vii

Giacomo pousse la porte avant que je n'aie le temps de lui répondre. L'odeur âcre de la peinture me prend à la gorge et l'italien plisse son nez probablement peu habitué à ce genre d'agression sensorielle. Il secoue la tête puis pose sa main dans mon dos pour m'inciter à avancer. Je me détourne de son visage et avance timidement dans la petite pièce. A mesure que nous franchissons la distance nous séparant d'un petit comptoir de bois, je distingue quelques notes de musique classique qui me semblent familières. Le vieux parquet craque sous nos pas et nous contournons le seul meuble de la pièce.

— C'est en bas, annonce le brun en indiquant de petits escaliers en colimaçon.

Je pose ma main sur la rampe et hésite un instant à rebrousser chemin. Je plonge mon regard dans les yeux en amande de Giacomo mais ne décèle pas une once de malveillance dans ses iris chocolat. Pressée par l'homme, je finis par descendre les marches avec appréhension. Le volume sonore s'intensifie au rythme de ma progression mais je ne parviens toujours pas à identifier le titre joué. Je me fige lorsque ma position élevée me donne une vision d'ensemble sur l'atelier. Le lieu de travail est baigné de lumière naturelle offerte par de grandes fenêtres au plafond. Une dizaine de chevalets sont agencés dans l'énorme salle mais seuls cinq d'entre eux sont occupés. Les murs sont cachés sous de nombreuses toiles aux tailles disparates entassées aléatoirement contre ceux-ci.

Des cordes traversent de part en part l'atelier sur lesquelles ont été déposées de longs tissus blancs comme on le ferait avec du linge humide. Ces paravents improvisés séparent chaque artiste, créant de fines cloisons entre les peintres qui gagnent ainsi en intimité.

—Bon tu descends ou tu fais ta poule mouillée ? S'agace Giacomo.

— Je n'ai pas peur, je rétorque.

—Alors bouge j'ai le vertige.

Je dévale l'escalier qui me semble interminable et foule enfin le sol bétonné taché de couleurs plus ou moins vives. Je ne perds pas une miette du décor. Giacomo passe devant moi et je le suis timidement en prenant garde à ne pas marcher dans un des pots de peinture ouverts qui jonchent le sol. Nous passons parmi les peintres qui ne semblent pas prêter attention à notre arrivée jusqu'à ce que le visage de l'un d'entre eux s'illumine en m'apercevant.

—Oh salut Leah ! M'interpelle l'inconnu.

Giacomo se fige brusquement et je me cogne contre lui n'ayant pas anticipé son arrêt. Je fronce les sourcils et le grand brun fait de même.

—Qu'est-ce que tu viens faire ici ? Poursuit-il en essuyant ses mains sur un chiffon.

Je dévisage le jeune homme au fort accent grec dont le visage ne me dit rien. Ses lèvres pales s'étirent en un sourire encadré de faussettes pour m'encourager à m'exprimer.

—Comment tu coonnais mon prénom ? Je demande plus brutalement que je ne l'aurais voulu.

—Ça fait 3 ans qu'on est dans la même classe, soupire-t-il, et on a travaillé ensemble sur le projet d'un miroir en carton l'année dernière.

Piqué dans son orgueil, il attrape le pinceau qu'il avait laissé de côté au début de notre conversation et se reconcentre sur sa toile. Les souvenirs de ce projet de groupe obligatoire refont surface et je parviens enfin à mettre un nom sur ce visage : Lazaro. Il a rasé sa longue chevelure blonde au profit d'une coupe courte mettant en valeurs ses yeux bleus et ses joues creusées. Une nouvelle personne.

—Oh, pardon, je bafouille.

Mes joues s'empourprent de gêne tandis que Giacomo étouffe un rire moqueur.

—Tu prends des cours particuliers ici ?

—En quelque sorte, me répond vaguement l'étudiant me faisant ainsi comprendre qu'il n'a pas envie de continuer cette conversation.

—C'est un des élèves à qui Gianni donne des conseils, s'empresse de compléter Giacomo, vous discuterez plus tard on va le faire attendre.

— Qui est Gianni ?

Lazaro lève les yeux au ciel et je sens que chaque mot que je prononce dégrade le peu d'estime qu'il a pour moi.

— L'artiste que tu vas rencontrer, soupire l'italien comme si c'était évident.

— Oh.

