Chapitre 1 : Petite étoile

- Viens par ici, ma jolie !

La jeune femme frémit mais préféra ignorer la voix rocailleuse qui l'interpellait de la sorte. Le vieillard partit d'une quinte de toux qui s'intensifia jusqu'à le faire suffoquer et se rejeter en arrière sur son lit. 

Habituée à cet état de santé qui se dégradait de plus en plus rapidement, l'interpellée continua ses tâches. Retenant sa respiration, elle commença par vider dans la coursive le pot de chambre qui empestait. Elle s'occupa ensuite du broc d'eau et de la bassine afin de garder la pièce dans un état convenable. Il ne fallait pas que l'on puisse l'accuser de négligence. Elle s'essuya les mains sur son tablier souillé et replaça des mèches brunes dans son chignon, qui s'étaient échappées en boucles folles. 

- Rollana, viens ici, je voudrais te parler... insista le vieillard en détaillant ouvertement les courbes de la jeune femme.

Cette dernière l'ignora encore une fois, sachant très bien de quelle manière il pensait discuter avec elle. Elle ne pouvait protester ouvertement mais, reculer le moment où elle n'aurait pas d'autre choix que de s'approcher, restait réalisable. 

Près d'un mois qu'elle subissait cet homme détestable ! Il vivait seul avec son intendant, dans sa demeure de riche bourgeois de la capitale. La bâtisse était à l'image de cette chambre : garnie de meubles vieillots et sombres, étouffant chaque bruit comme un linceul. Mais il était impossible de partir pour l'employée, pourtant engagée pour un misérable salaire. Elle devait poursuivre, coûte que coûte. Serrer les dents à chaque fois que ce débauché se permettait de glisser ses vieux doigts sur elle. Jamais rien de plus que des effleurements volés, fort heureusement, car il s'était retrouvé cloué au lit peu de temps après son arrivée. Depuis, elle le craignait beaucoup moins. 

La jeune femme contourna vivement le vieillard pour réajuster la courtepointe et les oreillers, tâchant de faire un lit au carré autour de son maître affalé. Quand une main se posa sur ses fesses, elle dut se faire violence pour ne pas lancer la sienne en travers de la figure de ce vieux libidineux.

Patience. Elle poursuivit son chemin à travers la petite chambre glaciale. Elle aurait dû mieux la chauffer pour le malade mais elle avait encore omis d'ajouter des bûches dans l'âtre. La fenêtre grande ouverte n'arrangeait rien. Mais, comme elle se refusait à laver cet immonde vieillard, les odeurs que renfermaient la pièce avaient bien besoin d'être évacuées. Tant pis, le froid d'hiver les mordait sans tendresse. La femme de chambre était née dans les montagnes, elle s'en accommodait fort bien. 

- Roll... 

Une nouvelle quinte de toux le coupa net. Il n'en finissait plus de mourir. Depuis des semaines. L'interpellée recompta les jours et jeta un œil à la fenêtre en entendant le pas d'un cheval. L'intendant quittait les lieux, les laissant seuls au manoir. Parfait. Il était temps. Sa patience était à bout.

- Vous devriez reprendre un peu de votre remède, monseigneur, susurra-t-elle d'une voix mielleuse.

Il ne la regardait plus, tâchant de reprendre son souffle. Elle versa un peu de sirop dans un verre. Une poudre bleuâtre y fut ajoutée en un geste rendu rapide et précis par l'habitude.

- Voilà, monseigneur, buvez maintenant.

Le vieillard obéit docilement, les lèvres tremblantes. La jeune femme l'accompagna pour qu'il termine le breuvage, jusqu'à la dernière goutte. Le temps parut s'étirer. La respiration se fit plus sifflante. Le souffle plus saccadé. 

- Roll...

S'approchant du vieillard agonisant, la femme de chambre eut un sourire cruel :

- Je m'appelle Sanhild, pas Rollana, murmura-t-elle alors qu'il changeait de couleur en s'asphyxiant. Tu mérites ce qu'il t'arrive, traître à la couronne. Estime-toi heureux de n'avoir pas eu une mort plus douloureuse.

En revanche, il aurait pu avoir une fin bien plus rapide. Mais l'empoisonner durant des semaines, sous ce déguisement, avait eu le mérite de passer inaperçu.

Se redressant, l'Officieuse attendit que le vieillard cesse tout à fait de respirer. Puis elle rinça le verre, le reposa près du lit et quitta la chambre d'un pas tranquille. Il ne lui restait plus qu'à attendre sagement d'être renvoyée par l'intendant, maintenant qu'elle n'avait plus de rôle à jouer dans cette maison désormais vide.

Le maître était malade depuis si longtemps que chacun penserait à une mort naturelle. Personne ne soupçonnerait la gentille demoiselle, douce et effacée, qu'il avait recruté lui-même. Il était alors encore en pleine possession de ses moyens et aurait pu vivre quelques dizaines d'années de plus en semant le trouble dans le royaume. Mais il avait fait fuir toutes les autres femmes de chambre, avec son caractère acariâtre, autoritaire et malsain. Sanhild n'avait eu qu'à se présenter et se montrer patiente. Une dose tous les trois jours, pendant un mois très exactement : un jeu d'enfant.

