Chapitre 1

- Une banshee... ? Mais pourquoi c'est une banshee?!

Se figeant juste devant les grilles de l'arène,Ambre me jette un coup d'œil inquiet.

L'élève précédent finit d'affronter unsimili-merrkan. Pendant ce temps-là, Mr. Byrne prend mollement desnotes à côté de la créature qu'Ambre devra affronter pour sonépreuve : une simili-banshee.

La plupart des professeurs ici ont beau êtresadiques, ils n'ont pas encore le droit d'envoyer de vrais monstressur leurs élèves. Même si je suis à peu près sûre qu'ils ontessayé plusieurs fois d'obtenir l'autorisation de la part duproviseur. En attendant que ce jour arrive, on se contenteheureusement de simulations. Enfin "on"... je veuxdire : ceux qui étudient pour devenir Protecteurs.

- C'était au programme ? C'était pas auprogramme !! me souffle finalement Ambre, paniquée. On a pas faitles banshees cette année ! Si ? Non ?? Merde ! J'ai tout préparésauf ça ! Je vais tout foirer, j'en suis sûre que je vais meplanter !

Bon. Je la connais depuis assez longtempsmaintenant pour savoir comment gérer ce genre de situation. Je luioffre donc mon regard le plus serein et j'annonce telle une vénérableprophétesse qui siège en haut de sa montagne :

- Non. Tu vas réussir haut la main. Tu vas mêmetellement bien t'en sortir que tu vas battre un record. On s'en foutque t'aies pas préparé ou que ça soit pas au programme de cetteannée, tu connais tous les monstres par cœur...

Ambre est sans doute la meilleure élève del'Académie. Vu comme ça, ses crises de panique avant chaque épreuvepeuvent paraître ridicules. Mais le truc c'est qu'elle a des parentsultra perfectionnistes. Il faut voir la pression qu'ils lui mettent,et combien ils sont avares en compliment. De quoi faire douter leplus talentueux des membres de l'Académie. À cause d'eux, lemoindre examen déclenche systématiquement chez elle des crisesd'angoisse totalement irrationnelles.

Je poursuis toujours sur le même ton apaisant, nela quittant pas des yeux :

- ... et même si tu ratais cette épreuve,tu validerais ton année et tu finirais première avec une bonnelongueur d'avance sur tout le monde. Et on te féliciterait quandmême. Parce que tu as le droit de rater. Personne denormalement constitué n'est parfait. Pas même tes parents.

Sauf Kyllian. Kyllian est parfait. Mais jem'égare.

- Oui, t'as raison...

Ses épaules se détendent et sa crise de paniquedisparaît aussi soudainement qu'elle est apparue. Redressant lementon, elle commence à regarder la banshee non plus comme unesource d'inquiétude, mais comme sa proie.

Quelle classe elle a, quand même ! Je parled'Ambre, hein. Pas de la banshee. La banshee ressemble à rien. MaisAmbre... Grande, blonde, athlétique, et dotée de flamboyantscheveux d'un miel doré totalement assortis à l'iris de ses yeux.Dans une légende ancienne, elle aurait très certainement été unefée ou une elfe. Enjouée, sociable, chaleureuse, bienveillante, etpresque autant impétueuse que courageuse : c'est difficile de ne pasl'adorer. À côté d'elle, fatalement, je fais un peu tache.

Bon. J'admets. Même à côté de personneje fais tache. Depuis que je suis ici, surtout.

Largement plus petite que la moyenne et habituéeà raser les murs, dites-vous que j'ai des cheveux qui arrivent àêtre ternes alors même qu'ils sont roux. Je sais pas comment jeréussis cet exploit. Quant à mes yeux, ils ont tenté d'être bleusmais la vérité c'est qu'ils sont plus proches du gris. J'aimeraisvous dire que j'ai une peau si pâle qu'on dirait de l'albâtre, maisje rosis si facilement que ça serait plus honnête de comparer monteint à celui d'un bébé cochon après un marathon.

