Néons.

«La clarté blafarde des tubes de néons achève de leur donner des airs de malades ou de drogués».

Alain Robbe-Grillet  

    J'aimais les lumières multicolores qui brillaient dans la noirceur, j'aimais la musique qui entrait en moi. J'aimais cette sensation d'être complètement désinhibé par le son et le rythme, par l'ambiance. J'aimais cette liberté dont tant j'avais rêvé.

            J'étais rentrée chez moi pour me préparer. J'avais ouvert mon placard, cherché dans les méandres de mes habits. Fouillant, creusant entre mes paires de chaussures et mes talons.

            Je trouvai finalement une combinaison noire, classe et élégante. J'avais déposé un peu de mascara sur mes cils, pour faire scintiller mes yeux et mis une pointe de rouge à lèvres rosé pour faire briller ma bouche.  Les boucles d'oreilles aux reflets colorés que j'avais enfilés allaient briller avec les néons de la fête.

            Je croisai alors, en un moment d'égarement, mon reflet dans le miroir. L'incompréhension s'en pris à moi. Je me demandai encore pourquoi j'avais tant besoin de briller, pourquoi je voulais être en osmose avec les lumières. Etais-je vraiment moi, qui, derrière ce miroir, cherchait à éveiller dans mon visage les plus petits détails de ma beauté ? Je me demandais qui alors était capable de me rendre aussi jolie.

            Soudain, mes pensées furent coupées par ma mère qui passa sa tête par l'entrebâillement de la porte de ma salle de bains.

            « Que fais-tu ? »

            Je sursautai, m'accrochant fermement au lavabo.

            « Maman, tu m'as fait peur ».

            A vrai dire, j'avais aussi été éprise d'une forte déception. Ma mère était toujours là, présente lors des moments les plus innoportuns. Je ne lui avais rien dit sur cette sortie nocturne, et je voulais attendre le dernier moment pour lui en parler.

            « Où tu vas comme ça ? »

            Sa question m'étonna encore plus. Je fronçai les sourcils.

            « Je...Je vais à une fête. Chez un ami ».

            Ma mère déglutit.

            « Chez qui ?

            -Tanguy.

            -C'est qui lui ? »

            Je commençais à perdre patience, de sorte que j'observais mon reflet dans le miroir une dernière fois et regardai l'heure. Il était dix-neuf heures trente-cinq. Soit, l'heure de partir.

            « Maman, fais-moi confiance. C'est un ami à Lola. On va bien s'amuser, et puis...J'ai besoin de prendre l'air, d'accord ? J'ai besoin de...De décompresser ».

            De m'amuser. De me sentir libérée. Simplement.

            « Et tu me laisses seule ? »

            Elle avait ponctué ses paroles d'un regard orné d'une lueur de déception de sa part. Ses yeux me parlaient, m'obligeant à me remettre en question. Devais-je culpabiliser ? Un frisson parcourut mon échine, une voix intérieure me proposa de rester à la maison, d'accompagner ma mère durant cette soirée. De laisser cette liberté de côté, cette envie de m'envoler, de danser, de m'égosiller, de sentir mon corps en harmonie avec la musique.

            « Oui », dis-je en haussant les sourcils, ignorant mon for intérieur. « Oui, je...Je vais partir, je suis désolée ».

            Ces mots furent comme un coup de poignard pour ma mère qui recula de quelques pas et alla à la cuisine. Je l'observai en silence, tandis qu'elle se préparait un thé vert.

            Elle nettoyait la table de travail, elle rangeait tous les couverts propres, elle soufflait sur sa boisson pour qu'elle ne soit pas trop chaude.

             Ça me donna des nausées.

            Je pris mon sac à main et me dirigeai vers la porte. « Au revoir, maman. Je t'appelle dans la soirée ». Puis je claquai la porte derrière moi, ignorant une remarque que ma mère me faisait.

            En descendant les escaliers, j'eus une pointe de remord qui me mordilla l'estomac. Mais je l'ignorais encore, fermant les yeux et respirant fermement.

***

            J'entendais la musique résonner depuis la cage d'escalier du bâtiment. Je montai lentement les marches en pierre ; le mur décrépi à mes côtés me griffait la peau du bras. Il y avait une douce odeur d'humidité qui assaillit mes narines. Mes talons claquaient dans l'obscurité, il y avait un simple néon qui clignotait et qui lançait un halo de lumière crue à ces lieux.

