Chapitre 6
Mon estomac fait une chute vertigineuse dans mes talons.
L'expression de Kyllian me fait l'effet d'une gifle cuisante. Elle est si haineuse que, sur le coup, j'ai envie de pleurer. Je me retiens à grand peine, incapable de prendre la parole, me concentrant sur ma respiration.
Qu'est-ce qui se passe ?
Il desserre finalement les lèvres, pour articuler dans une rage à peine contenue :
- Comment est-ce que tu es entrée ici ?
Oh... Est-ce que ça veut dire qu'il ne se souvient pas de ce qui s'est passé ?
D'une petite voix, je réponds en désignant la porte à runes de l'index, confuse :
- Euh... par la porte. Elle était ouverte.
Il fait subitement claquer sa langue contre son palais, avant de cracher comme si j'étais la dernière des imbéciles :
- Ce n'est pas la peine de mentir, il y a des caméras dans le couloir je te rappelle ! Maintenant, dis-moi la vérité ! Qui t'a fait entrer ?!
Mais... pourquoi il me demande ça, et pourquoi c'est ça qui le dérange le plus ?
- Personne ! je rétorque en écarquillant les yeux. Et je ne mens pas !
J'ajoute ensuite d'un ton vexé :
- ...tu n'as qu'à regarder ce que les caméras ont filmé si tu ne me crois pas.
- C'est ce que je compte faire ! Donc arrête de faire la gamine et dis-moi la vérité ! Tu sais qu'au pire, je te l'extorquerai de force ? Et crois-moi, petite, tu n'as pas envie de ça !
Aoutch ! Je suis si soufflée par la méchanceté qui dégouline de sa remarque que je demeure muette. Il insiste en s'énervant de plus belle :
- Qu'est-ce que tu es venue foutre à cet étage ?!!
Bon.
Vu qu'il ne me pose aucune question sur cette nuit, et qu'il est très énervé, j'en déduis deux choses. D'abord : qu'il se rappelle très bien de ce qui s'est passé. Ensuite : qu'il ne devait pas tout à fait être lui-même hier soir, et qu'on aurait jamais dû faire ce qu'on a fait.
Sinon, il ne serait pas sur le point de m'étrangler, non ?!
Comme moi, il avait dû recevoir je ne sais quel médicament qui lui a brouillé les sens... Quelle idiote ! Pourquoi je n'y ai pas pensé hier soir ?! Évidemment ! Il ne se serait jamais jeté sur moi autrement !
Mais il faut dire que, moi non plus, je n'avais pas toute ma tête... Il doit croire j'ai abusé de son état de faiblesse. Pourtant, ce n'est pas moi qui me suis jetée sur lui la première !
- Je suis désolée, je...
Il m'interrompt aussitôt en réclamant une nouvelle fois :
- QUI t'a amenée ici ?!!
- MAIS PERSONNE ! je réplique, irritée par son ton. Je ne sais même pas où je suis ! Je croyais que Harou s'était blessé et qu'il appelait à l'aide. J'ai suivi ses cris et je suis arrivée là ! C'est tout !
- Harou ? fait-il en arquant un sourcil, à peine plus calme.
- Oui, le wyvern que Noctia a recueilli. Il n'arrête pas de s'échapper...
Il semble soudain comprendre de quoi je parle, mais son expression ne s'adoucit pas quand il déclare :
- Je vois. Trouve une meilleure excuse si tu ne veux pas venir à bout de ma patience ! Je te laisse une dernière chance.
Je ne peux m'empêcher de soupirer bruyamment, avant de rétorquer, refoulant mes larmes :
- Mais je DIS la vérité !! Va vérifier si tu ne me crois pas !
Ses beaux yeux bleus, devant lesquels je m'extasiais si souvent, sont à présent emplis de venin.
Il se lève et fonce furibond vers le lit. Je recule instinctivement, prise de panique, croyant qu'il va déverser sa colère sur moi.
Mais il se penche pour ramasser sur le tapis la boule formée par mes vêtements, avant de me la jeter au visage :
- Tant pis pour toi ! Je t'aurai prévenue. Habille-toi. Et dépêche-toi !
Je me sens si mal que je ne cherche même plus à m'expliquer. De toute façon, il ne m'écoute pas.
D'un geste énervé, je m'essuie les yeux. Puis j'enfile en tremblant ma tenue avant de me chausser. Tout du long, il me toise comme si je n'étais qu'une vilaine tache qu'il rêverait d'éradiquer.
Autant hier soir, ça ne me gênait pas de porter ma chemise sans soutien-gorge, autant maintenant, ça me dérange. Sous le poids de ses yeux chargés de reproches, et du souvenir de ce qui s'est passé, je me sens bizarrement honteuse.
Je trouve, je ne sais comment, le courage de demander :
- Je... j'ai un peu froid. Est-ce que tu aurais un gilet à me prêter ? S'il te plaît...
Ma remarque provoque chez lui un rictus de dédain. Mais il va vers une commode et en sort un sweat qu'il lance sur le lit sans rien dire.
- Merci...
J'enfile le vêtement en reniflant. Je ne me suis jamais sentie aussi mal. J'ai envie de disparaître, de remonter le temps.
- Arrange tes cheveux, on dirait une banshee..., souffle-t-il méchamment.
Merci pour l'insulte, c'est juste ce qu'il me manquait pour parfaire cette journée !
