Chapitre 2
- Ambre ! crie Caleb, essoufflé. T'as... t'as entendu ?! Kil... Kildara est attaquée !
On se regarde avec Ambre, sceptiques. Kildara est normalement une ville sûre. Elle n'a pas subi d'attaques de monstres depuis bien cinquante ans.
- Kildara... ? répète Ambre, perplexe.
Caleb s'appuie sur ses genoux pour reprendre son souffle. Puis il lâche :
- Oui ! Par... par des rorgoks !
Ce sont des rorgoks qui ont tués mes parents. On m'a raconté que ce sont aussi des rorgoks qui ont tué les parents de Kyllian et son frère. Il n'y a rien qui ne les rende plus heureux que de réduire des humains en charpie. Je sais pas pourquoi. Un truc de monstres, j'imagine.
Sauf que normalement, leurs attaques sont extrêmement rares : ils sont peu nombreux, désorganisés, et peinent à franchir la Fissure. Et ils s'en prennent toujours à des individus isolés, jamais à des villes entières...
Ça fait donc deux informations trop improbables pour être vraies. D'un autre côté, ça expliquerait l'agitation soudaine. Je demande quand même :
- T'es sûr que t'as bien entendu... ?
- C'est ce que Noah m'a dit ! lance en pestant Caleb, redressant les épaules d'un air de défi. Et assez nombreux pour que les Protecteurs de là-bas nous appellent à l'aide ! Ils savent pas s'ils vont tenir !
Ça a pas de sens, les Protecteurs de Kildara sont presque aussi réputés que ceux du Domaine...
- Merde ! souffle Ambre. C'est pas possible..
Elle se dépêche de retrouver ces parents histoire de vérifier l'information, Caleb et moi sur ses talons, mais ils se contentent de nous dire de ne pas nous inquiéter, que la situation est entre de bonnes mains. Toujours aussi avares de compliments, ils la félicitent à peine avant de s'éclipser justement pour organiser le départ des troupes. Ambre ne s'en formalise pas, elle est habituée.
Hors de l'arène, le Domaine est en effervescence : on n'est pas les seuls à courir à droite à gauche pour tenter d'en apprendre plus.
Dernièrement, les attaques de monstres sur Fallerias se sont multipliées sans qu'on ne comprenne pourquoi. Ce n'est pas la première fois qu'on envoie des équipes en renfort. Mais jusqu'à aujourd'hui, les monstres n'avaient jamais attaqué aussi loin de la limite entre leurs terres et les nôtres. Et il ne s'agissait pas de monstres aussi dangereux que des rorgoks.
On parvient à questionner un peu un professeur, mais comme les parents d'Ambre, ils est plutôt détendu : d'après lui, la nouvelle a été déformée. Les rorgoks ne sont pas si nombreux ni si forts, ils ont simplement attaqué alors qu'une partie des Protecteurs de Kildara était absente.
Hum. Je sais pas si c'est vrai ou s'il dit ça juste pour éviter qu'on s'affole.
C'est quand même un peu suspect de voir nos enchanteurs les plus renommés en train de préparer du matériel d'urgence. Et nos meilleurs Protecteurs s'armer et se rassembler près de leurs véhicules...
J'aperçois Kyllian parmi eux. Incontrôlable, mon cœur s'empresse de tambouriner plus fort qu'à l'annonce de l'attaque. On pourrait croire que depuis le temps je suis habituée, mais manifestement non.
Même s'il est loin, quasiment de dos et à demi caché, je l'ai reconnu tout de suite. J'ai développé une sorte de sixième sens pour ça. Je reconnais des bouts de Kyllian qui dépassent. Je reconnais un Kyllian couvert de camboui, un Kyllian grimaçant de trois quart dans la pénombre, et même une fois : un Kyllian de profil, en noir et blanc, sur une minuscule photo collée au mur, visible pendant seulement quelques secondes DANS une vidéo. Mon record. Un super pouvoir, aussi impressionnant qu'inutile. Quand je vous dis que je suis pitoyable, j'exagère pas.
Je maîtrise ma respiration, histoire de me ressaisir et d'avancer nonchalamment avec les autres le long du chemin. Mais si je parviens à rester debout et à mettre un pied devant l'autre, je ne peux pas m'arrêter de le fixer bêtement, hypnotisée. Heureusement, j'ai la bouche fermée, avec un peu de chance je n'ai pas l'air trop stupide.
