Ré
Refaël est un geek. Oui, vous avez bien lu Refaël et pas Rafaël. Oui, ce prénom existe. Oui, vous n'êtes pas les seuls à vous être posé la question. Et oui, comme vous pouvez l'imaginer, Refaël n'est jamais passé inaperçu.
Les enfants en bas âge sont des requins : la moindre particularité les attire, et les moqueries fusent. Oui, ces petits êtres adorables peuvent être extrêmement méchants. Tout d'abord, le prénom de Refaël les a interpellés. Ils se sont tous tournés vers ce petit nouveau timide du fond de la classe. Ensuite, la tâche de naissance sur sa joue les a dégoutés. Ils n'avaient jamais vu une telle pigmentation, et ce que l'être humain ne comprend pas, il le craint. Ce qu'il craint, il cherche à le détruire.
Refaël s'est réfugié dans ses livres, ses autres mondes extraordinaires, ses amis imaginaires. Lorsqu'il a joué aux jeux vidéos pour la première fois, il a tout de suite adoré : il pouvait se glisser dans la peau de quelqu'un d'autre, de quelqu'un de normal, et s'inventer une nouvelle vie. Ses parents ont tenté de le décrocher de ses écrans, sans succès.
Maintenant, Refaël est un geek. Il lit aussi beaucoup, regarde des films. Par contre, il ne sort jamais avec d'autres adolescents. Il n'a pas vraiment d'amis, juste des gens avec qui il reste parce que eux aussi ont besoin de quelqu'un avec qui manger. Mais Refaël est heureux : il a ses jeux, ses livres et ses films. Son imaginaire débordant. Et il a aussi sa batterie.
Refaël joue de la batterie depuis aussi loin qu'il s'en souvienne. Ses professeurs disent qu'il a le rythme dans la peau. Lui, il ne s'en rend pas compte. Il a juste l'impression, lorsqu'il joue, de se purger de tout ce qu'il n'a pas fait. Des injures qu'il n'a pas retournées, des coups qu'il n'a pas rendus. Il aime jouer de la batterie, mais une percussion seule ne fait pas une mélodie. Seulement, il est trop timide pour demander à entrer dans un groupe, donc il joue seul et il attend. Quoi ? Il ne sait pas.
C'est un matin comme les autres, et Refaël, comme tout le temps, n'a pas envie d'aller au lycée. Rempli d'élèves qui jugent sans connaître, de regards qui se détournent de lui. Il soupire. Il préfèrerait rester là, au milieu de sa chambre, mais il sait qu'il ne peut pas. Alors, comme tout le temps, il se lève et attrape son sac.
Ce matin, Refaël commence par SVT. C'est un de ses cours préférés. Pas parce qu'il aime la matière (il n'aime aucune matière, sauf peut être son option arts plastiques) mais parce qu'il est à côté de Milane. En effet, aux laboratoires, ce sont les professeurs qui choisissent les places et Refaël Esposito et Milane Eustachi ont forcément fini à côté.
Au début, Refaël avait soupiré. Il n'avait aucune envie de se retrouver à côté de cette intello coincée. Mais au premier cours, elle l'avait surpris : alors qu'il dessinait dans sa marge, elle avait reconnu un des personnages de son film préféré. Ils avaient ensuite parlé, et Refaël avait découvert la vraie Milane. Elle a une culture pop presque aussi étendue que lui, et elle est très sympa. Ils sont devenus ce qui se rapproche le plus de deux amis.
— Salut ! lui lance Milane lorsqu'il arrive dans la salle. J'ai vu le film dont tu m'avais parlé, vraiment génial ! Mais je persiste à dire qu'ils n'auraient pas dû emprisonner la fille : elle peut faire plein de trucs et son repentir avait l'air vraiment sincère !
Milane est l'une des seules personnes qui parlent normalement à Refaël. Son regard ne dévie pas sur sa tâche de naissance, elle ne paraît pas gênée ou dégoutée.
Comme à leur habitude, les deux n'écoutent rien au cours (c'est d'ailleurs le seul cours où Milane fait ça, elle qui est si sérieuse). Ils parlent de leur imaginaire, comparent Tolkien à Lewis et jugent les derniers dessins de Refaël.
Le cours passe à son habitude trop vite et ils se disent au revoir. Ils ne restent jamais ensemble hors de ces cours dans le laboratoire. Ce sont des moments un peu hors du temps, où il n'est pas le geek un peu bizarre et où elle n'est pas l'intello effacée. Mais ils ne durent jamais longtemps.
Lors de la pause de midi, Refaël mange son sandwich sur les marches de l'escalier de service. Il se pose toujours là, pour regarder l'entraînement des pom-pom girls. Refaël est un incorrigible romantique, et il est amoureux. Amoureux de la fille la plus populaire du lycée, la fille parfaite : Donna. Il ne lui a jamais parlé, bien sûr, les gens comme elle ne parlent pas aux gens comme lui. Mais il rêve toujours. Sentiment de feu, qui le brûle.
