Conscience trouble.
« You are the fugitive
But you don't know what you're runnin' from»
Arctic Monkeys, Old Yellow Bricks
Regarder les étoiles, ça m'effrayait. Parce que parfois, j'angoissais en perdant mon regard dans le ciel pourpre. Je me sentais soudainement prise entre elles, sans oxygène ; je me sentais nager entre les corps célestes, me rendant compte subitement de ma petitesse et de ma vulnérabilité face à l'Univers.
Lorsque Hugo et moi nous dirigeâmes vers la terrasse de l'appartement de Tanguy, nous n'entendions plus la musique vrombir dans nos oreilles. On écoutait simplement l'harmonie monotone de la ville pendant la nuit, des klaxons et des voitures, des voix qui s'élevaient des bars. Hugo alla s'appuyer contre la rambarde, et observa la rue qui longeait le bâtiment, où les commerces étaient tous fermés. C'était drôle de voir ses traits se dessiner sous la lumière de la lune ; il n'était plus teinté de rose et de violet à cause des néons. Ce garçon paraissait sincère, et je me surpris à le trouver attirant, avec ses cheveux longs et ébouriffés et ses yeux foncés en amande.
Lorsque j'allai le rejoindre, je crus entendre Lola derrière moi. Me retournant, j'aperçus mon amie qui me faisait de grands gestes derrière la baie vitrée. Je l'ignorai, à la fois honteuse et embarrassée.
« C'est ta copine, qui te nargue, là ?
-Oui, oublie-la, fais abstraction de sa personne. C'est une gamine ».
Il avait sa cigarette entre ses lèvres. J'avais l'impression de voir ce petit papier roulé rempli de tabac partout où j'allais depuis quelques jours. Hugo expulsa de la fumée par ses fines lèvres avant de parler:
« Les étoiles sont nombreuses ce soir. On dirait qu'elles nous regardent. T'as vu ?
-Non. J'aime pas ça, regarder le ciel.
-Pourquoi ?
-Ça m'angoisse. J'ai l'impression qu'il me reste trop de choses à savoir. Que nous ne sommes rien, ici-bas. On est tellement impuissants et inutiles.
-C'est le cas, lança l'autre en baissant la tête.
-Mais pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser que si on existe, c'est pour quelque chose. La nature et l'histoire ont montré que tout ce qui a existé à eu une quelconque utilité pour l'Univers. Même minime ! ».
Hugo avait souri. « Ah, une vraie philosophe ici ». J'ai souri.
« Tu sais comment prouver l'existence de Dieu ? j'ai demandé, comme prise d'un élan d'inspiration sur cette conversation qui semblait diverger vers des questions existentielles.
-Non. Dis-moi tout, princesse ».
Je rougis en entendant ce surnom, avalant ma salive avant de continuer à parler.
« Tout se meut grâce à un moteur. Chaque élément de ce monde. Mais cette chaîne de moteurs ne peut pas aller à l'infini.
-Pourquoi ?
-Sinon, il n'y a pas de genèse, et les mouvements n'auraient pas pu commencer.
-Ah, je vois.
-Donc, je repris...Cette chose qui est le début à tout et qui n'a besoin de rien pour se mouvoir elle-même ; ce qui est absolu, c'est...Dieu ».
J'étais satisfaite de mon explication, et Hugo ricana entre ses dents.
« T'as bien suivi tes cours de philosophie, toi ».
Je lui ajoutai alors le syllogisme que j'avais appris au lycée. Dieu est parfait. L'une des qualités de la perfection est l'existence.
« Donc, en conclus-je, Dieu existe.
-Mon Dieu, lança-t-il. Mais tu y crois, à ça ?
-Je ne pense pas que ce soit une question de croyance, mais plutôt de raisonnement. D'un point de vue purement logique, ça tient le coup ».
Il se retourna vers moi. Nos corps étaient de plus en plus proches, et je reçus une légère décharge électrique lorsque sa main effleura ma hanche.
« Arrête de te prendre la tête, murmura-t-il.
-Non, je ne me prends pas la tête, c'est juste que j'aime me poser ce genre de questions.
-C'est bien ce que je te dis : arrête de réfléchir.
-Et si je ne réfléchis pas, je fais quoi alors ? »
Je sentis ses mains venir au creux de mes reins ; je me raidis aussitôt. Mes bras restèrent immobiles, le long de mon corps, tandis que son visage glissait contre le mien. Son souffle chaud se déposa contre mon cou nu, et ma peau frissonna sous le tact de la sienne. Mes yeux se fermèrent soudainement, j'étais comme bloquée dans un sentiment étrange qu'était celui de l'excitation et du désir, mais aussi de la culpabilité et du remord.
« Laisse-toi faire », lança-t-il alors.
