Voie lactée.
« Nous tout c'qu'on veut c'est être heureux,
Etre heureux avant d'être vieux
On n'a pas l'temps d'attendre d'avoir trente ans ».
Fhin, Quand on arrive en ville.
Je ne savais pas à quoi réellement m'attendre. Mais il me sembla que Koïwenn et moi n'étions que deux êtres très différents vivant sur le même espace de l'univers ; mais qu'il était nécessaire pour nous d'avoir une conversation sous les étoiles. « L'appel des astres » pensais-je, en enfonçant des écouteurs dans mes oreilles.
Il devait être vingt- heures du soir, et je m'assis à la table de la terrasse d'un petit café. Seuls quelques clients m'entouraient ; tant mieux. J'écoutais une musique douce d'Aretha Franklin qui sonnait dans mes tympans, et commençai à lire l'un de mes livres que je portais toujours avec moi. M'immisçant dans les mots, je commandai un chocolat chaud, qui allait me réchauffer la gorge avec ce froid qui commençait à s'installer dans la ville, comme le témoignaient les lampadaires qui s'allumaient déjà sous ce ciel obscur.
Alors que ma lecture se faisait intense, que j'entrais dans les phrases et m'introduisais dans les personnages, quelqu'un vint s'asseoir sur la chaise vide en face de moi. C'était lui, un garçon aux yeux clairs qui brillaient derrière de larges lunettes de vue, aux cheveux blonds qui qu'une main venait aplatir de temps en temps derrière sa tête. Il portait un large pull et une casquette qui couvrait sa longue chevelure.
« Bonsoir Helly », lança-t-il alors.
C'était bizarre de lui parler dans ces conditions-là. L'intimité fugace qui s'émana de la situation me fit rougir.
« Salut Van Gogh », dis-je.
-On a bien choisi notre soirée. Aucun nuage dans le ciel, quoiqu'il fait un peu froid.
-C'est vrai qu'on a eu de la chance »
Koï a croisé les bras sur sa poitrine.
« T'écoutes quoi ? »
Je ne m'étais même pas rendue compte que la musique continuait à tourner dans mes oreilles. J'arrachai mes écouteurs.
« Lullaby de The Cure.
- Ouais, tout le monde connaît ce groupe. J'écoute souvent du rock. C'est ton style de musique ?
-Ça dépend, dis-je en fermant mon livre. J'écoute de tout. Surtout du jazz.
-Tu dois m'introduire à ce style. A part Louis Armstrong et Duke Ellington, je n'y connais rien.
-Deux légendes. C'est déjà ça. Je trouve que le jazz est très en vogue en ce moment. Tu devrais peut-être écouter du blues pour commencer. Disons que c'est plus accessible. Souvent, on me dit que le jazz, c'est « fatiguant », parce que c'est très répétitif et barbant. Mais bon ; dans mon cas, je soutiens ce style pour sa beauté et sa créativité. C'est une nouvelle tonalité, un nouveau morceau, une nouvelle émotion à chaque mélodie.
-Bel exposé. Tu m'as donné envie d'en écouter, du jazz ».
Je bus dans ma tasse de chocolat chaud en ricanant.
« Donc Van Gogh écoute principalement de la musique rock...
- Principalement, ouais. Jimi Hendrix, c'est mon favori. Quand j'écoute Purple Haze, c'est comme si j'entrais en état de transe, et que j'oubliais tous mes alentours pendant quelques instants.
-Wow, c'est puissant.
-Ouais...C'est drôle quand même : tu sais que la plupart des chanteurs rocks écrivent leurs chansons sous l'effet de la drogue ? Comme quoi, c'est inspirant comme méthode ».
J'ai ri ; je ne sais pas exactement quel mouvement j'effectuai de ma main, mais Koïwenn se pencha subitement vers moi et m'agrippa le bras.
« C'est quoi, ça ? »
Il me montra la paume de ma main. En l'observant, j'aperçus une large blessure qui commençait à peine à cicatriser. Je la cachai avec mon bras, me rappelant de ma crise d'angoisse nocturne, et de mon poing venant s'écraser contre le miroir en le brisant quelques jours avant.
