55. L'Amour au Protoxyde d'Azote
[Narration : Kensei]
« T'es adorable, depuis les chevilles jusqu'à la gorge.
Elle grigna.
— Dans ce cas, tu voudrais peut-être me mettre un sac plastique sur le visage ?
— Laisse-moi le temps d'arriver jusque-là !
Elle enfonça l'arrière de la tête dans le drap pour échapper à une tentative de baiser.
— Kensei... » gronda-t-elle.
Elle dit encore mon nom à voix basse et j'eus l'impression de n'avoir jamais su comment je m'appelais avant qu'elle l'ait prononcé.
Que les choses soient claires, elle bredouilla qu'elle m'en voulait toujours, que je ne m'en sortirai pas aussi facilement et que j'avais intérêt à bien me tenir à l'égard de Minoru. Elle énuméra ses exigences comme des principes moraux inviolables sous peine d'emprisonnement. J'acquiesçai mécaniquement en regardant ses lèvres bouger dans tous les sens.
Puis, j'en eu assez. Si je la laissais continuer sur sa lancée, elle serait bien capable de me seriner jusqu'au coucher du soleil. Mes mains descendirent le long de son chemisier. Lucie leva la tête et rougit : « Tu m'écoutes ? ». Je la serrai contre moi et enfin, je sentis ses muscles devenir de la gelée. Elle poursuivit d'un ton plus ténu. Ce n'était pourtant pas mes efforts pour la décontracter qui produisaient cet effet.
« Je ne t'entends plus, tu parles trop bas, dis-je. Tu peux répéter ?
— C'est pour être certaine d'attirer ton attention. En me demandant de répéter, tu trahis ton intérêt.
Soudain, je sentis quelque chose monter de mes entrailles, un besoin de m'exprimer comme si la boule dans le creux de mon ventre devait sortir en urgence. Malgré tout, ce dont je voulais discuter n'était pas confortable. Je me doutais que sa réaction serait potentiellement violente si je me risquais à la taquiner.
— Hé, Lucie. Je peux te parler d'un truc ?
— Quoi ?
Je me redressai sur elle, l'encerclant de mes jambes.
— Si je suis énervant parfois, c'est que...
La boule franchit ma bouche sans que je puisse la rattraper.
— C'est parce que tu me manques tout le temps. Je ne sais pas ce que tu m'as fait et je crois que je ne le saurai jamais. Tous les deux, nous vivons une sorte d'alchimie et cette explication me suffit. Tu dois te dire que je me contredis mais c'est plus compliqué que ça. Quand... Quand tu n'es pas avec moi, je n'arrive pas à me représenter ton visage et ton corps distinctement. Ils sont flous parce que je m'attache si précisément aux détails de ton physique que j'arrive plus à voir de forme globale. T'as trop de détails, Lucie. Ça me tue, alors je préfère essayer de penser à ta personnalité. Et là, tu me manques encore plus.
Elle parut secouée. Ses grands yeux me regardèrent fixement comme si je lui avais envoyé une décharge électrique. Au bout d'un moment, elle bafouilla :
— Peut-être qu'avec le temps, tu me verras entièrement.
— Ne me laisse pas espérer ça.
— Pourquoi ?
— Ça supposerait que nous soyons ensemble pour au moins les trente années à venir. J'agitai la tête, embarrassé et me grattai la nuque : Maintenant, tu dois me trouver complètement barge.
— Pas du tout. Je suis heureuse que tu aies pris le temps de choisir tes mots pour décrire ça.
— Et toi, qu'est-ce que tu ressens quand je ne suis pas là ?
Une fois encore, son regard se figea. Elle rougit. Ses lèvres s'étirèrent un peu et retombèrent, comme si elle avait peur de prononcer ce qui semblait si présent dans son esprit.
— Le vide, dit-il en une expiration.
— Il faut te regonfler alors... Je réfléchis à toute vitesse. Dis, t'as déjà essayé le proto ?
Elle fit non de la tête, l'œil suspicieux. Excité, je me dégageai, l'enjambai :
— Le protoxyde d'azote. Tu vas voir, c'est génial. C'est pas trop dangereux pour la santé et c'est légal ! Enfin, je crois... ».