Il déposa subitement ses lèvres tièdes contre les miennes, et sa main remonta le long de mon dos. Je fermai les yeux et essayai de sentir le désir en moi. Impossible. J'étais bien trop crispée.
« Attends, dis-je en m'éloignant de lui. Je ne peux pas.
-Vraiment ?
-Oui...Donne-moi ta cigarette ».
Il la tenait entre les doigts de son autre main, presque terminée Je tirai une latte avant de la jeter au sol et de l'écraser avec le talon de ma chaussure. Mes yeux divaguaient autour, alors que ma tête commençait à tourner fortement. J'eus l'impression que les effets de l'alcool commencèrent soudainement à m'enivrer, et ma tête se mit à vrombir, mon corps se sentit léger, et ma raison disparut pendant quelques instants.
Alors que je cherchais quelque part où amarrer mon regard, dans ma tête apparut à nouveau la silhouette d'Alice. J'imaginais ses formes, son corps, puis son visage. Et ses yeux.
Sans plus réfléchir, je plongeai dans les lèvres d'Hugo, et mes mains vinrent se déposer sur son cou et ses joues, pour que ce baiser humide et maladroit soit encore plus langoureux.
Il m'embrassait avec une passion torride, il soufflait fort ; ses lèvres parfois venaient mordre les miennes, il passait ses mains sur mes hanches, sur mes reins. Sur ces parties de mon corps que jamais je n'avais laissé quiconque me toucher. Des frissons me parcouraient les jambes en sentant son tact, et son autre main venait dans mes cheveux, tandis que les miennes ne savaient où se poser.
Il éloigna son visage du mien, il haletait. J'avais la vision trouble, et je chancelai.
« Tu veux qu'on aille...
-Où ?
-Dans une chambre ? »
Je réfléchi un instant. Il fut trop bref, car ma raison n'était plus présente, et j'hochai la tête, soudainement contrôlée par un désir ardent à l'intérieur de mon corps. Il me prit par le bras et me fit entrer à nouveau dans la fête. Mes yeux divaguaient, mes oreilles vrombirent au rythme de la musique qui me sembla trop forte. Ma vision était trouble, je n'arrivais pas à discerner les silhouettes, à mettre un nom sur les visages. Je crus apercevoir Alice dans un coin, mais je n'en étais pas certaine.
Je me sentis soudainement grandir, forte. Puissante. Mon buste se releva, je me croyais indomptable, j'eus une démarche chancelante, mais elle me parut assurée. J'avais confiance en qui j'étais.
On nous coupa la route, alors que nous arrivions bientôt dans l'une des chambres. Lola était là, son visage était déformé face à moi. « Ouh là là ! Hélène se lâche ce soir ! ». Ne sachant pas comment prendre ces mots, j'eus un regard de mépris à son égard. Son rire strident me fatigua, j'eus envie de la gifler.
Soudainement, je lui envoyai un « va te faire foutre » qui sonna faux entre mes lèvres. Puis, sans me soucier des regards qui nous mitraillaient, je pris le visage carré de Hugo entre mes mains et l'embrassai langoureusement. Je pénétrai ma langue en lui avec force, je lui mordis la lèvre avec passion. Dans mon geste, il y avait quelque chose de sauvage et de rebelle. Ce n'était pas doux et soyeux, mais tout son contraire. Il me regarda, ses yeux brillaient ; comme s'il venait de me redécouvrir. « Allons-y » susurra-t-il, et je fis abstraction de mes alentours troubles et de ma démarche chancelante pour le suivre jusqu'à une chambre.
Il ferma la porte derrière nous, et la musique résonnait derrière les murs. Je restai là, debout, observant le grand lit qui s'offrait sous nos yeux et les draps d'un blanc immaculé. La lampe de chevet envoyait une lumière crue autour de nous. Confuse j'étais, et je restai de pierre, me demandant « qu'est-ce que je fais ici ? ».
Hugo se précipita sur moi et m'embrassa encore. Je me laissai faire, tandis que nos deux corps venaient se jeter sur le lit. Couché sur moi, ses mains se baladaient entre les méandres de ma peau. Il ôta sa chemise avant de venir mordiller mon cou.
Je me mis à rire sans raison, alors qu'il déboutonnait ma combinaison. Mes bras étaient lourds, mes paupières se fermaient, comme si je n'étais plus consciente et que mon corps seul s'agitait sous son tact. Il mit à nu mes épaules qu'il caressa longuement, puis mon buste, et engouffra sa bouche entre mes seins en essayant d'enlever mon soutien-gorge. Ma main se crispa et alla écarter doucement son visage de ma poitrine. J'avais une drôle d'excitation en moi, mêlée à une pudeur qui me crispa soudainement, malgré mon entre-jambe qui semblait brûler. Ma candeur semblait disparaître à mesure que ses baisers me griffaient la peau.
