Chapitre 12

- Salut Ever.

Eh bah oui ! Bien sûr ! Bien sûr qu'on n'allait pas te laisser tranquille, t'as cru quoi ?

Je prends une bonne inspiration puis me résigne à lever le nez de mon carnet, me forçant à sourire :

- Salut Dylan... ça va ?

Dylan, c'est simple, c'est un enchanteur du même niveau que moi, mais en plus talentueux. Beaucoup plus talentueux. C'est aussi un grand blond, plutôt réussi, à la dégaine à fois stylée et sportive.

Il n'est pas dans ma classe, on n'est pas amis, on a juste quelques cours en commun, donc on s'est déjà adressé la parole deux-trois fois. Mais pas de quoi justifier qu'il vienne comme ça soudainement copiner avec moi.

Sauf qu'on sait tous très bien de quoi il vient me parler...

- Ça va, et toi ? répond-il en s'asseyant à côté de moi sans y être invité.

Il hésite à peine avant de tenter de me sourire d'un air complice :

- Alors... Kyllian, hein ?

Eh oui, même Dylan est une commère. Le monde est tombé bien bas...

- Bah écoute, apparemment ! je réponds à demi-sarcastique. Pourquoi ? Y'a un souci ?

- Non, non ! se défend-il. C'est juste... c'est assez inattendu. Et un peu soudain !

D'accord, mais qu'est-ce que ça peut te foutre ?

Bon. Je crois que je suis de mauvaise humeur aujourd'hui... Inspire Ever. Expire maintenant. Voilà. Bien. Tu peux répondre de manière posée.

- Oui, j'ai remarqué aussi ! je réponds donc d'un ton amusé.

Hum. Peut-être qu'il fait partie des jaloux dont parlait Kyllian. Ce serait un autre elfe planqué ? Un de ceux qui sauteraient de joie s'il savait ce qui s'est vraiment passé ?

Si c'est le cas, rien que pour emmerder Kyllian je pourrais presque tout lui déballer... mais j'ai trop honte. Honte d'avoir couché avec ce type par erreur, juste parce qu'on a chacun forcé sur la dose de médocs...

Dylan me rend mon sourire avant de me balancer :

- J'aurais jamais cru qu'il s'intéresserait à toi... Enfin ! Je veux juste dire que... enfin... vous n'aviez pas l'air proches du tout, poursuit-il en voyant ma mine défaite.

Je le laisse mariner quelques instants dans son embarras, puis je réponds avec une bienveillance exagérée :

- C'est vrai. Mais tu peux aussi dire carrément que c'est parce que tu me trouves moche, tu sais ? Faut pas te retenir, si ça peut te faire du bien ! T'inquiète pas, y'en a qui n'ont pas tes scrupules ici, ça m'a entraînée !

- Mais non, c'est pas ce que je voulais dire ! s'offusque-t-il.

Envolée, sa belle mine pleine d'assurance ! C'est déjà ça, au moins maintenant il ne me prend plus de haut.

- Je te taquine, respire.

- C'est juste que... Kyllian a toujours donné l'impression d'être très difficile, bafouille-t-il. Et après Ophélia...

- Personne n'arrive à la cheville d'Ophélia, ça, c'est sûr... mais, hé : peut-être qu'en fait... c'est juste un fétichiste des rousses ? je murmure. Et il a utilisé Ophélia comme diversion, pour brouiller les pistes, parce qu'il assume pas. En tout cas, c'est ma théorie.

- Haha ! Oui, peut-être ! rit-il avant de froncer les sourcils. T'es une marrante toi, en fait...

- Pas tous les jours, j'avoue sincèrement. Mais j'essaye. Tu l'aurais remarqué plus tôt si tu étais venu me parler avant que l'affaire Kyllian ne me rende soudain intéressante.

- Honnêtement, je te croyais un peu bête..., marmonne-t-il.

Mais décidément ! J'attire que des mecs agréables aujourd'hui !