« Ce n'est rien, je me suis coupée.
-Vraiment ? Tu t'es fait ça toute seule ?
-Ce n'est pas facile à expliquer, je t'assure ».
Nous restâmes en silence un instant, pendant lesquels j'observai longuement Koïwenn assis sur sa chaise, les mains enfoncées dans les poches de son hoodie trop large, la capuche rabattue sur sa tête. Il me proposa de partir. « Je pense qu'il est temps d'y aller. Je veux profiter de la belle soirée qui s'annonce ». J'acquiesçai, et on se leva, laissant derrière nous ma tasse de chocolat vide et les lumières du café qui illuminaient nos alentours.
Les rues étaient désertes ce soir-là. La simple harmonie urbaine nocturne se faisait entendre au loin, mêlant klaxons, voitures et brouhaha des bars. De vieux néons clignotaient d'une lumière blême sur les façades des vieux bâtiments de pierre. A nos côtés, seuls quelques vieux arbres aux feuilles sèches et dorées se dressaient de manière imposante, leurs ombres se dessinant le long des trottoirs vides.
Je soupirai :
« La nature me manque. C'est l'inconvénient d'habiter en ville.
-Pour ma part, j'ai toujours vécu entre les immeubles, les tramways et les feux de signalisation. Mais je suis d'accord avec toi : de temps en temps, j'aimerais bien m'enfermer dans un monde où seuls les arbres me parlent.
-Tu sais ce qu'il suffit de faire ? -Il secoua la tête, je vis ses yeux brillants me regarder dans la nuit avec curiosité-. Fermes fort les yeux, et imagines simplement un paysage idyllique. Ecoute ce qu'il a à te dire, et tu voyageras ».
En parlant, je mimais mes gestes. Ainsi, derrière l'obscurité de mes paupières, j'aperçus progressivement un tableau se dessiner, s'illuminer et se colorer. Un hiver froid et vigoureux peupla mes pensées et mon imagination. Le vent me soufflait au visage ; il faisait à la fois trembler les branches, et laissait entendre le murmure des bourgeons qui dansaient au bout. J'écoutais le silence de la neige qui fondait doucement ; je sentais le froid me griffer joyeusement les joues et le nez. Les moineaux venaient, de temps en temps, se déposer sur les pins et les arbres nus. J'entrais simplement en contact avec la nature.
Après avoir décrit l'image à Koïwenn, ce dernier hocha la tête :
« Beau paysage, il lança. L'imagination de l'homme peut faire de grandes choses.
-Oui, je suis d'accord avec toi. Des fois, je remarque qu'on est bornés. On ne se rend pas forcément compte à quel point ce qui nous entoure est beau. On voit un arbre, et on s'en éloigne sans rien dire, persuadés que nous n'avons rien à apprendre de lui. Mais si on commence à réfléchir, on se rend compte que l'univers est empli de magnifiques choses, et qu'on passe à côté sans réellement les valoriser tels qu'elles sont réellement ; c'est-à-dire, beaux ».
En écoutant ces mots, Koïwenn commença à rouler un joint. Entre ses doigts, il effritait des boules de beuh verdâtres.
« Hélène, tu devrais fumer de l'herbe. Je t'assure. Ces réflexions, tu te les ferais beaucoup plus profondément.
-Je te l'ai déjà dit, je n'en ai pas besoin. -Je restai perplexe un instant-. Quoiqu'il faille bien que j'essaye, un jour. Je veux dire...C'est ce genre de choses que tout le monde voudrait au moins tenter une fois dans sa vie.
-Et il vaut mieux le faire avec quelqu'un qui s'y connaît ».
Koïwenn termina de rouler son pétard. Il l'introduisit entre ses lèvres avant de l'allumer.
« Koï...Pourquoi tu fumes ? », je le questionnais subitement, l'observant brûler l'embout avec son briquet.
Il haussa les épaules. La fumée traversa les verres de ses lunettes, les embuant.
« Bonne question, dit-il simplement.
