5. Une Brillante mise au point
[Narration : Lucie]
Cette fois, le coup de fil à Aïko dura le temps nécessaire pour prendre de ses nouvelles : son couple allait mal, je n'insistais pas. Je n'insistai pas et lui narrai les derniers évènements en date de l'établissement Nintaï qui m'avaient empêchée de manger de la journée.
« C'est de pire en pire, confirma Aïko.
— Je pensais que tu allais me faire la morale.
— Tu sais te débrouiller, tu es plus intelligente que moi. Actuellement, j'en suis au point où j'irais bien demander un relaxant à l'un de tes amis de Nintaï.
Je fus soufflée de sa répartie. Aïko, prononcer des mots pareils ?
— Ta vie est-elle si dure ?
— Je te retourne la question. Où tu en es ?
C'était Aïko : elle s'échappait des sujets qu'elle avait proposés pour en passer à d'autres lorsqu'ils commençaient à l'embarrasser.
— Où j'en suis ? dis-je en écho tout en cherchant une réponse. Comme d'habitude, je jongle.
— Mis à part ton manque de chance lié à Nintaï, beaucoup d'étrangers imaginent pouvoir rester au Japon en pensant qu'ils ont déniché leur Disneyland. Crois-moi, j'en ai vu passer ! J'en ai accompagnés... Et raccompagnés à l'aéroport.
— Je ne veux...
Aïko me coupa la parole et poursuivit sur sa lancée :
— Au début, tout va bien. Plus tard, ils ouvrent les yeux. C'est encore moins commode lorsque des enfants sont entre-temps nés de la désillusion.
— Je n'ai jamais perçu le Japon comme étant le pays des merveilles mais plutôt comme un endroit dans lequel je pourrais peut-être me sentir bien. En France, des réflexions m'ont fait comprendre que j'avais un comportement... Qui ne collait pas. Si on met les nintaïens de côté, les gens qui parlent fort m'effraient, j'aime les marques de politesse et le silence contemplatif, m'excuser pour tout me semble normal...
— Tu as trouvé ta place, ici ?
— Nous en reparlerons dans quelques années mais à l'heure qu'il est, jamais je n'ai été aussi à l'aise dans ma peau.
— Lucie, tu es décidément une femme étrange Moi, je donnerai tout me trouver en France ».
Nous échangeâmes encore quelques mots et elle raccrocha.
*
[Narration : Kensei]
En cercle et fumant clopes sur clopes, nous patientions tous devant l'entrée du Black Stone. Nous attendions Lucie. Elle avait un devoir en retard et travaillais dessus comme une acharnée depuis avant-hier.
J'en étais à ma troisième Marlboro. Pour ne rien arranger, Mika était déjà ivre en arrivant. Ses yeux dansaient dans ses orbites et son état ne s'améliorerait pas. Pour le moment, je l'avais obligé à s'asseoir sur le trottoir.
Les lumières des néons d'enseignes et des réverbères mettaient en évidence le visage boursouflé de Ryôta. Sa lèvre était entaillée par une vilaine coupure. Ça lui faisait une grosse bouche de lippu. Il râlait qu'il ne pourrait plus embrasser avant des lustres et qu'il devrait recoudre des boutons à sa chemise canadienne. À la demande de Mika, il exhiba le petit trou sur son crâne duquel une touffe de cheveux décolorés avait été arrachée. L'instant d'après, il se vanta d'avoir asséné le dernier coup à Kô, dont le triple menton, selon ses dires, s'était creusé comme de la gelée. Le leader de la 1-C avait déguerpi des escaliers en tremblotant comme un pudding géant.
À bout de patience, Takeo donna le signal pour entrer dans le Black Stone; tant pis pour la retardataire. Les types le laissèrent passer devant : on ne cessait de lui dire ô combien il avait eu raison d'accepter l'offre de Naoki. Il se prenait pour un leader terriblement bon négociateur et en passe de devenir le maître de Nintaï et de ses environs. Mon œil ! Naoki l'avait bien eu !