Après avoir enfilé son imposant harnais de guerrier, Kyllian inspecte avec soin chacune de ses armes. J'aimerais aller lui parler, l'air de rien, mais je vois pas quoi lui dire. Mon cerveau s'est beaucoup trop vidé d'un coup. Heureusement, Ambre s'exclame en le voyant enfin (amatrice...) :
- Oh ! Kyllian est là ! Faut que je lui dise que j'ai réussi mon examen !
Elle quitte la route pour s'élancer vers lui et je cours après elle, sans réfléchir.
- Kyllian ! Kyllian ! appelle-t-elle une fois presque à son niveau. Je viens de passer le grade trois ! Je l'ai eu du premier coup !
Il s'interrompt immédiatement pour lever la tête vers nous. Son beau front soucieux se détend, ses superbes lèvres s'étirent pour offrir à mon amie un merveilleux sourire.
- Bravo, Ambre, je suis très fier de toi !
Il m'adresse un salut aimable du menton au lieu de m'ignorer comme la plupart des professeurs d'Ambre, et j'y réponds à peine, trop intimidée. Bien plus à l'aise que moi, Ambre lance avec audace :
- J'ai hâte de rejoindre ton équipe ! Tu me garderas une place, hein ?
Kyllian est connu pour n'avoir jamais eu aucun blessé grave, et encore moins de morts, parmi ceux qu'il supervise. Mec parfait, jusqu'au bout.
- Toujours ! Après, la liste d'attente pour rejoindre mon équipe est déjà aussi longue que la Fissure..., répond-il, espiègle. Mais l'équipe que tu rejoindras sera chanceuse de t'avoir en tout cas.
Ambre rougit de fierté et il ajoute :
- Je te fais confiance pour continuer à t'entraîner pendant mon absence. Quand je rentre, je veux pouvoir constater tes progrès, assène-t-il avec autorité pendant que je me noie dans ses yeux.
- Compte sur moi !
- Très bien.
- Et euh... il se passe quoi à Kildara ? demande-t-elle ensuite innocemment.
Kyllian grimace légèrement avant de répondre :
- Attaque de rorgoks... ça faisait longtemps. Bon ! souffle-t-il ensuite en fronçant les sourcils. Vous n'êtes pas censées rester là toutes deux, alors dépêchez-vous de filer avant que quelqu'un vous attrape..
À son ton, on comprend qu'il ne veut pas nous en dire plus.
- Oui ! Pardon ! Bon courage !
- Merci.
Il détourne la tête pour reprendre ce qu'il était en train de faire, remettant en arrière une de ses mèches d'un noir presque bleuté. Ambre commence déjà à repartir. Moi ? Bah je me répéte la même chose depuis tout à l'heure : "Dis quelque chose. Dis quelque chose. Il est LÀ DEVANT TOI. Échange au moins deux phrases avec lui, merde !! Imagine que c'est la dernière fois que tu le vois, tu regretteras toute ta vie d'avoir rien dit !"
HEIN ?! Mais pourquoi je pense à un truc aussi déprimant ?? Mais bon, c'est efficace car je me surprends à bafouiller dans un filet de voix :
- Euh... Kyllian ?
De nouveau, il suspend son geste, haussant un sourcil intrigué. Il m'examine alors, semblant se demander quel est le problème et pourquoi je suis encore là. Je réunis tout ce que j'ai de détermination pour articuler de la façon la plus neutre possible :
- Ça a l'air tendu. La situation. À Kildara. Alors... faites attention à vous. Et... bonne chance.
Et... bonne chance. Oh la vache, mais quelle nulle.
Son visage est si impassible que je n'arrive pas à déterminer si je me suis ridiculisée ou non, s'il a apprécié mon attention, ou s'il en a rien à faire. Peut-être que c'est juste qu'il trouve ça bizarre que je lui sorte un truc pareil sur un ton aussi factuel... mais je préfère ça à passer pour une groupie. Il finit simplement par hocher le menton :
- Je ferai de mon mieux, merci. Allez, file !
Ses yeux retournent à ses armes, je n'existe plus. Évidemment, qu'est-ce que j'espérais ? Toutes ses groupies ont déjà dû lui dire la même chose, mon inquiétude détachée et banale ne lui fait ni chaud, ni froid. Je ne suis personne.