En parlant de marathon, j'imagine que j'aurais puau moins avoir un physique sportif, avec de meilleurs gênes. Çan'aurait pas fait de miracle, mais ça m'aurait peut-être aidée àêtre un peu plus respectée au Domaine. Mais non, je suis de lafamille de ceux qui font facilement des réserves pour l'hiver et quiont beaucoup de mal à s'en débarrasser.

Côté scolaire, c'est pas non plus là où jerisque de rattraper ma meilleure amie. Je suis dans la moyenne laplus basse des Enchanteurs. Ce qui me sauve de l'échec total, c'estles matières qui n'ont aucun rapport avec la magie. Donc celles quine sont pas franchement les plus considérées à l'Académie.

Et enfin, côté social... bon bah là, je suis unvéritable désastre. Tout le monde aime Ambre ici. Mais si tout lemonde ne me déteste probablement pas (enfin j'espère), personne nem'apprécie particulièrement. À part elle.

Vous vous dites peut-être que j'exagère letableau, que je ne suis sans doute qu'une ado banale comme tantd'autres : eh bah écoutez, franchement, j'aurais bien aimé.Ça m'aurait évité de me faire harceler toute ma première année.Avant qu'on fasse connaissance avec Ambre et que son amitié nedissuade mes harceleuses de continuer. Sans ça, je crois pas quej'aurais tenu longtemps à l'Académie.

Je ne sais toujours pas officiellement pourquoi ons'en est pris à moi. Peut-être parce que je ne mérite clairementpas ma place dans ce lieu dédié à l'excellence, où mon oncle m'afait entrer en usant de son statut. Ou c'est peut-être parce que jesuis la meuf chelou qui parle pas et qui dessine toute seule dans soncoin. La meuf trop renfermée, trop marginale, pas assez cool...

Peut-être qu'on a pas assez de diversité àl'Académie pour que la tolérance y règne : les trois-quarts desélèves sont des rejetons de familles importantes et renommées, oudes surdoués de la magie, ou les deux.

En tant que plouc médiocre débarquée d'un bledpaumé dont personne ne connaît le nom et qui a été rasé de lacarte de toute façon, je suis une anomalie ici. Dès mon premierjour à l'Académie, il y a ceux qui m'ont harcelée, et ceux qui ontfait comme si je n'existais pas. J'ai vite arrêté d'essayer desympathiser avec ce beau monde, ça ne servait à rien. Ce n'est pasnon plus comme si j'en avais désespérément besoin. Et de toutefaçon Ambre a fini par arriver et ça me suffit.

Les mauvaises langues aiment bien raconter quemême Ambre n'est pas véritablement mon amie, qu'elle ne m'a choisieque pour que je lui serve de faire-valoir. Sauf qu'il faut êtrecomplètement con pour penser un truc pareil. Ambre est une personneentière, franche, empathique, avec un cœur en or. Heureusement quela manipulation et l'hypocrisie ne sont des disciplines au programme,sinon pour la première fois de sa vie elle aurait des mauvaisesnotes.

Alors oui, c'est sûr, on a beaucoup dedifférences elle et moi, on ne s'entend clairement pas sur tout, etje ne suis même pas sûre qu'on soit complémentaires. Mais ça nechange rien à l'affection sincère qu'on éprouve l'une pourl'autre. C'est pour ça que je suis venue l'encourager aujourd'hui, àchacune de ses épreuves, même si on va pas se mentir : j'auraislargement préféré rester tranquille dans ma chambre.

Pour cette dernière épreuve qui clôt lajournée, il y a pas mal de monde dans les gradins : des parents, desfrères et sœurs de candidats, mais aussi pas mal de curieux etquelques enseignants... Depuis ce matin, je ne peux m'empêcher dechercher du regard, avant chaque passage d'Ambre, si Kyllian est là.C'est une de ses élèves les plus talentueuses, j'aurais cru qu'ilse déplacerait au moins pour elle. J'avais espéré (trèsfortement, si je dois être honnête), qu'il se déplacerait...