« Hugo », murmurais-je alors. Il ne m'écouta pas. Ses mains continuaient de me toucher, ils s'agrippaient à mes sains, ils traversaient mes cheveux. « Hugo, s'il-te-plaît », et il leva la tête.
« J'ai envie de toi », lança-t-il soudainement.
Les effets de l'alcools s'étaient sûrement estompés, car je fronçai les sourcils avec dédain.
La situation ne semblait pas réelle. Quand je compris que j'étais affalée sur un lit, à moitié nue, avec un inconnu qui me touchait le corps, je fronçai les sourcils.
« Non, Hugo, arrête », dis-je en un murmure.
Pour seule réponse, il vint déposer des baisers fugaces au creux de mon cou.
Mon téléphone sonna alors. Les deux, nous lançâmes un soupir. Lui, de déception. Moi, de soulagement. Je l'agrippai dans ma poche, et regardai l'écran.
« Merde...Merde, putain, merde ! » lançais-je alors, remarquant quatre appels perdus de ma mère.
« Quoi encore ? cria Hugo, couché sur le dos, haletant.
-C'est ma mère.
-On s'en fout de ta mère ! »
Je le regardai, des éclairs dans les yeux.
« Vas te faire foutre, tu m'entends ? »
Encore une fois, je ne me reconnaissais pas. Confuse, je me levai du lit, et ma tête fut secouée avec force. Je m'agrippai contre un mur, consciente que les effets de l'alcool ne s'étaient pas totalement dissipés. Hugo s'assit sur le lit. « Hélène, tu vas revenir j'espère ? ». Je ne l'écoutai pas, tandis que je remettais ma combinaison en place et attachai le bouton d'une main ; de l'autre, j'appelais ma mère. Elle ne répondit pas, et je fus inquiète. Il était deux-heures du matin. Je devais rentrer.
« Je pars », dis-je.
Sans plus tarder, laissant Hugo derrière moi qui soupirait et râlait, je m'échappai de la chambre ; je ne lui adressai pas d'autre mot. Non seulement j'avais honte de la situation, mais je fus aussi prise d'une soudaine nausée qui me retourna l'estomac. M'agrippant aux murs du couloir, je marchai doucement. Comme si mes pas se déposaient sur un fil fragile qui pouvait se briser à chaque instant. L'obscurité me barrait la route et je fermais fort les paupières.
Qu'avais-je fait ? La culpabilité m'envahit. Mon corps se crispa, lorsque je me souvins des caresses de Hugo sur mon corps nu.
Un long soupir s'échappa d'entre mes lèvres. Je devais trouver les toilettes. Et vite.
Mon corps se dirigea alors vers les portes du couloirs fermées. Je ne savais où j'allais. Mes alentours semblaient m'échapper, comme si un voile invisible me coupait de la réalité. Le sol semblait se déplacer sous mes yeux et les murs tanguaient dangereusement. Parfois, des étudiants passaient, et leurs visages étaient illuminés par des flash aveuglants. Les néons rosés venaient strier leur corps ; ils emplissaient ma vue de leur lumière criarde et m'aveuglaient. Les yeux des autres jeunes m'observaient avec pitié, ils passaient à mes côtés sans s'arrêter. Je n'arrivais plus à parler sans avoir une nausée violente.
« Les toilettes », je murmurai.
Je m'agrippai à la première poignée que je vis et la tournai avec violence. Je faillis m'étaler au sol, et la porte s'ouvrit en grand.
J'entendis alors des sons indistincts, et perçus du mouvement en face de moi. Ma vision troublée ne me laissait pas comprendre ni assimiler les reliefs. Sous mes yeux, une danse de draps blancs se déroulait au ralenti, comme si le temps s'était figé. Deux ombres se tordaient ; elles se perdaient entre des cris et des mugissements, s'entremêlaient dangereusement, avec une violence qui me donna le vertige. J'entendais des cris, qui se répétaient en écho autour de moi, venant de toutes parts, m'assaillant et m'agressant les tympans.
Après quelques secondes, je reconnus deux corps qui dansaient l'un sur l'autre, sauvagement. Les voix qui poussaient des hurlements d'ardeur et de jouissance provenaient d'eux, de ces deux masses qui bougeaient en un rythme de décadence face à moi. Je ne voyais que deux silhouettes blanches et un amas de cheveux qui s'emmêlaient. M'appuyant contre l'encadrement de la porte, j'observai ces deux silhouettes en plissant des yeux.
Je reconnus subitement ces deux corps. La pensée m'agressa l'esprit et me le tortura en une simple seconde qui me parut trop longue.
C'était Alice. Sur elle, il y avait Adam.
