Chapitre 10
Tout le monde est encore en cours quand on arrive devant ma chambre.
Je pensais que Kyllian m'attendrait sagement dehors, mais non ! Il entre à ma suite, referme la porte derrière nous, puis commence à tranquillement farfouiller dans les papiers qui traînent sur mon bureau...
Ah bah super, mec, fais comme chez toi, hein ?
Bon, en même temps, vu comment je me suis incrustée chez lui hier soir... je ferais peut-être mieux de ne pas la ramener.
Je décide donc plutôt de l'ignorer en allant droit vers mon placard.
- C'est toi qui as dessiné ça ? me demande-t-il soudain.
Je jette un coup d'œil par dessus mon épaule. Au bout de ses doigts se balance une de mes feuilles de cours d'enchantement où j'ai crayonné un dullahan, un monstre squelettique assez rare et terrifiant.
- Maintenant, tu sais pourquoi je suis nulle en cours d'enchantement..., je plaisante avant de retourner fouiller dans mon tiroir à sous-vêtements.
Ne pas oublier le soutien-gorge cette fois, ni les chaussettes.
- Tu dessines plutôt bien...
Voyant que je ne réponds pas, il répète :
- J'ai dit que tu dessinais plutôt bien.
- Désolée, j'attendais que tu finisses ta phrase ! Je croyais que tu allais ajouter un truc désagréable. Mais merci.
Il lâche un soupir morne. Je m'occupe maintenant de me prendre une chemise, une jupe et une cravate propre. Je pivote pour aller à la salle de bain, quand il constate, toujours du même ton anodin :
- Tu aimes bien lire, on dirait...
Il est maintenant en train de contempler ma petite bibliothèque, fatalement surchargée, où j'ai entassé un maximum de bouquins au point de la faire menacer d'exploser.
- Non, j'aime juste beaucoup l'odeur du papier, je marmonne avec ironie en m'enfermant dans la salle de bain.
- Ever..., je l'entends malgré tout appeler depuis l'autre côté de la porte. Si tu es incapable de me parler autrement qu'en faisant du sarcasme, on va vite avoir un problème. Tu m'as bien dit que tu pouvais être réfléchie et responsable, non ?
À mon tour de soupirer, avant de répondre :
- Je ne voyais pas quoi te dire d'autre... Évidemment que j'aime bien lire, sinon j'aurais pas tous ces bouquins !
- Je m'en doute, mais j'essayais de lancer une conversation. Tu sais, pour faire un peu connaissance ?
Après avoir déposé mes affaires sur mon panier de linge sale, je rentre dans la cabine de douche en lui criant :
- C'est pas la peine puisqu'on n'est pas amis. Je ne suis que ta petite amie, ou plutôt ton plan cul donc, que tu ne vois que pour ça ! Tu sais bien ?
- Qu'est-ce que je viens de dire sur le sarcasme ? persiffle-t-il.
- Que c'est difficile d'y échapper quand on parle avec un idiot ? je propose innocemment, juste avant de lancer le jet d'eau chaude à pleine puissance.
Très bien, comme ça, je ne l'entends plus !
Malheureusement, je ne peux pas rester éternellement sous la douche.
J'espère qu'il s'est bien fait chier à m'attendre, mais quand je ressors, Kyllian est à présent installé sur mon lit, à feuilleter un de mes carnets à dessin.
Je suis contente d'avoir toujours pensé à gommer, juste après, chaque portrait que j'ai pu faire de lui.
Bien joué, Ever du passé ! Pour une fois, je suis très fière de toi !
Il ne fait plus de commentaire, mais arbore de temps en temps un sourire au coin des lèvres. Ça doit être quand il tombe sur mes courtes bande dessinées.
Il y en a des totalement imaginaires, d'autres inspirées de la vie réelle. Si certaines sont particulièrement noires, la plupart sont comiques... ou en tout cas, j'essaye. Ça aide à décompresser.
