19. Le Glico Man
Nous quittâmes le Maruschka avant minuit afin d'attraper le dernier métro. Comme il nous restait un peu de temps, Takeo décréta que nous traverserions Dotonbori où l'éclairage des néons la nuit, m'affirma-t-il, était un beau spectacle. Il ne pouvait se douter que je l'avais déjà apprécié en compagnie de Kensei, par une pseudo-lune de Tsukimi.
Nous croisâmes la route d'un passant hagard, ensanglanté, suivi de manière étrange et à distance respectueuse par des policiers; ils ne cherchaient pas à intervenir brutalement. Tout à fait habituel, semblaient dire les expressions sur les visages des nintaïens.
En tout bon sportif alcoolique, Minoru improvisa une course jusqu'à l'enseigne géante du Glico Man. Mika parut fatigué de voir Minoru toujours courir partout.
« Ça ne sert à rien de cavaler, Minoru ! L'inventeur du jogging est mort à cinquante-deux ans ! lui lança-t-il.
— Eh ben toi, beugla l'intéressé au loin, tu mourras avant, écrasé sous ton gras ! ».
Dans la seconde, Mika s'élança à la poursuite de Minoru pour lui tordre le cou.
Le Glico Man, fameuse enseigne en néon placée sur un bâtiment bordant le canal, servait souvent de point de rendez-vous. Installée au milieu des années trente, le panneau de l'athlète géant sur piste bleue avait été plusieurs fois modifié pour célébrer des événements tels que la Coupe du monde ou soutenir l'équipe de baseball d'Osaka, les Hanshin Tigers. Il s'agissait, au même titre que le Billiken, d'un emblème de la ville.
Bip. Bip. J'ouvris mon portable et m'enquis de l'identité de l'expéditeur du message.
« Tu ne réponds pas ? me questionna Kensei, l'air soudain suspicieux. Ses yeux étaient si froids qu'on les aurait dits fissurés comme des billes.
— Ce n'est pas la peine, bégayai-je. C'est un type de l'université qui me harcèle de messages. Il s'est auto-proclamé mon voisin d'amphi.
— Il t'embête ?
— Pas vraiment. Ce type est un invertébré cérébral.
— Il est insistant ?
— Il va bien finir par se lasser.
— Son nom ? Au cas où.
— Je ne m'en souviens même pas ! C'est pour te dire...! Je l'appelle le Yorkshire, en hommage à sa coupe de cheveux ! ».
Une fois rentrés dans mon studio, j'étais décidée à demander à Kensei pour quelle raison il n'avait pas déplissé le front et décroché un mot le reste du trajet.
Il était tendu. De la porte d'entrée, cela se voyait à son dos droit aux muscles contractés. Son cou tout entier était gonflé de tension.
Interpellée par ce refroidissement, je le rejoignis dans le coin chambre. Ses yeux partaient de gauche à droite sans que son regard parvienne à se fixer. Alors que j'allais ouvrir la bouche, il me devança.
« Ça ne colle pas. Qu'est-ce qu'on fait ensemble ? On est trop différents ».
Je me raidis, avec la sensation que mon cœur était remonté par ma gorge. L'instant d'après, mon corps fut parcouru de frissons. Kensei se planta devant la fenêtre adjacente à mon lit. Son expression était glaciale. Je commençai à avoir peur mais le laissai parler.
« Je savais que certaines filles avaient un penchant pour les mecs à problèmes... Dixit le barman du Black Stone.
— C'est pour ça que tu es catégorisé en délinquant ? ironisai-je en déboutonnant mon chemisier.
— Ne te fiches pas de moi ! Tu crois que c'est choisi ?
Je stoppai net mon geste et le dévisageai. Kensei, la mâchoire crispée et les yeux lançant des éclairs, avait enfoncé ses mains profondément dans les poches. Pourtant, il n'avait pas eu un mot plus haut que l'autre.
Il savait aussi que je plaisantais. Toutefois, je le sentis bouillir. Il pivota lentement sur lui-même sans me quitter des yeux :
— Avant de donner des leçons, dit-il en levant le menton, commence par changer le regard que t'as sur moi.