Mais non.

- Ever ? Tu cherches quelqu'un ?

- Non non, personne.

Oui, je mens. À ma meilleure amie. Je suis aucourant, merci. Mais Ambre a beau être ce qu'elle est, je suisincapable de lui avouer que je suis amoureuse de Kyllian. C'estbeaucoup trop honteux.

Déjà, à l'Académie, quasiment toutes lesfilles sont folles de lui. Et pas que des élèves, hein. Si ondevait être exact : c'est même la plupart des filles au Domaine quisont sous son charme, ainsi qu'une portions des garçons, ne nousvoilons pas la face. Kyllian est notre star locale. Donc oui, j'aihonte d'être tombée dans le panneau moi aussi. Parce que quand toutmonde est amoureux du même type, c'est tout de même un peu louche.

Après, pour ma défense, Kyllian a de lourdsarguments en sa faveur. Oui, il est beau et sexy, sexy et beau, maisça c'est une évidence. Bien sûr qu'il est grand et que ses traitssont harmonieux, finement dessinés. Avec des proportions idéales.Bien sûr que ses muscles sont saillants et ciselés, ça va sansdire. Mais ça, vous vous en doutiez déjà et ça n'a rien de trèsoriginal chez un Protecteur.

Non, au-delà de ça, il y autre chose. Je ne saispas si c'est son charisme, son regard, sa présence... mais il y aquelque chose en lui, quelque chose d'intimidant qui vousterrifierait presque si ce n'était pas aussi envoûtant. Et puis,bon, si jamais vous avez un petit faible pour les bonnes situationsou les lignées prestigieuses : Kyllian est le futur héritier duDomaine, créé par ses ancêtres et dirigé par sa glorieuse familledepuis son origine.

Bien sûr, parce que ce n'était sans doute passuffisant, c'est aussi notre meilleur mage-combattant. L'Académien'a jamais connu un tel prodige : il n'a que vingt ans, mais ça faitdéjà six ans qu'il a rejoint les Protecteurs. Il est mêmetellement en avance qu'il donne des cours aux côtés d'enseignantsaguerris qui ont le double de son âge.

C'est pas une star pour rien.

La rumeur dit qu'il a du sang elfe, que c'est pourça qu'il est aussi talentueux (et beau). Fallerias n'a jamais connude plus grands mages que les elfes, dont le Feu intérieur - lasource de la magie en chacun de nous - est le plus puissant de tous.

Oui, mais non. Il suffit juste d'avoir un peusuivi pendant les cours d'histoire pour savoir que cette rumeur netient pas debout. D'abord, depuis le temps que l'espèce elfiques'est éteinte, même si Kyllian avait encore du Feu elfique en lui,il n'en resterait quasiment rien tellement il se serait dilué au fildes siècles. Mais surtout, contrairement aux fantasmes de certains :les elfes ne se sont jamais mêlés à nous. Nos deux espècesn'étaient pas compatibles.

Alors pourquoi, si les elfes étaient si forts,c'est nous qui avons survécu au fil des millénaires, et non eux ?Chacun y va de sa théorie, mais officiellement personne n'a laréponse. Cependant, on a bien une petite idée. Au moins en partie.

Si j'ai tout compris : lorsque les elfess'accouplaient, ils mêlaient instinctivement leur Feu à celui deleur partenaire. C'était un phénomène magique qui les rendaitencore plus puissants, certes, mais qui les liait aussi pour la vie àleur partenaire. Donc s'ils étaient amenés à le perdre, ilsdépérissaient à leur tour. Pas ouf.

J'imagine qu'entre ceux qui sont morts à cause deça, et ceux qui ont préféré rester seuls pour éviter de finirpareil... ça n'a pas dû trop aider à sauver leur espèce del'extinction. Pendant que les humains, eux, proliféraienttranquillement à droite à gauche.

