Jour 5 : Construire
Je place une brique sur une autre, puis j'en prends une nouvelle, une bleue cette fois. La suivante sera peut-être verte, peut-être rouge. À moins que je ne reprenne encore une bleue?
Les adultes pensent que ne grandirai jamais, ou du moins ils l'espèrent.
Ma mère me prend sans cesse en photo, pour m'exposer à ses collègues, ses amis, à toute la famille. Je lui fais mes plus beaux sourires et mes plus belles grimaces parce-que ça part d'une bonne volonté. Mais ça ne m'empêche pas de trouver ce petit jeu malsain.
Du haut de mes quatre ans je passe la plupart de mon temps à manger, dormir, râler, pleurer, rire et jouer. Construire des grandes maisons avec ces petites briques en plastique coloré.
Et souvent je me demande comment je vais construire ma vie, après ça. Mes parents décideront-ils inconsciemment de ce que je vais devenir, ou vais-je faire mes propres choix ?
Je me vois bien directeur de centre aéré. Le monsieur gentil avec lequel tous les enfants voudraient passer leur été, leur idole à qui ils repenseront, nostalgiques, plus tard. Ce serait moi l'initiateur de tous les projets les plus cools : la sortie au parc d'attraction, les stages d'éveil musical, les après-midi film/pop-corn dans la salle climatisée les jours de canicule... et j'en passe.
Ce sera la brique violette. Je fais de la place là où il y avait mes précédentes constructions et pose cette petite au milieu de mon terrain de jeu.
Je me vois bien boulanger. Me lever avant le soleil, dans le silence d'un petit village, quelque soit le temps dehors. Je serais le meilleur pour faire des brioches, des pains aux céréales et des viennoiseries. Le mercredi je fermerais boutique pour aller parler aux producteurs du coin. Les enfants seraient attirés par l'odeur de mon magasin avant de prendre leur bus, le matin.
Ce sera la brique jaune. Je l'emboite au dessus de la première avant de lever mes yeux. Mon père s'est détourné de son téléphone pour me regarder quelques instants. Il semble curieux de ce que je suis en train de construire.
S'il savait...
Je me vois bien mathématicien. Avoir fait de longues études théoriques sans que la passion ne tarisse. Je serais un de ceux qui veulent marquer l'histoire des sciences en trouvant un théorème portant mon nom. Je serais applaudi à des congrès autour du monde et j'aurais appris l'anglais pour travailler avec les étudiants étrangers qui auraient traversé la moitié du globe pour écouter un de mes cours magistraux. Qui seraient vraiment magistraux.
Ce sera la brique blanche, et je l'enfonce rageusement sur celle d'avant alors que j'étouffe une petite voix qui me dit que je mets la barre peut-être un peu trop haut.
Mon petit jeu pourrait durer longtemps, parce-que j'adore me construire des avenir car je ne suis encore qu'une potentialité : je peux encore rêver, je peux encore devenir ce que je veux.
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