L'assassine. (partie I)

   Je ne crois pas qu'elle ait pleuré. Elle contenait sûrement sa rage dans ses yeux engourdis, ses lèvres macabres. Son pas se faisait de plus en plus lourd, teinté d'une certaine violence, comme si elle voulait fissurer le sol à ses pieds. Ses ongles mordus menaçaient ses alentours. Elle allait droit de l'avant, sachant ce qu'elle allait faire - sûrement ce qui allait se passer ensuite-. Elle fonçait vers la décadence, grattant sa peau jusqu'à la faire saigner pour apercevoir des os pointus. Elle était consciente. À moitié ; aveuglée par la rage, l'amour peut-être. La haine, aussi (envers qui, elle ou bien moi, je n'en sais rien).

   On l'avait vue s'enfermer dans les WC. Fermer la porte violemment, les joints avaient tinté au sol. Derrière celle-ci, ornée de ridicules graffitis confectionnés au feutre, impossible de savoir ce qui se passait ensuite. Des bruissements, gémissements -quelques sanglots de temps en temps, que l'on confondait peut-être avec des plaintes de douleur profonde et de colère-, s'entendait parfaitement. On s'imaginait la scène, comme je le faisais à cet instant précis.

   Je la vis, d'un geste assuré pourtant, tant de fois l'avait-elle fait en souriant. Je la sentis, prendre sur son index le poison blanc aux allures de poudre magique. Ou alors, cette veine qui jaillit sur son bras et qui l'appelle, qui lui murmure de doux mots. Orgasme, chaleur, lourdeur, satisfaction. Une injection, une simple respiration rapide, puissante. Elle renifle, elle touche son bras, une petite goutte de sang coule et s'écrase au sol. C'est le signal d'alarme.

   Elle se sent partir, elle frappe à la porte. Elle a mal dans son corps, au cœur, ses bras lourds, son nez pique très fort. Ses jambes flageolent, elles ne tiennent plus. Mains tremblantes, sa voix le suit. Des mots sortent d'entre ses lèvres, ils s'éteignent doucement. « À l'aide », elle semblait dire. La porte s'ouvre en trombe, des paires d'yeux la regardent. Soudain, bruit lourd : elle tombe au sol, inconsciente, s'effondre, son crâne heurte le sol, ses bras convulsent avant de se désarticuler, inertes.

   On crie à l'aide, on va la voir, elle a les yeux révulsés, les lèvres et le bout des doigts noirs. Overdose, on crie. Putain elle a fait une overdose. A-t-on vu la poudre empoisonnée ou la seringue assassine. Peut-être rien de tout ça. Quelques minutes après, les médecins arrivaient.

   On avait retrouvé dans le corps d'Alice des traces d'opiacés, de médicaments, antidépresseurs ou somnifères, relaxants, toutes sortes de merdes, en quantité importante. Son corps n'avait pas résisté. Ses derniers mots, incompréhensibles, qu'elle avait pu prononcer avant de s'effondrer, ils étaient effrayants tellement ils étaient dénués de sens.

   Elle avait passé quarante-huit heures à l'hôpital. La seule chose que je savais, c'est qu'elle était vivante ; mais, sans aucun doute, Alice avait frôlé la mort.

   C'était de ma faute. Non.

   C'était de sa faute, à Elle.

   

   Dans le miroir, j'observais son reflet. Elle était là, comme toujours. Les traits de son visages illuminés par un néon blafard. Confiante, souriante, elle me fixait avec des yeux brillant de malice.

   « Tu t'en rends compte...Bordel, tu as vu son visage ? j'ai commencé d'une voix morose. Ses yeux, ses lèvres noires ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ? - mes phalanges blanchissaient, je serrais mes poings.

   - Elle a failli mourir, Hélène. Ce n'était pas précisément ce que tu voulais ?

   - Comment ça ? »

   Sa main, douce et brillante, s'était posée contre le miroir, laissant une trace de buée dans le reflet scintillant. Je fronçai les sourcils : ma paume s'était déposée au même endroit, suivant ce mouvement, et elle se plaçait exactement au même endroit.

   « C'est à ton tour maintenant d'être elle, reprenait-elle d'une voix assurée et macabre. Tu ne le sens pas en toi ? Toute cette confiance, tout cet univers...Tout ça est à toi, maintenant.

   -Tu me parles comme elle. Arrête ça tout de suite.

   -Je suis elle, Hélène. Tu es elle. Tu as pris possession de cette silhouette que tant tu voulais. Depuis tout ce temps, c'était la seule chose que tu désirais.

    -C'est faux. Faux, bon sang ! -j'ai répété ces mots en fermant les yeux, la mâchoire serrée (je ne voulais plus la voir) -. Jamais je n'ai désiré la mort d'Alice. Jamais.

   -Si Hélène, ce n'est pas son corps que tu désirais. Son pouls qui battait contre ta peau, ses lèvres douces qui bégayaient à son insu...Non. Tout ce que tu voulais, c'était être son corps. Jalouse tu étais. Tu voulais lui ôter cette force qu'elle avait en elle.

   Je devais la tuer. »

   J'ai reculé d'un pas. La trace de ma main est restée sur le miroir, buée ineffaçable, comme pour me rappeler que ces mots sortaient de l'antre de ma bouche. Des gouttes de sang noir perlaient sur le miroir, glissaient doucement le long du reflet. Un trait rouge se dessinant petit à petit, tâchant la silhouette face à moi. Je posai mes yeux sur la paume de ma main : elle saignait. Mes ongles étaient venus se planter dans ma paume, profondément, avec violence et haine. Pendant que je parlais avec ce diable carnassier.