Enfin, pour en revenir à Kyllian, ce qui estcertain c'est que malgré toutes ses qualités, il demeure humain.Les autres mages sont simplement trop jaloux de son talent - et deson succès auprès de la gente féminine - pour arriver àl'admettre. Alors ils inventent ce genre d'excuses à la con. D'unecertaine manière, je partage leur agacement. Être attirée par cetype alors que je ne le connais quasiment pas, c'est très énervant,je suis plus rationnelle que ça d'habitude.

J'ai d'ailleurs tout fait pour essayer de passer àautre chose. J'ai essayé de me raisonner, de me dire que j'aimais unfantasme. Ça n'a rien changé. J'ai eu des petits copains, bienréels, eux... mais non. Impossible de m'attacher, impossible dedévelopper pour eux un dixième de ce que j'éprouve bien malgrémoi pour Kyllian.

La première fois où j'ai posé les yeux sur lui,j'avais douze ans. Je venais d'arriver au Domaine, le bastion demages le plus vaste et le plus prestigieux de Fallerias. Je neconnaissais personne ici à part mon oncle, Oisin. Vu que je venaisde perdre mes parents, Oisin n'a pas osé m'abandonner tout de suitepour repartir en mission.

J'ai passé mes premiers mois à Falleriasenfermée dans sa minuscule maison, à lire, à écouter de lamusique, à dessiner... sans jamais vouloir sortir. Certes, je suisde nature plutôt casanière, mais avec le recul... je crois quej'étais peut-être bien non seulement en dépression, mais aussi enchoc post-traumatique.

Puis ça a été le jour de la fête du Domaine.Mon oncle a réussi à me faire mettre les pieds dehors, en metraînant au grand spectacle organisé par l'Académie.

C'est là que j'ai vu Kyllian pour la premièrefois. Sur scène. Majestueux. Féroce. Il interprétait un de noshéros légendaires : Arthalain. Le premier Protecteur. Celui qui arepoussé, il y a dix-mille ans, les monstres au-delà de nosfrontières. Celui qui a planté son épée dans le sol et, à laseule force de son Feu, a créé la gigantesque Fissure qui noussépare des terres désolées peuplées par nos ennemis. Ou entout cas, c'est ce qu'on raconte.

J'ai regardé Kyllian se mouvoir avec prestance,attirée malgré moi.

Juste après le spectacle, je n'ai pas arrêtéd'essayer d'en découvrir plus sur ce brun typiquement ténébreuxqui, bien sûr, était en plus solitaire. Complètement mon type.J'ai toutefois bien vite compris que mes espoirs étaient vains. Etque j'étais loin d'être la seule à lorgner sur lui !

Malgré tout, c'est sa présence ici qui m'amotivée à sortir de chez mon oncle, et à accepter d'entrer àl'Académie. Oisin refusait que j'aille ailleurs de toute façon :c'est là où il avait étudié, il n'y avait pas mieux, et puis avecson poste de chercheur à l'institut domaniale, il ne tolérait pasque j'aille dans une école inférieure, comme "n'importe qui".Sauf que je suis n'importe qui... m'enfin bref. Mes sentimentsstupides et imaginaires n'ont plus changé depuis ce jour.

Et je me déteste pour ça.

Je me déteste pour ne pas faire exception. Pourêtre irrationnelle en entretenant une obsession aussi malsaine.

Il faudrait vraiment que j'arrive à tourner lapage. Parce que j'en ai marre. J'en ai marre d'avoir le cœur àl'envers dès qu'il apparaît, et de finir par aller m'enfermer dansles toilettes pour chialer parce que je sais bien qu'on ne serajamais ensemble. J'ai quel âge, six ans ?? J'en ai marre de ne vivreque pour lui, alors qu'il sait à peine que j'existe. Où est passémon putain de cerveau ?!

C'est au tour d'Ambre d'entrer dans l'arène.Chassant mes pensées pourries, je l'encourage :

- Allez ! Montre-leur ce que tu sais faire !