Ophelia, son ex, et accessoirement une de nos meilleures Protectrices, commence à se diriger vers nous. Même s'ils ne sont plus ensemble, elle est tout le temps après lui.
Elle a raconté à qui veut l'entendre que c'est elle qui a rompu parce qu'il commençait à trop s'attacher, mais personne ne l'a crue.
Kyllian n'est attaché à personne. On se demande même comment elle a pu sortir avec lui ! Il ne s'est jamais montré particulièrement intéressé par quiconque. Ou alors éventuellement, par ses armes... Avec les gens, il garde toujours une distance polie. Est-ce que ce serait pas tout simplement ce côté inaccessible, type beau roi de glace, qui le rend attirant ? Ah bah, possible, oui.
Enfin bref ! La seule chose qui le passionne, c'est sa vocation de Protecteur. Il la fera toujours passer avant tout le reste.
Encore plus de raisons pour tirer définitivement une croix sur lui, Ever. Ohé, meuf ! Tu m'écoutes ?
Je me dépêche de rattraper Ambre, les intestins noués.
- Ça va ? me demande-t-elle, perplexe, en voyant ma tête d'enterrement.
- Oui, oui... Enfin... je suis pas rassurée avec ce qui se passe. Mais ça va.
Elle me contemple soudainement avec beaucoup de sérieux. Elle passe ensuite son bras autour de mes épaules et m'assure :
- Ça va aller. Ils vont éclater les rorgoks sans problème ! T'inquiète pas !
Elle sait pour mes parents, bien sûr. Elle sait que j'ai vu les rorgoks les déchiqueter sous mes yeux. Elle pense sûrement que c'est ce souvenir qui me trouble. Et elle n'a pas complètement tort...
Son sourire se fait plus chaleureux quand elle lance :
- Tu sais quoi ? Ce soir, tu viens dans ma chambre. On va se manger deux pizzas géantes et on enchaînera avec de la glace !
Je rétorque, surprise :
- Tu devais pas passer la soirée avec Bran ?
- Si, mais ça me dérange pas d'annuler, répond-elle en haussant les épaules.
Ce n'est pas difficile de voir qu'elle ment pour me faire plaisir. Alors je fais pareil :
- Tu sais, je dois encore un peu réviser pour demain, on a contrôle avec Marko... je pourrai pas me coucher tard...
- Il vous laisse jamais tranquille celui-là, hein ? Même la veille du week-end !
- Ouais...
Un cri aigu nous fait nous retourner toutes les deux en même temps :
- Harouuuuu ! Harou ! Viens ici !!
Loin devant Noctia, un petit wyvern vole frénétiquement après un papillon, sans se préoccuper de la spoigneuse. À son collier pend un bout de cuir déchiré. Le reste de la laisse est encore dans la main de Noctia.
- HAROU !!
- Bah alors, Rou-rou, tu fais faire son sport à Noctia ?
Reconnaissant ma voix, Harou oublie d'un coup le papillon. Il change de trajectoire pour venir atterrir dans mes bras. Il mordille aussitôt gaiement le bout de mes cheveux, ignorant totalement Noctia qui crie toujours après lui.
Quand il est arrivé ici, frêle, blessé, craintif et amorphe, son regard était vide. Je suis heureuse de le voir si changé, même si on a découvert combien il était en fait d'une nature turbulente !
- Ah ! Tiens-le bien, ne le laisse surtout pas s'échapper ! m'ordonne Noctia.
Pas besoin de bien le tenir. Je me contente de gratouiller derrière l'oreille droite de l'animal. Il ferme immédiatement les yeux de bonheur tandis que mes doigts frottent sa fourrure toute douce.
Il se détend, ronronnant, laissant tomber sa tête en arrière. Il n'est pas prêt de s'envoler à nouveau ! Sitôt que Noctia nous a rattrapés, elle noue fermement les deux bouts de la laisse ensemble.
- Heureusement que tu étais là, sinon j'étais bonne pour lui courir après jusqu'à ce qu'il s'épuise ! se plaint-elle.
- Il est encore petit et il s'ennuie, c'est normal qu'il ait envie de tout explorer.
- Je sais bien, ma grande ! Mais justement ! C'est aussi l'âge où il doit apprendre les limites, n'est-ce pas, monsieur le fugueur ?
