Chapitre 4
Je soupire bruyamment, avant de m'étirer, faisant grincer le dossier de ma chaise. J'entends la sonnerie aiguë retentir dans tous les couloirs du lycée. Les derniers élèves de la classe arrivent, mais elle, elle n'est pas encore là. Elle sera sans doute en retard, comme à chaque fois. J'ignore pour quelle raison elle est toujours absente en début de cours. Les professeurs râlent en disant qu'elle passe trop de temps à se maquiller et à se coiffer, pourtant j'en doute. Son fond de teint n'est étalé ni avec parcimonie, ni avec soin ou précision. On dirait qu'elle l'a mis à la va-vite, alors je crois moyennement aux dires des profs. Je ne sais pas ce qu'elle cache, mais elle le camoufle très bien, et je pense qu'aucun de ses amis n'a remarqué que quelque chose cloche.
Je laisse mon regard dériver par la fenêtre. Le soleil matinal illumine la cour, il fait très beau aujourd'hui, et c'est dommage de ne pas pouvoir en profiter. Je serai bien au parc, aussi au pied d'un des arbres bordant l'étang. Sans doute auprès de ce saule pleureur qui y déverse ses feuilles, l'automne venu. J'aurai pris une glace à la pistache chez le glacier qui tient sa camionnette à l'entrée du parc, tous les jours de l'année. Je l'aurai dégusté sous ce magnifique soleil, quoique... le fond de l'air est froid. Oui, en fait, ce n'est peut-être pas une si bonne idée, après tout, nous sommes en hiver. Et ça caille dehors.
- Monsieur Dubois !
La voix élevée de Mme Lachambre, notre professeure de mathématiques me coupe net dans mes pensées. Je me tourne vers elle, et vois une vieille dame à l'air agacée me regarder avec insistance et un certain agacement.
- Je sais que vous préféreriez être chez vous qu'en cours, mais veuillez répondre lorsque je fais l'appel, râle-t-elle amèrement.
- Oui pardon, je sus présent, lui réponds-je d'une voix lasse.
Elle continue l'appel tandis que je jette un coup d'œil à l'heure. 8h37... l'heure promet d'être longue, je n'aime pas du tout cette matière, encore moins cette prof.
- Daphné Henaux !
Devant le silence qui s'ensuit, elle fronce les sourcils, avant de rouler des yeux.
- Encore absente celle-là ! On verra ce sera quoi son excuse cette fois.
Je soupire. La pauvre, elle va encore se faire disputer. Je jette un coup d'œil en direction de sa place vide. À chaque retard, elle affiche ce sourire désolé et coupable, les yeux pétillant. C'est un rayon de soleil qui cache bien ses peines et ses propres besoins. Je me demande si tout va bien dans sa vie en ce moment, je suppose que oui si elle sourit autant. Ses rires et ses sourires paraissent tellement sincères que je doute fort qu'ils soient forcés. Je dois juste être monstrueusement parano. Mais... je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter. Et je sais très bien ce qui me pousse à ressentir cette anxiété envers son égard, et c'est bien ce qui me fait enrager.
Je croise le regard de Lilo qui me fixe de ses yeux ronds. Je plisse les paupières, me demandant ce qu'elle me veut. Elle me sourit en haussant les épaules et repart discuter avec Morgane, sa voisine.
L'heure file vite, aucune trace de la jolie blonde. En temps normal, elle n'a jamais autant de retard, elle arrive toujours pendant le premier cours.
Nous enchaînons notre matinée par français, spécialité HGGSP pour moi, puis de nouveau mathématiques. Daphné n'est toujours pas là lorsque que la cloche sonne et que chacun s'en va pour la pause méridienne. Je suppose qu'elle doit être malade, ça lui arrive quelques fois. Peut-être a-t-elle la santé fragile ? Il est vrai qu'il lui arrive de faire des malaises lors des cours de sport. Je me suis toujours demandé pourquoi ? Pourtant j'ai entendu dire qu'elle mangeait bien, et puis, elle n'est pas trop maigre, sa silhouette a beau se dessiner avec grâce, je suppose qu'elle doit faire dans les cinquante-cinq kilos, à peu près.