En un claquement de doigts, elle éveille son Feu.Ses yeux brillent soudain, aussi lumineux que des braises. Elle prendune grande inspiration, referme la main sur son épée, puis entredans l'arène. Évidemment, son appréhension s'est envolée,remplacée par une solide détermination.

Elle s'élance, leste, contre la banshee. Jem'avachis un peu sur mes coudes, contre le bord de l'arène. Vousaurez peut-être du mal à le croire, mais j'aurais bien aimé suivremoi aussi la voie des Protecteurs. Je ne suis peut-être pas la plussportive de l'Académie, mais remplacez le sport par du combat avecde la magie et de la stratégie, et surtout ajoutez à ça le butultime de protéger notre monde des monstres, et vous trouverezdifficilement plus motivée que moi.

En vrai, je ne suis pas la seule. Être uncombattant d'élite, un héros adulé par tous, ça a de quoi enfaire rêver plus d'un. Mais bien rares sont ceux qui ont la trempeet le talent nécessaire pour réussir. Ce n'est pas pour nous,comme me l'a répété assez de fois mon oncle.

Alors je suis le cursus général, commel'écrasante majorité des mages. Le cursus chiant. Tu m'étonnes queje sois pas motivée dans la vie...

À côté des matières de connaissance générale,j'enchante le matériel du quotidien. J'apprends à utiliser, répareret entretenir des objets magiques. J'apprends à en créer aussi.C'est essentiel : presque toutes nos technologies fonctionnent à lamagie, il est essentiel d'avoir les bases. Tous les humains n'ont pasforcément assez de Feu en eux pour devenir mages plus tard, mais ilsen ont forcément assez pour utiliser des objets magiques.

Donc c'est le tronc commun qu'on fait tous, avantde se spécialiser ensuite pour ceux qui ont de quoi devenir mages.Sauf les meilleurs donc, qui suivent la voie des Protecteurs dèsleur plus jeune âge et n'étudient que certaines rares matièresavec nous.

Autant la connaissance générale (languesanciennes, sciences, arts...) ça passe et c'est même plutôtintéressant, autant je m'ennuie dès qu'on en vient concrètement àl'enchantement. Et je trouve ça pénible.

Pas parce que je lutte, mais au contraire, parceque tout est un peu trop facile et qu'il ne faut surtout pas que çase voie. Je lutte plus pour foirer mes résultats de manièrecrédible, que pour réussir les exercices qu'on me donne. Une autrechose que mon oncle m'a apprise : faire profil bas, ne pas attirerl'attention par erreur sur moi. C'est ce qui a perdu mon père.

C'était un mage plus doué que la moyenne, plusdoué avec son Feu que la moyenne, si bien que tout le monde a cruqu'il avait les aptitudes pour devenir Protecteur. Quand il a dûfinalement retourner dans le cursus civil, parce qu'il n'arrivaitplus à suivre, mais refusait de rester dans l'armée à un autreposte, il en a conçu une aigreur qui l'a hanté toute sa vie. Et quinous a tous mis en danger, lui, ma mère et moi. Parce que jusqu'àla fin, il s'est cru plus fort qu'il n'était.

Je ne ferai pas la même erreur. Je me cantonnedonc gentiment à des notes un peu en dessous de la moyenne. Il n'y aque dans les matières non magiques où, quand elles m'intéressent,je peux me permettre d'obtenir de bonnes notes. Histoire de pas nonplus totalement achever mon estime de moi qui n'est déjà pas entrès grande forme. Ce serait mauvais pour le moral et il va assezmal comme ça.

Vous savez ce qu'il y a d'autre de mauvais pour lemoral ? Le fait qu'Ambre ait dix-huit ans et donc que, à la fin del'année, elle quittera le peu de cours qu'on a encore en commun pourse consacrer intégralement à sa formation de Protectrice. Ellecommence déjà cette année à avoir des entraînements plusieursjours hors du bastion. L'année prochaine, ce sera plusieurs mois. Etpeut-être même qu'elle sera à la fin déployée à l'autre bout deFallerias.

