Sol

Solange est la meilleure amie de Donna. Elle a toujours été là pour elle, elle lui a remonté le moral un nombre incalculable de fois. Mais en ce moment, Donna est distante. Elle paraît plus heureuse, plus épanouie, elle s'ouvre aux autres. Ce qui a pour conséquence de l'éloigner de Solange. Celle-ci a alors réalisé que si elle est la meilleure amie de Donna, elle n'est rien d'autre. Elle a basé toute sa vie sur son amitié, et aujourd'hui, Solange sans Donna ne veut rien dire. Ses amis sont les amis de Donna. Son petit ami l'a larguée lorsque les deux filles se sont éloignées.

Maintenant, Solange est adolescente, et à son âge, tous sont en pleine construction. Ils ont des manies, des passions, des amis un peu envahissants mais qu'on aime bien quand même. Solange avait Donna. Et maintenant, il semblerait qu'elle ne l'a même plus. Pour la première fois de sa vie, Solange se sent vide. Sa chambre, reflet de son intérieur, est blanche et impersonnelle. Elle a passé si peu de temps dans cette pièce, elle qui était toujours chez son amie.

Ce weekend, ses parents sont en visite chez ses grands-parents, la laissant seule. Elle avait prévu une soirée pyjama avec Donna, mais celle-ci a annulé hier. Son prétexte : un cours de piano. Sa meilleure amie la laissait seule dans sa grande maison vide pour un cours de piano.

Solange en veut au monde entier. Tout d'abord à Donna, pour s'être éloignée. À ses amis aussi, parce qu'ils n'étaient pas ses amis mais ceux de Donna. À sa famille, de ne pas avoir réagi, de ne pas l'avoir prévenue qu'à force de tout donner à quelqu'un d'autre, elle risquait de ne plus rien avoir pour elle. Elle s'en veut aussi à elle-même, d'avoir été si aveugle et stupide. Elle en veut à la voisine qui met la musique trop fort, à son chien qui tourne en rond frénétiquement depuis ce matin, à sa prof de géographie qui a eu la bonne idée de leur prévoir un contrôle sur un livre qu'ils ont lu il y a trois mois...

Solange étouffe. Elle a besoin de sortir. Elle ouvre son armoire, elle voit tous les vêtements qu'elle a achetés avec Donna, elle referme la porte en la claquant. La dernière chose dont elle a besoin, là maintenant, c'est de se rappeler cette hypocrite. Elle enfile un sweat de son père et sort. En marchant, elle passe devant la maison de son ex-petit-ami. Elle l'aimait vraiment. Elle pensait qu'elle avait trouvé le grand amour, son âme sœur. Ils étaient ensemble depuis un an, il avait été son premier baiser. Il l'avait emmenée dans sa maison de vacances, elle l'avait présenté à sa famille. Mais dès que Solange et Donna n'avaient plus été collées, il l'avait laissée tomber.

La blessure est encore fraîche et une larme coule le long de la joue de la jeune fille. Elle détourne le regard des deux silhouettes en ombres chinoises, en train de s'embrasser dans la chambre où elle s'était dévêtue devant un garçon pour la première fois. Son cœur poussa un gémissement de douleur. Amère trahison, poison pour l'âme et le cœur qui annihile les sentiments.

Devant Solange, le parc municipal. Elle avait l'habitude de venir ici courir, il y a longtemps. À petites foulées d'abord, presque timidement, elle s'élance sur le chemin. Elle retrouve vite ses enjambées souples, elle puise dans ses réserves, elle se libère. Effort qui évacue la transpiration et les remords. Solange adore courir, elle ressent une plénitude qu'elle ne parvient à retrouver qu'avec sa flûte dans ses mains. Ce loisir aussi, elle l'a délaissé, occupée à suivre Donna partout où elle allait. Alors qu'elle court, Solange prend véritablement la mesure de la quantité de choses qu'elle aurait aimé faire, mais qu'elle n'a pas fait. On ne devrait jamais de dire "j'aurais aimé faire", "j'aurais dû faire", mais "j'ai fait". Les remords valent mieux que les regrets. Et Solange a beaucoup, beaucoup de regrets.

La jeune fille court longtemps. Plus longtemps qu'elle n'a jamais couru, plus longtemps qu'elle ne se pensait capable de courir. Lorsqu'elle s'arrête, rouge et transpirante, hors d'haleine, elle regarde autour d'elle. Elle se trouve dans une petite clairière au bord de l'eau, cachée par les branches tombantes d'un saule pleureur. Au centre de la clairière, un rayon de soleil perce à travers les frondaisons et illumine un banc. Un simple banc. Et sur ce banc, il y a une personne. Pas une simple personne.

Lorsque les yeux de Solange se sont habitués à la luminosité et qu'elle a repris son souffle, elle reconnait la personne. Que fait Octave, le Octave, seul sur un banc dans un parc ? Lorsqu'il lui fait un signe, le doute n'est plus permis : il l'attend, elle. De tous ses amis, Octave est celui qu'elle connaît le moins. Il ne lui a jamais beaucoup parlé. Ils vont aux mêmes soirées, ils sont sur les mêmes groupes mais ils ne sont pas vraiment proches. Pourtant, il est là, à l'attendre sur un banc alors que tous les autres lui ont tourné le dos. Cela dit, ce n'est finalement pas si étonnant que ça. L'année dernière, Octave Eustachi avait manqué les cours pendant environ un semestre, personne ne sait pourquoi. Il était revenu avec des cernes sous les yeux et un énorme sourire, et il s'était un peu rapproché de Solange. Comme il était également devenu proche de Donna, Solange l'a immédiatement classé dans la catégorie des hypocrites, mais... Espoir.

La jeune fille rejoint Octave à pas mesurés, presque craintive.

— Tu fais quoi ? l'interroge-t-elle.

— Je viens faire connaissance avec Solange, déclare-t-il avec un fin sourire.

— Mais... Tu me connais déjà ?

— Non. Je connais la meilleure amie de Donna, mais je ne connais pas Solange.

Etrange écho à ses pensées, les mots d'Octave se fichent dans son cœur. Silence absolu, mais pas écrasant. Solange réfléchit.

— J'aime jouer de la flûte, déclare-t-elle au bout d'un long moment.

Octave sourit. Il va s'assoir sur le banc, et lui fait signe de continuer.

Pendant des heures et des heures, elle parle. Elle raconte ses pensées les mieux cachées, ses loisirs oubliés, sa peine immense, les trahisons et mensonges. Octave se tait et écoute. Un flot de mots sort, inopiné, trop fort pour être refoulé. Lorsqu'elle a fini, lorsqu'elle s'est vidée, Octave ouvre la bouche.

— Donna a besoin d'espace. Tu en as besoin aussi. Tu as besoin, toi aussi, de faire connaissance avec Solange. Ne repousse pas les gens. Ne te laisse pas empoisonner par ta colère.

Pour la seconde fois, les mots du jeune homme s'enfoncent comme des flèches. Il se détourne et quitte la clairière, les mains dans les poches. Solange serre le bouton de tulipe qu'il a déposé dans sa main. Elle aussi va éclore.

Lorsque les parents de Solange rentrent de leur weekend, leur fille joue de la flûte.

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