Je passe commande à un fast-food et puis traverse le parc d'un pas tranquille. Je m'assis sur un banc, bien qu'il soit un peu humide à cause de la pluie d'hier. Je commence à manger, observant les quelques passants, souvent des étudiants qui parcourent les allées d'un pas vif et pressé. Tous en bande, et moi seul. J'aime beaucoup être seul le midi. Je ne suis pas insociable, mais ça me permet de me vider la tête. Je consulte mon téléphone qui m'affiche plusieurs notifications, dont quelques messages de Hégan, mon meilleur ami d'enfance. Je lui réponds machinalement, parfois faisant exprès d'être froid, ne pouvant me lasser de ses réactions d'indignation. Il me fait beaucoup rire. Il est beaucoup plus extraverti et sympathique que moi. J'aime beaucoup être avec les gens et leur parler mais je suis d'un tempérament assez calme.
Je lève la tête vers le ciel bleu qui plane au-dessus de moi. Rien à voir avec le déluge d'hier. On n'aurait pu croire une seule seconde qu'il eut plu la veille, s'il n'y avait pas toutes ces flaques d'eau recouvrant le sol. J'hume l'air souillé par l'humidité et la boue avant de me remettre à manger.
- Salut ! Tu es tout seul ?
Cette voix d'ange me fait sursauter. Je me retourne, un sourire satisfait aux lèvres. Daphné me fait face, souriante et toujours aussi joviale.
- Salut !
Nous nous faisons la bise, comme à notre habitude. Elle le fait avec tout le monde.
- Je peux m'asseoir ? demande-t-elle gaiement.
- Oui, bien sûr.
Elle prend place à mes côtés et me sourit gentiment, mais je ne peux m'empêcher de planter mon regard dans le sien, ce qui semble l'embarrasser. Je détourne vite les yeux et lance rapidement la conversation :
- Tu étais malade ce matin ? lui demandé-je, essayant de ne pas être troublé par ses orbes océans.
- Oui, j'avais mal au ventre, répond-elle la tête renversée vers le ciel.
- Ah mince, et ça va mieux ?
- Oui, oui. D'ailleurs, je peux te piquer une frite ? Je n'ai rien avalé ce matin...
- Oui, bien sûr. Tu vas retourner en cours cet après-midi ?
- Je ne sais pas, oui sûrement.
- Si tu veux je pourrais t'envoyer les cours par message, si tu as besoin. Mais je suppose que Lilo ou Victoire va le faire.
- Je suppose aussi, mais c'est gentil de te proposer.
Elle se permet de m'emprunter une autre frite, la plongeant rapidement dans le ketchup.
- Hégan n'est pas avec toi ? me demande-t-elle à son tour.
- Non, il mange au self.
- Ah bon ? C'est dommage que vous ne pouvez pas manger ensemble alors. Vous vous entendez bien tous les deux.
- C'est vrai, on est inséparable depuis la sixième.
- Oui je m'en souviens au collège vous traîniez toujours ensemble.
- Comme toi, Vic et Lilo.
Elle opine de la tête, avant de s'adosser au dossier du banc.
- Et oui, c'est dur pour elles de me supporter, hein ? rit-elle, les yeux pétillant de malice.
Je secoue la tête, un sourire se dessinant sur mes lèvres.
- Elles doivent être habituées, ne t'en fais pas.
L'espace d'un instant, je crois apercevoir la trace d'une ombre passer dans son regard. Je cligne des yeux, mais rien. Je dois avoir rêvé. Elle affiche un si beau sourire sincère.
- Tu vas au handball ce soir ? reprend-elle.
- Oui. Et toi, toujours pas tentée par le sport ?
Elle émet un petit rire.
- Non, ce n'est vraiment pas pour moi ! Tu as oublié comment je suis nulle rien qu'en cours d'EPS ?
Je lui souris faussement, essayant de ne pas paraître troublé par les images de ses malaises se remémorant dans mon crâne.
- Des activités alors ?
Elle secoue à nouveau la tête.
- Non, je ne fais rien.