-Tu n'as pas de réponse ?
-Si : je viens de te dire que c'est une bonne question.
-Ce n'est pas une réponse.
-Bah, bien sûr que oui. Parce qu'elle vient après ta question, et elle est en rapport avec elle.
-Tu m'embrouilles, Koï ».
Il ricana. Par la suite, Koïwenn et moi restâmes silencieux. Comme tant de fois précédemment. Mais ce moment-là fut plus calme ; comme si ce silence qui s'installait entre nos deux corps, observant le ciel qui commençait à se peupler d'astres brillants, était nécessaire.
***
La nuit était belle ; c'était le mot. La lune, préalablement cachée par des nuages cotonneux et fades, s'affichait dans le ciel noir, à présent fière et audacieuse. Sa lumière émanait de toutes parts ; elle se glissait entre les bâtiments et les immeubles, se reflétait sur la surface glissante et ondulée de l'eau, dessinait d'une couleur blanchâtre sur les contours des montagnes et des pics qui déchiraient l'horizon au loin, par-delà la ville.
Les étoiles nous observaient par milliers, et je pris quelques secondes pour suivre les constellations géométriques de mes doigts. Koïwenn et moi marchions le long du quai, orné de lampadaires et d'arbres. L'ombre des immenses ponts de pierre qui traversaient le fleuve de part et d'autre s'étendait dans la nuit. Nous laissions derrière nous les derniers passants de la nuit, qui se baladaient seuls dans ces magnifiques lieux brillants.
« Tu sais où aller ? je demandai au bout d'un moment, après une demi-heure de marche le long du fleuve.
-Où la nuit nous mènera ».
Quand il parlait, un nuage de fumée se formait entre ses lèvres. Je souris. Le cadre environnant me relaxait. J'entendais simplement l'eau du fleuve clapoter doucement, comme si elle voulait nous parler.
« Parle-moi de toi, Van Gogh. -Ma voix était sereine et pleine de tendresse-.
-De moi...Que veux-tu dire par là ?
-Je ne sais pas. De tes passions, de celui que tu es. De ton passé, par exemple.
-Je ne suis pas très intéressant. Pas de quoi écrire un bouquin sur moi, je t'assure.
-On a tous des choses à raconter, j'ai rétorqué. C'est une des raisons pour lesquelles on devient artiste : pour raconter. Alors, toi qui pains autant...Dis-moi ce qui t'inspire ».
Il ricana.
« Beaucoup de choses m'inspirent, crois-le ».
Je soupirai.
« Tu ne vas pas cracher le morceau, hein ?
-Parles-moi de toi, Helly. Tu vas voir : cette question est facile à poser, mais très difficile à répondre ».
J'ai réfléchi quelques instants, écoutant le vrombissement d'une voiture qui glissait sur la route au-dessus de nous.
« J'aime écrire. Ça me libère. Voilà.
-J'aime peindre. Ça me sauve.
-Te sauver ? Dans quel sens ?
-Quand il n'y a que soi-même pour s'écouter, parfois, il vaut mieux tout lâcher sur une toile que se hurler dessus sans cesse, et sans raison apparente ».
Je restai dubitative. Il mit ses lunettes sur son nez, et je le regardais faire.
« Alors parles-moi, tout simplement. Pas de toi, mais...Parle-moi de ce que tu voudrais lâcher sur tes peintures », j'ai sorti soudainement. Et Koïwenn stoppa sa marche tout aussi subitement.
« Vraiment ?
-Oui. Koï, dis-moi le pourquoi du comment.
-Tu es la première personne qui me le propose. Sérieusement Helly. La première dans cet univers. -Après avoir soupiré, il continua : -souvent, les gens pensent que je suis tout le temps défoncé, donc ils s'en fichent de moi. Ils me laissent déambuler à leurs côtés, sans forcément se questionner. Mais toi...Comment tu as fait ? Pour savoir que j'avais besoin de parler...
-Tant de silence m'effrayait, voilà tout ».
