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Personne n'est parfait. Mais tous les gens qui la croisent peuvent affirmer que Donna est ce qui s'en rapproche le plus. La perfection, voilà ce qui obsède la jeune fille. Être la plus intelligente, la plus belle, la plus gentille... Ce n'est pas de l'orgueil ou du narcissisme : c'est un simple cercle vicieux. Lorsqu'elle est rentrée à l'école, Donna a vite compris que montrer un signe de faiblesse, d'hésitation, c'est s'offrir en pâture aux autres enfants qui exploitent ces tares. La jeune fille a alors entrepris d'enfouir ses particularités, ses différences. Plus elle semblait parfaite, plus les autres ont cherché à lui trouver un défaut et plus elle est devenue habile à les cacher.

Donna ressemble à une princesse. De longs cheveux blonds, de splendides yeux bleus en amande, une peau d'albâtre sans aucun bouton. Elle a un sourire resplendissant, un sourire qui ne s'éteint jamais et qui fait profiter son entourage de la lumière et de la chaleur d'un rayon de soleil.

Lorsque Donna se réveille, ce matin, son sourire vient se plaquer sur son visage. Réflexe. Elle se lève et baille. Un contrôle d'espagnol, une dictée en français et le discours de bienvenue aux nouveaux du lycée... Elle se prépare pour une journée harassante, comme toutes les précédentes. Une fois qu'elle est passée dans la salle de bain - ce qui est relativement long, elle toque à la porte de sa sœur.

— Siam, tu vas encore être en retard !

— Tais-toi, Miss Parfaite, ronchonne une voix ensommeillée derrière la porte.

Après avoir poussé un soupir, Donna attrape son manteau et se prépare à sortir. Elle passe dans le salon. Au beau milieu de la pièce trône un majestueux piano à queue. Elle s'en approche, ses longs doigts laissant un sillon dans l'épaisse couche de poussière qui recouvre l'objet. La musique est l'une des nombreuses choses qu'elle a sacrifiées, pour pouvoir rester en tête de classe tout en participant aux nombreuses soirées organisées par les élèves et en assurant ses tout aussi nombreuses responsabilités au lycée. Lorsqu'elle jouait du piano, ses doigts fins parcourant les touches noires et blanches, plus rien n'existait à part elle et la musique : plus de camarades pour la juger, elle pouvait se montrer vulnérable. Mais cette époque est révolue.

Secouant la tête pour chasser la mélancolie, elle retire sa main comme si l'instrument l'avait brûlée. Elle se rend avec de grandes enjambées à la porte. Devant chez elle l'attend sa meilleure amie, Solange. Donna adore Solange. Mais elle ne peut pas ouvrir son cœur. Même si elle décide de faire enfin confiance à quelqu'un, même si elle part du principe que la douce Solange ne la jugera pas, elle ne peut plus laisser tomber le masque. Pas après tout ce temps. Alors elle continue à sourire, à raconter des choses futiles.

Durant le trajet, les deux amies parlent de tout et de rien. Celui-ci passe vite, et elles arrivent rapidement devant la porte de leur établissement. Là, les élèves saluent tous Donna, et elle a un mot pour chacun d'entre eux. Des gens avec qui elle passe toutes ses journées, et qui ne la connaissent pas. Qui l'envient. Qui n'oseraient jamais dire quoi que ce soit sur elle.

Après avoir laissé Solange, qui va à son propre cours, Donna pousse la porte de sa propre salle de classe. Le professeur lui sourit, elle est en avance mais le cours va bientôt commencer. Il commence à deviser avec elle du dernier devoir. C'est son élève préférée, Donna est l'élève préférée de tout le monde. Elle a une vie parfaite, elle a tout ce qu'elle veut. Sauf une chose : Octave. Octave lui aussi est beau, intelligent, gentil. Donna est tombée amoureuse de lui le premier jour qu'elle a passé dans ce lycée. Avec lui à ses côtés, elle ne risquerait plus rien. Avec lui, elle serait en sécurité. Tous les deux, ils seraient parfaits.

Seulement, Octave ne voit rien : pas les regards qu'elle lui lance en cours, pas les rapprochements qu'elle tente quand ils sont seuls, pas les allusions et les compliments. Rien. Mais Donna n'est pas du genre à attendre ou à laisser le destin décider pour elle. Alors elle a décidé qu'aujourd'hui, elle ferait le premier pas.