Il attrape ma main et me tire derrière lui. J'adresse un rapide signe de la main à mon camarade de classe ainsi qu'un regard navré auquel il ne réagit pas. Quelques mètres plus loin, il me lâche et me demande de l'attendre sagement. Ma curiosité prend le dessus et je m'écarte légèrement du point de rendez-vous.

Discrètement, je m'avance vers un autre artiste en pleine action. C'est un homme d'une trentaine d'année environ à la carrure athlétique. Ses cheveux châtains et sa barbe sont rasés de près, comme le ferait un militaire. Son t-shirt, blanc à l'origine, est maculé de taches de peintures fraîches aux teintes noires ou cendrées.

Je ne peux m'empêcher d'exprimer mon admiration en découvrant son œuvre. Ses dimensions monumentales et le camaïeu de gris réalisant des formes encore abstraites me rappellent Guernica exposé à Madrid. J'avais eu la chance de voir cette huile sur toile lors d'un voyage scolaire en première année et l'œuvre m'avait marquée par son aura.

—Tu t'inspires de Picasso ?

Le créateur quitte du regard ses pots de peintures et m'adresse un sourire chaleureux. Il abandonne le pinceau qui occupait sa main gauche et m'invite à observer la toile de plus près.

— On va dire ça, rigole-t-il.

L'artiste pose précautionneusement la palette qu'il avait conservé dans sa main droite et je constate qu'il porte une prothèse verte lime semblable à la main d'un robot de dessin animé. Je ne m'attarde pas trop sur cette caractéristique de peur de le froisser, bien que des milliers de questions fusent dans ma tête, et me reconcentre sur l'œuvre en cours de réalisation. Brutalement, la mélodie de fond s'arrête quelques secondes puis repart.

— Fais pas gaffe, les haut-parleurs sont vieux et ils grésillent souvent, m'informe le peintre.

— Quel est le nom de la musique ?

— Adagio in G minor, Gianni est obsédé par cet air et le passe au moins vingt fois par jour, se lamente-t-il.

— Je comprends ta souffrance, je plaisante, ma grand-mère adorait le violon et elle me jouait des airs classiques pendant des heures.

Je n'ai jamais réellement apprécié ce genre musical, mais j'étais impressionnée par le talent de la vieille femme que j'admirais profondément.

— Leah, je me présente en lui tendant la main.

— Alexandre, réplique-t-il amicalement.

— Leah ? M'appelle Giacomo qui m'a perdu de vue dans ce labyrinthe de toiles.

— Désolée mais le devoir m'appelle.

Je souris à l'homme et rejoins mon ami qui ne manque pas de me sermonner avec exagération. A l'entendre on croirait que je me suis aventurée dans une partie secrète des locaux de la CIA. Giacomo m'emmène au fond de l'atelier et me jette seule dans la fausse au lion. Un vieil homme à la calvitie prononcée lit tranquillement le journal, assis sur une chaise de bois à bascule. Néanmoins, quelques boucles grises encadrent son visage marqué par le temps. Sa ressemblance avec Giacomo est frappante, si bien que j'en déduit qu'il s'agit de son père. Je me racle la gorge pour signaler ma présence au fameux peintre qui quitte son papier des yeux quelques secondes avant de reprendre sa lecture, comme s'il ne m'avait pas vu. Je me lance tout de même, interprétant son attitude nonchalante pour un semblant de test.

- Bonjour, je suis Leah Valentini, j'étudie l'art depuis deux années et je -

Gianni réalise un vague mouvement de la main et je me tais. Il repli soigneusement son journal qu'il laisse vulgairement tomber sur le sol. Difficilement, il se hisse hors de son rocking-chair et s'intéresse enfin à ma personne. Son visage est dur et sans expression particulière. Cependant, j'ai la sensation que ce n'est pas lié à ma présence mais plutôt un de ses traits de caractère.

— J'ai emmenée quelques-unes de mes créations, je bafouille en sortant ma pochette verte de mon sac en toile.

Le sexagénaire se place à mes côtés et observe sans un mot les multiples aquarelles et autres peintures sur papier. Je tiens fermement ma pochette tandis qu'il balaie en quelques secondes les créations qui m'ont demandée tant d'heures de travail.

— C'est très beau, conclut Gianni.

Je soupire de soulagement lorsqu'il brise enfin ce silence pesant et me réjouis de sa remarque positive. Son timbre de voix similaire à celui de Giacomo me confirme leur lien de parenté. Simplement, sa diction est plus lente. L'artiste fouille de longues secondes parmi une pile de toiles vierges avant d'en sélectionner une dont les dimensions lui conviennent. Il récupère un tube en carton sur une étagère puis passe devant moi.