On s'arrêta de marcher pour aller s'asseoir le long du quai. Nos chaussures pendaient au-dessus des torrents du fleuve, sur lesquels un pinceau semblait avoir glissé pour y déposer des traits blancs grossiers, reflets d'une lune ambitieuse qui ce soir-là, nous observait. On laissait nos jambes se balancer nonchalamment au-dessus de l'eau alors qui nous berçait de son chant. Koïwenn se coucha sur le béton du sol. Je l'imitai rapidement, appuyée sur mes coudes.
« Alors ? dis-je, impatiente. Tu t'es décidé à parler ?
-Attends, -il a pris un joint qu'il avait préalablement préparé, coincé contre son oreille-. Je fume ça, et je te raconte tout.
-T'as besoin de ce truc pour discuter ? Sérieusement ? »
Ses yeux me fixèrent un instant derrière ses larges lunettes ; il arbora un petit sourire sur ses lèvres fines. Je ne savais déterminer s'il était de désespoir ou d'amusement.
« Helly, ce truc comme tu dis - et il leva en l'air le papier roulé-, j'en ai besoin pour tout. Absolument tout. Si tu veux savoir la vérité.
-Ah », je murmurai. Et je le regardai allumer l'embout. La fumée s'éleva dans les airs, plus épaisse que jamais. La flamme qui émanait de son briquet peignit nos alentours d'une couleur orangée qui scintillait. Lorsqu'il inhala la fumée, je sentis ses poumons se gonfler, et la joie illumina ses petits yeux bridés.
« T'es prête à recevoir la réponse à ta question ?
-Je t'ai posé bien trop de questions ce soir, Koï ».
Je ne cessais de le regarder, car son attitude me fascinait. Sa voix était lente et douce. Comme s'il pesait chacun de ses mots. Les émotions manquaient dans son visage soyeux et angélique. Je l'observais pendant qu'il semblait réfléchir, et son timbre morose s'éleva dans les airs, comme une musique qui accompagnait la symphonie environnante :
« Si un jour tu te balades en ville ; si tu as l'audace de partir dans ces quartiers noirs qui, la nuit, puent la pisse et le plomb, alors tu croiseras sûrement Nikolaas.
-Qui est-ce ?
-Nikolaas ? Oh, il n'est personne. C'est juste un pauvre type qui a vu son père frapper sa mère depuis qu'il est arrivé dans ce monde de brutes ».
Mon cœur fit un bond. Il parlait sans aucune émotion dans sa voix. Comme si son cœur était de pierre, et que les fumées de ce joint ne parvenaient pas à le trouer.
« Quand tu croiseras Nikolaas dans la rue, tu n'auras rien à dire. Ni à faire, d'ailleurs. Tu l'ignoreras, voilà tout. Tu te diras que c'est un pauvre débile, comme tous les autres zonards du coin. Tu te réjouiras du fait que toi, t'as de la chance de pas être aussi con que lui. Tu passeras à ses côtés et tu baisseras les yeux ; non seulement tu seras intimidé par ses cris perçants et les insultes qu'il hurle à la lune, mais surtout, tu n'auras pas envie qu'il te regarde, et que ses yeux pleins de merde se déposent sur ta silhouette.
-Tu penses ?
-J'en suis certain, Helly. Nikolaas, continua-t-il, a grandi entouré de merde jusqu'au cou. Non seulement son père battait sa mère, mais en plus de ça, comme il aimait s'isoler au collège et rester seul pour broyer du noir, les autres garçons de sa classe ont commencé à se moquer de lui, de ses lunettes, de ses boutons et de ses habits qu'il achetait au supermarché du coin. -Koï tira dans son joint. L'embout s'alluma d'un rouge puissant-. Nikolaas a donc voulu s'échapper de tout ça. Il a commencé à fumer. Ouais, je sais, ça ressemble à ces histoires à la con qu'on entend tout le temps ; qui parlent de ces jeunes de banlieue qui ont pas su s'en sortir ; t'es tenté de dire qu'il aurait pu faire autre chose de sa vie. Qu'il aurait pu être fort, ce petit abruti, et changer son propre avenir. Mais Nikolaas, il était jeune, il était triste. Il avait pas conscience de cette liberté qui lui tendait le bras en lui disant « viens, ne reste pas seul, reprends ta vie en main ». Alors Nikolaas il a commencé à fumer du shit. Puis il a continué avec d'autres merdes. Et Nikolaas s'est détruit la vie, petit à petit ».