Elle saisit fermement Harou par la peau du cou, faisant les gros yeux.
- C'est la sixième fois qu'il s'échappe cette semaine ! me dit elle avant de s'adresser au wyvern. Je vais finir par t'enfermer dans une cage, tu sais ça ?!
La petite bête ne fait pas la fière, baissant les oreilles, apeurée, consciente d'avoir commis une bêtise.
- Bravo pour ton passage de grade, Ambre, au fait ! la félicite ensuite Noctia dans un sourire. Tu es arrivée première ! Tu as explosé les scores !
- Vraiment ?! s'étonne honnêtement mon amie, écarquillant les yeux.
Il n'y a bien qu'elle pour être surprise !
- Oui, c'est ce qu'on vient de me dire. Le temps que le jury se remette de l'autre nouvelle...
- Kildara..., répond sombrement mon amie.
- Il n'y a pas à s'inquiéter. C'est normal que les Protecteurs là-bas se soient sentis submergés, ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas combattu de monstres vraiment dangereux. C'est ça, de se reposer sur ses lauriers... Bon ! Je vous laisse les filles. Ever, je veux bien que tu me files un coup de main pour distribuer les repas ce soir. Et Clayroc doit prendre ses médicaments, avec toi, il se laissera faire.
- Pas de problème, je te retrouve tout à l'heure !
Une fois que Noctia s'est éloignée, Ambre secoue la tête d'un air désapprobateur :
- Tsssss, tu te fais tellement exploitée...
- Mais non, j'aime bien l'aider.
- Ouais, mais tu devrais quand même demander un truc en échange ! Elle abuse de ta gentillesse. Tu m'étonnes que t'as jamais le temps pour traîner avec nous si en plus de réviser, tu passes tout ton temps libre à la ménagerie !
L'amertume s'entend dans sa voix.
Ça fait quelques temps qu'en dehors de l'Académie, on ne se voit quasiment plus elle et moi. Faut dire que même si on s'apprécie beaucoup, on a pas grand chose en commun. J'aime le calme, la tranquilité, et voir le moins de personnes possible. Ah et puis si je peux rester chez moi, c'est idéal. Ambre adore sortir, bouger, voir du monde, faire la fête.
Forcément, on se voyait principalement à l'Académie entre les cours, mais depuis qu'elle sort avec Bran c'est de plus en plus rare. Bien sûr, elle me propose toujours d'aller à des sorties et des soirées s avec elle, mais bon... J'y vais des fois, pour lui faire plaisir, comme elle me propose parfois de passer la soirée avec moi devant un film. Mais on sait toutes les deux qu'on fait ça pour l'autre.
Mon mode de vie consterne complètement Ambre. Pour elle, le sien est la définition même de s'amuser alors que le mien est synonyme d'ennui et de tristesse. Je lui ai déjà expliqué que pour moi c'était l'inverse, mais elle a du mal à me croire...
Après, je pense que ça la rassurerait si au moins j'avais une sexualité active. Enfin, c'est à dire, avec quelqu'un d'autre que moi-même. La magie nous permet d'éviter les maladies, comme les grossesses non désirées, alors si on aime ça, pourquoi se priver ?
Le souci, c'est que Kyllian m'occupe tellement l'esprit qu'avec les autres, tout me paraît fade. Et comme le sexe, c'est quand même beaucoup dans la tête, bah... ça complique un peu tout.
Raison de plus pour l'oublier.
Je me sens soudain si coupable pour tous ces derniers mois où on ne s'est pas assez vues, et pour avoir rejeté sa proposition pour ce soir que je me fais violence et décide :
- Si tu veux... je viendrai à la fête de Lara. Je resterai pas toute la nuit, mais je passerai.
- Sérieusement ?!
Après chaque période d'examens, Lara donne une grande fête dans sa villa. Une trop grande fête. J'ai encore jamais pu me résoudre à y mettre les pieds. Tous les élèves de l'Académie y sont systématiquement invités, évidemment toutes les personnes populaires, mais surtout tous mes anciens harceleurs et harceleuses...
D'un air résolu, je déglutis :
- Oui, sérieusement.
Trop heureuse, Ambre me prend dans ses bras.
- Tu vas voir, ça va être super ! Même toi tu vas aimer ! Y a une piscine !! En plus, y aura tous les mecs les plus mignons de l'Académie !