            J'arrivai devant la porte derrière laquelle j'entendais un vacarme assourdissant, une musique lourde qui frappait les tympans à un rythme régulier. J'appuyai sur la sonnette et me mordis la lèvres.

             Je n'étais pas habituée à ce genre de fêtes, et je ne savais pas à quoi m'attendre. Peut-être m'étais-je déjà projetée dans celle-ci. Pourquoi étais-je réellement venue? Pourquoi avais-je autant d'angoisse à l'idée de m'amuser?

            On vint m'ouvrir. Au début, je crus voir Koïwenn, mais celui qui m'accueillit était plus petit de taille que ce dernier. Il se présenta comme Tanguy, je me présentai comme Hélène, l'amie de Lola. « Lola ? » demanda l'autre, et lorsque je lui expliquai qu'elle était la petite copine de Gabin, il hocha la tête. « Entre, fais comme chez toi ».

            Il y avait des néons partout. Des lumières qui tournoyaient, lançant une couleur pourpre et rose contre les murs et le plafond. Il y avait des silhouettes qui gambadaient un peu partout, jusqu'à dans la terrasse. La musique s'était amplifiée, elle attaqua mes oreilles dès que j'eus posé un pied à l'intérieur de la demeure. C'était de la house ; Lola m'avait déjà fait part de l'amour des amis de Gabin envers ce genre de musique psychotique, pleine de basses amplifiées et endiablées. Il semblait y avoir dans l'air une couche de fumée qui restait accrochée au plafond. C'était bien vrai ; à quelques mètres de moi, des jeunes fumaient sans cesse, crachant une fumée striée de rose et de violet.

            Je me sentis soudainement perdue dans cet univers. Je n'étais pas habituée. Ma mère avait peut-être raison ; j'aurais dû rester avec elle, dans cet univers qui m'était connu. Je n'aurais pas dû m'aventurer dans cet antre pourpre et poussiéreux, vibrant entre les basses de la musique.

            Tout semblait confus autour de moi. Puis, une main vint se poser sur mon bras. Je n'étais pas rassurée car, dans cette ambiance, je n'apercevais pas le visage de celui/ou celle, qui était venu me voir. Je l'observais apeurée, avec de grands yeux ouverts.

            « C'est moi, me dit alors Héloïse. N'aie pas peur, bon sang ! »

            Je me mis à rire, rassurée ; et je lâchai toute la pression qui avait crispé mon corps. Elle portait une large veste verte sur ses épaules, et sous ces lumières brillantes, sa bouche maquillée d'un rouge à lèvres foncé paraissait un entre noir. Je la suivis, tandis qu'elle m'emmenait par la main entre les jeunes dansant et se tortillant autour. Nous atteignîmes la cuisine, qui était la seule salle de l'appartement illuminée par une simple ampoule. J'aperçus enfin des visages connus ; il y avait Lola et son copain, Charles un garçon qu'Héloïse m'avait présenté, puis Van Gogh.

            « Salut Hélène ! » me lança Lola. Et tout le monde me salua. Koï se contenta simplement se me faire un signe de tête. Je remarquai qu'il portait une chemise hawaïenne hideuse, ce qui me fit arborer un petit sourire discret au coin de ma lèvre.

            Ils se mirent à parler, mais je n'entendais rien derrière la musique. Mes yeux divaguaient dans les coins de l'appartement. Il était bien plus grand que le mien. Ce n'était pas un studio, non. Un couloir était criblé de portes fermées, sûrement réservées à des usages privés. Tanguy avait un duplex impressionnant ; je me demandais s'il vivait seul ou accompagné dans cet immense appartement. Observant mes alentours, mes yeux divaguaient entre les silhouettes noires entourées de fumée et illuminées par la lueur rosée des néons. Mais je n'arrivais pas à discerner leurs traits. Déçue, j'essayai de m'introduire dans la conversation de mes camarades. Lorsqu'on me posa un verre sous mon nez.

            « Tu bois ? demanda alors Lola.

            -Non, merci ».

            Ma réponse éveilla l'esprit de tous les autres.

            « Hélène, fais pas ta coincée.

            -C'est pas ça, c'est que...-je soupirai-. J'aime pas trop boire, j'arrive à m'amuser sans ».

            Mon amie s'esclaffa, elle posa sa cigarette sur ses lèvres et tira dessus. L'embout illumina ses lèvres pendant un court instant.

