L'assassine. (partie III)

Hey yo! 🌹

Un petit message pour les lecteurs : je m'étais pas forcément rendue compte à quel point ce récit peut paraître sombre et dérangeant sur beaucoup de points. Je tiens donc à m'excuser si certains d'entre vous se sont sentis mal à l'aise en lisant J'ai rêvé de toi cette nuit.

Je n'aime pas faire ça (ça gâche le récit et ça peut peut-être repousser certains), mais ce chapitre est, comme d'autres déjà publiés, quelque peu glauque. Je tiens donc à m'excuser d'avance et surtout, à vous prévenir.

Sur ce, bonne lecture et merci encore pour votre soutient. 🌹

Peace!

Kashmir.

***

     Il pleuvait sur la ville, de grosses gouttes ; à la limite d'une grêle destructrice. Mes cheveux claquaient contre mon dos, je courrais à en perdre haleine entre les ruelles. Un écho assourdissant m'enveloppait, je croyais être seule et persécutée. Le fantôme d'un mort, d'un cadavre qui voulait ma peau. Vengeance, j'entendais dans les airs, et ses mains qui voulaient venir m'étouffer. J'haletais, comme l'animal blessé qui fuit ; la proie attaquée par les crocs acérés du démon.

     J'arrivai à l'entrée de mon immeuble et les lieux environnants me rassurèrent. D'une main tremblante, j'introduisis la clé dans la serrure du grand portail. La panique m'emporta, je n'y arrivais pas. Juron sur juron, l'adrénaline m'envahit à nouveau, jusqu'à ce qu'une main se posa sur mon épaule.

     Je me retournai subitement avec un cri qui s'étouffa dans ma gorge. Une silhouette élancée, des cheveux blonds en bataille et un petit nez retroussé. Des jeans Levi's délavés et trop amples.

     C'était Koïwenn.

     « Helly, calme-toi, c'est juste moi.

        -Qu'est-ce que tu fais là ? j'ai demandé, d'une voix qui ne sortait pas de ma gorge.

         -Je voulais savoir comment tu allais. Ça fait des jours que je n'ai plus de tes nouvelles et je m'inquiétais ».

J'avais honte. L'image soudaine me revint, d'une toile sur laquelle un immonde personnage était dessiné d'habiles coups de pinceau. Ce n'était pas moi à ce moment-là, j'aurais aimé le lui dire. Que mes gestes étaient contrôlés par cette atrocité, ce diable aux yeux luisants de malice. Je serrai la mâchoire et restai immobile un instant, le regardant droit dans les yeux. Il ne semblait pas attendre des excuses. Sa main restait sur mon épaule, exerçant une douce pression. Il n'était pas désolé, ni pour lui, ni pour moi, d'ailleurs. Il ne fumait pas, c'était l'une des premières fois ou je le voyais sans tabac entre ses doigts.

« Tu peux oublier ? murmurais-je. Oublier ce qu'il s'est passé ce jour-là? Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je n'étais plus moi-même.

-J'oublierais ma vie si j'en avais le pouvoir.

-Moi aussi ».

C'était dit. Il serrait ses lèvres gercées par le froid, hochant doucement la tête. Ses yeux verts m'évitaient. Je souris timidement et ouvris le portail de mon immeuble.

Il me suivit dans la cage d'escalier, m'accompagnant dans ma démarche chancelante. Je l'invitai à entrer dans mon appartement ; quoi qu'il en soit, c'était évident : c'était ce qu'il attendait. On parlait doucement lui et moi, je ne sais même plus sur quel sujet. Koïwenn essayait sûrement de me rassurer car j'avais les mains qui tremblaient de peur et d'effroi. Je l'entendais encore au creux de mon oreille qui me disait « je reviendrai et tu devras m'achever ».

Je préparai un thé mais Koïwenn le refusa alors qu'il déposait des miettes de tabac sur une fine feuille blanchâtre. Tant pis me dis-je, et j'allai m'assoir à table.

« Tu sais si Lola va bien? Je demandai soudainement.

-Mouais. Elle garde le sourire. Mais je pense que tu devrais aller lui parler.

- Elle me déteste, lâchais-je. Et c'est normal. Tout le monde me haït, maintenant ».

Il ne répondit pas et alla à la fenêtre pour fumer. Lorsqu'il ouvrit celle-ci, les courants d'air froid qui s'engouffrèrent dans la chambre me firent frissonner. Son silence n'était pas rassurant. Peut être qu'intérieurement, Koïwenn avait tout simplement acquiescé.

Mon téléphone portable vibra dans ma poche, sur l'écran s'affichait un numéro inconnu. Sans réellement réfléchir, je répondis.

« Allô?

-Alice est avec toi? »

C'était une foix de femme. Je fronçai les sourcils.

« Qui est-tu?...

-C'est Karla, bordel. Réponds à ma question.