Je grimace :
- C'est pas pour eux que je viens. C'est pour toi.
- Oui, oui, tu peux profiter des deux, tu sais ?
- Si ça m'intéressait ça se saurait. Je cherche pas quelqu'un en ce moment, j'aime bien être seule.
Suspicieuse elle m'observe tandis que je tâche de rester indifférente.
Elle aime beaucoup trop tourner en ridicule les groupies de Kyllian pour que je sois honnête avec elle un jour.
Ok, elle admet qu'il est attirant et qu'elle-même n'est pas totalement insensible. Mais c'est différent car, déjà, elle le connait bien, elle le voit presque tous les jours ! Et puis, ça ne lui fait pas pour autant oublier Bran.
Alors que "ces filles-là sont complètement stupides de perdre la tête pour un type qu'elles ne connaissent même pas !" Je ne risque pas de la contredire. J'en suis pas au point de rejoindre leur fan club et d'écrire son nom sur ma culotte comme elles, mais dans le fond je vaux pas mieux.
Les cousins d'Ambre, des Protecteurs affiliés à la défense du Domaine, finissent par nous rejoindre à l'entrée de l'Académie. Ils félicitent Ambre sans pour autant la porter aux nues, commentent sa prestation de manière technique, expliquent ce qu'elle aurait pu améliorer...
Assez vite, je n'ai plus ma place dans la conversation : ils interrompent chaque phrase que je tente de commencer.
C'est inconscient de leur part. Ils m'aiment bien, mais n'ont pas une grande estime pour moi. C'est souvent comme ça entre les sorciers les plus puissants, et nous autres enchanteurs bas de gamme. Mon bulletin scolaire n'aide pas, il faut dire...
Je leur faire signe que je m'en vais et les laisse tranquille, pour aller me poser au bord du petit étang, dans la forêt derrière l'école. C'est un coin calme, où on ne vient pas souvent me déranger. Il a moins de succès que l'immense lac, proche de la rivière, de l'autre côté du Domaine, où les étudiants aiment se baigner.
Machinalement, une fois installée, j'en appelle à mon Feu.
Je ne les vois pas, mais je sais que mes yeux à présent brillent d'une flamme azur. Je fais ensuite s'animer la surface de l'eau, sans la toucher.
Dans ma classe, ça leur prend toujours plusieurs longues secondes, parfois minutes, avant de parvenir à éveiller leur Feu. Puis ils luttent pour qu'il ne s'éteigne pas trop vite. C'est tout un art d'arriver à l'économiser, à le doser.
Chez moi, il s'allume aussi rapidement que chez un Protecteur. Et je n'ai aucun mal à le garder actif sur la durée. Je crois que c'était pareil pour mon père.
En contrebas, l'eau tourbillonne, prenant diverses formes de plus en plus hautes et épaisses.
Je me doute bien que je n'ai pas les aptitudes d'un Protecteur. Pourtant, j'ai le sentiment amer d'être un truc raté. Trop douée pour être une sorcière civile lambda, mais pas assez douée pour être autre chose.
Je comprends très bien le ressentiment qu'a éprouvé mon père toute sa vie.
La surface de l'étang à mes pieds commence à bouillir. Cela fait quelques temps que je joue à ça, à chaque fois que je viens. Et que je me demande si je serais capable de créer un geyser.
Je n'ai encore jamais osé essayer.
À chaque fois que je pousse un peu trop ma magie, puisant dans mon Feu, j'ai peur d'être déçue en découvrant que j'ai atteint sa limite. Je sais qu'elle surgira sans prévenir, tôt ou tard, si je continue d'aller toujours plus loin.
La frustration d'avoir été ridicule devant Kyllian, mêlée à celle d'aller perdre mon temps à la fête de Lara, se cumulent. Ça me décide à tenter le coup.
Trop vite, l'immense geyser se forme sous mes yeux, puis explose sans prévenir. Il m'aurait brûlée si, au même instant, mon instinct n'avait pas formé un bouclier tout autour de moi. J'ai été chanceuse d'avoir eu assez de Feu encore actif pour les deux. Je l'éteins aussitôt, et tout redevient calme.
Évidemment je m'en veux, et je me sermonne intérieurement. Ça aurait pu mal tourner. Pourtant, une petite voix en moi, un peu cachée, me souffle que j'étais sûre que j'y arriverais.
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