- L'intelligence, ça n'a rien à voir avec la magie, tu sais ? C'est pas parce qu'on est nul en magie qu'on est complètement con...

- Oui, je sais ! Enfin bref ! C'est peut-être ça qui lui plaît ?

- Le fait que je sois une tanche en magie ? je réponds, arquant un sourcil sceptique.

- Non. Ton humour.

- Ah ! Euh, oui, possible. Je sais pas, on...

Je me retiens juste avant d'avouer qu'on ne s'est pas encore beaucoup parlé, Kyllian et moi.

Fais gaffe, Ever. N'en dis pas trop. Et contre-attaque.

- ...on débute tout juste la relation, je me rattrape avec agilité. Mais pourquoi la vie sentimentale de Kyllian t'intéresse tant ?

À nouveau, il semble embarrassé. Quoi... attendez une minute... ce serait pas plutôt un jaloux de moi, en fait ? C'est pour ça que ça l'intéresse ! Il en pinçait secrètement pour Kyllian et son superbe postérieur.

J'ai dit « superbe » ? Pardon. Je voulais dire « assez banal ».

Dylan se passe la main dans ses cheveux en tournant la tête vers l'arène.

- Je suis curieux, c'est tout. Et c'est plus sympa de penser à ça qu'à l'état des autres Protecteurs qui n'ont pas la chance de Kyllian de pouvoir se pavaner dès ce soir dans l'arène.

- Certes... mais on est en guerre, c'est normal qu'il reprenne déjà l'entraînement s'il est en état. C'est pour eux aussi qu'il fait ça, et pour nous ! je me surprends à expliquer, en reprenant un peu les mots de Kyllian.

Wow ! Mollo, la groupie ! Tu te rappelles quand même que c'est aussi un connard, oui ?

- Hum...

-  Et puis, si Kyllian s'en est aussi bien tiré, eux aussi ça devrait aller.

- Kyllian c'est un cas à part. Tu as vu à quelle vitesse il a guéri, alors que c'était le plus salement amoché de tous ?! Ce type est pas humain...

Ah. Vu ton ton mi surpris, mi amusé, finalement, t'es peut-être pas un elfe, toi. On va rester sur la théorie de l'amoureux secret.

L'arrivée de Kyllian dans l'arène m'évite d'avoir à trouver quoi lui répondre. Je prétends être soudain très enthousiaste, planquant en vitesse mon carnet dans mon sac. Vu combien cette relation est louche, j'ai intérêt à bien savoir donner le change !

Un sourire éclatant illumine donc aussitôt mon visage et je me lève de mon siège, l'œil humide.

Si vous avez un prix d'interprétation, et que vous savez pas quoi en faire : je suis là. Merci.

- À toute !

Comme pour Ambre,  je pars m'accouder au bord de la rambarde. Un coup d'œil en arrière me permet de constater que je n'intéresse plus Dylan qui part se poser ailleurs.

- KYLLIAAAAAAN ! WOUHOUUUU ! hurle alors une voix sur ma gauche.

Tout un groupe de filles, dont la brune de ce matin, s'est installé sur le côté de l'arène. Heureusement, aucune ne me prête attention !

Enfin, ça, c'était jusqu'à ce que Kyllian, ne se tourne vers moi pour m'adresser le sourire le plus chaleureux que j'ai jamais vu, les ignorant totalement. Je les sens crispées. Un peu comme le mien, de sourire.

Je ne sais pas exactement quel est mon problème, mais je ne peux empêcher mon petit cœur traître d'avoir un soubresaut. Mais c'est parce que lui aussi est un bon acteur, à le voir comme ça, on croirait qu'il est adorable, tendre, romantique...

Non. C'est un p'tit con. Rappelle-toi son autre regard, celui de ce matin... voilà. Regard étrangement proche d'ailleurs de celui avec lequel ses groupies me fusillent actuellement !

Je sais pas pourquoi elles sont comme ça. J'avais pas envie de tuer des gens juste parce qu'on était amoureux du même type, moi.