— J'aime cette façon que tu as de remballer les gens avec une telle indifférence mais je désespère qu'elle soit dirigée contre m...
Il me coupa.
— Tu préférerais sortir avec un étudiant propre sur lui, qui t'offrirait des fleurs, t'emmènerait dans des cafés branchés... Un type attentif qui te laisserait passer devant la porte de l'ascenseur... Ou qui te tirerait une chaise ? Fais pas semblant ! J'ai vu ta tronche dans le bar !
Je grimaçai sans le vouloir.
— Absolument... Le genre de type que tu aurais peut-être humilié, frappé à la tête et à qui tu aurais fait avaler des insectes pour te venger d'une broutille ?
— Ça, c'est plus la nature de Tennoji et de Jotaro, argua-t-il.
— Sans blague ? Tu as le crâne bourré de stéréotypes !
— Tu parles !
Il m'exaspérait.
— Arrête... Tu ne peux quand même pas être jaloux.
— C'est normal de l'être !
— Pas au point d'être un psychopathe ! A qui tu penses ? Au Yorkshire ? Qu'est-ce que tu t'es mis en tête ?
— Nous y voilà ! Tu penses sans arrêt à d'autres personnes ! tempêta Kensei. Y'en a que pour l'université, ton club de calligraphie, Sven, Minoru... ! En attendant, je t'ai emmenée voir le Vieux. Moi, est-ce que je peux te faire confiance ?
Sa mâchoire bougea sur le côté. En avait-il été conscient ? Le sujet débordait de partout. Pourquoi ne pas m'avoir expliqué ce qui le dérangeait avant que la situation ne devienne insupportable pour lui ? Rechercher le dialogue et des solutions nous aurait épargné une dispute ! A présent, Kensei semblait trouver tout à fait légitime d'exprimer sa colère. Face à l'injustice, je perdis mon sang-froid.
— Est-ce que je te reproche, moi de passer ton temps libre avec les gars, au garage ou à ton club de mécanique ?
Le regard de Kensei s'obscurcit, pour devenir tout à fait noir. Il avait la tête de quelqu'un qui se retient de tout casser et je ne comprenais pas comment ce qui aurait dû être une agréable soirée en était arrivé à cette querelle ridicule.
— Rien à voir ! protesta Kensei en renfilant son blouson en cuir d'un geste vif.
— Bien sûr que si ! Tu vis à cent à l'heure, tu t'agites dans tous les sens... Et ça te paraît inimaginable que je fasse pareil de mon côté ?
— J'aimerais me ranger à ton avis mais nous serions deux à avoir tort.
Un goût désagréable envahit ma bouche. J'avais déployé toute mon énergie à tenter de rester calme, sans succès. Je voulais être honnête, avec lui plus que n'importe qui mais il ne me donnait pas l'occasion de m'exprimer.
— Je ne suis pas d'accord. Je vous défends auprès des professeurs, travaille à essayer de masquer vos absences, viens vous encourager à la rencontre sportive, vous calligraphie des banderoles, vous accompagne aux sorties...
— Vous, vous, vous ! Avant que je ne me déclare à toi lors de Tsukimi, y'en avait que pour ce Sven et Minoru ! rugit Kensei, les traits déformés par la colère.
Mes oreilles chauffèrent de plus belle. Je m'ordonnai de rester droite et digne.
— Est-ce que je dois vraiment te rappeler que tu me faisais la g... ? Ma voix dérailla : Tu insinuerais, comme cette bêcheuse de Naomi, que je chaufferais le monde entier sous ton nez ?
Kensei approcha son visage très près du mien :
— Je me pose la question ! Tu ne fais rien pour te protéger ! Ou alors, t'es vraiment bigleuse ! ».
Il fit volte-face et claqua la porte dans un fracas si violent que les ustensiles de cuisine suspendus dégringolèrent dans l'évier. Je m'effondrai sur mon lit, toute habillée, toutes lumières allumées, littéralement épuisée.
***
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