            « Hélène, écoute-moi, continua-t-elle alors que la fumée s'échappait par ses narines. Lâches-toi. Amuse-toi. Fais des choses que jamais tu n'aurais osé avant. Tu comprends ?

               -Lola, je t'ai déjà dit que...

               -Bla, bla, bla! Me coupa-t-elle, et elle vint poser une main sur mon épaule. Arrête d'avoir peur! Regarde toi avec tes grands yeux ouverts, là...T'en as pas marre d'être crispée comme ça? Oses un peu! Sors de tes gonds!

            -Oui mais...Ma mère... »

            Je m'arrêtai soudainement. Pourquoi devais-je parler de ma mère ? Celle-ci m'interdisait toujours de boire de l'alcool. Celle-ci haïssait les fêtes et les soirées, raison pour laquelle je n'étais pas habituée à cette ambiance. Mais pourquoi parlais-je d'elle à cet instant ? Pourquoi elle hantait mes pensées ?

            J'eus un comportement instinctif lorsque, haussant les épaules, je ne pus contrôler ma main qui pris le verre d'alcool, et j'avalai ce qu'il contenait. Le liquide me brûla soudainement la gorge, m'arracha une grimace de dégoût tandis que je le sentais descendre jusqu'à mon estomac.

            « C'est qu'elle a enfin de l'audace, la petite Hélène ! Allez, on trinque tous pour elle, et son éveil!» lança Héloïse en riant.

            Je me mis à rire sans raison apparente, tandis qu'ils buvaient tous dans leur verre. Peut-être étais-ce l'excitation, qui sait. En tout cas, je ne revis plus l'image de ma mère dans mon esprit. Son visage, sa voix, ses mots s'évaporèrent avec l'alcool qui descendait le long de ma gorge.

            Tout passa très vite. Alors que les conversation devenaient de plus en plus salace, une personne vint nous rejoindre. Je n'eus pas le temps de réagir à sa présence, que sa silhouette passa sous la lumière d'un néon et fit briller d'intenses yeux bleus.

            C'était Alice.

            Mon cœur fit un bond dans ma poitrine et mon attitude changea en quelques secondes. Je me mis à siroter mon verre. Je ne sais pour qu'elle raison, une satisfaction intense m'envahit. Peut-être étais-je excitée de venir dans cet appartement, pour la simple et bonne raison que j'avais des chances de croiser la blonde aux yeux bleus.

            « Salut ! lança-t-elle à Lola. Comment ça va, grande cinéaste ? »

            Je n'écoutai plus la conversation, j'étais trop préoccupée à paraître normale.

            Lorsqu'elle vint à mes côtés pour m'embrasser sur les joues, un frisson parcourut mon corps. « Tu vas bien ? » me demanda-t-elle, et j'hochai simplement la tête, sans savoir quoi faire de plus.

            L'instant d'après, je me maudissais intérieurement. J'étais trop maladroite lorsqu'elle était là, ça en devenait presque honteux.

            « Vous connaissez Tanguy ? demanda Alice au groupe.

            -C'est un très bon ami à moi, lança Gabin qui tenait par la ceinture Lola. J'ai donc invité ma copine et ses amies.

            -D'accord! C'est mon cousin, c'est pour ça que je suis ici! Et je vous avais jamais vu chez lui, donc je me suis permis de demander ».

            La conversation fut particulièrement brève. Au bout d'un moment, Alice alluma une cigarette qu'elle déposa entre ses lèvres. Je me surpris à apprécier le geste qu'elle faisait. Je regardai ses lèvres rosées s'illuminer par l'embout incandescent du briquet, et suivis des yeux les volutes de fumée qui s'en échappaient.

            J'eus la soudaine envie de fumer. Pas par nécessité. J'avais simplement besoin d'attirer son attention, de trouver un point commun avec elle à cet instant précis.

            Alice était une inconnue pour moi, mais je voyais déjà qu'on était différentes. Elle était là, elle s'affichait, elle riait à gorge déployée, elle tenait sa cigarette entre ses longs doigts fins et elle savait se tenir droite.