Enfin, je suis bien contente qu'on soit hors de l'arène, ça limite les dégâts. Ah ! Tiens ! Et Ophelia aussi est là, un peu plus loin. Elle non plus n'a pas l'air heureuse de me voir... Tant de nouveaux ennemis en si peu de temps ! Ambre me manque vraiment, j'ai hâte qu'elle revienne...

Luis entre à son tour sur le terrain. C'est un grand gars baraqué, le plus impressionnant des Protecteurs affiliés au Domaine.

Hé, mais ! Peut-être que Kyllian va se prendre sa raclée aujourd'hui ? Voilà qui rend soudain l'affrontement bien plus intéressant. Je croise les bras, bien décidée à secrètement encourager Luis.

Les deux hommes se mettent en position de combat. Kyllian a choisi comme arme une lance courte, à l'acier enchanté. Luis a pris deux sabres courts, ensorcelés. À vue de nez, je dirai qu'il part avec un avantage.

Ou que Kyllian chercher à crâner, allez savoir...

L'arbitre siffle et le combat commence aussitôt.

Je n'ai jamais osé venir admirer Kyllian lors de ses combats dans l'arène. J'avais trop peur de me trahir. Et aussi : moins je le voyais, plus je pouvais faire comme s'il n'existait pas, et moins je me sentais mal.

Je l'ai vu quelques fois se battre en entraînement, quand j'avais l'excuse de venir chercher Ambre, mais jamais face à un égal, et jamais dans un vrai combat.

Je me moquais de ses groupies qui l'aimaient sans le connaître, mais soyons honnêtes : elles avaient une longueur d'avance sur moi. Je comprends qu'elles aient succombé en venant ici ! Ce type est ahurissant !

Je n'ai jamais rien vu d'aussi gracieux, beau, hypnotique... et terrifiant. Tous ses mouvements sont un mélange impossible de légèreté, de précision et de force.

Je... mais attendez, mais ! Comment il fait ce truc, avec sa lance ?! On a l'impression qu'elle fait sa vie, revenant, s'éloignant, tournoyant en fonction de ses besoins. Mais non, c'est bien les mains de Kyllian qui décident.

L'autre truc que je ne comprends pas c'est : comment Kyllian fait pour ne prendre QUE des positions classes ? Comment c'est possible ça ? J'essaye de trouver la faille, ce moment où il aura l'air ridicule ou laid mais... ça n'arrive jamais.

Si je ne le connaissais pas, je retomberais amoureuse à l'instant même. Oui, ça n'a aucun sens, aucune logique, gnagnagna. « On ne tombe pas amoureuse d'un type juste en le voyant se battre ! C'est débile ! »

Meuf, je t'arrête tout de suite. Si tu penses ça, c'est parce que tu l'as jamais vu lui.

Mais je t'en veux pas, j'aurais dit exactement la même chose avant.

Luis n'est pas en reste. Souple, agile, puissant dans ses attaques... il lui donne pas mal de fil à retordre, au point que je me demande si c'est pas un planqué lui aussi... 'tain il m'a rendu parano ce con-là !

La magie se mélange subtilement à leurs tactiques martiales, sans jamais être directement utilisée contre l'autre. C'est interdit et réservé pour les monstres. Ici, elle ne sert qu'à chasser la fatigue, renforcer leurs coups, améliorer leurs déplacements...

Mais t'auras beau t'agiter dans tous les sens Luis, désolée, tu fais pas le poids.

Heureusement que c'est censé être juste « pour s'entraîner » , et que Luis n'est pas un monstre. Sinon je pense que sa tête aurait déjà volé par dessus les gradins.

Si Luis est adroit et expérimenté, Kyllian est tout bonnement plusieurs niveaux au-dessus. À tel point que même si je voulais essayer de les regarder l'un l'autre avec le même sérieux, ça m'est impossible. Je reste captivée à chaque fois que je m'intéresse aux mouvements de mon faux petit copain.