De mon côté, je ne sais pas encore dans quoi jeme spécialiserai après le diplôme général. En tant que mage, jesuis censée choisir quelque chose où mon don est utile, et en tantque fille et nièce de militaires, on m'encouragerait sans doute àbosser dans un bastion.

Mais si je choisis un boulot plutôt pournon-mage, mon oncle m'en voudra pas. Tant que je choisis autre chosequ'artiste. Il sait que j'aime dessiner, et que je dessinerai toutema vie, mais il est hors de question pour lui que je fasse de l'art,c'est "pas un vrai métier ça et ça te fera pas vivre".

La plupart de nos artistes sur Fallerias sont desgens avec assez de moyens et de bonnes relations pour se permettrecette voie. Pas trop mon cas...

À part ça, j'aime bien prendre soin des animaux,magiques ou non. Je me sens mieux au milieu d'eux qu'avec les gens engénéral. Je pourrais faire le même boulot que Noctia, laresponsable de notre ménagerie. Ou bosser dans son équipe desoigneurs. Elle m'y encourage régulièrement. Normal, vu comment jeviens déjà tout le temps l'aider. À défaut d'être la voie de mesrêves, c'en est une où je verrai pas le temps passer, où je mesentirai pas mal, et où on me fera pas trop chier.

Mais le mieux, ce serait que je quitte le Domaine.Comme ça, au moins, je finirai par oublier ma ridicule attirancepour un gars qui ne sait même pas comment je m'appelle !

Il faut que je me trouve une formation, quelquepart loin d'ici.

Jusqu'à présent, à chaque fois que j'y pensais,mon cœur commençait à se fendiller et je repoussais l'idée. Maisil faut que ça change. D'ici l'année prochaine, j'espère avoirmûri assez, soit pour oublier Kyllian, soit pour arriver à prendrela décision de partir.

- Bouge ton gros cul, Ever ! Tu bloques le passage!

Ça, c'est Thaïs. Elle a largement la place de sefaufiler derrière moi. Je peux pas m'empêcher de marmonner :

- J'ai pas un gros cul...

Parce que je n'ai pas un gros cul, ok ?C'est juste que je suis cambrée, c'est tout. Il est rebondi.Peut-être. Mais il n'est pas gros. Et de toute façon, où serait leproblème s'il l'était ? Bon...

- T'as dit quoi ?! exige-t-elle aussitôt d'un tonagressif.

- Rien...

Mieux vaut ne pas répondre à ses provocations,ça m'a valu plusieurs hématomes la dernière fois.

- Bouge ! ordonne-t-elle plus fort.

J'obéis. Je quitte le rebord de l'arène pouraller m'asseoir quelques pas en arrière, dans les gradins. Tant pis,j'encouragerai Ambre plus fort pour qu'elle continue de m'entendre.

Thaïs passe devant moi avant de rejoindre sesamies, me dévisageant comme si j'étais une énorme verrue. Je luiai jamais rien fait, elle a juste quelque chose contre les gens...socialement un peu décalés, disons. Contre les moches pauvres etsans statut social prestigieux, aussi. Et puis contre les nerdsintrovertis et impopulaires. Avec moi, elle a fait un strike.

Bien vite, Ambre sort victorieuse de son examen etvient me retrouver, exultante.

- J'ai réussi !!

- Sans blague ?

Je me lève d'un bond pour la féliciter plussérieusement, quand je remarque qu'une curieuse agitation parcourtles gradins. Des sorciers se mettent à dévaler soudain les marchesen trombes pour aller prévenir, les uns des professeurs, les autresdes Protecteurs présents dans le public.

Des cris d'effroi et des exclamations de surprises'élèvent alors tout autour de nous. Les parents d'Ambre nouscherchent immédiatement du regard, alarmés.

- Qu'est-ce qui se passe ? me demande Ambre,fronçant les sourcils d'inquiétude.

- Aucune idée...

Caleb fonce finalement droit sur nous, les yeuxexorbités.




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