             Je me surpris alors à la reluquer, et mes yeux divaguèrent sur son corps. Ils se déposèrent sur ses hanches, parfaitement dessinées, merveilleusement esquissées face à elle ; des hanches adroitement crayonnées, d'un habile coup de main. Je remontai mon regard sur les seins de cette fille. Ronds, fermes, des seins autoritaires, imposants, ceux qui ne sont pas indifférents par leur caractère, par ce petit geste qu'elle effectuait en relevant ses épaules, qui les rendaient exigeants. Ce corps qui se dessinait face à moi, comme un portrait parfait, ou on aurait effacé les coups de crayons inutiles, pour ne laisser qu'une magnifique silhouette.

            Je m'attardai sur ses yeux, sa bouche, qui formaient son faciès. Son attitude. Elle semblait intouchable, indomptable, impossible à atteindre. Elle avait un air d'immortalité.

            Oui, la vie semblait appartenir à cette femme. Elle la tenait entre ses doigts fins et minces, comme elle tenait sa cigarette qui se consumait petit à petit et que parfois elle caressait de ses lèvres brillantes. Elle ne la lâchait pas ; elle se l'était appropriée, l'avait domptée. Impassible au monde extérieur. Pas un seul regard, un seul geste, ne la faisait lâcher sa vie. En un simple regard, elle semblait écraser sous le talon de ses bottes les griffes du monde qui venaient essayer de lui arracher la peau. Ses yeux bleus translucides traduisaient ce sentiment de certitude, il s'émanait d'elle une hardiesse et une sûreté qui lui ouvraient le passage face à elle, qui écartaient les ombres et l'obscurité du malheur.

            Je ne connaissais pas Alice, mais je pensais la connaître en lisant sur son corps et sur son visage, ce qu'elle voulait paraître.

            Nos regards se croisèrent, je fus intimidée.

            Un garçon nous rejoignit. Ou plutôt, il s'approcha d'Alice, et d'une main baladeuse qui essayait d'être discrète, il vint caresser son bas ventre et descendre jusqu'à ses hanches.

            J'observai ce nouvel arrivant, qui murmurait à l'oreille de la jeune fille. Une pointe de jalousie s'empara de mon corps. Elle me mordillait l'estomac, elle me donnait des nausées. Soudain, je n'eut envie de rien, et mes yeux -encore et encore-, ne pouvaient se détacher d'elle et de ce garçon qui la touchait.

            J'aurais aimé être cette main qui se baladait sur elle. Ces lèvres charnues qui susurraient à son oreille et qui la faisaient rire. Ces cheveux frisés dans lesquels Alice passa une main douce pour effleurer le lobe de l'oreille du garçon.

            Ils s'éloignèrent sous nos yeux, et sans aucune discrétion je les suivis. Ils allèrent au balcon, il avait toujours sa main sur ses hanches. Elle se retourna subitement et me regarda encore. Ce fut encore plus intimidant qu'avant, et je rougis avec force avant de tourner la tête autre part, jurant intérieurement que plus jamais je ne la regarderai.

            « C'était qui, lui ? demanda Héloïse.

            -L'une de ses milles conquêtes.

            -C'est Adam, il est en fac de droit, expliqua Gabin. C'est un bon gars, mais il a un peu les mains baladeuses. »

            Je me sentis conne. Idiote. D'être aussi attachée à elle, de ne pas pouvoir me passer de sa silhouette. Que m'arrivait-il ? Aucune idée, mais je me fatiguais moi-même.

            Je bus une gorgée de ma boisson et annonçai à mes amis que je devais aller aux toilettes. Sur le chemin, je pris le temps de regarder derrière la baie vitrée qui donnait sur la terrasse. Je vis simplement deux silhouettes s'enlacer. Une nausée s'empara de mes tripes et je pressai le pas.

            Aux toilettes, j'essayai de me calmer et de raisonner. J'étais venue là pour m'amuser, et rien d'autre. J'observai mon reflet dans le miroir, remis en place ma combinaison noire, enlevai du rouge à lèvres qui s'était déposé sur mes dents.

            J'allais à présent essayer d'affronter cette soirée d'un autre point de vue. Je ne devais plus être soumise à cette fille ; j'avais la nécessité d'être moi-même, maître de mon propre corps. Décidée à faire ainsi, je me précipitai hors des toilettes.

            La seconde après avoir ouvert la porte, je percutai un inconnu qui déversa le contenu de son verre sur mes jambes. Je criai de surprise, sentant le liquide poisseux sur mes genoux.

             « Wow, merde », lança l'inconnu. Je levai les yeux sur lui. Je l'avais déjà aperçu auparavant à la faculté, mais je ne savais rien de lui.

            « C'est pas grave, dis-je en soupirant.