Je n'ai pas de brosse ni d'élastique avec moi, alors je passe mes doigts vacillants dans ma chevelure, tentant de défaire les nœuds, avec de l'enrouler sur elle-même en un chignon de fortune.
Dès que je suis prête, il me fait signe de le rejoindre devant la porte.
- Après toi..., lâche-t-il d'un air sarcastique.
Je m'avance, mais je bute aussitôt contre la surface opaque et molle qui m'empêche de sortir, ce qui lui arrache un sourire mauvais.
- J'en étais sûr..., gronde-t-il.
Il me scrute avec dédain, et ajoute entre ses dents d'un ton cruel :
- J'espère que tu as bien profité hier soir. Parce que ça ne se reproduira jamais. Et j'espère que ça valait le coup, parce qu'il ne faut pas t'attendre à ce que j'aie le moindre respect pour toi à présent, ni pour celui que tu as dû soudoyer pour arriver ici. Les filles comme toi me dégoûtent.
Il a l'air persuadé que j'ai manigancé je ne sais quoi pour m'introduire dans sa chambre et profiter de lui...
Bon. Quand bien même ! Ça n'excuse pas son comportement !
Profondément blessée, je me surprends donc à siffler entre mes dents :
- Ne t'inquiète pas... les mecs comme toi me font le même effet...
Un instant il tressaille, surpris.
Puis il lève les yeux au ciel avant de lancer la formule qui déverrouille sa porte. Un rapide tourbillon se forme, ensuite la surface redevient calme. Nous passons au travers.
Je me sens mal à l'aise à trottiner, comme une coupable qu'on mène à l'échafaud, derrière son pas hâtif.
Heureusement nous empruntons des chemins peu fréquentés. Les rares Protecteurs que nous croisons s'émerveillent de voir Kyllian debout. Il ne s'arrête pas pour les saluer en retour, il leur lâche seulement des « Pas maintenant ! » secs sur son passage.
Personne ne semble me remarquer. Ouf.
Nous arrivons enfin devant une épaisse porte de fer, possédant un hublot, fermée par un code d'accès. Kyllian tape à toute vitesse les chiffres et nous entrons dans une des salles de vidéo surveillance.
Andy, un des responsables de la sécurité au Domaine, y est installé, sirotant son café au lait. Il a une trentaine d'années, des cheveux noisettes maintenus par une courte queue de cheval, et une barbe de trois jours. Son style détendu tranche avec l'allure militaire de Kyllian.
Quand il nous voit entrer, il sursaute :
- Kyllian ! Bon sang ! C'est pas vrai !! Déjà sur pieds ?!
Il bondit de son fauteuil pour venir à notre rencontre, le visage euphorique. Je reste un peu en retrait, n'osant m'avancer.
- C'est pas possible ! continue-t-il, effaré. En même temps, j'imagine qu'avec toi... plus rien ne devrait me surprendre !
Kyllian balaye l'air de la main avant de lancer d'un ton bien plus posé qu'avec moi :
- Salut, Andy. J'ai besoin de voir des enregistrements d'hier soir. J'ai eu un souci d'intrusion.
- Merde !! Bien sûr ! Rien de grave j'espère ? Où exactement ? Quelle heure ?
Kyllian se tourne vers moi, attendant que je réponde. Andy semble alors seulement me remarquer.
- Tiens... Salut, toi. Tu devrais pas être en cours... ?
- Euh... si. Bonjour, je murmure.
Il me dévisage de la tête aux pieds puis ajoute d'un air suspicieux :
- Tu ne fais pas partie des Protecteurs...
- Non..., je confirme en grimaçant.
- Quelle heure ?! m'ordonne Kyllian, courroucé, ne prêtant pas attention à notre échange.
- Qu'est-ce que j'en sais moi ?! j'explose alors, à bout de nerfs. Tu crois quoi ? Que j'ai préparé un commando spécial et que j'ai tout minuté ?!
Mon soudain éclat de colère a l'air de le surprendre car il demeure bouche bée un instant.
- ...je sais pas à quelle heure j'ai quitté ma chambre, je bougonne ensuite. Il faisait nuit, c'est tout ce que je sais.
- Ça serait plus simple pour tout le monde si tu cessais de mentir, enrage Kyllian en se penchant vers moi. Tu nous fais perdre notre temps !
Comment j'ai pu un jour être amoureuse de ce sale type... ? Ah oui. Je sais. Parce que je ne le connaissais pas !
J'ai envie de me mettre des baffes. De GROSSES baffes.
Au moins, le bon point dans toute cette histoire aura été de me débarrasser ENFIN de cette ridicule passion ! J'ai l'impression d'avoir dessoulé d'un coup de cinq longues années d'ivresse.
Mais je me déteste encore plus maintenant, pour avoir gâché mon temps à me morfondre à cause de lui... Qu'est-ce que j'ai pu être stupide !
- Tu en perdrais moins si tu acceptais de me croire ! Regarde les vidéos de mon couloir hier soir ! je m'exclame, pointant les séries d'écrans lumineux qui flottent devant le mur.
Kyllian soupire, mais Andy se rassoit tranquillement en faisant pivoter son fauteuil vers les écrans.
- Bon ! Dans quel dortoir tu es ?
- Bâtiment des enchanteurs, deuxième étage, escalier F, chambre 253.
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