-Non elle n'est pas avec moi, elle est toujours à l'hôpital normalement...Comment tu as eu mon numéro?

-Non Hélène, lança-t-elle d'une voix tremblotante ignorant mes mots. Elle n'est plus à l'hôpital. Merde! Je savais qu'il ne fallait pas faire confiance à ces abrutis de médecins. Tu sais où est-ce qu'elle peut être?

-J'en sais rien Karla...Est-ce que tu as demandé aux... »

Un grincement qui interrompit mes paroles se fit entendre. Doucement une musique s'éleva dans les airs, je reconnus les accords d'une vieille guitare. Le son provenait de la salle de bains, j'écoutais les paroles d'une voix grésillante qui en émanait.

"Here I lie in my hospital bed
Tell me, sister morphine, when are you coming round again?"

Une voix qui envahissant l'espace, l'obscurité des nuages gris de l'extérieur qui pleuraient, tout était sinistre, sombre, rien n'allait.

Koïwenn jeta son mégot par la fenêtre et vint à mes côtés, nos yeux fixant la porte de la salle de bains.

Oh, I don't think I can wait that long
Oh, you see that my pain is so strong.

« C'est quoi, Koïwenn ? ». J'avais juste besoin d'une réponse. D'un regard, peut-être. Il avait peur lui aussi. Et pourtant il vint à mes côtés, me prit la main et s'approcha de la porte. La musique vrombissait derrière celle-ci. Douce et arrogante. Koïwenn hocha la tête, je devais y aller.

J'entrai doucement, les notes s'envolèrent avec plus d'intensité, un vieux tourne-disque crépitait sur le lavabo. Il était couvert d'une poudre blanche. On soufflait dessus et elle s'évanouissait, ça nous aspirait ; on l'avalait, on devenait fou.

The scream of the ambulance is soundin' in my ear
Tell me, sister morphine, how long have I been lying here?

Elle était là, dans le bain, nue, son corps blanc, ses bras griffés constellés d'hématomes violets. Ses cheveux blonds qui brillaient un peu, ses yeux bleus qui scintillaient doucement.

Nos regards se croisèrent. Elle sourit.

« Salut Hélène.

- Alice ».

Elle passait ses doigts fins et blancs sur sa peau, lorsqu'elle s'arrêtait sur ses blessures elle grimaçait. Alice était nue sous l'eau cristalline de mon bain. Les rideaux étaient tirés, elle avait tout prévu. Tout pour que je la voie ainsi, comme ça. Belle. Brillante et lumineuse, malgré le rouge de ses griffures.

« Qu'est-ce que tu fais ici ? je demandai de ma voix étouffée.

-Je voulais te voir. Une dernière fois ».

Koïwenn, derrière la porte, attendait une réponse de ma part. Je me suis retournée vers lui, la gorge serrée. Aspirant dans son papier roulé de tabac, il a hoché la tête et s'est retourné pour disparaître.

Alice et moi nous retrouvions seules. Encore. Le silence qui nous entourait était lourd. De reproches, d'Amour peut-être. De douceurs et de tirades en tout genre. Un silence pesant de tous les mots qui le tenaient en haleine.

« J'ai rencontré Karla. Elle m'a beaucoup parlé de toi, tu sais. C'est une personne adorable, avec un grand coeur ».

Alice n'a rien dit, comme si mes mots ne l'atteignaient plus, elle continuait de chantonner. Un léger sourire étirait sa bouche.

«Tu aimes la musique ? - elle ne me regardait pas, ses yeux glissaient le long de sa peau humide-.

-Elle m'a tout raconté, Alice. Je m'excuse, d'accord? Je m'excuse pour tout ce que j'ai pu te dire, te faire. Je n'étais pas moi même, je...

-J'adore cette douce chanson. Sa voix, écoute-la. Elle m'envoûte. »

Elle imitait la chanteuse, ne m'écoutait pas. Ou alors, elle faisait tout comme. Je me suis approchée d'elle, m'accroupissant à ses côtés. Nous étions si près, l'une de l'autre, je voyais toutes les blessures de son corps, les cernes qui creusaient son visage blême, les peaux mortes sur ses lèvres déchirées, ses ongles encore bleus et ses mains sèches et rouges.

« Je t'en supplie Alice. Ecoute-moi.

-Je t'écoute, Hélène.

-Je t'aimais. Voilà. J'aurais tout fait pour toi. Tout. Tu étais réellement tout dans ma vie. Alors s'il-te-plaît : sois en consciente ».

Alice soupira. La musique s'arrêta soudainement. Ses doigts s'agrippèrent aux rebords en céramique de la baignoire, j'aperçus ses ongles déchiquetés à coups de dent.

« J'ai compris qui j'étais, commença-t-elle. Et tu sais quoi ? Je me déteste. Voilà, je me hais.

Je veux mourir, je suis odieuse. Je suis le diable en chair, l'immonde monstre, l'hideuse créature des contes pour enfants.