— Mais si tu es là pour progresser, il va falloir t'entrainer avec des modèles, de véritables tableaux remplis de détails complexes.

J'acquiesce et le suit dans l'atelier. Il s'arrête quelques secondes auprès d'Alexandre pour lui donner quelques directives puis reprend son trajet. Giacomo qui discutait avec ce dernier se joint à nous et récupère le cylindre que tenait son père.

— Jeune fille, c'est dans la difficulté que l'on apprend. Tu n'as qu'à commencer la partie droite de Grelots roses, ciel en lambeaux de Magritte, propose-t-il comme s'il s'agissait d'un jeu d'enfant.

J'accepte sans broncher bien que je n'aie pas l'habitude de peindre ce genre d'œuvre. Il s'agit d'une huile sur toile surréaliste que l'on peut découper en deux zones égales. A gauche est représenté un ciel bleu partiellement recouvert de nuages cotonneux. A droite figurent de mystérieux grelots flottant sur un fond rose saumon taché d'un bleu vif.

Nous nous arrêtons au niveau d'un chevalet vide que Gianni décrit comme mon nouveau lieu de travail. Sans plus de cérémonie il y installe la toile blanche et m'invite à commencer. Giacomo ouvre enfin le tube en carton et en sort un poster de l'huile sur toile de Magritte qui me servira d'exemple. L'étape la plus complexe me paraît être le choix de mon matériel. En effet, une multitude de pinceau, aux tailles et aux formes diverses, ainsi qu'un nuancier complet sont à ma disposition. Sous l'œil attentif de Gianni, j'associe du magenta et du blanc pour obtenir un rose similaire au fond de Grelots roses, ciel en lambeaux.

— C'est pas la bonne couleur, m'arrête l'homme âgé.

— Si, je réponds en plaçant mon matériel imbibé de peinture à l'huile saumon pour appuyer mes dires.

Il soupire et m'arrache le matériel des mains. Il ajoute avec parcimonie des pigments blancs dans ma préparation, si peu que je suis incapable de constater une différence.

— Maintenant c'est la bonne couleur, déclare-t-il.

Je me retiens de lever les yeux au ciel et dépose la nouvelle teinte sur la toile. Durant une bonne heure, le peintre expérimenté critique mon travail, me corrige et râle face à mon manque de précision. Bien que mon égo soit amoché, son caractère tatillon m'a fait progresser plus que je ne l'aurais imaginée. Bien que je n'aie pas fini d'achever la copie de l'œuvre, il décide de mettre un terme à la séance.

— C'est pas mal pour un début, juge-t-il, mais pas parfait. Reviens dans trois jours avec une nouvelle version comprenant la partie gauche bien sûr, si elle est satisfaisante tu pourras nous rejoindre.

— Mais j'ai cours, je n'aurais jamais le temps.

— Une dernière chose, tu emmèneras aussi ce tableau que Giacomo m'a montré, ordonne Gianni avant de disparaître définitivement.

Je me tourne vers Giacomo, dont j'avais oublié la présence tant il s'est fait discret, et l'interroge du regard.

Jupiter et Junon d'Annibale Carracci, explicite le tatoué, je l'avais pris en photo.

Je ne proteste pas davantage et dis déjà adieux à mes heures de sommeils. Je referme soigneusement les pots de peintures dont je me suis servis et nettoie délicatement les pinceaux. Une fois l'espace remis en ordre, nous quittons l'atelier. Avant de monter sur le Vespa, je me lamente une dernière fois.

— J'y arriverais jamais.

— Ici on travail vite, il va falloir t'y faire, réplique l'Italien sans compassion.

🌪

Je suis enfin de retour avec mon bac mention très bien en poche ! J'ai noté soigneusement toutes vos remarques (excusez-moi je n'ai pas finis de répondre à tout le monde) et je vous en remercie du fond du coeur car elles m'ont réellement aidé à progresser. Celles qui revenaient le plus étaient l'obligation d'employer des tirets cadratin (c'est réglé merci beaucoup) et le manque de description des personnages. Pour ce dernier point, je suis entrain d'étoffer les premiers chapitres (je vous préviendrait des modifications) et j'espère que les descriptions de ce chapitres, notamment celle de Lazaro, seront assez complètes 😊

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