6°
"Namjoon!" Ma voix résonna dans l'entrée.
J'avais fait le tour de la maison, repassant par la fenêtre, laissant Monsieur Min seul avec l'inconnu.
Mon seul et unique ami était affaissé contre le bas de la porte, une main sur ses côtes, l'autre essayant tant bien que mal de se maintenir assis.
"Putain, Parker, toujours dans la vitesse, dit donc..." ironisait-il dans un souffle, agonisant sur le sol.
La balle avait transpercé son flanc droit, libérant un flot incessant de sang, des litres et des litres sans jamais s'arrêter.
"Merde, merde, merde, merde." Je déchirai un bout de son t-shirt pour faire une compresse, continuant de lui parler pour qu'il garde les yeux ouverts.
"Où sont les autres ? Et Hoseok ? Et les gars ? Est-ce qu'ils sont blessés aussi ?!" L'urgence résonnait dans mes questions, ma voix tremblante dévoilant la panique qui menaçait de s'emparer de moi.
La grande main rassurante de mon supérieur glissa du sol pour venir caresser une larme qui coulait le long de ma joue. Putain, il ne pouvait pas mourir comme ça ! Pas ici !
"Hé. Regarde-moi. Regarde-moi, Parker..." Sa voix douce et réconfortante s'épuisait dans le pauvre couloir. "Tout va bien..."
Une toux amère, empreinte de sang, le secoua, s'écrasant sur mon ventre pendant que je maintenais la compresse.
"Et le patron ? Est-ce qu'il va bien ?" m'interrogea-t-il, sachant inévitablement qu'il m'avait suivi depuis que j'étais entré sur la parcelle du terrain.
Un cri déchirant retentit, suivi d'un bruit sec et brutal. Je ne voulais pas y penser, à ce monstre déchaîné qui s'extasiait dans la cuisine. La réalité cruelle de notre situation me frappait de plein fouet, et dans le chaos qui régnait je l'imaginais souriant, les mains remplies de sang, s'égosillant frénétiquement d'avoir tué un potentiel rival.
"Il se débrouillera."
Au loin, les crissements d'une voiture brisaient le silence oppressant. Hoseok apparut à l'horizon, prenant le relais dans un état tout aussi délabré. Qui diable était ce mystérieux individu ?
Namjoon expliqua rapidement, agrippé aux bras de ses subordonnés.
"Il avait un foutu silencieux. Il nous attendait tapi dans l'ombre derrière cette maudite porte. Ce salaud a attendu qu'on entre pour nous attraper un par un."
"Ne t'en fais pas, mon pote. On rentre à la planque et on va te remettre sur pied. Le patron a pris le relais, c'est terminé, on peut foutre le camp", déclara-t-il en l'installant à l'arrière. "Tu montes Parker ?"
Il pivotait lentement vers moi, son regard incisif pesant sur chaque expression de mon visage. Mes yeux se posèrent sur Namjoon, qui espérait silencieusement que la nouvelle facette de son patron pourrait influencer ma décision. Honteusement, je fis un signe de tête négatif et refermai la porte sur le visage imperturbable de mon ami, ses yeux détournés.
"On se retrouve au Palace. Filez", ordonnai-je.
"Comme tu veux."
Sans plus attendre, la voiture démarra, devenant rapidement un point minuscule dans l'horizon, alors que je retournais dans l'antre de mes pires cauchemars.
"Monsieur M...?" ma voix hésitante s'éleva dans l'air vicié.
Je m'avançai lentement à travers le chaos qui s'étalait sur le sol. En franchissant la porte, ma main faillit lâcher prise en entrant en contact avec une partie humaine éjectée de sa source.
Le corps de l'homme gisait au sol, une marionnette abandonnée après un acte macabre. Des balles parsemaient son corps meurtri, des ecchymoses défiguraient son visage rond, et une plaie béante et profonde déchirait son crâne chauve. L'horreur du spectacle saisit mes tripes, mais je réprimai l'instinct de vomir, mon regard se durcissant alors que je me préparais à affronter l'enfer qui s'était déchaîné dans cet endroit.
Monsieur Min se dressait au-dessus de lui, la main droite encore serrée autour d'un verre qui venait de défoncer le crâne de sa victime. Son visage était maculé de projections de sang, ses yeux ronds étaient envahis par la dopamine et l'excitation. Fixant avec une satisfaction dépravée le corps inerte de son adversaire qui n'avait manifestement pas été à la hauteur.
