18

Avery 23 ans, Kyle 22 ans

KYLE

— Vous pensez que ça fait trop si j'ajoute cette petite veste de costume ? Après tout, on va dans un simple restaurant. Je ne sais pas quelle tenue porter dans ces circonstances. Peut-être que...

— Mon Dieu, achevez-moi, soupire la râleuse originelle, tandis que son copain éclate de rire.

— Ne fais pas attention, piccola. Il la connaît depuis qu'il porte des couches-culottes et il se pose encore des questions pour un simple restaurant.

Je fusille mes amis du regard, fatigué de parler dans le vent. Avery est de passage à Boston pour quelques jours et m'a invité au restaurant pour l'occasion. Elle voulait célébrer sa nomination aux Golden Globes avec moi. Lorsque j'ai appris la nouvelle, je n'en ai pas cru mes oreilles. Je me souvenais encore de la petite fille répétant ses premiers textes dans son salon, habillée en Amber June Adams. Je l'ai vue grandir, apprendre, échouer, et se transformer en une véritable actrice de cinéma. Je ne pouvais pas être plus fier. Voilà bientôt quatre ans qu'elle est apparue en tant qu'Avery Cooper, actrice, et non plus la fille de Liam et Amber Cooper. Elle s'est battue pour se faire un nom et aujourd'hui, ses efforts ont porté leurs fruits.

Plus les années passent, plus sa carrière prend de l'ampleur, plus notre relation passe au dernier plan. Nous nous voyons très rarement et nos appels téléphoniques deviennent de plus en plus espacés. Parfois, j'ai envie de tout arrêter, puis elle réapparaît et j'oublie tout. Je savais qu'en grandissant, certaines choses changeraient. C'est la vie. Mais j'ai bêtement cru que nous étions au-dessus de ça. Que notre amour surpassait tout. Qu'en y croyant, tout était possible. Une part de moi s'y accroche toujours, c'est pourquoi je n'ai pas abandonné, au grand désarroi de mon meilleur ami. Ce que je comprends. Hayden est resté à mes côtés ces quatre dernières années. Il est rapidement devenu le frère que je n'ai jamais eu et a partagé toutes mes émotions : chaque sourire, chaque angoisse, chaque larme. Par moments, j'aimerais lui passer le flambeau et faire en sorte qu'il raye Avery de ma vie. Ce serait tellement plus facile. Malheureusement, cette décision ne peut être prise que par moi.

Et je suis trop lâche.

Alors, en attendant, je reste dans cette illusion et me prépare avec hâte pour mon dîner avec la fille de mes rêves et de mes tourments.

— Vous ne m'aidez vraiment pas, les tourtereaux. C'est vous le couple ici, vous sortez ensemble toutes les semaines, vous êtes censés me conseiller, pas me vanner.

— Alors premièrement, ne nous appelle plus jamais les « tourtereaux », rien que d'y penser, j'en ai la gerbe.

La réaction de Kaylee m'arrache un sourire. Elle s'est adoucie depuis que mon idiot de meilleur pote lui a tiré une flèche en plein cœur, mais elle reste cette râleuse aigrie naturelle. C'est aussi comme ça qu'on l'aime, alors personne n'essaiera de la changer.

— Deuxièmement, arrête d'en faire des tonnes. Tu ne vas ni la demander en mariage, ni lui proposer d'être ta cavalière pour le bal de promo. Ce n'est qu'un dîner, et même si vous ne vous êtes pas vus depuis plusieurs mois, ce n'est pas ta tenue qui va la marquer en premier, poursuit la rouquine.

— Et après, c'est toi qui lis des livres de romance, ne peut s'empêcher d'ajouter Hayden.

Il se prend une claque sur la tête pour seule réponse. Ah, l'amour de Kaylee et Hayden, un rêve éveillé.

Je m'apprête à parler, mais le téléphone d'Hayden se met à sonner.

— C'est mon père, je reviens dans cinq minutes.

Il s'éclipse sur le balcon, me laissant en tête-à-tête avec sa copine. Je m'assieds alors à ses côtés sur le lit avant de me confier :

— Je sais qu'elle s'en fiche, mais elle passe son temps à se pavaner au bras de mannequins plus canons les uns que les autres, et je...

