Overdose.

« J'ai couché avec Koïwenn ».

J'ai murmuré. A creux de son cou. Comme les fois ou je lui gémissais contre l'oreille à quel point je la voulais.

Elle s'était subitement retournée, ses yeux vides, creux, semblables à des orbites vidées à coup de griffes, s'enfoncèrent en moi.

Nous étions à la bibliothèque universitaire. Il n'y avait qu'elle et moi, nos deux auras emplissaient l'espace environnant. Seules nos voix résonnaient en écho entre les étagères de livres. Alice avait entre ses bras trois manuels, ses ongles s'accrochaient à leur couverture avec force.

« Vas-t-en » m'a-t-elle dit de sa voix tremblante. J'ai souri, elle a soupiré. « Dégage Hélène.

- J'ai couché avec Koïwenn, Alice.

- Je ne te crois pas.

- Vas le voir. Je sais que tu le connais. Vas le voir et demande-lui. Tu verras, il rougira. Parce que c'était sûrement l'une des meilleures soirées qu'il a passé en compagnie d'une fille ».

A ma grande surprise, Alice s'est mise à rire doucement. Elle grattait ses avant-bras couverts de plaques rouges et son cou constellé d'hématomes. J'ai froncé les sourcils.

« Quoi ?

-Hélène, je le faisais pour toi. Pour nous. Avant qu'il ne soit trop tard ».

Je suis restée muette un instant, ma gorge serrée, la bouche sèche. Mes mots se sont égarés soudainement, précipités sur elle, ils n'ont pas pu s'arrêter.

« Tu me parles de quoi, là, hein ? De tout ce cinéma que tu me fais depuis des jours ? Regarde-moi -ses yeux gris clair se posèrent sur moi. Ce fut un instant de confusion qui s'empara de moi, je me mis à trembler, car l'envie soudaine de l'embrasser me conquit. Mais je devais être forte, et les veines de mon cou se gonflèrent-. Depuis le début, c'était la seule chose que tu cherchais, hein ? Attirer mon attention, pour que je tombe à tes pieds. Tous ces regards, tous ces non-dits. Toutes ces coïncidences qui n'en étaient pas. Tu avais tout prévu, Alice, pour que je tombe folle de toi. Très bien, tu as réussi. Et maintenant, alors que tu avais les mains à mon cou, que tu serrais dès que l'envie te venait, que tu m'étranglais sous ce désir et cet amour que j'avais pour toi, tu oses me sortir, ça ? Tu m'envoies valser, tu me méprises, en me disant que tout ce bourbier, c'est de ma faute, et tu crois t'en sortir comme ça ? »

Alice tremblait, peut-être de fatigue, car elle n'arrivait pas à maintenir ses paupières ouvertes.

« Je le fais pour toi Hélène ».

J'ai serré les lèvres, mes dents claquaient. J'ai mordu ma lèvre, le goût métallique du sang a envahit ma bouche. Alors, je me suis approchée d'elle, posant ma main sur son cou. Je voulais l'étrangler sous mes yeux, lui arracher ses cheveux entre mes doigts. Elle n'avait pas peur. Ses yeux meurtris m'observaient sans émotion aucune. Je l'aurais mordu, je l'aurais fait saigner si ma mâchoire tremblante n'avait pas pu parler.

« Non. Si tu le faisais pour moi, nous serions sous les draps, ta main dans la mienne. Et je n'aurais pas eu besoin de jouir entre les bras du premier mec venu. Tu mens, Alice ».

J'ai humecté mes lèvres, lâchant ses cheveux.

« Je te hais, crève ».

Alice n'a pas répondu à ces mots pleins de violence et sanguinolents. Trois secondes se sont écoulées, elle m'a dit tellement de choses avec ses yeux gris perdus et injectés de sang. Mais j'ai ignoré ses mots, ses pleurs, ses gémissements. Peut-être son amour, que sais-je. Car j'ai simplement souri, voyant qu'elle clignait des yeux avec confusion.

Finalement, Alice m'a giflée. Fort. Avant de s'en aller, elle a passé cette main qui quelques secondes avant s'était écrasé contre ma joue, sur ses cheveux blonds décoiffés, m'a bousculée, a disparu entre deux étagères de livres.

*

***

Hugo a couru vers moi. J'aurais aimé l'ignorer, mais son visage était crispé. Mes sourcils se sont froncés lorsque je l'ai vu s'approcher d'un pas pressé, ses longs cheveux battant au vent. Je le méprisais du regard, ses joues étaient rouges.

« Hélène, il disait entre deux respirations saccadées. Hélène, viens vite.

-Quoi ? lui dis-je en levant les yeux du livre que je lisais, appuyée contre le mur de la faculté.

-C'est urgent, suis-moi ».

Je ne sais pour quelle raison, mon cœur s'est emballé. Même si mon visage ne démontrait aucun signe de compassion, mes mains se mirent doucement à trembler, appréhendant la suite.