            -Je suis désolé, lança-t-il. En fait, t'as ouvert la porte précipitamment et j'ai rien pu faire.

            -Je ne t'en veux pas, ça arrive à tout le monde ».

            Il me tendit alors la main.

            « En tout cas, moi, c'est Hugo.

            -Hélène, dis-je en lui prenant la main. Enchantée.

            -Tu veux que je t'aide à nettoyer ?

            -Oh, non, c'est bon. Ca va sécher. Je veux juste pas puer l'alcool, mais bon. Je suppose que dans une soirée comme celle-ci, c'est presque banal ».

            Il rit, et je fus surprise de le voir rire à ma remarque.

            « Tu es d'ici ?

            -Oui, lançais-je. Je suis à la faculté d'Histoire. Et toi ?

            -En médecine, dit-il. Mais bon, comme tu le vois, j'ai d'autres choses à faire que de bosser mes partielles. Je sais d'ors et déjà que j'ai raté ma vie ».

            Je ne savais pas quoi répondre à cette réplique, car ceux qui avouaient ce genre de choses avaient souvent raison par la suite. Donc je préférai ne pas enfoncer le couteau dans la plaie.

            « Tu veux venir t'assoir ? C'est mieux de discuter tranquillement dans un sofa plutôt que d'être devant les toilettes, tu crois pas ?

            -Oui, bien sûr », dis-je entre deux rires en le suivant.

            Les néons roses nous illuminèrent à nouveau. Il me dirigea vers un sofa en face d'une table basse où étaient posés une dizaine de bouteilles d'alcool et des verres à moitié vides. Quelques autres jeunes jonchaient par là, fumant où buvant. On s'assit entre deux d'entre eux.

            « Tu veux un verre ? » me demanda-t-il.

            Sans précédents, je répondis que oui, et il me servit quelque chose, j'ignore quoi.

            « T'aimes l'histoire ? me demanda-t-il alors.

            -Oui, j'aime bien. Disons que je préfère ça aux mathématiques où à la physique. Au lycée, j'étais une brêle. Je détestais me faire humilier par les professeurs, donc j'ai préféré suivre une voie qui me correspond plus. J'espère que dans quelques années, j'aurais réussi ma vie et je pourrais envoyer valser tous ceux qui ne croyaient pas en moi.

            -Oh, c'est ambitieux. Pour ma part, j'étais nul avant, et je continue d'être nul. Mais bon. Mes parents ont cru voir du potentiel en moi et m'ont inscrit à la fac de médecine. Ils se sont trompés, et j'espère qu'ils s'en rendront compte ».

            Il prit un paquet de cigarettes et m'en proposa une.

            « Non, dis-je. Mais qu'est-ce que vous avez tous avec ça ? lançais-je alors. Pourquoi tout le monde fume ? -je me repris-. Pourquoi tu fumes, toi, par exemple ?

            -Je sais pas, dit-il. J'ai commencé parce que j'étais con et je voulais faire comme tout le monde. Et aujourd'hui, je peux plus m'en passer.

            -C'est nul.

            -Je suis nul, je te l'ai dit avant », ricana-t-il en allumant sa cigarette.

             Devant nous, je vis Alice gambader en riant, faisant claquer ses bottines à talons sur le sol. Je me concentrai à nouveau sur elle, mais je secouai soudainement la tête pour essayer de l'oublier. Ainsi, je me forçai à parler avec Hugo pour l'oublier. Mais celui-ci me dévanca.

            « Tu vois, la fille, là ? »

            Il pointa le doigt sur quelqu'un. Je compris rapidement qu'il parlait d'Alice, et je fus déçue. Comme quoi, tout me menait à elle.

            « Oui, c'est Alice.

            -C'est une pépite. -Il lui adressa un baiser depuis le sofa-. C'est ce genre de fille que tous les mecs veulent se faire, mais seulement ceux qui sont les plus chanceux arrivent à la baiser ».

            Il tira sur sa cigarette.

            « Pourquoi tu la trouves exceptionnelle ? demandais-je, curieuse.

            -Pourquoi ? -ma question l'étonna, et c'était normal-. Eh bien...Je sais pas, elle est belle, elle est intelligente, et puis... »

            Il attendit un instant avant de continuer, comme si il pesait ses mots.

            « Elle vit pas la vie à moitié, quoi. Elle a aucune limite. Elle fait des trucs de malade ».

