Pluie acide.
Je m'étais réveillée en grelottant, alors qu'une vague était venue déposer son écume sur mes orteils. Nue sous le manteau rouge d'Alice que je portais sur mes épaules, le froid griffait mes entrailles. La marée montait, la serviette sur laquelle j'étais couchée était trempe. J'ai lancé un juron.
« Alice ? ». Pas de réponse. Observant mes alentours et me frottant mes membres gelés, mes yeux la cherchaient dans tous les recoins. Elle était introuvable. Son sac avait disparu, ses habits aussi. Les miens jonchaient sur le sable, mouillés. J'ai cherché partout un mot, une note, quelque trace d'Alice. Rien. Ou alors, les vagues l'avaient emporté.
Au loin, le soleil se levait et le ciel était teinté d'une douce couleur rose. Je suis restée là quelques instants, enfouie sous mon manteau. Je me suis habillée dans mes vêtements humides, avant de me décider à partir, maussade. Ma mâchoire me faisait atrocement mal, comme si j'avais mordu du bois dans mon sommeil.
Au bord de la route, j'ai tendu mon pouce. Les membres de mon corps étaient ankylosés, je tremblais de froid. Une jeune fille s'est arrêtée à ma hauteur. Dans sa coccinelle blanche, elle m'a demandé où est-ce que j'allais. « En ville », lui ai-je dit de ma voix brisée. Elle a accepté. Pendant le chemin, j'ai fait semblant de dormir. En réalité, j'étais d'une humeur morose, et des pensées houleuses s'enchevêtraient dans ma tête.
La jeune femme m'a déposé au centre-ville. J'ai marché dans mes habits mouillés, et je me suis rendue chez Alice. C'était une évidence, presque une obligation. Sans prévenir. J'ai regardé sa fenêtre du bas de l'immeuble, et j'ai vu sa silhouette mince et dansante se balader derrière la vitre, une ombre noire se dessinant dans le reflet des guirlandes. Sans plus attendre, j'ai poussé le portail qui était ouvert, et je suis monté au troisième étage. J'ai frappé une fois, deux fois : aucune réponse. Alors, en tournant la poignée, j'ai compris que la porte était ouverte. Comme si elle m'attendait. Souriante, j'y suis entrée.
Les guirlandes étaient allumées et les rideaux tirés. La porte fermée de la salle de bains laissait entrevoir des rayons de lumière. Alice y était sûrement. Je me suis baladée un instant dans sa chambre, en profitant pour observer les photos. La mienne, celle qu'elle avait prise la veille, était là. Au milieu des autres, et la douce lumière des guirlandes la blanchissait. Sur le cliché, je riais, j'étais belle. Mon corps nu était constellé de gouttes d'eau. C'était un instant précis qu'elle avait capturé : plein de bonheur et de jouissance. J'ai souri et glissé mon doigt sur la photographie. Mes yeux se sont alors baladés vers les autres clichés. Et l'un d'eux m'a interpellé de plus belle, de sorte que je me suis approchée fermement, les sourcils froncés.
Je reconnaissais l'un des visages sur l'une des photos. Alice était là, sans aucun doute. Elle était floue, dans un mouvement rapide de sa tête, ses cheveux blonds glissaient dans les airs. À ses côtés, un garçon, aux larges lunettes, aux lèvres fines et aux mèches blondes décoiffées, se tenait là, une cigarette perchée dans sa bouche. Le flash les aveuglaient, ils semblaient flotter dans une bulle noire.
Je le connaissais. C'était Koïwenn.
Je suis restée perplexe un instant. Soudain, une curiosité s'est éveillée en moi. Que savait-il d'elle ? Je mordit l'intérieur de ma joue alors que mes yeux se baladaient dans la chambre, essayant peut-être de trouver autre chose. Trop de questions se posaient dans ma tête, mais je n'avais aucune réponse à donner.
Mon regard se posa alors sur un sachet transparent contenant des petites pastilles colorées, posé sur sa table de chevet. Je m'en approchai lentement, et les prit entre mes mains. Elles brillaient sous la lumière des guirlandes. Il y avait des inscriptions dessus, inconnues pour moi. C'était donc ça, la salvation d'Alice ? Ces petites pastilles de couleur vives qu'elle avait sur sa table de chevet ? Qu'elle glissait sur sa langue et avalait sans peine?
Mes questions s'arrêtèrent soudainement lorsqu'Alice sortit en trombe de la salle de bains. Je cachai par reflexe le sachet dans la poche de mon jean et me retournai vers elle. En m'apercevant, elle haleta. « Qu'est-ce que tu fais là ? ». Je froncai les sourcils, elle me faisait peur avec ses grands yeux ouverts et ses lèvres blanches.
« Je suis juste venue te rendre visite, et te rendre le manteau.
-Je ne t'ai pas dit de venir. Tu pouvais le garder.
