"Tu peux envoyer un message à Namjoon. Les conteneurs sont arrivés à 23H40 et viennent d'être réceptionnés," m'indiqua Hoseok, plongeant ses mains dans ses poches en grelottant.

Après avoir passé plus de trois heures à attendre dans le froid et les flocons de neige qui commençaient à tomber sur la capitale, la cargaison était arrivée à bon port et nous pouvions enfin rentrer au Palace.

"Tout ça parce qu'il n'est pas capable de punir une putain de femme..." jura mon coéquipier, qui partait vers la voiture en sautant du conteneur sur lequel nous étions montés pour avoir plus de visibilité.

"Qu'est-ce que tu as dit?"

"Quoi?" s'indignait-il. "Fais pas genre que tu comprends pas. Tout le monde sait qu'il nous a envoyés ici tous les deux pour nous punir d'hier. Mais crois-moi que si ça avait été que moi, j'aurais fini encore plus minable que Nam'."

Le froid qui commençait à grignoter mes orteils me fit grimacer lorsque nous dûmes marcher jusqu'à la voiture.

"Je ne l'avais pas vu comme ça," avouais-je.

"Parker, bordel, ouvre les yeux ! Monsieur Min te dévore du regard, si ce n'est plus, et nous, on trinque pour ça," s'énerva-t-il en démarrant le moteur de l'auto, qui rugit bruyamment. "Namjoon peut bien te faire croire que ce n'est pas de ta faute, mais les autres sont au bord de la crise. Tu risques de te créer des ennemis. Et si tu deviens le talon d'Achille de quelqu'un, tu te transformes en point stratégique pour d'autres, tu piges ?"

"Oui, mais..."

"Parker," me coupa-t-il sèchement. "Regarde autour de toi. Fais gaffe à chacun de tes gestes et à chacune de tes paroles. Je ne veux pas me faire éteindre juste parce que tu ne réalises pas à quel point tes mots valent de l'or dans les oreilles de quelqu'un qui à les moyens de les rendre coûteux."

Ses mots me figèrent. J'en avais déjà plus ou moins conscience. Mais de l'entendre de la part de quelqu'un d'autre appuyait encore plus mes doutes.

De retour au Palace, une mer de têtes dansantes et désinhibée nous accueillent. Hoseok s'éloigna, clairement agacé par notre récente discussion. Pour ma part, je m'immergeai immédiatement dans ma tournée de surveillance des tables. Les danseuses déployaient des chorégraphies toujours plus impressionnantes, tandis que moi, je veillais à ce qu'aucune bagarre n'éclate et qu'aucun client ne détourne trop son attention d'une strip-teaseuse.

De loin, j'aperçus la silhouette imposante de Monsieur M, vérifiant probablement que je n'avais pas semé le chaos. Les paroles moralisatrices de Hoseok résonnaient toujours dans ma tête, m'empêchant de penser à autre chose. Impossible d'ignorer le poids de ses avertissements. Il était impératif que je chasse ces pensées de ma tête, sinon, je risquais inconsciemment de sacrifier mes collègues.

"Kyungsoo, sers-moi le meilleur que tu aies en réserve," lançai-je, fixant intensément le visage impassible de mon patron qui n'avait pas dévié son regard depuis que je l'avais remarqué.

Le barman m'adressa un sourire triomphant avant de concocter un cocktail alliant plusieurs spiritueux puissants.

"Tu m'en diras des nouvelles," déclara-t-il en me faisant un clin d'œil complice.

Pourquoi fallait-il que sa présence me perturbe autant ? Pourquoi maintenant, et pourquoi Hoseok avait-il choisi ce soir pour me lancer ces avertissements ? L'idée de percer à jour ce pilier de glace semblait soudainement irrésistible. Ces pensées tourbillonnaient dans ma tête alors que je vidais d'une traite le contenu du verre évasé, cherchant désespérément à noyer ces questionnements dans un océan d'alcool.

La soirée ne faisait que commencer, c'était un fait. Le sol sembla vaciller plus fort après deux "Remets-moi la même chose". Je commençais sérieusement à soupçonner Kyungsoo de renforcer le contenu en alcool et de réduire la part de diluant dans mon verre. Mon quart de garde prit fin à deux heures, quand Namjoon prit le relais. Il prétendit m'avoir cherché pendant une heure avant de me retrouver au cœur de la foule, me déhanchant effrontément tout en engloutissant un autre verre. À ce stade, qu'il crie autant qu'il le souhaite, je n'avais aucune idée de ce qui se passait. J'étais bien. Tout allait bien. Personne n'allait me dicter "fais ceci, fais cela" ou encore "n'écoute que moi". Pendant une dizaine de secondes, je me sentais maître de moi-même, échappant à l'emprise de nonnes malsaines ou de patrons autoritaires.

