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Une simple phrase, une simple question peut rendre quelqu'un fou de joie. C'est ce qui s'est passé quand Refaël a proposé à Milane de se rendre chez lui. La jeune fille ne s'y attendait pas, mais elle a accepté. Tout de suite. Le reste de la journée, elle a été dévorée par le trac.

Milane est timide. Associée à son goût pour les études et ses capacités intellectuelles, sa timidité lui a valu d'être classée chez les intellos. Alors Milane n'a jamais osé aborder quelqu'un d'autre, et elle n'a certainement jamais été chez un ami en sortant du lycée.

Heureusement, ça s'est bien passé. Refaël lui a fait visiter sa chambre, lui a montré ses livres et ses jeux. Ils se sont bien amusés, et ce n'était pas si différent que les cours de SVT. Excepté le fait qu'ils étaient là volontairement, et non parce que leurs noms de famille se suivaient dans l'ordre alphabétique.

Maintenant, Milane est heureuse. Pour une fois, elle ose changer, elle ose se faire remarquer. Elle a l'impression que le fait d'avoir un ami, un vrai, enfin, l'a libérée. Elle fait désormais partie de ceux qu'elle a regardés de loin et enviés, ceux qui parlent fort, qui se moquent de l'avis des autres, qui papotent en cours et s'envoient des messages toute la nuit. Comme Octave, son frère. Avant, Milane n'était pas malheureuse. Elle avait des parents aimants et elle adorait son grand frère. Maintenant, elle se sent complète.

Alors Milane ressort du fond de son placard ce haut vert émeraude qu'Octave lui avait offert et qu'elle trouvait criard, elle dénoue ses éternelles tresses. Elle change, elle s'affirme. Elle s'habille d'une certaine manière parce qu'elle aime des vêtements et non plus parce qu'ils sont passe-partout.

Son frère lui a toujours dit qu'elle était trop renfermée, qu'elle devait sortir de sa carapace. Elle rétorquait que c'étaient les autres qui ne voulaient pas d'elle. Maintenant, Milane comprend qu'il avait raison. Que c'était à elle de s'ouvrir, de se montrer réellement. C'est sous l'impulsion de son frère qu'elle a parlé à Refaël ce premier jour. Qu'elle a osé lui montrer qu'elle avait reconnu le personnage de son dessin. Qu'elle avait laissé tomber sa carapace. Elle a toujours admiré Refaël, de loin. Elle ne comprenait pas comment elle pouvait être la seule à percevoir la lumière qu'il dégageait, la musicalité de ses gestes, la beauté dans sa tâche de naissance. Comment un être si original, si intéressant pouvait rester seul. Elle s'en était ouverte à Octave qui l'avait poussée à lui parler.

Ça avait été la meilleure chose de sa vie.

Après plusieurs semaines, Milane et Refaël ne se quittent plus. Les deux amis se voient après les cours, le mercredi, les weekends... Plus ils en apprennent l'un sur l'autre, plus ils s'étonnent, plus leur lien se resserre.

Ce jeudi, ils sont chez Refaël. Milane soulève un tissu avec curiosité et découvre la batterie.

— Tu joues de la batterie ?

— Non, mais j'en ai une dans ma chambre bien sûr ! s'esclaffe le garçon. Plus sérieusement, oui, je joue de la batterie.

— Cool ! Tu fais partie d'un groupe ?

Le regard du jeune homme s'assombrit.

— Non, je n'ai jamais eu le courage d'en rejoindre un. Mais je ne désespère pas, fait-il pour détendre l'atmosphère.

Milane paraît songeuse un instant.

— On pourrait essayer de faire un peu de musique ensemble, de temps en temps. Toi, tu jouerais de la batterie et moi je chanterais.

Tout de suite enthousiaste, Refaël accepte la proposition avec joie.

Voilà comment Milane se retrouve à devoir écrire une chanson en une semaine.

Le cerveau de Milane absorbe tout : les longs théorèmes scientifiques, les innombrables figures de style, les déclinaisons... et les paroles des chansons. C'est donc tout naturellement qu'elle a commencé à chanter. D'abord, c'étaient des chansons d'artistes qu'elle admirait. Puis, peu à peu, elle a commencé à écrire ses propres paroles. Chanter pour dire ce qu'elle avait sur le cœur. Pour se débarrasser de sa timidité maladive.

Lorsqu'elle est avec sa famille, Milane chante tout le temps. Mais elle n'a jamais chanté devant une autre personne. Ses chansons sont la voix de son cœur, et elle n'a jamais ouvert celui-ci.