Et j'imagine que ça serait encore pire (ou mieux, selon les points de vue), si Kyllian hier soir avait lié son Feu à celui d'une elfe. La vache... à quel spectacle on aurait eu droit !

Je grimace, serrant les lèvres. Je m'en voudrais presque. Même si rien n'est vraiment de ma faute.

Le combat s'arrête quand Luis est désarmé, la lance de Kyllian pointée sur son cœur. L'arbitre siffle. J'ai même pas compris comment on en était arrivé là. Les groupies explosent de joie, crient son nom, applaudissent. Je tape des mains, mais avec un peu plus de modération

À mon grand étonnement, Luis se relève en riant, puis il s'exclame :

- Je pensais pouvoir enfin te vaincre vu l'état dans lequel t'étais hier... mais ce ne sera toujours pas pour aujourd'hui ! Tu t'es surpassé, mais, eh ! L'amour donne des ailes !

Oh, la tronche de Kyllian ! Cette petite grimace de gêne qu'il n'a pas su retenir ! Luis croit lui avoir fait un compliment, éventuellement une vanne, alors qu'il l'a tout bonnement insulté !

Haha, eh bah tant mieux. Je n'en souris qu'avec plus de franchise.

Les autres combats sont du même acabit. Je suis soufflée en voyant à un moment qu'Ophélia décide de l'affronter. Et elle se défend bien ! En fait, je crois même que c'est elle qui l'a le plus acculé !

Mais Kyllian demeure imbattable, comme moi je suis incapable de m'ennuyer à le contempler. Lorsque l'arbitre siffle la fin du combat, Ophélia se tourne vers moi, me jetant un regard qui me fait froid dans le dos.

J'espère qu'elle ne vient pas de faire l'étalage de ses capacités dans l'espoir de m'effrayer. Remarque, si c'est le cas, je pourrais lui dire que c'est réussi !

Au lieu de rester discuter avec ses amis, Kyllian range sa lance puis vient ensuite dans les gradins, droit vers moi, toujours avec son sourire factice. Je lui rends exactement le même.

- Alors ? Tu ne me félicites pas ? s'étonne-t-il une fois devant moi.

- Euh... si. Bravo. Youpi.

Il lève les yeux au ciel avant de demander.

- Il te reste une ou deux cacahuètes ?

J'attrape le paquet et lui lance en répondant d'un ton théâtral :

- Mieux que ça ! Elles sont toutes là ! Prends, homme affamé ! Accepte mes largesses et loue ma bonté !

Ma tirade a le mérite de lui arracher un rictus.

- Ça a l'air d'aller mieux, toi..., commente-t-il avant de croquer une cacahuète.

- Je viens juste de te voir te battre, je te signale. Ça a tué chez moi toute envie de te maltraiter. Je suis peut-être stupide, dépitée, ou en colère, mais pas folle...

Une seconde fois, il rit à ma remarque. Sans vraiment réfléchir, je tends la main pour lui ébouriffer les cheveux.

- Qu'est-ce que tu fais ? s'exclame-t-il avec méfiance.

- Je fais ma caution « couple » ! Tout le monde nous regarde, si on se touche jamais, ça sera un peu suspect...

- C'est toi qui ne veux pas qu'on se prenne la main... ou qu'on s'embrasse.

- Sérieusement, t'en aurais envie, toi ? je demande en plissant les yeux.

Il hésite avant de souffler :

- Honnêtement : non.

- Tu vois.

- Mais je peux me forcer, pour la forme...

- On subit assez comme ça, autant ne pas aggraver notre situation, hein ?

- Effectivement. Bon ! Je vais me doucher et me changer, on se retrouve tout à l'heure. Après ça, le plus dur sera passé.

- J'espère..., je réponds en jetant un œil aux groupies.

Elles me contemplent, prêtent à m'arracher la tête.

Je ne fais pas long feu dans l'arène dès lors qu'il s'éloigne. Si je me mets à courir jusqu'à la ménagerie, normalement, ça devrait décourager mes assaillantes, non ?

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