Il finit par relever la tête sur moi en déclarant :
- Tu es plus intéressante que tu en as l'air à première vue.
- Ok, je réponds en attrapant mon sac de cours. Et sinon, je suis prête. On peut aller à l'infirmerie maintenant ?
- Tu n'as vraiment pas envie de faire d'efforts, râle-t-il en remettant le carnet à sa place.
- Pas dans l'immédiat, non. Là, j'ai juste envie qu'on me foute la paix...
Et de ne plus te voir, aussi.
- Bon, bon... Allons-y, alors !
Sur le chemin, on croise quelques élèves qui se rendent à leur prochain cours. J'avance en regardant bien mes chaussures, faisant mine d'ignorer que le grand, le beau, l'irrésistible Kyllian marche derrière moi, mains dans les poches.
Quelques regards furtifs sur les côtés m'apprennent que les autres, en revanche, n'ignorent rien du tout...
Quand on passe les portes de l'infirmerie, Lyra fait un bond :
- Ça alors ! Kyllian !! On me l'avait dit, mais je n'y croyais pas ! Tu es déjà debout !
- C'était juste des égratignures, crâne-t-il tandis que je me retiens de rouler des yeux.
- Tu as besoin de quelque chose ? Tu as encore mal quelque part ? Rylee n'est pas là ?
- Je vais parfaitement bien. Ce n'est pas pour moi que je suis là, c'est pour elle.
Alors seulement, elle me remarque.
- Ever ? Ça ne va pas ?
Je passe sous silence ma quête d'hier après le wyvern et comment j'ai atterri chez Kyllian. Mais je lui explique quand même que son médicament m'a fait délirer.
Elle m'examine soigneusement pour vérifier que tout va bien. Puis elle se frotte plusieurs fois le menton, perturbée.
- C'est étrange... c'est la première fois que j'entends parler d'hallucinations auditives comme effet secondaire. Les bouffées de chaleur ou les étourdissements, c'est rare, mais ça peut arriver. Mais ça... tu es sûre que tu n'avais rien avalé d'autre d'inhabituel ce soir là ?
- Sûre.
- Hum... bon. C'était mon petit assistant qui m'avait aidé à faire le mélange, il l'avait peut-être trop chargé. Il serait peut-être plus prudent que tu restes dormir à l'infirmerie ce soir, qu'on puisse te surveiller.
- S'il s'agit juste de la surveiller, je peux m'en occuper, intervient Kyllian.
- Oh ? s'étonne Lyra, papillonnant des yeux, son regard faisant plusieurs allers-retours sceptiques entre lui et moi.
Oui, ça va être compliqué de faire croire à cette histoire...
- On avait prévu de passer la soirée et la nuit ensemble, de toute façon..., affirme pourtant tranquillement Kyllian avec un aplomb décontracté.
Il se tourne vers moi, m'adressant un adorable sourire :
- C'est bien ce qu'on avait dit, non ?
Gnagnagna, mais bouffe tes dents bien blanches !
- Oui, on avait dit ça, je confirme mollement. Soirée élimination des points noirs et tricot, j'ajoute en lui rendant son sourire.
Lyra nous observe avec incertitude, avant de déclarer :
- Bon ! Eh bien... voilà un mot d'excuse pour ce matin. Apporte-le à Gwen. Tu peux partir.
- Je vais en cours aujourd'hui ? je demande d'une petite voix.
Non, mais... on ne sait jamais...
- Écoute, pour l'instant, tu as l'air en pleine forme alors je ne vois pas de contre-indication. Si jamais tu te sens de nouveau mal, repasse par l'infirmerie.
- D'accord, tant pis..., je souffle dépitée.
Une fois dans le couloir, Kyllian commente avec dédain :
- T'es sacrément fainéante.
- C'est pas ça ! je proteste. J'ai enchantement mineur toute la journée... je m'ennuie dans cette matière.