C'était paradoxal, car tandis qu'il parlait de cette voix monotone et rauque, l'histoire qu'il racontait était rude et violente. Des volutes de fumée s'échappaient de ce joint dont l'embout reluisant brillait dans l'obscurité ; ce joint qui avait donc détruit le petit Nikolaas.
« Il a grandi, ce type-là, et il a commencé à s'en lasser de fumer. Donc, il a bu. Comme un trou. Jusqu'à oublier sa propre existence. Et sa mère, qui avait quitté la maison avec lui pour s'échapper de ce père violent et prétentieux dans un coin paumé du monde - parce qu'elle se lassait, elle, de se faire frapper-, elle en a eu marre d'avoir un fils ivrogne chez elle. Donc, Nikolaas a perdu la seule personne qu'il avait à ses côtés pour l'aider : sa mère. Car il s'est fait mettre à la porte.
-Sérieux ?
-Oui. C'était trop dur pour elle. Financièrement, et émotionnellement. Alors le jeune homme qui n'avait que dix-neuf ans à l'époque, a vécu dans les rues de la ville. Il errait la nuit, il dormait le matin. Il criait quand la lune arrimait son visage dans le ciel, il rêvait quand les rayons du soleil de l'aurore venaient annoncer l'aube. Nikolaas était seul ».
Encore, il tira sur le papier roulé. Encore, mes yeux se perdirent dans ses mots.
« C'est pour ça qu'elle est tragique, cette histoire. Parce que les gens qui se baladent en ville, dans ces rues pleines de graffitis et qui puent la beuh, ils ont peur de Nikolaas. Ils ont peur de ses cris de détresse, alors ils l'évitent. Jamais un seul ne s'est posé la question : « Pourquoi il hurle ? Pourquoi pleure-t-il, ce jeune garçon ? ». Non. On a préféré l'ignorer à jamais, le laisser dans sa solitude, à se noyer dans l'alcool et dans ses larmes. On l'a laissé crier dans le vide. C'est ça, l'horreur. Hurler, s'égosiller dans un espace noir de monde où tout le monde vous entend mais personne ne vous écoute ».
Il termina sa phrase là, et je compris que c'était la fin de son histoire. Je soupirai.
« Koï...Tu le connais ? »
Il hocha la tête.
« C'est mon frère », répondit-il simplement.
Nous restâmes en silence un instant. Je me couchai à ses côtés, mon dos toucha le béton froid. Les étoiles brillaient dans ce ciel pourpre. Elles scintillaient ; nous observaient de leurs petits yeux blancs.
« Voilà pourquoi je fume, continua Koï de cette même voix qui semblait jamais émettre une seule émotion. Pour oublier. Et pour m'échapper de ce monde pourri ».
Il me tendit ensuite ce petit papier roulé dont l'embout brûlait nonchalamment. Je vis ses ongles s'illuminer dans la nuit.
« Tu veux essayer ? »
Je souris simplement, pris ce papier roulé entre mes doigts. Comme si, suite à tout ce qu'il venait de me raconter, c'était le seul moyen pour qu'il continue à se délivrer. Je me sentis idiote un instant, en me disant que ce pauvre Nikolaas avait son âme détruite à cause de ce même papier roulé plein d'herbe triturée que j'avais entre les doigts. La seule différence, c'était que je croyais être consciente de ma liberté ; donc je ne me souciais pas de l'avenir.
Le déposant sur mes lèvres, j'aspirai en un moment inconscient. La fumée me brûla la gorge, me griffa l'intérieur des joues. Mais le goût était doux, soyeux, presque sucré. Ce que je recrachai était bien plus épais que les volutes de fumée de cigarette.
« Qu'est-ce que ça va me faire ?