Je suivis Hugo, ses pas se faisaient de plus en plus rapides. Une masse d'étudiants pénétraient dans un couloir, un brouhaha de mots se faisait entendre. Je suffoquais, la sueur perlait mon front. Des mots s'envolaient, de temps en temps, et parvenaient à mes oreilles. J'entendais son prénom, une certaine angoisse dans leurs voix. « Elle va bien ? » demandaient la plupart. Les réponses étaient vagues, indistinctes. Derrière moi, une fille parla. « Je savais qu'elle allait finir comme ça. C'est une camée ».

En écoutant ces mots je me suis retournée subitement, et j'ai poussée cette inconnue qui s'est abattue au sol en un bruit lourd. Des cris de surprise se sont élevés autour de nous. La mâchoire crispée et la respiration saccadée, j'ai craché sur cette fille. « Jamais, tu m'entends ? Jamais tu ne reparles d'elle comme ça ». Sans plus réfléchir, j'ai continué ma route. Le mouvement de foule s'était arrêté, je poussais ceux qui entravaient mon chemin, on m'observait en silence.

Je pénétrai dans les toilettes, c'était là que tout le monde s'était arrêté. Trois adultes étaient accroupis au sol. Je voyais un corps couché sur la céramique sale. Des jambes qui convulsaient violemment, et une flaque de vomi. Hugo vint à mes côtés, posa une main sur mon épaule. Je ne la sentis même pas.

« Ça va ? »

Je n'ai pas répondu. Lorsque l'une des personnes accroupies s'est levée pour venir nous demander de nous reculer et de sortir des toilettes, je l'ai vue.

Mon visage a blêmi, j'ai griffé la peau de mon avant-bras. Je ne contrôlais plus ma respiration saccadée, des bouffées de chaleur m'ont envahie.

Alice était là, étendue au sol, le visage blanc, les lèvres et les ongles bleues. De temps en temps, ses paupières s'ouvraient, affichant des yeux révulsés. Un filet de bave s'échappait de sa bouche. Son corps inerte et déformé ne bougeait pas. Alice était inconsciente, et de temps en temps, une convulsion violente s'en prenait à ses mains.

« Que lui arrive-t-il ? j'ai murmuré d'une voix faible.

-S'il-vous-plaît, reculez.

-Non, dites-moi...Qu'est-ce qu'elle a ?

-Mademoiselle vous n'avez pas à savoir ».

J'ai hurlé.

« Bordel, dites-le moi ! Merde ! Allez vous faire voir à la fin! »

Hugo m'a pris le bras. Au creux de mon oreille, il a murmuré :

« Elle a fait une overdose à l'héroïne ».

Je tremblais, je ne contrôlais plus les mouvements de mon corps. Hugo était là, je me suis agrippée à la manche de son pull, m'effondrant sur lui. Il m'a rattrapée.

« Calme-toi, ils vont s'occuper d'elle. Les urgences arrivent. Tout va bien.

-Je dois aller la voir ». J'essayais de m'approcher, mais Hugo me retenait, et les adultes assis à ses côtés me hurlèrent de reculer.

« Hélène, reste avec moi. Tout va bien se passer.

-Non Hugo ! Elle est bleue ! Elle va mourir, tu m'entends ?

-Non, non ! Elle ne mourra pas, je t'assure. Alice est forte ».

J'ai gémi. « Non », j'ai murmuré. « Non, Alice n'est pas forte ».

Hugo m'a pris entre ses bras, j'ai vu le corps d'Alice disparaître derrière la porte, et au loin, les sirènes des pompiers résonnaient. Trois hommes sont entrés en courant. Je les ai observés se précipiter vers Alice.

« C'est de ma faute », j'ai dit d'un soupir.

-Quoi ?

-Tout ça, c'est de ma faute. J'ai dit que je la haïssais. Mais je l'aime. Hugo, je l'aime plus que tout.

-Hélène, ne te sens pas coupable. Alice était toxicomane. Voilà tout.

-Je l'aimais ».

La seconde après, les pompiers sont sortis. Alice était couchée sur un brancard, son bras inerte pendait sur le côté. Son visage blanc et blême semblait mort, comme du marbre. Elle n'était plus qu'un corps froid et sans pulsion. Ils l'ont cachée avec un drap blanc, et se sont précipités vers l'extérieur.

Hugo m'a pris dans ses bras, je me suis laissé tomber contre son torse. Autour de moi, les voix étaient métalliques, s'enfonçaient dans mes tympans et me perçaient mon esprit embourbé par ces images, hantés par les yeux blancs d'Alice, tout aussi blêmes que sa peau bleue. Hugo me susurrait de mots doux à mon oreille, mais j'entendais simplement un sifflement. Mes mains tremblaient. J'ai cru voir, un instant, la main d'Alice prendre la mienne, ses yeux m'observer avec amour, ses lèvres roses murmurer de douces paroles, et son rire, son tendre rire qui venaient m'entourer, me réconforter, me caresser inlassablement. Mes cris, mes joies, mes horreurs. Ses yeux.

Sans rien dire, j'ai lâché Hugo, et je suis partie. Comme un fantôme, errant, flottant dans un corps qui ne m'appartenait plus.

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