-Je...-j'ai balbutié. Puis reprenant mes esprits : Désolé Alice, je me suis réveillée seule ce matin, et j'avais besoin de te voir. Tu ne m'as donné aucune explication ».
Elle n'a pas répondu. Son corps convulsait.
« Comment tu es entrée ?
-La porte était ouverte.
-Merde », elle a lâché en fermant les yeux. Puis, d'une voix faible, Alice a repris :
« Il est temps que tu partes, tu ne peux pas... »
Ses paroles se sont arrêtées là, sa gorge s'est bloquée. Elle a reniflé fortement.
« Ça ne va pas, Alice ? »
J'ai glissé mon regard à l'intérieur de la salle de bains. J'ai cru voir des pilules sur le rebord en céramique du lavabo. Elle a fermé la porte d'un seul coup, le claquement de celle-ci a fait trembler les murs.
« Pars d'ici » m'a-t-elle lâché en s'approchant de moi.
Ses mots étaient durs, sa voix tremblait. Lorsque nos visages parvenaient presque à se toucher, elle devint plus tendre :
« S'il te plait ».
J'hochai la tête. Simplement. Et m'en allai.
***
« Tu connais Alice ? »
Koï était assis sur un banc à la peinture abîmée. La capuche rabattue sur sa tête, il m'était impossible d'observer les traits de son visage, sauf quelques mèches blondes qui s'en échappaient. Derrière nous, l'immense cathédrale baroque de la ville faisait sonner ses cloches matinales ; de son air menaçant, elle glissait ses pointus clochers entre les nuages.
« Alice ? ...La Alice ? Celle de ta faculté ?
-Oui, tu sais bien...La grande blonde aux yeux bleus.
-Ouais, Alice quoi », répondit-il en haussant les sourcils, comme si cela était évident.
Je mordis ma lèvres lorsque le goût sucré de celles de la jeune fille parvint à mon esprit.
« Qu'est-ce que tu sais d'elle ? -Koïwenn m'observa avec curiosité. Je me ressaisis : - Enfin...Tu la connais non ?
-Tout le monde connaît Alice. Même celui qui ne l'a jamais vue. C'est une légende. Un personnage de roman, enfin...Voilà quoi, t'as compris ».
J'hésitais à continuer la discussion. Je ne voulais pas lui avouer que j'avais aperçu ce cliché d'elle et lui dans la chambre de la jeune fille. Par chance, Koïwenn soupira longuement avant d'ajouter quelques mots :
« Tout le monde dit qu'elle est sacrément bonne. Mais bon. Je pense surtout qu'elle est tarée.
-Pourquoi ? »
Il a ricané.
« Pourquoi tu me poses tant de questions sur elle ? Je veux dire...C'est même pas ton amie.
-Si, dis-je soudainement. C'est pour ça que je te demande. Je me suis rapprochée d'elle depuis quelques temps, et...elle m'intrigue ».
Le garçon a regardé les passants autour de lui, comme s'il réfléchissait par où commencer. J'étais pendue à ses lèvres, mon cœur battait à la chamade.
« J'ai fait une soirée un jour avec elle. Depuis, on se croise de temps en temps. Mais rien de plus.
-C'était quoi, cette soirée ?
-Un véritable bourbier. J'en ai de très mauvais souvenirs. C'était une catastrophe, vraiment ».
Il a tiré longuement sur son joint. J'étais silencieuse.
« Elle avait organisé une soirée défonce chez elle, commença-t-il. Un pote m'avait prévenu quelques heures avant. « J'ai un bon plan, il m'avait sorti. Il y aura des filles et de la beuh gratuite ». Vu que j'avais une vie trépidante, et que j'avais rien d'autre à foutre ce soir-là, j'ai tout de suite accepté ».
Un tonnerre a grondé au loin, on l'a ignoré, lui et moi.
« Elle avait une baraque de malade. Une bâtisse à trois étages. Belle décoration, beaux meubles. Ses parents avaient du bon goût. Et du fric, aussi. Elle avait même une piscine illuminée par des néons dans son jardin. Je suis arrivé là-bas, j'avais cru comprendre quel genre de nana elle était. Une bourgeoise de la ville qui vit encore sous le toit de ses parents et qui n'a aucun souci dans sa vie.
-Ah bon ? Pourtant, elle n'a pas l'air comme ça.
-Attends, m'a-t-il coupé. Ça, c'était qu'au premier abord. Quand j'ai vu Alice, je...Je sais pas, j'ai eu peur.
-Peur ?
-Ouais. Elle était flippante. C'est pas la Alice que tu vois tous les jours à l'université. Elle était quelqu'un d'autre, elle vivait dans un monde à part, elle semblait être dans une bulle, dans un autre espace-temps. Les yeux grands ouverts, elle me regardait sans me voir. Je t'assure, c'était flippant ».