- Essaye de suivre au lieu de dessiner, peut-être que tu t'ennuieras moins.
- La vache, qu'est-ce que t'es chiant en fait..., je souffle en le dévisageant.
Il s'arrête alors au milieu du couloir, passablement énervé, pour m'attraper le bras en crachant :
- On est en guerre, Ever ! Ça t'a peut-être échappé parce que tu as la chance de te la couler douce pendant que d'autres se sacrifient, mais c'est le cas ! Alors même si tes capacités sont limitées, au moins par respect pour ceux qui te permettent de vivre tranquille ici, tu pourrais essayer de te donner à fond et faire de ton mieux en classe !
Oh. Ah. Oui... c'est vrai que je n'avais jamais vu les choses comme ça...
- Oui... désolée..., je m'excuse platement en détournant la tête.
La vérité, c'est que je ne peux pas faire de mon mieux en classe. Mais ça, ce serait trop long à lui expliquer.
- Apporte ton mot à Gwen et va en cours. Je m'occupe d'aller voir le proviseur. Ne raconte à personne que tu t'es retrouvée dans ma chambre cette nuit. La version officielle, c'est que tu me plaisais et que ça faisait quelques temps que j'hésitais à t'aborder. Alors vu que j'ai frôlé la mort dernièrement, j'ai décidé de franchir le pas une fois remis.
- C'est extrêmement crédible...
- Si tu as mieux, je t'écoute ?
- Eh bien, on s'est croisés ce matin dans un couloir alors que j'hésitais à aller en cours, suite à ma... mauvaise nuit. J'étais pas bien, donc tu m'as accompagnée à l'infirmerie. Fin.
- Et à quel moment on sort ensemble ? me demande-t-il, perplexe.
- Jamais.
- On en a déjà parlé, on ne va pas revenir là-dessus...
- On en a parlé, mais j'ai jamais dit que j'étais d'accord. Je veux bien qu'on se voie souvent, mais je ne veux PAS qu'on dise qu'on est ensemble !
- Mais c'est quoi le problème ?! Les trois-quart des filles ici rêveraient de faire croire ça !
Mais il est insupportable...
- Oui, bah pas moi !
- Mais on EST ensemble, Ever ! Que tu le veuilles ou non ! Même si ce n'est pas sur un plan romantique ! Et je te l'ai dit : je ne veux pas que certains soupçonnent ce qui s'est vraiment passé ! On m'emmerde suffisamment au quotidien ! J'ai pas besoin de ça ! Qu'est-ce que ça te coûte franchement, de mentir là-dessus ?
Il n'a pas l'air de se rendre compte des conséquences. C'est pas seulement que ça me dérange de mentir, ou de prétendre être la petite amie d'un mec que je méprise.
C'est qu'en plus, ça va m'attirer les foudres de ses groupies. Et ça : non merci !
J'ai assez donné quand je suis arrivée ici ! Ça fait trois ans qu'on a oublié mon statut de petite nouvelle et qu'on me fout enfin - à peu près - la paix... juste si on oublie Thaïs.
Donc j'ai vraiment pas envie que ça recommence maintenant !
Sauf que j'ai trop honte pour en parler. Je me doute bien qu'il va trouver ça ridicule si je lui explique que j'ai peur de me faire taper par ses fans...
- J'ai pas envie, c'est tout..., je bougonne donc. Ça me gêne.
- Tu t'y feras ! décide-t-il comme si je n'étais qu'une gamine capricieuse. Bon, j'y vais. Je te retrouve ce soir après les cours, évite de traîner !
Et il tourne les talons, furieux, sans me laisser bien sûr l'occasion de le contredire.
Va crever, Kyllian. Tu sais quoi ? Pars en mission, et crève bien !
Attends...
J'ai un doute là...
Il n'aura pas besoin que je sois aussi dans les parages quand il sera en mission quand même...
...si ?
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