Le cours passe lentement. Donna a l'air captivée par le professeur. En réalité, elle déteste le français, surtout les rédactions. Trop de choses personnelles, pour une fille qui n'est que surface. Elle attend, en jetant des regards au brun qui occupe ses pensées. Son genou tressaute. Une faille dans son masque.

La sonnerie retentit, libératrice. Donna range lentement ses affaires, elle ne veut pas donner l'impression de se précipiter. Mais ses mains qui tremblent trahissent son impatience. Alors elle accélère, avant que quelqu'un ne le remarque. Lorsqu'Octave sort de la salle, elle lui agrippe le bras.

— Je peux te parler, interroge-t-elle d'une voix qu'elle peine à maîtriser ?

Le jeune homme la regarde, étonné.

— Bien sûr, princesse.

Il l'a toujours appelée comme ça. Au début, elle y a vu un signe, mais elle a vite été désenchantée. Il a un surnom pour tout le monde, et le sien n'est qu'une référence à sa cascade de boucles blondes et son gloss pailleté.

Donna l'entraîne à l'écart puis inspire profondément.

— Tu sais, depuis que je suis arrivée ici, il n'y a pas un moment que je passe sans penser à toi. Je t'aime, Octave. Tu m'appelles princesse, tu pourrais être un prince. On serait si beaux, tous les deux. Le couple royal.

Les yeux écarquillés, le jeune homme prend le temps de digérer la nouvelle.

— Donna, je suis désolé. Ce n'est pas une princesse que je cherche.

La bouche de la jeune fille s'arrondit de surprise.

— Presque toute l'école l'a deviné, et tu aurais fait de même si tu n'avais pas été préoccupée par autre chose. Par maintenir le masque.

Donna recule d'un pas.

— Ce n'est pas moi que tu aimes, c'est la popularité. Tu joues un rôle, Donna, le rôle de la fille parfaite. Peut-être que les autres ne le voient pas, mais heureusement que moi, je le vois. Parce que ce n'est pas ça, la vie. Ce n'est pas se cacher, prétendre qu'on est quelqu'un d'autre. C'est montrer qui on est, vraiment. Des êtres pleins de défauts, de tares. Des gens moches, bêtes, méchants. Mais pas des coquilles vides. Enlève le masque, Donna.

Une digue s'effondre. Un flot, trop longtemps retenu, s'échappe avec une force insoutenable. Destructeur, salvateur peut-être ? Donna pleure.

— Tu sais ce qui m'a marqué la première fois que je t'ai vue ? Ta musique. Tu jouais du piano. Ton cœur s'exprimait. Tu ne joues plus, maintenant. Tu bâillonnes ton cœur, tu l'enfouis. Mais on ne peut pas façonner sa personnalité, Donna. J'espère qu'il n'est pas trop tard, que tu ne seras pas qu'une coquille vide.

Ruisseaux de larmes. Un cœur bâillonné qui hurle. Donna s'effondre. Elle ne peut pas parler. Ses yeux parlent pour elle.

Octave la regarde, la comprend, mieux que personne ne l'a jamais fait. "Il n'est pas trop tard", disent les yeux de la jeune fille.

— Prouve-le-moi.

Il tourne les talons. Il aurait pu rester. Il serait resté, si cela avait aidé Donna. Mais elle doit être seule. Seule pour faire tomber le masque, seule pour se rebâtir.


Certitudes qui volent en éclat.

Monde qui se détruit.

Toute une vie.

Donna sanglote.


Derrière les débris, une lueur d'espoir.

Un passé enfoui, des sentiments brimés.

Un renouveau.

Ravagée par les larmes, Donna sourit.


Donna a séché un cours. Pour la première fois de sa vie. C'est le premier évènement qui secoue les élèves. Le second, c'est son sourire lorsqu'elle reparaît. Moins parfait, moins travaillé que d'habitude. Moins artificiel. Ce n'est plus un rayon, c'est le soleil lui-même. Mais ce qui aurait dû alerter les élèves sur le changement de Donna ne les alerte pas.

Ils ne voient pas son expression quand elle surprend le regard d'Octave sur Lan, le petit asiatique discret du dernier rang. Ils ne ressentent pas sa jalousie. Mais surtout, ils ne voient pas cette jalousie fondre comme neige au soleil.

Donna relève la tête. Elle ne se cachera plus.


Dans un salon, un piano à queue pousse un soupir de soulagement.

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