-Te relaxer. Te faire dire des choses qui viennent du plus profond de ton cœur et de ta conscience. T'éveiller, tout simplement ».
Je m'approchai de lui, comme si c'était une obligation.
« Je peux te poser une autre question ?
-Oui, je t'écoute. -il passa une main par ses cheveux blonds qui se coincèrent derrière son oreille-.
-Koïwenn...Ce n'est pas ton vrai prénom, hein ? »
Il ricana. Sûrement qu'on lui avait questionné sur cette drôle d'appellation qu'il portait depuis toujours.
« Bien vu. Non, c'était le nom de mon chien. Celui avec qui j'ai passé toute mon enfance. Un grand berger allemand au pelage noir. Il est mort, parce que mon père en avait marre qu'il chie dans l'appartement ».
Je déglutis ; il repris :
« Je m'appelle Kasper, en vérité. Mais on m'appelle toujours Koïwenn ; Ou Van Gogh. Et quitte à devoir choisir, plutôt éviter de prononcer le prénom que mon père m'a donné. Donc appelle-moi plutôt Koï, ce sera mieux. Pour moi, et pour l'univers ».
On attendit quelques minutes. J'écoutais le son environnant, cette mélodie de la ville nocturne que nos respirations accompagnaient. J'entendais le vent qui se levait, celui qui faisait danser les branches des bouleaux ornant le quai. J'écoutais le son de la ville endormie qui se glissait entre les rues. De temps en temps, je prenais le joint de Koïwenn entre mes mains et je le dégustais. J'avalai la fumée douce, je la recrachai. J'inhalais, je sentais ma tête tourner, et je la lâchai dans les airs en observant les belles volutes qui rejoignaient le plafond infini. Puis j'ai vu, j'ai perçu, ce ciel obscur et plein d'étoiles, ou des traînées blanches semblaient relier chaque petit point blanc en des amas indistincts et brillants dans cette noirceur éclairée. J'ai cru voir la Voie Lactée qui s'affichait au-dessus de nous. Tout cet univers lointain et indescriptible, toutes ces questions auxquelles personne ne trouvait de réponse. Toute cette lumière qui s'étendait au-dessus de nos têtes à l'infini, qui se cachait par-delà l'horizon, derrière les immeubles, les bâtiments, et le squelette urbain dont les silhouettes noires et difformes se dessinaient sur la toile du ciel pourpre. Ces étoiles qui s'agglutinaient sous nos yeux, qui brillaient d'une candeur incandescente ; je les ai observées pendant plusieurs minutes ; certaines se déplaçaient, d'autres tournoyaient. Il y en avait tellement que je me perdais dans le monde, dans cette complexité réelle qui parfois semblait toucher l'irréel. Me sentant aspirée par toutes ces choses-là que je percevais comme étant impénétrables et qui pourtant m'intriguaient, une vague de questions s'en est pris à mon corps. Je doutais, perdue. Je divaguais, sans confiance, sans assurance, dans l'univers. Mais la présence de Koïwenn me réconforta soudainement : je n'étais pas seule dans ce questionnement et cette perdition. J'étais avec lui.
Mon corps se lâcha. Mes mains se posèrent sur le sol de graviers qui me chatouillaient les doigts. Je lançai un soupir qui fit s'élever un nuage de buée dans le ciel. Couchée, près de Koï, je me sentais pleine de bien-être.
Je lançai un rire, bref et soudain. Il me regarda derrière ses lunettes.
« A ton tour, maintenant, dit-il. Pourquoi tu fumes, Helly ? »
J'y ai réfléchi un instant, divaguant entre ces étoiles. J'aurais voulu lui dire que je fumais pour m'oublier entre ces astres. Pour oublier ce pourquoi j'étais là ; mes craintes et mes peurs. Pour oublier cette frustration de ne pas me sentir à la hauteur, d'être subordonnée à la vie.
J'aurais aimé lui dire que je fumais pour elle, pour oublier son image qui me tracassait, me torturait. Pour lui prouver quelque chose ; que sais-je. Pour arrêter cette frustration de la voir aussi belle et inaccessible à la fois. J'aurais aimé lui dire que je fumais par Amour. Envers quelqu'un que je n'étais pas, et que jamais je n'attendrais.