            Il continua : « elle ose, putain. C'est fou comment elle a pas peur ». Et je le coupai dans ces mots :

            « Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

            -Bah...Tu la connais pas ? T'as jamais entendu parler d'elle ?

            -Si, mais... ».

            Là, une voix rauque nous coupa. C'était encore Alice. Je me demandais si c'était une coïncidence, ou si notre conversation était arrivée à ses oreilles, et elle avait décidé de nous couper.

            « Je peux te taxer une clope ? » demanda-t-elle à Hugo.

            Ce dernier, tout souriant, lui en donna une. Il lui adressa un clin d'œil, et lorsque Alice déposa sa cigarette sur les lèvres, ce fut lui qui l'alluma avec son briquet. On voyait la satisfaction dans ses yeux qui brillaient d'un désir puissant lorsqu'il regardait la jeune fille inspirer la fumée.

            « Je t'en prends une aussi », lançais-je d'un seul coup. Mon propre corps n'arrivait pas à croire ce que je venais de faire. Hugo haussa un sourcil. « Tu fumes ? », et Alice me regarda elle aussi.

            « Non, mais je veux essayer ».

            La fille aux yeux bleus translucides sourit.

            « Voilà, c'est ça ! Il faut essayer ! Comme ça, on n'a aucun regret après ».

            Je fus ravie qu'elle m'eut parlé. Et lorsque Hugo me passa sa cigarette, l'excitation m'emporta.

            Alice s'en alla alors, rejoindre un garçon qui était à quelques mètres de là. Pendant ce temps, j'aspirai une bouffée de fumée. Je faillit m'étouffer. Elle me traversa la gorge avec violence et m'arracha une quinte de toux. Mais quelques secondes après, ma tête se mit à tourner doucement.

            « Petite joueuse », me murmura Hugo alors que je lui décrivais les effets.

            Il nous servit alors deux shooters de vodka.

            « Tu veux ?

            -Non.

            -T'es sûre ?

            -Non ».

            J'avalai encore une bouffée de fumée, et agrippai le verre entre mes doigts.

            Hugo compta jusqu'à trois, et nous avalâmes le liquide en quelques secondes. Ce fut très violent, je plissai les yeux et serrai la mâchoire. L'alcool était extrêmement fort, mais je fus satisfaite lorsqu'il eut enfin terminé de glisser le long de ma gorge.

            « Un autre ?

            -Oui », dis-je sans hésiter.

            Je ne comprenais pas ce qu'il m'arrivait. C'était sûrement l'image d'Alice en face de moi qui me faisait cet effet.

            Hugo et moi parlâmes encore quelques minutes. Je me surpris par exemple, à poser ma tête sur son épaule, entre deux taffes de la cigarette. Il déposait parfois sa main sur ma cuisse, et mon bas-ventre tremblait d'excitation.

            Alice revint. La regarder, c'était un véritable plaisir.

            Ces mots, adressés à Hugo, s'échappèrent d'entre ses lèvres sans gêne :

            « T'aurais pas une capote à me dépanner ? »

            Ce fut comme recevoir un jet d'eau glacée dans la figure. Je ne sais pour qu'elle raison, je voulais que Hugo lui dise que non, qu'il n'en avait jamais sur lui. Mais ce fut le contraire qui arriva, car il la lui tendit, en lui murmurant un « voilà princesse » qui ravit la jeune fille. Elle s'en alla encore rejoindre Adam, et les deux s'enlacèrent encore une fois. Puis, ils se dirigèrent vers l'une des chambres. Avant que leurs silhouettes disparaissent derrière le couloir, Alice tourna son regard vers le sofa où j'étais assise avec Hugo. Elle nous fit un clin d'œil, avant d'aller dans l'une des chambres. Je ne saurais dire à qui il était adressé, mais à ce moment-là, la jalousie me tuait de l'intérieur.

            « J'en connais un qui est chanceux ce soir », susurra Hugo en posant sa cigarette sur les lèvres.

            Oui, il l'était.

            Sans plus tarder, comme pour m'anesthésier, je me servis un troisième shooter de vodka et l'avalai en deux secondes. Ma tête essayait d'effacer l'image d'Alice de mon esprit.

            Mes yeux brillants se dirigèrent vers Hugo.

            Il me regardait avec une drôle de lueur dans ses pupilles marron.

            Je lui souris, sentant une drôle de sensation dans mon bas-ventre.

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