Une fois attablés à notre coin habituel, je tapotai le filtre de ma clope sur la table. Takeo me gonflait mais cette fois, malgré les dissensions entre les demi-frères Yuito et Okito, l'alliance avec Naoki de la 2-A était consolidée. Ce petit crétin était satisfait d'avoir obtenu l'escalier en colimaçon. On se trouvait de nouveau avec une forte alliance. Notre coalition regroupait désormais tous les troisièmes années, la 1-A, la 2-A et même si les cinquièmes années se disaient neutres, ils nous étaient largement favorables.
On avait fait du bon boulot. Takeo était transparent : le nouvel objectif était de galvaniser les troupes pour la baston à venir... La plus grosse depuis qu'Eisei était devenu le chef officieux de Nintaï deux ans plus tôt !
Chacun se mit à réfléchir en buvant sa bière et en se grattant le menton. Je commençai à décoller un autocollant sur le mur en brique, à côté d'un poster géant de The Velvet Underground. Se castagner, d'accord. Mais contre qui exactement ? Hors de question d'attendre l'approbation d'Eisei pour agir.
Soudain, Minoru s'éclaircit la voix et se plaça au centre de l'attention : il voulait être certain que nous étions tous sur la même longueur d'ondes.
À l'instar de Takeo, je me penchai sur la table, les paumes bien aplaties dessus, le menton levé. Minoru ne se fit pas prier pour dégoiser et récapituler point par point les derniers évènements.
Sur le plan de la drogue, il expliqua que Juro était impliqué dans l'ancien trafic à Nintaï. Juro était un proche de Fumito. Il y avait des chances, avec un tel parcours et de telles relations, qu'il ait fait la connaissance des dealers du lycée Kawasaki. Ces derniers pouvaient avoir eu besoin de glaner des informations sur « le marché nintaïen ». Depuis que Fumito avait été arrêté, chacun s'approvisionnait à sa façon, auprès de n'importe qui, que le dealer vienne de l'établissement ennemi ou de Tombouctou. C'était une manne ouverte à tout nouveau dealer.
D'ailleurs, Juro avait clairement fait savoir qu'il s'était intégré à Kawasaki en montrant qu'il avait envoyé des racailles pour faire peur à Naoki – une tentative ratée puisque celui-ci les avait déglingués et avait même balancé l'un des leurs dans le canal.
Une alliance avec les durs du lycée Kawasaki était le meilleur moyen pour Juro d'atteindre Takeo. Juro voulait lui faire payer de l'avoir empêché d'accéder au trône de Nintaï.
Le schéma était simple. En cas de bagarre, seraient de notre côté tous les types de troisièmes années, ainsi que la 2-A de Naoki que nous venions de nous mettre dans la poche.
À l'unisson, tous les gars se tournèrent vers moi. Je savourai ce moment, celui ou Takeo me scrutait avec une lueur d'attente, les deux mains crispées sur son verre, suspendu à mon bon vouloir, moi, l'une des cartes maîtresses de son plan de regroupement. J'avais l'appui de gaillards dont le soutien serait déterminant pour le hisser au sommet de la hiérarchie de Nintaï. Je possédais une très forte influence et savais obtenir des renforts sans que personne n'ait l'impression d'être obligé à quoi que ce soit.
« Kensei, tu pourras convaincre les mécanos de ton club et la 1-A de Mukai ?
— Ce ne sera pas difficile ».
Un murmure approbateur parcourut la table couverte de bières. Takeo acquiesça et siphonna sa pinte.
Je savais qu'intérieurement, il fulminait d'avoir à me demander des telles faveurs mais il fallait persuader tous les kilos de muscles disponibles de s'allier officiellement à nous. Sans déclaration, personne ne prendrait le risque d'entrer dans notre camp.