« Je veux oublier, moi aussi, dis-je simplement.
-Oublier quoi, Helly ?
-Une personne.
-Tu l'aimes ?
-Je ne sais pas. Je ne sais rien.
-Et pourquoi vouloir effacer son visage de ton esprit, alors ?
-Elle...-J'ai soupiré-. Parce qu'elle me fait comprendre que la vie est pleine d'émotions que nous ne connaissons pas. Que la vie est emplie de questions sans réponses, et que nous sommes seulement des êtres pensants qui ne savent où aller, divaguant dans le noir ».
Je ne sais pour quelle raison, mes yeux s'étaient tournés vers Van Gogh. J'observai sa petite bouche crispée, ses yeux vitreux qui se fermaient. Je levai ma main vers lui, et effleurant du doigt l'une de ses mèches blondes qui tombaient sur son front, je caressai sa peau, son visage.
« Je fume pour oublier », ais-je murmuré simplement. « Pour m'échapper de ce corps qui ne me correspond pas ».
Il sourit.
« Tu ferais tout par Amour, Helly ? »
Je n'avais pas réfléchi à la réponse. A ce moment-là, elle me sembla plausible ; presque évidente.
« Oui ».
Koïwenn se redressa sur son coude, ses yeux entraient dans les miens. Je ne saurais expliquer quelle sensation m'enveloppait. Comme si ce fil qui existait déjà entre lui et moi était à présent invisible, remplacé par une aura indescriptible qui nous enfermait dans une intimité profonde.
Il prit mon visage entre ses mains, caressa doucement ma joue. Puis, ses lèvres fines s'approchèrent des miennes et Koï m'embrassa. Il prit ma bouche dans le sienne, pour un baiser lent et doux. Sa main caressait mon visage, la mienne venait passer dans ses cheveux décoiffés. Je sentis ce tact humide de ses lèvres, de sa langue qui parfois venait en moi ; cette sensation d'être en osmose avec son visage, avec ses gestes, ses mouvements. Les étoiles nous regardaient, et le vent doux qui s'emmêlait entre les arbres chantait entre nos baisers.
Sa main vint se poser sur mon ventre. Il souleva mon manteau, et ses doigts susurrèrent au creux de mon nombril. Doucement, la pulpe de son index se faufila sous mon pantalon. Une ardeur incandescente se réveilla dans mon bas-ventre, alors qu'il s'était introduit sous ma ceinture.
« Koï », je murmurai entre deux baisers soyeux.
Il continua à descendre. Touchant la dentelle de mon sous-vêtement, son tact caressa des parties de mon corps que jamais personne n'avait touché ainsi, avec une douceur pleine de chaleur. Mais lorsque ses doigts allèrent s'aventurer dans mon intimité, je me crispai subitement.
« Je ne peux pas, j'ai dit. Je suis désolée, je ne suis pas prête pour ça.
-Helly, tu voulais oublier cette personne, non ? C'est bien pour ça que tu es là, avec moi ?
-La parole m'a suffi. Et tes baisers aussi ».
Il sourit simplement, et se pencha à nouveau sur mes lèvres. Je ne savais où sa main était allée se faufiler ensuite ; sûrement au creux de mes reins,caressant ma peau nonchalamment de ses doigts refroidis par le vent environnantet l'humidité de nos alentours. Nous restâmes là, couchés, sous les astreslumineux, avec l'univers entier qui semblait nous pénétrer de son regard.
***
Yo!
Un petit message rapide pour vous remercier. Je vois que vous êtes de plus en plus nombreux à lire, commenter et voter pour ma fiction, et ça me touche réellement! Merci du soutient, vous savez pas à quel point ça fait plaisir!
Je remercie particulièrement @OhMyLonelyMonster qui me suit et me soutient depuis le début, merci merci xx <3
Plein d'amour et de cœurs, je vous aime!🌹❣️
Kashmir.
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