Il y eut un moment latent où toute trace d'humanité sembla abandonner son être. Lorsqu'il pivota brusquement, prêt à se jeter sur celui qui venait de perturber sa fête, son regard ne reflétait rien de ce qui aurait pu être humain. C'était l'état d'un animal avide de sang et de haine, une machine de guerre, un automate sans cœur.
"Parker...?" articula-t-il dans le brouillard. "C'est toi?"
Son visage subit une transformation radicale à ma vue. Juste avant de s'effondrer au sol, dans un étourdissement dissociatif, il murmura tendrement :
"Je l'ai fait pour elle... Je l'ai fait pour la protéger..."
***
Le corps dénudé de Monsieur Min s'exposait à ma vue, révélé lors de son installation sur le lit. J'étais stupéfaite, figée par l'envergure de sa chambre. Sobre, comme à son habitude, mais ornée de tableaux d'une noirceur saisissante.
"Enlève son manteau de là, Parker."
Hoseok s'acharnait à le dévêtir, fouillant une vieille trousse à pharmacie pour soigner son patron, dont les yeux n'avaient pas rouvert depuis notre départ de la scène macabre.
Il saisit une paire de ciseaux et entama un trait du bas vers le haut, révélant, à la lumière d'un luminaire blanc, une toile bien plus singulière que celles qui ornaient les murs alentour. D'immenses tatouages s'étiraient du sommet de ses épaules jusqu'au bas de ses bras, dissimulés par le col de ses manches. La suite se dévoilait sur son dos, couvrant ses omoplates et bien au-delà, disparaissant dans le bas de sa colonne vertébrale.
Il était prévisible que le chef d'une organisation criminelle arborerait le cliché du méchant gangster, mais sur sa peau pâle, presque maladive, la vivacité des couleurs contrastait de manière frappante.
"Concentre-toi. Il a dû prendre une balle perdue ou quelque chose du genre, regarde ici."
Le nouveau prétendu médecin me montra une plaie béante, débordant de sang et fusionnant déjà avec le tissu de son t-shirt.
"Il a dû perdre connaissance à cause de ça. Donne-moi la pince, du fil, une aiguille et du bandage. On va le remettre sur pied, parole de Hoseok."
Mon partenaire aurait pu proférer n'importe quelle phrase, mais il semblait que, dans l'instant présent, ces paroles étaient les plus sages qu'il ait prononcées depuis plusieurs années.
Les premiers soins lui furent prodigués malgré l'oppressante tentation de scruter son corps de haut en bas, et Monsieur Min se retrouva enveloppé sous plusieurs tours de bandages, scellé avec dévotion par son fidèle subordonné.
"Je vais voir les autres. Tu veux que je te rapporte quelque chose?" demanda-t-il en se levant, la trousse entre les mains.
"Des bonnes nouvelles, c'est tout ce que je veux."
Hoseok esquissa un sourire timide, empreint d'un espoir que je ne partageais pas, puis il disparut derrière la porte. Le silence envahit la pièce instantanément, seuls le souffle régulier et calme de l'homme endormi à mes côtés se faisaient entendre. Je restai assise longuement, sans rien dire, hésitant à remonter la couette ou refermer son habit béant. La vue n'était pas désagréable, mais il me semblait évident qu'il finirait par attraper froid.
Une fois bien couvert, bordé une dizaine de fois pour être certain qu'aucun courant d'air ne viennent le déranger, je m'accordait un moment pour respirer.
Il semblait étrangement doux et inoffensif, un contraste frappant avec la scène lunaire qui se déroulait. Seules les taches de sang entachaient partiellement son visage. Nettoyer ce carnage avant l'arrivée d'autres visiteurs était impératif. Armée d'une serviette et d'un verre d'eau tiède trouvés dans la petite salle d'eau adjacente, je m'appliquais à retirer avec précaution les taches incrustées dans sa peau laiteuse. Mes yeux suivaient lentement les contours de son visage, exécutant une danse de ses yeux à ses lèvres, du dessin de sa mâchoire à la démarcation de ses cheveux noirs. Si près que je n'avais jamais été. D'ici, je pouvais même compter ses cils un par un.
"Hm hm."
Je me redressais, gênée, manquant de renverser le verre et son contenu sur le lit. Kyungsoo se tenait contre la porte, la main sur la bouche après avoir toussé, me regardant avec des yeux malicieux. Il m'apportait de quoi manger et me changer. C'est vrai que je trempais encore dans le sang et la sueur d'autrui.
