Fa
Vous ne vous êtes jamais demandés ce que le professeur dirait si vous écriviez à l'encre verte sur votre dissertation ? Vous n'avez jamais rêvé, quand ce même professeur vous dit "Si mon cours ne t'intéresse pas, tu peux partir !", de vraiment partir ?
Farik n'a aucune honte. Tout le lycée le sait. Il est cet esprit libre et rebelle qui dit ce qu'il pense, même quand cela ne plait pas aux gens. Il est celui qui refuse de vouvoyer les adultes tant qu'ils ne lui ont pas donné de raison valable pour les respecter.
Farik n'a pas vraiment d'amis. Si tout le monde le connait et l'admire en secret, et si il fait rire la classe, personne ne veut être associé à son insolence. Cela ne dérange pas Farik non plus. Le reste des humains est si fade et dépourvu d'intérêt, ils ne pensent pas par eux-mêmes et se laissent façonner par un système d'éducation tordu et qui enchaîne les jeunes au lieu de les aider à prendre leur envol. Alors Farik est seul, et heureux de l'être.
— Farik, je vous dérange, peut-être ? s'exclame le professeur.
Le jeune homme ôte les écouteurs de ses oreilles.
— Techniquement, oui, parce que j'écoutais un morceau que je voulais reproduire avec mon violon et que tu m'as interrompu.
Un éclat de rire secoue la salle.
— Farik ! Arrêtez cette insolence ! Et on vouvoie son professeur !
— Non, monsieur. On vouvoie les gens qu'on respecte, et tu n'a rien fait pour mériter mon respect pour l'instant.
— Excusez-vous sur le champ !
Un autre élève aurait déjà été exclu du cours. Un autre élève. Il est impossible d'exclure Farik à chaque fois qu'il parle ainsi, parce que sinon, il n'irait tout simplement pas en cours. Et le lycée a promis aux parents du jeune homme, de riches avocats, de ne pas l'exclure. Farik le sait bien, et il profite de la situation.
Seulement voilà : une petite blonde au premier rang soupire d'exaspération. Milane adore le français, et elle aimerait que le cours se poursuive. Farik n'a pas d'amis, et cela lui va très bien, mais si il avait un ami, ce serait Milane. Il n'est pas amoureux : l'amour n'est qu'un sentiment qui enchaîne et esclavagise, une horreur pour lui qui tient tant à sa liberté. Mais il l'aime bien. De tout le lycée, elle est la moins aveugle. Il perturbe les cours pour casser la monotonie et elle s'abreuve des paroles du professeur pour s'enrichir. Paradoxalement, il se sent plus proche d'elle que de n'importe qui d'autre dans l'établissement. Elle a compris le véritable but de l'enseignement, elle veut prendre son envol.
Farik n'a pas d'amis, et cela lui va très bien. Mais il s'excuse envers le professeur - sans le vouvoyer, il ne faut pas le pousser à bout non plus - et range ses écouteurs. Il n'ira pas voir cette jeune fille, il est bien en solitaire. Mais il ne va pas non plus gêner la seule personne qu'il ait jamais rencontrée qui a une véritable soif de connaissances.
Lorsqu'il a terminé de déjeuner, Farik se dirige vers la bibliothèque. Il est enfin temps d'apprendre quelque chose d'intéressant. Il a déjà lu plusieurs ouvrages de Platon ou Cicéron. En latin. Aujourd'hui, il veut perfectionner son grec ancien pour pouvoir s'attaquer à Pythagore, mais un insupportable spécimen lui barre le passage : Octave Eustachi. Farik ne l'aime pas, mais pour Milane, il va essayer de se contenir.
— Octave, je n'ai pas l'impression que tu sois aveugle, donc tu devrais te rendre compte que j'aimerais accéder à la bibliothèque.
— Farik, j'aimerais te parler.
Celui-ci grimace. Il n'aime pas parler aux gens, il a l'impression de converser avec des poissons panés. Et il exagère à peine. Mais si il veut accéder à la salle, il va bien devoir céder.
— Tu as 5 minutes, après c'est une trop grosse perte de temps.
Octave se retourne et lève les yeux au ciel. Il se dirige vers un banc, et s'y assoit. Farik le suit et se met en tailleur par terre.
— Pourquoi tu ne t'assois pas sur le banc ? Il y a largement la place.
— J'aime bien regarder les gens d'en bas, surtout les petits prétentieux dans ton genre qui veulent me faire la morale.
Octave serre les poings, il essaye de se contenir.
— Ok, alors je vais aller droit au but. Tu fais comme si tu étais bien, solitaire et inaccessible, mais l'être humain n'est pas censé rester seul. La liberté, c'est pas quelque chose qui se cultive à l'échelle de l'individu. Tu ne devrais pas avoir à t'empêcher de créer des amitiés, si tu es libre. Voilà ce que je voulais te dire.
De sa place sur le sol, Farik regarde sa montre.
— 5 minutes. Ciao.
Il se lève et se dirige vers la bibliothèque. Une fois qu'il est assis avec son livre dans les mains, pour la première fois de sa vie, Farik ne parvient pas à se concentrer. Il vivait dans une bulle, mais elle a éclaté et maintenant il est dérangé par le bruit des conversations des élèves autour de lui. Les paroles d'Octave, même si il a fait de son mieux pour paraître de marbre, l'ont bouleversé. Un vide en lui, si longtemps ignoré. Des murs qu'il a dressés pour se protéger de la médiocrité du monde, mais qui l'ont enfermé, lui pour qui la liberté est primordiale. Des êtres imparfaits, mais intéressants. Complémentaires. Originaux.
Il aperçoit du coin de l'œil Milane qui cherche un traité de philosophie. Farik est un être libre. Libre de faire ses propres choix. Libre de tisser des amitiés. Libre de changer d'avis.
Milane est en train de parcourir les étagères à la recherche de ce fichu traité lorsque la voix de Farik la fait sursauter.
— Il est là, si tu veux.
Farik n'a aucune honte, mais Farik est un asocial et c'est pourquoi Milane est si étonnée de le voir l'aider. Elle n'aime pas vraiment ce perturbateur, qui empêche les professeurs passionnés de faire leur cours et qui ne se préoccupe que de lui. Elle s'apprête à le rembarrer quand elle aperçoit le léger tremblement des mains qui lui tendent l'ouvrage, et la lueur vulnérable dans les yeux du jeune homme. Elle lui adresse un grand sourire.
Pour une fois, Farik n'est pas seul chez lui. Il a invité Milane, et s'est fait violence pour ne pas envoyer paître le petit ami de celle-ci lorsqu'il s'est joint à eux.
La musique sort du violon, libre.
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