De retour au bar, après m'être débarrassé de ce maudit pull beaucoup trop grand pour moi – mes affaires étant toutes mélangées avec celles des autres gars – je retrouvai enfin ma respiration, tout en étouffant de chaleur. Pourquoi diable ne pouvait-il pas baisser le chauffage ici ?

Kyungsoo, devenu mon meilleur ami pour la nuit, se hâta de me resservir un verre. Cependant, une main s'empressa de le couvrir avant même que je puisse le porter à mes lèvres.

"Tu as déjà assez bu comme ça."

Le visage flou, tremblotant de celui qui occupait toutes mes pensées, apparut de nulle part et arracha doucement le précieux liquide de mon verre, contestant le barman à quatre reprises.

"C'est elle qui voulait boire, patron," se protégea l'homme en costume, invoquant une commande soudaine pour s'enfuir de l'autre côté du bar.

"Mais laissez-moi tranquille, bon sang," maugréai-je en le repoussant.

C'était la dernière personne sur terre que je voulais voir.

"Parker... Reprends tes esprits rapidement avant que tu ne fasses quelque chose qui me force à te faire dégriser," ordonna-t-il d'une voix aussi grave que je lui connaissais.

"Et si j'ai pas envie ? Vous allez me renvoyez sous la neige avec Hoseok ?"

Il s'apprêtait à répondre, mais une main attrapa fermement mon bras, un contact bien moins agréable que ceux qui pouvaient parfois entourer mon poignet.

"Un problème, mademoiselle ?"

Je me retrouvais prisonnière de bras imposants, incapable de me libérer de l'emprise de ce type qui était apparu comme un pokémon sauvage.

"Vous avez besoin d'aide ?" me demanda-t-il avec un sourire de prédateur. "C'est ce type qui ne comprend pas, non ?" supposa-t-il en jetant un regard hostile à Monsieur M.

Mon supérieur, vêtu de son éternel manteau noir, s'était redressé du bar, fixant la zone de contact entre cet inconnu et moi.

"Lâchez-la," ordonna-t-il simplement, soupirant comme s'il se retenait de décocher un direct à son interlocuteur.

"Je n'ai pas l'impression qu'elle veuille venir avec toi, mec, alors laisse tomber, ok ?"

Ma vision floue ne me permettait pas de voir si son visage avait affiché autre chose que de l'indifférence. Ce serait une première qui aurait pu me troubler. Était-il possible qu'il ressente la moindre émotion ?

"Parker..."

La voix de Monsieur M attendait que je me libère de ma propre inertie, telle un bon soldat obéissant. Mais mon être était si profondément immergé dans l'alcool, la chaleur et la musique qu'aucune force ne pouvait susciter en moi l'envie de danser plus qu'en ce moment. Et ce qui devait arriver arriva. Dans une autre situation, j'aurais pesé le pour et le contre, surtout depuis les mises en garde de Hoseok. Cependant, à ce moment précis, mon postérieur se retrouva plaqué contre cet homme, se balançant de droite à gauche tandis que ses mains effleuraient joyeusement mon épiderme et mes hanches.

La suite des événements devint extrêmement floue, peut-être trop floue pour que je puisse croire en son existence. Il y eut un clic désagréable, un coup de feu assourdissant mélangé à la musique omniprésente, puis un cri strident, suivi de :

"Putain, désolé mec !"

L'homme derrière moi disparut en un éclair, et j'eus une image ancrée dans mon esprit : celle de Monsieur M, un chargeur plein braqué sur le sommet de ma tête. C'était ainsi que je l'avais imaginé, ce jour-là aussi, quand il m'avait sauvé du policier. Le bras tendu, les yeux si noirs qu'ils semblaient absorber la lumière. Les manches relevées, ses tatouages entremêlés à différentes cicatrices plus ou moins anciennes, et son arme prête à décharger toute sa puissance d'un coup, d'une traite, ne laissant aucune issue à quiconque.

Un cri déchira la salle, probablement une danseuse qui avait aperçu l'arme et avait été prise de panique. Monsieur M respirait bruyamment, son pistolet toujours pointé dans le vide, en ma direction. Tout se vida d'un coup, dans une vitesse impressionnante alors qu'il fusillait le plafond. Les clients s'enfuirent, emportant avec eux boissons et potentielles compagnes d'une nuit, ne laissant que nous dans une mer de lumières trop fortes.

"Yoongi ! Bordel, qu'est-ce que tu fous !?"

Le cri de Namjoon résonna comme un coup de feu, et Monsieur M retrouva ses esprits instantanément.

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