Elle verserait quelques larmes pour la forme, se montrerait aussi bouleversée que nécessaire... Puis, pensa-t-elle avec bonheur, elle rentrerait chez elle. Le Jardin lui manquait.


Le lendemain soir.

Au loin, les cloches sonnèrent les vêpres, en un lent battement. Le soleil n'allait pas tarder à se coucher, la ville bruissait pourtant encore de mille bruits témoignant de l'agitation de la capitale. Derrière les remparts, circulaient passants, commerçants et chevaux, tentant de se frayer un passage entre quelques entlors, gros animaux laineux appréciés pour leur robustesse.

Mais, ici, dans cette partie du Jardin, tout n'était que tranquillité et seule la rumeur lointaine de la ville troublait le calme des lieux. Des fillettes jouaient au cerceau en riant. Des jeunes femmes discutaient, assises sur un banc. Près d'une fontaine qui rafraîchissait l'atmosphère pourtant déjà froide en ce début d'hiver, Sanhild attendait.

L'Officieuse n'avait qu'une vingtaine d'années mais, comme toutes ici, la dureté du métier lui conférait un air grave. C'était la deuxième fois qu'elle tuait un homme et, cette fois, de sang-froid. Son agonie lui laissait un souvenir amer, quoique dénué de compassion. Il l'avait mérité, sans aucun doute. La reine Siehildra, leur bienfaitrice à tous, ne pouvait prendre le risque de tolérer pareil traître sur ses terres. Sanhild avait fait ce qu'il fallait, sans aucun remord.

Le Jardin, qui protégeait en son sein l'Ordre, permettait l'accès aux bâtiments réservés aux Officieuses, dans le château même. L'ensemble représentait un sanctuaire inviolable où pénétrer ne pouvait que signifier la mort. Seule la reine s'y rendait parfois afin de s'entretenir avec la Première Suivante Officieuse.

C'était cette dernière que Sanhild attendait avec une impatience non dissimulée. Comme chaque fois qu'elle était nerveuse, la jeune femme chantonnait la mélodie de sa mère, seul vestige de son enfance dévastée.

Ne pleure pas, petite étoile
Car la neige s'évanouira
L'hiver soulèvera son voile
Alors la nature renaîtra.

Ne pleure pas, petite étoile
Car tu es au chaud dans mes bras
Voilà qu'enfin, tes yeux se voilent
Demain, je sais, tu souriras.

Comme à chaque fois qu'elle murmurait cet air, les larmes montaient, mais restaient coincées dans sa gorge. Pourtant, toujours, la tension qui habitait la jeune femme refluait, comme balayée par ce souvenir heureux.

- Nerveuse ?

Sanhild leva la tête et sourit alors que son amie Landarn s'asseyait près d'elle. La nouvelle venue la connaissait si bien ! Pourtant les deux Suivantes semblaient très différentes au premier regard. La première privilégiait une mise simple, chemise et pantalon de toile noire dont la rigueur n'était pas entachée par le chignon serré disciplinant les boucles brunes. La seconde arborait au contraire une robe aux couleurs vives entrelacée de fils d'argent sur laquelle se déversait une cascade de boucles couleur ébène. Au Jardin, les Officieuses confirmées s'habillaient comme elles le souhaitaient et ne manquaient de rien. Brunes, les yeux sombres, de taille moyenne, là étaient leurs seuls points communs, qu'elles partageaient avec tout l'Ordre.

- Curieuse, plutôt ! Je reviens à peine de mission... Il est rare que nous soyons renvoyées si rapidement... et encore plus à deux. Mais je suis ravie de savoir que nous serons sans doute ensemble !

Toutes deux n'avaient certes pas les mêmes goûts, ni les mêmes manières, mais elles s'étaient trouvées un intérêt commun dans la pratique du tir à l'arc, ce qui leur avait permis de nouer une belle amitié. Landarn acquiesça avec enthousiasme :

- Moi également ! J'espère seulement que nous ne nous trouverons pas séparées par nos rôles respectifs ! Quelle cruelle déception cela serait !

Elles se levèrent d'un même mouvement quand une fillette d'une dizaine d'années se présenta à la lourde porte de bois :

- La mère supérieure va vous recevoir, mes sœurs.

Bien que cette attention soit inutile, étant donné que toutes ici s'étaient déjà rendue dans le bureau de la responsable de l'Ordre, l'enfant les guida le long d'un couloir froid et sombre. Au bout, elle s'effaça pour laisser passer les deux amies qui échangèrent un regard intrigué. A quelle mission allait-on les assigner, cette fois ?

Elles s'assirent en silence sur les fauteuils installés devant le bureau. La mère supérieure, Derehilda, avait un peu vieilli mais gardait le même maintien que dans le premier souvenir que Sanhild conservait d'elle. Cette fois, elle était visage nu et portait un ensemble bleu nuit orné de boutons d'argent. Sa dague pendait à sa ceinture bien que, dans le Jardin, aucune d'entre elles ne risque rien.

Derehilda, sourit aux sœurs et fit signe à la fillette de refermer la porte derrière elle.

- Comme vous pouvez le deviner, j'ai une mission à vous proposer.


*** Et voilà, premier chapitre, on commence avec une scène charmante, du coup j'ai préféré classer le contenu en mature, ça m'évitera de me poser des questions sur ce que j'écris.

Alors, comment trouvez-vous Sanhild ? ***


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