Je n'avais pas envie d'entendre la suite, c'était comme de la torture.
« Apparemment, continua Koïwenn, ce soir-là, elle avait pris toute sorte de merdes. J'ai appris ça plus tard, ce qui expliquait son état. Son corps était plein de métamphétamines, elle ne tenait plus assise. En plus elle avait gobé des tonnes de médicaments.
-Quels genre de médicaments ?
-J'en sais rien Helly. Des opioïdes, des opiacés, des anesthésiants, anti-douleurs. Ou des anti-dépresseurs. Enfin bref...Je m'y connais un peu en ce genre de merdes. Mon frère en prenait souvent aussi ».
Koïwenn m'a regardé.
« Au début, la soirée, elle était cool. Y'avait une bonne ambiance. Alice, je la voyais de temps en temps, avec sa même tête de camée. Au bout d'un moment, elle s'est absentée avec mon pote. J'ai paniqué, je les ai cherchés dans toute la maison. A l'époque, mon pote avait une copine. J'avais pas envie qu'il fasse de bêtises à cause d'une pauvre droguée à la recherche de mecs pour un soir. Elle avait déjà une sale réputation. Je suis arrivée devant la salle de bains, j'ai entendu des cris. Alors j'ai ouvert la porte sans hésiter, d'un seul coup.
-Et ?
-Alice était là, debout, elle hurlait sur mon pote. Il essayait de la calmer, mais elle était devenue complètement dingue. Au bout d'un moment, quand le ton a haussé, elle a frappé un miroir avec son poing. Il s'est brisé en morceaux. Sa main saignait, elle pissait le sang, c'était immonde. C'est là que j'ai réellement compris l'ampleur de son problème ».
Dans ma tête, je voyais la scène entière. Je ne reconnaissais plus Alice. Koïwenn reprit :
« Alice a hurlé, une sorte de cri de jouissance. Elle parlait vite, elle disait n'importe quoi. Elle est partie de la salle de bains, laissant les morceaux de verre joncher le sol, gisant sur des gouttes de sang. Je l'ai vue se percher sur la fenêtre de sa chambre qui donnait sur le jardin, et elle a hurlé. Tous les invités l'ont regardée. Et là, sans aucune gêne, et avec un sourire de satisfaction, elle a sorti ces mots : « Je veux que cette maison soit retournée d'ici la fin de la soirée ». Inutile de te dire ce qu'il s'est passé ensuite. La seule chose que je peux t'assurer, c'est que la télévision s'est retrouvée dans la piscine, que les murs ont été peints avec de la mayonnaise, et que ses parents en ont eu pour des millions d'euros de réparation ».
Je n'ai rien dit. Rien du tout. La gorge serrée, la peau du cou me grattait, je mordais mes lèvres avec insistance.
« Mon pote m'a dit qu'elle avait pris une grosse dose de métamphétamine. Il avait essayé de lui en empêcher, mais elle a refusé. Apparemment, c'était l'une des premières fois qu'elle prenait une aussi grande quantité, et dans un état pareil. Ça faisait des semaines qu'elle était sous un traitement médical qu'elle même s'était procuré. J'ai voulu en savoir plus sur elle, mais mon ami a refusé. La seule chose qu'il m'a assuré, c'est qu'elle était perdue. Voilà tout ».
Je suis restée de marbre. Je ne disais rien, j'avais simplement tout écouté avec attention. Koïwenn m'a regardé.
« C'est elle ? » a-t-il dit simplement après quelques secondes de silence.
J'ai dégluti.
« De quoi tu parles ?
-S'il-te-plaît Helly. Fais attention à toi. N'essaye pas d'être quelqu'un que tu n'es pas.
-Arrête de dire des bêtises ».
Il a tiré dans son joint avant de se lever du banc.
« Si c'est ce à dont tu aspires, alors éloigne toi au plus vite de ce genre de personnes. Elles sont dangereuses. Avec ce que je t'ai dit, tu devrais savoir quoi faire. Sinon, à toi de voir. Si elle t'intrigue tant, je te laisse la découvrir par toi-même ».
Puis, le garçon pris son sac à dos posé au sol, l'enfila sur son épaule, et s'éloigna de moi en silence, me laissant seule sur ce banc. La solitude m'effraya, et je m'en échappai, sentant des gouttes d'eau commencer à tomber du ciel alors que les nuages devenaient noirs.
Hey yo,
Petit message pour vous remercier...J'ai bientôt atteint les 900 vues, et vos commentaires me font réellement plaisir, c'est une vraie source de motivation!
Bref, les vacances se terminent, mais soyons positifs et reprenons le boulot avec courage et force pour cette nouvelle année pleine de bonnes résolutions!
Sur ce, j'vous souhaite une bonne journée/soirée!
Kashmir 🌹
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