J'ouvris précipitamment un tiroir de mon bureau, qui contenait un double fond et sortis deux ballons, un cracker et deux cartouches à crème. Lucie s'assit en tailleurs à côté de moi à même le sol et m'observa gonfler et dégonfler les ballons pour les détendre. Puis je débouchai le cracker, y plaçai une cartouche et le refermai.
J'avais piqué sa curiosité.
« Alors c'est ça, le gaz hilarant ?
Je levai le menton.
— Tu connais, finalement.
— En France, les étudiants en médecine adorent ça. Pourquoi tu en as ?
— On en a essayé y'a pas longtemps avec Ryôta. Tu sais comment ça marche ? demandai-je.
— Je crois qu'il faut respirer par la bouche dans le ballon, jusqu'à ce qu'il soit vide.
— Parfait, alors on va le faire en même temps !
Je plaçai le premier ballon sur le haut du cracker et l'ouvris d'un quart de tour pour faire entrer le gaz dans le ballon. Sans y faire de nœud, je le donnai à Lucie qui continua d'en pincer le bout et préparai le mien.
— Au signal : un, deux, trois !
Lucie ne comprit pas ce qui lui arrivait. Une fois que le ballon fut vide, les ondes sonores se dédoublèrent dans sa tête, son esprit se vida. Elle ressentit une puissante sensation d'apaisement, d'abandon et tomba au sol sur l'épaule, avant d'être prise d'un incontrôlable et monumental fou rire.
Pendant vingt secondes, nous nous regardâmes en travers, hilares, la bouche grande ouverte. Nos rires résonnèrent jusque dans le restaurant.
*
[Narration : Kensei]
Je m'éveillai en sursaut. A côté de moi, Lucie dormait d'un sommeil profond, ses cheveux étalés sur le futon, ses hanches recroquevillées, une jambe repliée sur elle-même et l'autre passée entre les miennes. Un léger ronflement sortait de sa bouche, doux, régulier, apaisant.
Suite à la crise de rires, nous nous étions jetés l'un sur l'autre tels des affamés, avions défaits nos vêtements comme si chaque seconde passée raccourcissait nos vies. Je l'avais soulevée et projetée sur le futon. Après le catch, place au ballet. Faire l'amour était la seule manière de la convaincre que ne pas maîtriser complètement ses impulsions avait aussi du bon. Nino appelait ça : « stratégie alternative ».
Mais, pourquoi je m'étais réveillé au juste ? J'appuyai sur mes tempes et calquai ma respiration sur celle de Lucie.
Dans mon cauchemar, des silhouettes en noir, longues, fines comme des couteaux m'encerclaient, se resserrant autour de moi. Un liquide rouge et visqueux dégoulinait de leurs doigts coupés. Mon estomac se retournait et je commençais à courir. Je pensais aller très vite, filer comme ma bécane dans le vent. Mais mes gestes étaient désespérément lents, comme un film passé au ralenti. Pendant que je paniquais, les silhouettes continuaient à se rapprocher. Au loin, il y avait un cri de femme. Un cri déchirant et éclatant, semblable au son du cristal brisé, qui se noyait comme s'il sombrait dans l'océan.
Je me redressai sur le futon tel un kick relevé. Inlassablement, le même cauchemar revenait régulièrement depuis trois ans. Il me réveillait, harassé, à toute heure de la nuit.
Les formes du cauchemar étaient floues dans ma tête mais le cri était distinct et continuait de résonner en moi, au plus profond de mon être. C'était si violent que j'en avais des frissons.
Du noir, du rouge, du lent, du rapprochement et l'inévitable.
La jambe de Lucie bougea et elle poussa un petit gémissement de chiot en plein rêve. Ses seins se soulevèrent et son bras agrippa ma taille pour m'accoler à elle. J'obéis et elle cala sa tête contre mon torse en marmonnant de contentement.
J'étais glacé. Son corps était si chaud ! J'enfouis mon nez dans ses cheveux et sentis une vague de chaleur monter et me calciner les reins. Qu'elle soit ma lune, mon soleil, mon étoile, peu importait ; je la réveillai pour oublier mon cauchemar.
Merci de votre lecture ! ~
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PS : La chanson en début du chapitre est l'une de mes préférées. Voilà. 💋
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