— Tu n'as pas envie qu'elle finisse par penser que tu n'es pas si incroyable à côté d'eux et que tu ne vaux plus la peine de perdre son temps, devine ma future psychologue préférée.

Je hausse les épaules en baissant le regard. Elle a raison, je ne l'avoue que très rarement, mais je perds de plus en plus confiance en mes qualités. Plus les mecs défilent sur les tapis rouges, plus je me rends compte que je ne suis qu'un simple étudiant. Un gars qui veut réussir en médecine, mais qui n'aura pas de vraie carrière avant longtemps. Tandis qu'eux, ils peuvent lui offrir le monde en un claquement de doigts. En quoi je me démarque ?

— Personne ne peut te dicter tes pensées et tes sentiments, Kyle. En revanche, je peux te dire que tu vaux la peine qu'on se batte pour toi. Tu mérites des sorties en amoureux, une attention unique. Tu mérites quelqu'un qui te regarde comme la huitième merveille du monde. Peut-être qu'Avery n'est plus celle qui te correspond. Ces nouveaux chemins que vous empruntez sont probablement le destin qui essaie de vous faire comprendre qu'il est temps de tourner la page.

Mon cœur se serre à l'entente de ces trois mots.

— Tourner la page signifie terminer le livre sans elle. Et chaque romance a besoin de sa fin heureuse, non ?

Elle hausse les épaules.

— C'est vrai, mais tous les ouvrages ne sont pas des one shots. Peut-être que tu termineras celui-ci sans elle, mais tu commenceras le prochain avec celle qui méritera enfin ton cœur.

Une part de moi souhaite lui donner raison, affirmer que je mérite mieux que les miettes qu'Avery me donne. Et pourtant, l'idée de partager ma vie avec une autre me broie les entrailles. J'ai donné mon cœur à Avery lorsque j'étais enfant. Je le lui ai offert dans sa totalité, sans possibilité de faire machine arrière. Alors, si un jour, elle souhaite s'en débarrasser, je ne suis pas sûr d'être en mesure de l'offrir à quelqu'un d'autre. Et cette pensée m'attriste davantage. Je ne suis qu'au début de ma vie. Je devrais profiter de ma jeunesse, explorer mes options, vivre sans penser à demain. Mais j'en suis incapable. J'ai parfois l'impression d'avoir été conditionné différemment. Comme si la vie ne m'avait donné qu'une seule trajectoire et que m'en écarter, ne serait-ce que de quelques centimètres, m'anéantirait.

La sonnerie de mon téléphone me sort de mes pensées. Le nom d'Avery s'affiche sur l'écran et mon cœur s'accélère d'excitation.

— C'est Avery, elle doit être tout près.

Kaylee m'offre un sourire d'encouragement. Même si elle préférerait que je suive ses conseils, elle sera toujours de mon côté, peu importe mes choix.

Je commence à lire le message sans plus attendre :

Avery C : Coucou, Kyle. Pardonne-moi de ne pas t'avoir prévenu plus tôt, mais je ne peux plus me rendre à Boston. Lance m'a bookée sur un événement que je ne peux pas refuser. Tout s'est passé très vite et je n'ai pas eu une seconde pour annuler. Je suis désolée et te promets de me rattraper au plus vite. Je t'aime au-delà des océans.

Je tente de garder une expression neutre alors qu'intérieurement, je hurle.

Encore une fois, j'ai espéré. Encore une fois, j'ai oublié. Encore une fois, je passe en dernier.

Tout me pousse à prendre le premier avion et à tout arrêter sur le champ. Tout me pousse à enfin me faire passer en premier, à ne plus laisser le couteau qu'elle a planté en moi s'enfoncer plus profondément. Tout me pousse à détruire le lâche qui a pris possession de mon corps depuis qu'Avery détient mon cœur.

Mais encore une fois, je n'en fais rien. À la place, je plonge mon regard dans celui de mon amie, et sans rien ajouter, elle comprend. Au lieu de me faire la morale, elle m'attire contre elle et me laisse déverser les larmes que j'ai tenté de réprimer en vain.

— Putain, ne me dis pas qu'elle a osé, s'exclame soudainement la voix d'Hayden.

