de laisser paraitre l'inquiétude que ces mots lui causaient. Aussitôt, Aodan parut faire un effort pour se radoucir :
- Je ne voulais point vous effrayer, ma dame. Mes frères et quelques-uns de nos invités ici présents sont d'excellents chasseurs. Si un wrag nous approche, il ne pourra rien contre nous, rassurez-vous.
Sanhild dut faire appel à toute sa maîtrise d'elle-même pour se pas éclater de rire. Aodan était-il sérieux ? Toute personne censée ayant déjà eu affaire à ces animaux à la puissance dévastatrice savait que le jeune homme venait d'énoncer une absurdité. Mais avait-il déjà réellement vu un wrag de près ? Si ce n'était pas le cas, alors ceci peut-être expliquait cette chasse incongrue... Elle se rappela les paroles de Larinda concernant les bêtes sauvages.
- Vous ne paraissez pas me croire, fit remarquer de but en blanc Aodan.
Peut-être valait-il mieux jouer franc jeu avant qu'une catastrophe ne se produise. Sanhild réfléchissait aussi vite que possible à ses leçons de géopolitique et en venait à la conclusion que, si les petits villages voyaient des wrags de près tous les hivers, les nobles cloitrés dans leurs châteaux pouvaient y avoir échappé. Ces animaux n'étaient pas stupides au point de grimper le long des murs des forteresses. Si l'on ajoutait à cela ce qu'avait expliqué Larinda, quant à la protection du peuple dans la citadelle, qui induisait l'éloignement des wrags...
- Messire Aodan, pardonnez ma question, qui vous paraitra sans doute quelque peu déplacée mais... avez-vous déjà vu un wrag de vos propres yeux ?
L'interpellé fronça les sourcils. Il ne paraissait pas idiot et devait avoir compris où Sanhild voulait en venir. Il flatta l'encolure de son cheval qui se montrait nerveux et reconnut à contrecœur :
- Non, il est vrai... Mes frères et moi évitons de sortir lorsque ces bêtes ravagent nos terres. Notre père a toujours fait le nécessaire pour aider les villages en amont, et nos gens sont souvent logés au sein même de la forteresse à cette période de l'année. Mais, j'en ai déjà vu de loin. Ce ne sont que de très gros chiens, il ne faut pas écouter toutes les légendes que l'on raconte à ce propos.
Sanhild avait certes un personnage à jouer mais, en cet instant, elle fut persuadée qu'elle devait agir. Ces gens ne connaissaient rien à la menace qui pesait sur eux. La forêt était toujours aussi silencieuse. Quelque part, un wrag rôdait, la jeune femme en était persuadée.
Plus les secondes passaient, plus l'animal risquait de débouler devant eux. Sanhild savait que la seule qui avait une chance de faire le poids, du fait de son entrainement, c'était elle. Or, elle n'était pas assez orgueilleuse pour ignorer la terreur qui lui broyait les entrailles à l'évocation du monstre. Et, quand bien même elle aurait été capable de sauver sa propre vie, elle n'aurait eu aucune chance de parvenir à protéger une autre personne en cas d'attaque. Non, l'Officieuse était persuadée que, si elle devait réagir, elle pouvait aussi bien se trouver tétanisée. Alors, ils seraient tous morts.
- Messire, malgré tout le respect que je vous dois, vous vous trompez lourdement. Cette forêt respire l'absence de vie, signe qu'une chasse est en court. Et, cette chasse, ce n'est pas nous qui la menons. Ordonnez notre retour sans délai, où...
Au même instant, un hurlement bestial se fit entendre.
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