Je vous mange, dévore. Tu m'entends ? Toi, Karla, tout le monde. Je vous ai bouffés, déchiquetés entre mes crocs acérés. Je ne mérites rien de tout ça. L'amour n'est pas fait pour moi.

-C'est faux. Tu m'as appris tellement de choses, tu ne t'en rends pas compte.

-Ah oui, lança-t-elle en un rire - enfin elle m'écoutait. Je me réjouis quelques instants avant d'écouter la suite :-. Attends, laisse-moi deviner. Je t'ai appris quoi exactement, hein ? Comment avaler des pilules, c'est ça ? Comment "planer", te détruire le coeur, les poumons, le cerveau et la vie pour t'échapper dans un monde illusoire, plein d'étoiles qui ne sont rien d'autre que des produits psychotropes qui finiront par t'achever ? C'est ça, Hélène, ce dont tu parles ? Toutes ces choses que je t'ai apprises ? »

C'était la première fois que je l'entendais parler ainsi. Aussi consciemment, aussi lucide. Alice était enfin vivante, réveillée de cet étrange rêve dans lequel je la voyais flotter depuis tout ce temps. Les pleurs envahirent mes yeux rougis, je ne savais même pas où cette conversation nous menait. J'essayai de prendre sa main dans la mienne, mais dès que je frôlai sa peau Alice hurla. Son cri transperça mes tympans.

« Je suis un monstre ! -Sa voix s'était élevée, elle s'égosillait à présent. -Un putain de démon, tu m'entends ? Depuis tout ce temps j'essayais de trouver un sens, une signification à mes actes. Bordel, que j'ai été conne. Tout était prédit, je devais arriver ici un jour ou l'autre. Ma vie n'a aucun sens, si ce n'est de faire du mal aux autres : voilà la réponse.

Je prends les gens par la main et je les dévore. Je suis mauvaise, Hélène, tu m'entends ? Une horreur vivante. Et je ne mérite plus de vivre ».

J'ai secoué la tête, la gorge nouée. Je ne pouvais rien faire, simplement la regarder. Elle se mit hurler des insultes qu'elle s'adressait à elle-même. Ses griffes venaient tenailler sa peau avec violence, elle essayait de s'arracher les cordes vocales. Un démon pouvait émaner de des cris, un spectre obscur et sanglant. C'était une scène effrayante à regarder. Alice n'était plus rien qu'un pauvre corps convulsé et blessé, qui cherchait tant bien que mal à se sauver des griffes du démon.

« Arrête » je lui disais. Elle a cessé de crier, sa respiration s'est adoucie. Alors, nos yeux se sont croisés encore. Les siens, aux pupilles dilatées et injectés de sang, m'ont supplié.

« Tue-moi ».

J'ai secoué la tête, et un léger rire s'est échappé d'entre ses lèvres, contrastant avec les cris qui s'en échappaient quelques secondes avant. Je m'y attendais, c'était évident. Elle répétait sans cesse « tue-moi, je le mérite. Tue le démon qui t'a mis dans cet état. Tue-moi avec. Je ne suis rien sans lui, de toutes façons. Je n'ai jamais rien été. Juste un pauvre corps qu'on a possédé pour faire du mal. Tue-moi, Hélène ». Ses mots résonnaient dans ma tête.«Tue-moi, bordel ». Sa main se glissa au sol, elle attrappa quelque chose, les pleurs brouillaient ma vue.

Alice agrippa un revolver, la crosse métallique brillait sous la lueur des néons de la salle de bains, elle l'éleva au-dessus de sa tête. J'avais beau hurler, Alice ne m'écoutait plus. Avoir l'arme dans sa main, ça lui faisait plaisir. Allez Hélène, tue-moi, s'il te plaît, je n'ai besoin que de ça, je souffre. Non, non, je disais, c'était une confusion extrême, mon cœur battait fort, mes membres étaient ankylosés, une main griffue me serrait l'estomac et la gorge à la fois, je n'arrivais plus à respirer. Non, je ne le ferai pas, je lui disais, mais ne le fais pas non plus je t'en supplie. Elle ne m'écoutait plus, c'était fini. Sa respiration haletante, ses yeux aux pupilles dilatées, ses doigts qui s'afféraient sur la crosse.

« Tue-moi.

-Non.

-Alors je vais le faire. Pour mon bien. Pour le tien. Pour celui de l'Univers entier. C'était prédit, de toutes façons. L'harmonie veut ma mort ».

C'était inévitable. Malgré mes cris de douleur, malgré la venue précipitée de Koïwenn. Malgré l'Amour qui nous enveloppait. J'ai fermé fort les yeux, ma main est venue étouffer le cri d'horreur qui s'apprêtait à sortir de ma gorge. Je me suis jeté au sol, impuissante.

Moi aussi je t'aime. J'ai cru l'entendre de sa voix douce.

Et Alice a appuyé sur la gâchette.

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