Une bouffée brulante d'excitation escalada ma poitrine. Takeo serra la mâchoire et rentra les lèvres. Il leva ses yeux déterminé sur moi :
« Il me faut ces types ! Il me les faut ! Et il faut que toi, tu sois de mon côté jusqu'au bout !
— Reprends-moi une bière, alors.
Takeo ouvrit son portefeuille et agita une liasse de billets sous le nez de la serveuse. Où est-ce qu'il avait eu tout ça ?
— Boulot d'été, se contenta-t-il de répondre à mon interrogation muette en déboutonnant d'une main le haut de sa chemise à fleurs.
— Tu bosses, maintenant ?
— Des bars, par-ci par-là. Pas de contrôles, pas de charges sociales, tout en liquide. Hé, Minoru ! Tu poursuis ? ».
À force de parler, l'intéressé n'avait pas pris le temps de boire entre chaque gorgée. Sa bière devait être tiède. Il s'en moqua et but une grande goulée avant de reprendre la parole.
Nos ennemis ne seraient pas en reste. Il y avait du monde contre nous... Il fallait prendre en compte le nombre de brutes que le lycée Kawasaki allait amener dans les jupons de Juro. Cet aspect-là n'était pas négligeable mais Kawasaki n'allait pas rameuter toute sa populace pour une bagarre qui initialement n'était pas la leur. Il était encore moins probable que sa racaille soit unifiée.
Ce point étant identifié, nous devrions dans tous les cas distribuer des ramponneaux à plusieurs classes de Nintaï... À commencer par la 1-B de Chikuma, un jeune leader dont on ne savait pas grand-chose, sinon qu'il écoulait du cannabis avec Juro avant que Fumito soit arrêté. Depuis l'arrestation, Chikuma ne pouvait plus écouler un seul gramme de stupéfiant et manquait d'argent pour se fournir. Cela montrait bien qu'il n'avait pas pu dénoncer son acolyte.
En plus de Chikuma, il faudrait faire face à la 1-C de Kô, qui saisirait l'opportunité de se venger et de retrouver son quartier général duquel nous venions de le déloger et qui était à présent l'extension de celui de Naoki.
Les deuxièmes années ne seraient pas en reste. La 2-B d'Izuru-le-rat-d'égouts avait deux bonnes raisons d'en vouloir à notre faction. Premièrement, nous l'avions rétamé lors d'une rixe dans les couloirs en début d'année. Depuis, lui et ses gars rasaient les murs à notre approche. Deuxièmement, Izuru voulait montrer à Juro qu'il n'était pas qu'un arnaqueur sur les recettes de la drogue mais qu'il était plus puissant que ce dernier ne le pensait.
Il faudrait aussi envisager de confronter la 2-C de cette raclure d'Hidetaka. Il n'était pas réapparu depuis que je l'avais découpé en morceaux par une belle nuit d'été en ville.
La serveuse au visage couvert de piercings vint, un plateau sous le bras, prendre nos nouvelles commandes.
En somme, récapitula Minoru, les combattants ne seraient ni des quatrièmes années, ni des cinquièmes années. Cette circonstance enlèverait un gros poids et des fractures dans la bagarre.
Restait à savoir si la situation évoluerait de notre côté : en d'autres termes, si les cinquièmes années officieusement dirigés par Eisei allaient se joindre ou non à ce règlement de comptes. S'ils s'alliaient à Takeo, la victoire était assurée.
Pas une voix ne s'éleva pour protester contre le schéma dressé par Minoru. Pas un chuchotement mais une stupeur générale qui filtra des lèvres closes des gars. Lucie manquait quelque chose ! Takeo fut bien obligé d'admettre que son bras-droit n'était pas le dernier imbécile sur Terre – c'était plutôt le cas de Daiki.
« C'est vachement bien résumé, Minoru ! souffla Jotaro.
— Tu parles d'une merde ! Mais au moins, on ne sera pas pris par surprise ».
Sur ce, l'opossum transgénique, sortit un comprimé d'ecstasy de sa poche et le croqua.
Merci de votre lecture ! ~
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