Je relève la tête dans sa direction, et son regard s'assombrit lorsqu'il aperçoit mes yeux brillants. Bien que l'envie de hurler toutes les insultes qu'il connaît le tente, il n'en fait rien. Encore une fois, il choisit de me préserver et de faire passer mes sentiments en premier.

Tout ce qu'Avery n'a jamais su faire.

***

— Qu'est-ce que tu fous là, craché-je lorsque la silhouette d'Avery se matérialise devant ma porte d'entrée.

Une lueur de culpabilité traverse son regard, comme il se doit. Voilà quatre jours qu'Avery a oublié notre rendez-vous, qu'elle a privilégié sa carrière et tout ce qui va avec. Quatre jours que je rumine tandis que mes amis font tout pour me changer les idées. Quatre jours que j'ignore les appels d'Avery, conscient que je replongerais au seul son de sa voix. Et je ne veux plus. Pourtant, la voilà, et je ne suis pas sûr de ressortir gagnant de cette conversation.

— Tu ne répondais plus à mes appels, alors je me suis inquiétée.

— Oh, pardonne-moi d'avoir une vie. Je ne pensais pas que ça t'était réservé.

Elle semble confuse et blessée par mes propos et le ton que j'emploie. Tant mieux, elle doit comprendre que je ne suis pas un jouet avec lequel on peut jouer selon son humeur. Je suis un humain avec un putain de cœur qu'elle détruit chaque jour un peu plus.

— Kyle... Si c'est à propos de l'autre jour, je suis vraiment désolée, je...

— Si seulement ce n'était qu'à propos de l'autre jour, Avery, mais non. C'est à propos de tous ces jours, tous ces mois, toutes ces années à devoir être celui derrière le rideau qui t'applaudit pendant que tu as le regard rivé sur tout le monde sauf lui. D'être celui qui doit faire profil bas. D'être celui qui doit être patient, disponible à n'importe quel moment, compréhensif. Celui qui n'a pas le droit d'être un peu enthousiaste à l'idée de passer la soirée avec celle qu'il aime, parce qu'elle peut le rayer de ses priorités à tout moment. C'est tellement dur, Avery. J'ai besoin que tu t'en rendes compte.

Je m'effondre à genoux, tandis que les larmes se multiplient.

— Je ne serai jamais ces paillettes qui entourent ton monde, Avery. Cette célébrité, cette adulation. Je ne suis que moi. Je n'ai rien de plus à t'apporter que cet amour qui me consume chaque jour.

Son regard s'emplit de larmes à son tour, puis elle me rejoint au sol. Elle encadre mon visage de ses mains en essayant d'effacer chacune des gouttes qui s'échappent de mes yeux.

— Ce n'est pas ce que je demande, Kyle. Mon Dieu, jamais, je ne voudrais que tu pénètres ce monde. Tu es mon équilibre, la seule chose qui me permet de garder les pieds sur terre. Et crois-moi, j'en ai réellement besoin. Ça m'est vital.

Elle m'embrasse. Une fois, deux fois, trois fois.

— Je t'en prie, ne me retire pas ça. J'ai besoin de toi. Ne m'abandonne pas. N'importe qui, mais pas toi. Je n'y survivrai pas.

Tout en moi hurle de l'arrêter, de la faire taire, de lui montrer que je ne crois plus à ses belles paroles. Qu'il ne lui suffit pas de venir s'excuser pour se faire pardonner. Je me bats avec cette version plus courageuse de moi qui ne demande qu'à sortir.

Malheureusement, ce ne sera pas aujourd'hui qu'il gagnera cette bataille.

On s'aime, on se déchire. Mais à la fin de la journée, c'est auprès d'elle que mon cœur me guide, qu'il s'apaise. C'est auprès d'elle que mon corps s'embrase, que mon visage s'illumine. C'est auprès d'elle que je me sens réellement chez moi.

🎞️🏄🌊🏒🩺

Le fossé se creuse de plus en plus.

Savoir qu'on mérite mieux n'est pas toujours suffisant pour tourner définitivement les talons.

Le dernier chapitre de cette partie 1 est le prochain, préparez vos cœurs.

A samedi ❤️

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