Cependant, contrairement à d'habitude, quelqu'un vient s'assoir à côté de lui. Il reconnaît le grand frère de Milane, Octave. Il ne lui a jamais parlé non plus, mais il sait qui il est : tout le monde connaît Octave Eustachi. Au début, Refaël ne dit rien, persuadé que le plus âgé le prend pour quelqu'un d'autre et va s'en aller.
— Je rencontre enfin le fameux Refaël ! Enchanté.
Fronçant les sourcils, celui-ci se tourne vers son interlocuteur.
— Toi, enchanté de me rencontrer ? Ne blague pas...
— Je ne blague pas, Refaël. J'ai énormément entendu parler de toi. Enfin, Milane parle de toi tous les soirs.
— Milane ?
— Oui, tu sais, ma sœur. Ta voisine de SVT.
— Je vois très bien qui c'est.
Un silence flotte dans l'air. Octave surprend le regard que le garçon pose sur les pom-pom girls.
— Oh non, toi aussi ? Tu aimes Donna ?
Gêné, Refaël baisse les yeux.
— Tu ne la connais même pas ! Tu ne lui as jamais parlé ! Crois-moi, ce n'est pas ça, l'amour. L'amour, c'est quand tu te sens si bien avec une personne que tu as l'impression d'avoir changé d'univers. L'amour, c'est quand tu partages tout avec cette personne. Quand elle s'intéresse aux mêmes choses que toi. Que tu as l'impression de partager un seul esprit, mais qu'elle parvient tout de même à te surprendre. C'est ça, l'amour, petit Refaël. Toi, tu n'es pas amoureux. Tu es jaloux, et il y a une grande différence. Mais laisse moi te dire un secret.
Il se penche vers Refaël.
— Tu n'as pas à être jaloux. Ces gens que tu envies, ces "populaires", ils ont des problèmes, tout comme toi. Mais eux, ils ont pour les soutenir un tas de faux amis qui les lâcheront quand ils laisseront tomber leur masque. Toi, tu as une immense culture, une imagination encore plus grande et un don pour le dessin. Et tu pourrais avoir des amis, si tu laissais les gens t'approcher.
Sur ces paroles, Octave se lève et part. Resté seul, Refaël tente de comprendre ces paroles. Son regard retombe sur Donna, et il ne sent rien. Seulement une petite nostalgie. Refaël est libéré, il sourit.
Le lendemain après-midi, Refaël a SVT. Lorsqu'il arrive, Milane est une fois encore déjà là. Elle l'accueille en souriant, et lui tend une image qu'elle a imprimée.
— Regarde comme il est classe sur cette photo ! Tu pourrais tenter de le dessiner !
Elle adore lui suggérer de nouveaux dessins. Milane est l'une des premières personnes à qui il a montré ses esquisses, et elle a tout de suite été enthousiaste. Elle l'a aidé à développer son propre style, par de petits défis.
Refaël a une idée.
— Non merci, je préfèrerais essayer de dessiner un des personnages principaux du Silmarillion.
Milane paraît blessée.
— Mais tu sais bien que je ne l'ai pas lu, le Silmarillion !
— Tu devrais vraiment, tu vas aimer.
Le jeune homme marque un temps de pause, avant de reprendre.
— Tu pourrais passer chez moi après les cours pour que je te le prête...
Au début, il craint qu'elle réagisse mal. Il a brisé la règle tacite, celle qui imposait qu'ils ne se voient jamais hors du cours. Il a peut-être voulu trop, trop vite. Il aurait dû lui proposer de manger ensemble, ou même de s'assoir à côté pendant un autre cours. Ou d'échanger leurs numéros.
Mais le sourire qui éclot sur les lèvres de Milane dissipe ses craintes. Il ne l'a jamais vue sourire comme ça. Ce n'est pas le sourire qu'elle arbore quand elle lui raconte un problème particulièrement ardu qu'elle a réussi à résoudre, ou quand il réussit un de ses exercices de dessin. C'est un sourire timide d'abord, comme s'il avait peur que ce soit une blague, ou un malentendu. C'est ensuite un sourire incrédule. Enfin, c'est un sourire qui pourrait illuminer toute la planète.
Refaël ne sent aucun feu, aucune brûlure. C'est plutôt une chaleur, douce mais bien présente. Qui le fait penser que tout ira bien, toujours. Qu'il a changé d'univers. Il ne doute pas que ce qu'il ressent à cet instant pour Milane est bien, bien plus fort que ce qu'il a cru éprouver pour Donna.
Amitié qui guérit, qui donne des ailes.
Refaël a brisé la règle une fois. Et il a hâte de la briser à nouveau.
Sur la paillasse du laboratoire, ses mains tapent un rythme. Un rythme de vie.
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