   Elle et moi nous sommes regardées, subitement, terriblement, et elle m'a souri. Ses lèvres se sont étirées, rouges, au croc acéré, aussi brillants que ses yeux. Ils me disaient de la prendre dans ses bras, de rester à ses côtés, une union inséparable.

   Elle était séduisante, comme dans mes rêves et mes passions. Ses hanches dansaient, lentement, mugissant férocement et pourtant ; elle était si belle. Sa main caressait sa peau, celle du cou, descendait jusque sa poitrine. Ils glissaient dans les torrents de son corps, son ventre qu'elle venait chatouiller puis ses cuisses. Allaient se réfugier entre ses hanches.
Elle fermait les yeux. Gémissait. Douleur plaisir, je ne sais pas. Mais elle m'appelait. Chant de sirène, envoûtant ; sorcière ensevelie derrière cette vitre, prison meurtrière. Elle voulait de moi.

   Mal-être, bouche sèche et mal de crâne, comme si des centaines d'épines s'y enfonçaient en même temps. Je devenais sourde, seule sa voix résonnait. Ses gémissements et murmures. L'espace m'enfermait. Il n'y avait plus que ce miroir. Face à moi. Noir autour, obscurité ambiante. Et ses mots qui résonnaient, mon prénom qu'elle prononçait.

   J'ai cru sentir ma main l'imiter. Elle venait caresser mon cou. Mimétisme diabolique.

   Une image est apparue dans mon esprit. Celle d'une fille étendue au sol aux yeux révulsés. Effrayante. Molly entre ses doigts gisait et se décomposait. Des images violentes, du sang poisseux et d'une couleur rouge foncé. Des lumières soudaines et aveuglantes, des cris. De la souffrance.

   Et en face de moi, elle jouissait de plaisir.

   J'ai serré la mâchoire, ma main s'est crispée tandis qu'elle glissait sur ma peau, s'arrêtant soudainement. Ma respiration saccadée, mes jambes tremblaient sous mon corps. Elle m'a vue, elle a senti le danger qui émanait de mes yeux la fusillant. « Que fais-tu ? ». Son visage auparavant empli de désir et de bonheur, s'est décomposé, crispé de confusion « Tu fous quoi, Hélène ? Pourquoi tu ne viens pas avec moi, hein ? Je ne te plais pas, c'est ça ? ». Elle avait peur. Seule, l'ampoule au-dessus de ma tête scintillait d'une lueur sale et blanchâtre.

   Je devais l'achever. Elle devait disparaître.

   Ma main s'est dirigée vers ma gorge. Doucement, elle l'a agrippée, mes doigts engourdis se sont enfoncés dans ma peau. Le reflet m'imitait. « Hélène » elle gémissait. « Ne fais pas ça. Tu as besoin de moi ». J'ai pris ma gorge entre mes doigts. Je la fixais, elle avait peur, ça se voyait dans ses pupilles qui se dilataient doucement. J'avais peur moi aussi, je respirais bien trop fort, ma respiration haletante trahissait l'angoisse de mon corps. Ma cage thoracique était emprisonnée.

   J'ai serré mes doigts autour de ma gorge. Peinant à respirer, j'ai lâché la pression rapidement. Elle a fait de même, a souri. « Je le savais. Tu ne peux pas le faire, hein, Hélène. Tu essayes de tuer la partie de toi que tant tu veux. Belle contradiction ». Ma gorge était sèche, j'avais un besoin de hurler.

   « Je n'ai plus besoin de toi, j'ai dit en un murmure.

   -Bien sûr que oui. Tu en as toujours eu besoin. Tu avais peur de vivre. Tu t'en souviens ? Et maintenant, depuis que je suis là, tu es invincible ».

   J'ai fermé les yeux. Sans plus y penser, mes doigts se sont resserrés. Fort. J'avais mal. L'air me manquait. J'eus un instant l'envie d'ôter ma main, mais je la voyais dans le reflet. Elle souffrait, elle suffoquait. Elle essayait de parler, ses lèvres devenaient bleues. Moi aussi, je commençais à perdre conscience de mes alentours. Mais ma main ne lâchait pas la pression. C'était impossible.

   Non, je ne veux plus de toi, laisse-moi tranquille, j'ai pensé alors que nos yeux identiques à présent, s'enfonçaient les uns dans les autres.

   J'ai commencé à lâcher la pression. Je l'ai vue. Elle continuait de s'étrangler. Son visage était pâle. Je toussais. Libérée de ma propre étreinte, mes mains rouges de sang tout comme la peau de mon cou, je la regardais mourir petit à petit. Elle avait peur, mais elle avait compris. Il était temps qu'elle disparaisse.

   Je l'ai vue s'effondrer doucement au sol, s'accrocher au miroir de ses doigts aux ongles acérés alors que son autre main restait collée contre son cou. Glissant lentement vers le sol. Elle s'est effacée complètement, alors qu'une violente quinte de toux s'en est prise à a gorge. Autour de moi, la lumière est revenue. L'ampoule a brillé de mille feux. Je me suis regardée dans le miroir. Elle n'était plus là. Juste moi et ma silhouette, le visage blême, la gorge ensanglantée.

   Je l'avais tuée. Enfin, elle était morte pour toujours. J'ai fermé les yeux, m'appuyant contre un mur, je me suis laissé tomber. Le sol était froid, j'avais besoin de reprendre les esprits.

   J'ai revu ses yeux bleus et son sourire. Cette beauté éclatante, qui avait failli disparaître la veille.

   Je n'avais plus qu'une chose à faire à présent. Sauver Alice.

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