"Tu sais..." commença-t-il en soupirant. "Il n'y a pas un homme sur cette planète que j'admire plus et en qui j'ai plus confiance que lui. Cependant," sa voix était évasive. "Il est aussi celui dont il faut avoir le plus peur. Je ne sais pas ce qu'il représente pour toi, ni ce que tu crois savoir de lui. Mais peu importe ce que tu crois ou ne crois pas connaître à son sujet, il n'y a rien qui puisse atteindre tes espérances."
"Je ne crois rien. Je ne connais même pas son prénom ni son âge. C'est un mystère sur pied."
Kyungsoo prit une petite boîte posée sur un buffet ancien et la plaça dans mes mains. Elle était légère, tellement que j'ai été surprise de ne pas avoir à supporter son poids.
"Je ne fais pas ça pour vous aider tous les deux parce que je suis persuadé qu'il n'y a rien de bon à en tirer. Mais peut-être que c'est faux, et que tu seras le miracle qu'il attendait," déclara le barman en quittant la pièce, le regard triste.
"Kyungsoo!" Je le retenais. "Est-ce que tu connais quelqu'un du nom de Lee Taeyong par hasard?"
Ma question resta en suspens quelques secondes. Il fronça les sourcils avant de répondre qu'il n'avait pas la moindre idée de qui cela pouvait être.
Une fois de nouveau seuls, la belle au bois dormant et moi, j'ouvris la petite boîte. Elle était magnifique, en fer, ornée de bordures en feuilles gravées, enlacée de lianes parsemées de fleurs sans nom. Une véritable boîte de Pandore. Les secrets de cet homme tenaient dans un si petit rectangle en métal.
Le loquet en argent était tellement usé qu'il glissa facilement. Monsieur M regardait-il souvent son contenu?
Des photos. Une dizaine de photos. Voilà les secrets muets de cette montagne silencieuse. Sur la première, on le reconnaissait jeune, plus que maintenant, disons autour de la vingtaine. Entouré de trois hommes dont l'un très jeune, se tenant bras dessus bras dessous. Il souriait d'un air béat, les yeux plissés.
"Yoongi, Chris, moi et Namjoon à l'avènement de notre liberté."
Aucune idée de qui était qui, bien que le visage de Namjoon soit reconnaissable maintenant que j'y faisais attention. Il avait les cheveux crépus, chose qui n'était absolument pas le cas aujourd'hui. Maintenant, il m'était impossible de savoir qui était "moi" et inversement.
"Yoongi..." je murmurais en glissant mon doigt sur le prénom qui sonnait bizarrement à l'oreille.
Est-ce que j'avais déjà entendu ça quelque part ? Mais où et pourquoi ?
À la seconde image, une scène captivante se dévoile. Deux figures émergent, vêtues de noir et parées d'une aura solennelle. Monsieur M, toujours en son costume noir, entouré d'une robe élégante et d'un drap blanc déployé tel une cravate. La prestance émane d'eux, tenant fermement un certificat dans leurs mains, une image gravée dans le cadre sacré de la cérémonie.
Yoongi et Taeyong, remise des diplômes.
Mes yeux se fixent avec intensité sur le nouveau prénom qui se dévoile majestueusement en bas de la photo. Taeyong. L'évidence s'installe – ils se connaissaient...
Un mouvement latent attire mon regard vers l'énigme endormie à mes côtés. Alors, si ce n'est pas Taeyong, voici notre très cher,
"Yoongi."
Un sourire en coin se dessine naturellement sur mes lèvres, enchanté par la beauté du prénom. Malgré l'euphorie qui m'envahit, la quête de vérité persiste, propulsant ma petite enquête vers de nouveaux horizons.
Les images suivantes dépeignent la normalité : un immeuble, une école, le Palace de jadis, désormais englouti dans les méandres de la drogue et du sexe.
Enfin, j'atteins le dernier cliché. Un portrait. Le jeune homme, les pieds enfoncés dans le sable, forme deux V avec ses mains, les mèches de ses cheveux s'envolent sous l'étreinte d'un vent salin et il sourit d'une oreille à l'autre. Ce qui me dérange profondément n'est pas uniquement la qualité préservée de la photo, mais plutôt la troublante similarité entre lui et moi. Comme si mon alter ego avait été figé dans une image. Frêle, des yeux pénétrants, un nez rond, c'est la copie parfaite de ce que j'aurais été si j'avais été un homme.
Je retourne la photo, révélant le titre énigmatique en toutes lettres.
Mon obsession.
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