15. La Crête violette
Étourdie, j'en eu le souffle coupé, les dossiers tombèrent de mes mains et les feuillets s'éparpillèrent au sol. Une grosse paluche me maintint le cou contre la paroi.
« Allez ! Avoue ! Tu fais quoi avec Satomu ?
La crête violette et le triple menton de Kô, le leader de la classe 1-C s'agitèrent dans tous les sens tels ceux d'un coq passé à l'attaque.
Une sueur froide coula dans mon dos.
— Lâche-moi ! Je n'ai rien à voir avec lui !
— Tu ferais mieux de la boucler ! beugla Kô qui me retenait fermement. Comment ça, t'as rien à voir avec lui ?
Comment voulait-il que je lui apprenne quelque chose s'il m'ordonnait de me taire ?
— Je ne sais pas ce qu'il me veut !
— Hein ? T'sais pas ce qu'il te veut ?
— Je ne sais pas ! Lâche-moi !
Kô grimaça :
— Fais pas l'idiote ! J'vous ai vu vous mater. En plus, y'a un moment déjà, t'étais cachée derrière un mur quand Satomu a coincé Ichiro dans les couloirs !
— Si tu ne me lâches pas dans la seconde, je te fais exclure.
— M'exclure ? se braqua Kô. Je m'en fous d'être exclus ! Qu'est-ce que ça peut faire que je sois exclu ? Je reviendrai te faire la peau ! gronda-t-il en continuant d'écraser mon cou de sa grosse main.
J'avais de la difficulté à respirer. Il approcha de très près son visage plat et dévasté par l'acné, les yeux grands ouverts, menaçants. Ses joues étaient entièrement vermiculées de couperoses et son haleine empestait le tabac froid.
Je reculai ma nuque qui était à présent tout à fait écrasée contre le mur humide.
— Alors, qu'est-ce qui se passe avec Satomu ? redemanda Kô en pinçant le nez.
— Enlève ta sale...
Il siffla en levant le poing :
— Reste tranquille !
Paniquée, le souffle court, je parlai à toute vitesse.
— Qu'est-ce que tu crois qu'il se soit passé avec Juro ? Pourquoi il se serait retrouvé à Kawasaki ?
Kô détendit sa prise sans pour autant desserrer les dents.
— Comment ça ?
— Comment ça quoi ? répétai-je en reprenant ma respiration. Je n'en sais rien, moi ! Ce que je peux te dire, c'est que si tu ne me laisses pas, j'envoie un beau courrier à tes parents avec exclusion définitive de l'établissement pour intimidation envers le personnel !
— T'oseras pas !
— Je vais me gêner !
Le leader de la 1-C me plaqua de nouveau. Des os de mon dos craquèrent. Il plissa ses yeux mauvais.
— Si tu fais ça... T'sais pas encore ce qui va t'arriver mais tu vas le regretter !
— Si tu me touches, tu devras rendre des comptes à Kensei !
Il tressaillit.
— Ah. Attends... T'es la gonz' de Kensei...! ».
Il lâcha mon cou. Les fentes suspicieuses qui lui servaient d'yeux m'examinèrent.
Tout à coup, il se rapprocha, pencha la tête de côté et me renifla comme le ferait un chien.
« T'sens bon la crème brûlée.
Je le considérai, hébétée, me demandant quand et comment cette altercation finirait...
Ma colonne me lançait et mes mains étaient si moites de peur que j'avais l'impression d'avoir des tentacules à la place des membres.
Kô se ressaisit et m'apostropha sur un ton agressif.
— Réponds à la question ! Pourquoi Satomu t'a dévisagée ?
— J'aimerais moi-même le savoir. Il ne peut pas m'encadrer.
Étonnamment, la réponse sembla lui convenir. Le front plissé, il tenta de m'extirper un nouveau renseignement :
— Peut-être que Satomu fixait Takeo, finalement. Il stoppa, songeur et reprit : Je vois. A plus ! Et t'avise pas de m'exclure ! ».
Je n'en revenais pas. Je l'avais si vite détourné !
Alors qu'il allait m'asséner un coup dans le ventre en guise d'au-revoir, la voix de Minoru retentit à plein volume dans l'étage.
Il brama : « Clé-à-molette ! T'es où ? Shôji a des news ! ».
Kô décampa aussi vite que son poids le lui permit.
Je ne voulais pas imaginer ce qu'il me ferait lorsqu'il découvrirait le pot-aux-roses : que Juro avait pris bon vent sans que j'aie eu besoin d'apposer de tampon sur un petit papier administratif d'exclusion. Seul le fait d'être liée à Kensei le dissuaderait peut-être de mettre ses menaces à exécution.
*
« Ça pue tout ça, grinça Ryôta.
— T'as cassé combien de nez avant de t'en rendre compte ? siffla Yuito en redressant la monture de ses lunettes de soleil.