- Tu ne joues pas d'un instrument ? j'insiste.
- Si, de la harpe. Mais j'ai arrêté les cours il y a quelques années. Deux précisément.
- Une raison particulière ?
Elle hausse les épaules.
- Je ne m'entendais pas vraiment avec mon prof et puis, je n'avais jamais le temps d'en jouer.
- Tu l'as gardé cette harpe ?
Elle secoue la tête, le regard dans les vapes pendant quelques instants.
- Non, mon père l'a revendu.
- Ah mince, tu n'es pas trop triste ?
- Bah, je fais avec, ce n'est pas grave.
Je trouve ça dommage, j'ai entendu dire qu'elle était très douée.
- Tu ne voulais pas faire parti du club de musique dernièrement ?
- J'ai beaucoup réfléchi puis hésité, mais quand j'ai donné ma candidature, ils m'ont refusée sous prétexte que je n'avais pas d'instrument chez moi.
- Ils ont eu tort, j'ai entendu dire que tu jouais très bien. Tu n'es pas trop déçue ?
- C'était l'année dernière, ce n'est pas grave, je me suis remise depuis, ne t'en fais pas.
Elle me repique à nouveau une frite. Je croque une bouchée de mon vrap, avant de reprendre :
- Comment t'occupes-tu après les cours sinon ?
Elle hausse les épaules.
- Je ne sais pas, je révise, je suis sur mon tel, j'écoute de la musique... enfin, rien de spécial, quoi. Et toi ?
- Pareil en soit.
Elle opine de la tête.
- Et la famille, ça va ? Comment vont tes frères et sœurs ?
- Mais tu en as que pour eux, pourquoi tu veux toujours savoir comment ils vont ?
Elle rit gentiment.
- J'aime bien écouter les gens parler de leur famille si tout va bien, il faut savoir profiter de ce qu'on a.
Elle ne m'a pas regardé lorsqu'elle a dit cette phrase pourtant j'ai eu l'impression d'une confidence. Je garde le silence quelques instants, avant de répondre finalement à sa question :
- Eh bien mes frères sont toujours aussi turbulents, ils commencent à être de plus en plus envahissants et ils parlent beaucoup trop forts. Mes sœurs sont vraiment traitées comme des princesses à la maison, je vais commencer à croire que tout le monde les préfère à moi !
J'affiche à nouveau une moue triste.
- Et toi ? Tes sœurs ?
- Alizée est vraiment adorable, beaucoup trop mignonne ! Et Cassandre a toujours son caractère rebelle beaucoup trop attachant !
- Tu les aimes beaucoup, non ?
- Oui, ce sont mes princesses à moi, j'espère que seront heureuses dans leur avenir !
- Je suppose qu'elles le sont déjà avec toi comme grande sœur pour prendre soin d'elles !
Son beau sourire m'attendrit.
- Merci c'est gentil, mais tu sais, quand on est enfant, on est heureux et triste pour un rien, alors, je ne suis pas sûre que ça compte..
- Le bonheur d'un enfant est tellement beau, c'est vraiment l'innocence incarné, tu ne trouves pas ?
- Si.
Elle finit par soupirer bruyamment puis jette un regard à son téléphone dont le fond d'écran n'est autre qu'une photo de son chien. Un golden retriever du nom de Loubia, si je me souviens bien.
- Je vais retourner chez moi récupérer mes affaires pour cet après-midi, à tout à l'heure !
- OK, salut !
Elle se lève gaiement et pars d'un pas jovial, sourire aux lèvres. J'attends qu'elle ait disparu au tournant d'un chemin pour soupirer intensément.
Je plaque une main contre ma bouche, sentant le rouge me monter aux joues. Non, non, non... pas ce sentiment...
Je ferme mes yeux et calme mon rythme cardiaque. Mais même les yeux fermés, je ne vois qu'elle. Et c'est ce qui me rend dingue, car je ne peux me permettre ça. Et mon Dieu ce que je m'en veux, car je ne suis pas aveugle : j'ai très bien vu sa mine effondrée et tout ce mascara coulé, collé à sa peau.
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