Je vis les yeux bleus de la fille grands ouverts, ses pupilles dilatées semblaient bouffer son visage et le tordre en une grimace désagréable. Je me souviens de cette image ; elle était effrayante. Alice hurlait, ne cessait de crier de jouissance, d'un plaisir sauvage et barbare, comme si elle allait s'arracher la gorge. Ses yeux, méconnaissables, paraissaient sortir de ses orbites.
Soudain, son regard se posa sur moi, et tout passa au ralenti. Son visage était en double, en triple. En quadruple, même. Il y avait des dizaines d'yeux bleus aux pupilles totalement dilatées qui m'observaient d'un regard électrique. Puis, une voix, brisée, puissante, m'écrasa les tympans.
« Qu'est-ce que tu fais là ? Dégage ! » disait-elle.
C'était Alice qui parlait, et le mot résonna en écho autour de moi, me pénétra de toute parts. « Dégage », j'entendais encore et encore.
Je vis une dernière fois le visage crispé d'Alice, sa mâchoire durcie, ses lèvres qu'elle ne cessait d'humidifier avec sa langue, et ses yeux bleus qui étaient à présent de gros points noirs dans un fond blanc laiteux.
Je fermai la porte avec violence et m'étalais au sol. Une nouvelle nausée, particulièrement violente cette fois, s'en pris à mon estomac. J'allais vomir.
Je me précipitai vers une autre porte à quelques mètres de moi, et l'ouvris en trombe. J'allumai l'interrupteur : c'était bien la salle de bains. Mes pas me guidèrent sans en être consciente jusqu'à la cuvette des toilettes, et me penchai dessus violemment. Même avec une forte volonté, je n'arrivai pas à éjecter l'alcool de mon corps. Je restai là, déglutissant, crachant quelques amas de salive. Ma gorge semblait se déchirer à chacune de mes plaintes. Après quelques minutes, voyant que je n'y arrivais pas, j'allais observer mon visage dans un miroir. C'était bien moi, mais j'étais hideuse. Mes cheveux étaient en bataille, mon rouge à lèvres tapissait mon menton. Mes yeux étaient rouges et vitreux.
Qu'avais-je fait ? Je me mis à culpabiliser, en repensant aux mains et aux lèvres d'Hugo se baladant sur tout mon corps. Qu'avais-je vu ? Mon estomac se retourna à nouveau en repensant à Alice.
Je sortis de la salle de bains en courant. Arrivée au salon, je remarquai que ma vue devenait de plus en plus nette, et ma démarche bien plus sereine. Tout de même, les néons m'agressaient les pupilles, et la lumière pourpre environnante qui tapissait les murs et dessinait le contour des silhouettes obscures des étudiants autour de moi m'arracha une grimace. Je vis, au loin, Lola et Gabin qui discutaient. Me précipitant vers eux, je ne cessais de m'écrier « Lola ! ». On me regardait avec des yeux ronds. En m'apercevant, mon amie amorça une moue de désagrément qui déforma son visage.
« Mon Dieu Hélène. T'as abusé de la vodka à ce que je vois.
-Je ne me sens pas bien. Je dois aller voir ma mère », dis-je simplement. Ce fut la première pensée qui me traversa l'esprit. Ma mère, tout simplement. Que je venais de décevoir, de trahir. J'entendis encore ses mots, la «perversion», et la honte qui m'assaillit.
Lola expliqua à tout le monde qu'elle devait partir pour me raccompagner jusqu'à mon appartement. Héloïse la suivit. Nous descendîmes les escaliers avec peine ; je m'accrochais maladroitement au mur décrépi qui me griffait les doigts. Alors, mon téléphone sonna. Je le pris à la hâte, sachant déjà que c'était ma mère.
« Maman, dis-je d'une voix faible.
-Ma chérie ! Je t'ai appelé toute la soirée ! Qu'est-ce que tu fais ? Reviens tout de suite !
-Je ne me sens pas bien.
-Qu'est-ce que tu as fait ?
-Je... je veux rentrer ».
Je ne voulais pas lui dire. J'avais trop de honte et de culpabilité.
Lola et Héloïse m'accompagnèrent jusqu'à mon appartement, essayant de calmer mes sanglots. Arrivée devant chez moi, ma mère me pris le bras avec violence. Elle n'adressa pas un seul mot à mes amies qui m'avaient tenu par les bras tout le chemin, et leur claqua la porte au nez.
Sans plus tarder, pénétrant dans mon studio et observant ces alentours que tant bien je connaissais, sans un seul néon rose qui m'arrachait violemment les pupilles, je fus rassurée. Alors, je me précipitai vers les toilettes de mon studio et je vomis tout ce qu'il y avait à l'intérieur de mon corps.
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