Son corps massif et robuste était adossé au mur adjacent à la porte du toit comme s'il en gardait l'entrée. La Banane ressemblait à un vampire : il recherchait continuellement les recoins sombres et isolés.
— Qui aurait pu prévoir que les quatrièmes années y mettraient du leur ? se défendit Ryôta. Quand je pense qu'en début d'année, ils n'ont pas bougé le petit doigt lorsque Juro, Hidetaka et Izuru ont taillé une veste aux premières années ! Et maintenant, Ichiro se ramène en s'auto-proclamant leur allié. C'est complètement dingue !
— Ça va mieux avec l'appart' ? ».
Ryôta ne répondit pas et partit s'assoir sur la chaise chilienne. Vexé d'être ignoré de la sorte, Yuito se renferma comme une coquille sur lui-même.
Des bruits de pas tapageurs résonnèrent depuis l'accès au toit. Les « Men in Grey » firent leur entrée martelant des pieds et en discutant comme s'ils étaient seuls au monde. Sans saluer personne, ils se laissèrent tomber en même temps dans le canapé en patchwork, les jambes grandes écartées.
« Sérieusement ? Hidetaka s'est désolidarisé d'Izuru ? s'étrangla Jotaro en dévisageant son compère.
— C'est pas si surprenant, après la raclée de Kensei... T'as pas vu sa bobine ? Shôji a raison, c'est vraiment une momie.
— Quoi ? Vous pouvez répéter ? leur lança de loin Takeo d'une voix sonnante pour leur faire remarquer sa présence.
— Hidetaka s'est désolidarisé d'Izuru ! beugla Daiki en pensant bien faire.
Toutes les têtes se tournèrent vers le géant.
Assis à cheval sur une chaise, Daiki venait de s'injecter quelque chose dans le bras. Il avait encore la seringue en main et ses membres tremblaient. Le regard vide et extasié à la fois, il gardait la bouche ouverte.
— Mais mec ! Qu'est-ce que tu fous ? le sermonna Tennoji.
— Te pique pas comme si tu t'injectais du jus de pêche ! renchérit Jotaro, toujours vautré dans le canapé.
Takeo s'interposa pour couper court aux disputes.
— Hé ! Laissez-le ! C'est bon pour nous, cette nouvelle ! Comment vous le savez ?
Les Men in Grey sortirent des cigarettes de leurs paquets en se passant un briquet.
— Shôji, pardi ! » clamèrent-ils en cœur.
Pour résumer la situation, si d'une part les quatrièmes années d'Ichiro s'étaient alliés avec ceux de Juro, d'autre part, Hidetaka, leader de la 2-C, hésitait, semblait-il, à quitter cette alliance, craignant des représailles de la part de Kensei. De fait, si Hidetaka renonçait à la bagarre, l'écart numérique entre les deux gangs revenait au stade du moment où Ichiro ne s'était pas encore opposé à Takeo, puisque le nombre de quatrièmes années était presque équivalent à celui d'une seule classe de deuxième années.
Dans la demi-heure qui suivit, Takeo fit convoquer une assemblée d'urgence sur le toit. Toute cette nouvelle dynamique révélait un processus étonnant de jeux d'alliances. Quel serait mon rôle ? Je n'en aurai pas, heureusement.
Je n'étais à l'aise dans cet établissement que lorsque je me trouvais avec la faction restreinte des caïds de troisième année. Généralement, quand leurs acolytes de classes étaient présents, ils ne manquaient pas de me fixer comme une espèce exotique. Pour eux, je restais une étrangère physiquement et psychologiquement. Je me tortillais d'embarras et me retrouvais fatalement à faire Vampirella dans un coin avec Yuito.
Il était nécessaire d'élaborer un plan et Napoléon détestait se répéter. Mais convier cent-cinquante voyous sur un toit n'était pas chose aisée.
Pour faciliter l'organisation d'une grande réunion, les figures de proue de chaque classe avaient désigné quelques-uns de leur voyous pour reléguer les décisions prises par Takeo aux troisièmes années et à leurs alliés. En sa qualité de leader de l'ensemble des troisièmes années, Napoléon avait ce don inné de monopoliser l'espace et l'attention. Il s'assit à l'envers sur une chaise et envoya quelqu'un chercher Reiji.
Shôji était également là, tache verte au milieu des cheveux noirs et décolorés. Il était venu représenter Naoki - toujours exclu - et informer Takeo que l'autre camp était déjà à la recherche de son témoin.
Lorsque Reiji apparut enfin sur la terrasse pour se placer à côtés des dix gaillards de la bande qui se tenaient debout en lignes face à leurs camarades, je réalisai pour quelle raison ils constituaient l'élite des caïds : ils avaient de la prestance. Pas beaucoup plus de muscles que les autres voyous mais ils avaient de l'allure et produisaient une vive impression d'autorité.
Après quelques échanges, Reiji parla à voix haute : « Il nous faut aussi un témoin » articula-t-il en me jetant un coup d'œil.
Merci de votre lecture ! ~
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