Maintenant, elle doit composer une chanson pour Refaël. Elle y pense toute la semaine, tous les jours. Elle barre, elle rature, elle désespère, elle rassemble son courage, elle perd espoir, elle se reprend...

En cours, tout est différent. Ses camarades la dévisagent, chuchotent sur son passage. Sa métamorphose les étonne. Milane a toujours été invisible, seule au devant de la classe. Seulement, aujourd'hui, elle n'est plus invisible. Elle qui a toujours été grise, elle resplendit de couleurs. Elle qui a toujours été fuyante, elle s'affirme. Elle qui a toujours été concentrée, elle griffonne sur un bout de papier. Elle qui a toujours été la première à partir une fois le cours terminé car elle n'avait personne à attendre, elle attend.

Alors les autres, qui ne lui ont jamais parlé, qui n'ont jamais manifesté de l'attention, vont la voir. Ils l'interrogent sur les raisons de ce changement, la pressent, l'entourent de leurs regards inquisiteurs. La jeune fille commence à paniquer. Voilà pourquoi elle mettait un point d'honneur à ne pas se faire remarquer ! Maintenant qu'elle est devenue l'attraction de la journée, elle se sent oppressée par ces hypocrites, qui feignent de s'intéresser à elle uniquement pour avoir quelque chose à raconter à leurs amis. Elle regarde autour d'elle, son pouls augmente. Respiration rapide, panique.

Soudain, à la porte, elle aperçoit un éclat lumineux qui chasse sa panique comme le vent chasse les nuages, un bout de soleil nommé Refaël. Elle bouscule les autres adolescents, se précipite vers son ami et lui propose de quitter la salle - rapidement. Les yeux de celui-ci balayent la salle et une lueur de compréhension traverse son regard. Il passe un bras protecteur autour des épaules de Milane et l'entraîne. Une fois qu'ils ont passé la porte, il y a un instant de flottement puis Refaël retire son bras, soudain gêné, et propose l'air de rien d'aller manger.

Milane acquiesce. Elle tente de dissimuler ses joues brûlantes et le sourire niais qui s'est imposé sur son visage. Son pouls augmente de nouveau. Pas pour la même raison.

Le vendredi soir, les deux amis se retrouvent. Milane, debout devant Refaël, une feuille à la main, tente de se défiler.

— Les paroles sont vraiment nulles ! Et puis en plus, je chante comme une casserole ! Tu sais quoi, je vais juste me ridiculiser, mieux vaut qu'on passe à autre chose.

— Je suis certain que les paroles sont super. Et ton frère m'a dit que tu chantais vraiment bien. De toute façon, tu ne peux pas être ridicule. Tu es vraiment trop géniale ! Enfin, ce n'est pas ce que je voulais dire, tente-t-il de se reprendre.

Le visage de Milane se décompose et tandis que ses yeux s'embuent, elle attrape son sac.

— Désolée de t'avoir fait perdre ton temps, dans ce cas. Tu aurais du me le dire, que je n'était pas intéressante. Je ne vais pas t'embêter plus longtemps.

Elle se dirige vers la porte. Refaël, catastrophé, la retient.

— Attends ! Je... En fait, si, c'était exactement ce que je voulais dire. Tu es la fille la plus géniale que je connaisse ! Ce qui est fou, c'est que tu passes ton temps à te rabaisser alors que tu es tellement intelligente, tellement drôle, intéressante, belle...

Il baisse la voix sur le dernier mot. Il ne regarde plus Milane, il regarde le sol. Ses joues le brûlent. Et elle ne peut pas s'empêcher de se dire qu'il est extrêmement mignon.

Milane attrape le visage de son ami, et le relève.

— Moi aussi, souffle-t-elle à sa question informulée.

Bonheur intense, comme ne peuvent le provoquer que des sentiments réciproques. Impression que deux pièces du puzzle immense de l'univers viennent de s'emboîter. Eternité.


Lorsque Milane revient en cours le lendemain, elle est assaillie par ses camarades. Pourquoi est-ce qu'elle ne leur a pas répondu hier ? Qu'est-ce qu'elle faisait avec Refaël Esposito ?

Milane se prépare pour l'arrivée de la gêne habituelle, de la panique. Au lieu de quoi, elle garde les idées claires. Elle ne voit plus des gens hypocrites prêts à la disséquer, mais des êtres humains, complexes, qui s'intéressent à elle et derrière qui se cache peut-être une route aussi belle que celle qu'elle emprunte avec Refaël.

Elle leur sourit et leur répond. Amour qui guérit, Milane a enfin brisé la carapace.

Elle chante à haute voix.

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