11°
Les hommes...
Leur présence dans ma vie a toujours été comme une énigme que j'ai longtemps tenté de résoudre, mais dont les pièces ne semblaient jamais s'emboîter.
Quand j'étais enfant, être comparée à un garçon était l'insulte ultime, une atteinte à mon identité, exacerbée par mon prénom singulier. Mais rapidement, j'ai réalisé que ceux qui m'insultaient étaient les mêmes qui chuchotaient des médisances dans mon dos. En grandissant, mon aversion envers eux s'est enracinée. Leur manque de délicatesse, leur incapacité à savoir quand se taire, leur incessante quête de pouvoir et leur propension à écraser les autres pour satisfaire leurs désirs, que ce soit en accaparant des ressources vitales ou en menant des guerres dévastatrices, tout cela a renforcé mon mépris.
Même à mon arrivée au Palace, mes sentiments restaient inchangés. Namjoon semblait être l'exception, un homme mature mais doté d'une curiosité trop vive pour que je puisse baisser ma garde. Quant à Hoseok, sa haine à mon égard, plus palpable que celle des autres, me permettait de maintenir une distance sociale minimale, ce qui me convenait parfaitement.
Monsieur M... Il était différent. Dès le départ, j'ai compris qu'il était un mélange complexe de traits contradictoires. Il était comme quelqu'un qui suffoquerait s'il restait trop longtemps dans la même pièce que moi. Pourtant, dans son silence obstiné, il manifestait une curiosité bien plus intense que n'importe lequel de mes collègues masculins. Il menait ses investigations dans l'ombre, se renseignant en coulisses, interrogeant son bras droit, et passant des heures à m'observer pendant mes quarts de travail.
Il était comme eux, mais en pire, et en mieux.
Trois coups retentirent, sinistres, sur la porte, fracassant le silence de la nuit. Ils résonnèrent dans l'obscurité, semblant annoncer l'arrivée imminente de l'inconnu. Je l'attendais, enveloppé dans les ténèbres de ma chambre, me tordant dans mes draps, sentant mon cœur battre à tout rompre, comme s'il tentait de fuir cette présence menaçante qui se profilait.
Une ombre épaisse et insaisissable se glissa silencieusement à travers l'embrasure de la porte, son contour indistinct se mouvant avec une aisance dérangeante dans les ténèbres. Elle s'approcha de mon lit sans effort apparent, sa présence chargée d'une aura malveillante. Ses mains, crispées et agitées, semblaient écraser le tissu de son vêtement, révélant une tension palpable et une nervosité extrême.
Dans cette atmosphère suffocante, empreinte de terreur, je feignis le sommeil, mais je sentis le poids de son regard peser sur moi, insidieux et avide. Mes paupières demeuraient closes, mais à l'intérieur, mes sens étaient en alerte, captant chaque infime mouvement, chaque souffle oppressant.
La deuxième phase débuta lorsque la silhouette obscure, déchirée entre ses instincts et sa raison, décida de s'installer au pied de mon lit. Était-ce pour s'assurer de ma prétendue inconscience ou bien pour se repaître de l'image de mon visage paisiblement endormi ? Dans l'obscurité oppressante, je demeurais immobile, priant pour que cette visite nocturne prenne fin, et que la lumière du jour dissipe enfin cette angoisse qui avait élu domicile dans ma chambre.
"J'y ai pensé toute la journée", susurra-t-il d'une voix empreinte de fébrilité.
C'était le début de ce que j'ai surnommé la phase de confession. Pendant de longues minutes, ses paroles déferlèrent, un torrent tumultueux de pensées et de souvenirs qui avaient hanté ses pensées depuis des heures, voire des jours.
La première fois que cela m'était arrivé, j'avais été pétrifié par la terreur. Son silence, son immobilité, son regard perçant dans l'obscurité m'avaient glacé jusqu'au plus profond de mon être. Le lendemain, j'avais cherché refuge dans l'explication rationnelle du somnambulisme, refusant d'admettre l'évidence : il venait ici, presque toutes les nuits, pour me contempler, pour m'envahir de son regard sans vie.
"Je n'arrête pas de te revoir, ce jour-là, entrant dans le Palace", continua-t-il d'une voix chargée, empreinte de nostalgie.
Un frisson glacial parcourut mon échine alors que sa main douce, se posa sur ma joue, la caressant avec une tendresse infinie.
"Il n'y avait que nous. Comme si toutes mes prières avaient été exaucées. Tu étais mienne, totalement à ma merci, sans témoins ni perturbations. Ce bref instant a été le sommet de mon existence", murmura-t-il.
Soudain, sa main s'abattit sur mes cheveux, saisissant fermement les mèches depuis la racine de mon front jusqu'au sommet de mon crâne. Malgré cette prise brutale, son toucher conservait cette étrange tendresse, mêlée à une douleur lancinante, alors que des sanglots et des tremblements agitaient son être. Ce n'était pas la première fois que l'inconnu venait, mais c'était la première fois qu'il laissait échapper des larmes.
"Et maintenant," sa voix se brisait sous le poids de ses pleurs, se teintant soudain de colère. "Il n'y en a plus que pour lui."
Je sentis son corps se redresser, ses doigts parcourant ma chevelure avant d'atteindre sa bouche, où il huma une mèche avec une étrange dévotion. Puis, il se dressa au-dessus de moi, une présence menaçante dans l'obscurité oppressante de la chambre.
"Tu finiras comme lui. C'est toujours la même histoire, les poupées les plus fragiles finissent toujours muettes. Il t'aimera sans retour, puis tu découvriras la vérité, cruelle et sanglante, sans l'avoir vue venir, et tu me quitteras, tout comme lui."
À peine eut-il achevé sa tirade que le silence retomba, pesant et oppressant. Il quitta la pièce avec précaution, refermant la porte avec un soin presque obséquieux, laissant derrière lui une atmosphère chargée de menace et de mystère, tandis que ses paroles résonnaient dans l'obscurité, semant le doute et la terreur dans mon esprit déjà tourmenté.
Cette nuit fut peut-être la nuit de trop. Cette nuit était la première nuit depuis que j'avais levé le pied sur la mine, appuyé sur la détente, fait exploser la bombe. Mon corps se leva de lui-même, suivit par mon esprit qui était sûrement resté sur les paroles évasives de mon visiteur. Mon corps, agissant presque de manière autonome, se dirigea dans le couloir sombre, chaque pas résonnant comme un écho sinistre dans le silence oppressant.
Arrivé devant la porte de métal, ma main trembla légèrement avant que je n'ose enfin frapper. Chaque battement était comme un marteau sur le métal froid, annonçant l'arrivée d'une vérité indéniable et dangereuse.
"Oui ?"
La voix grave de mon patron résonna dans l'obscurité, m'indiquant qu'il n'avait pas encore succombé au sommeil. Il était à son bureau, dos à la grande fenêtre de sa chambre, le regard plongé dans son ordinateur qui ne tarda pas à le quitter quand il me vit entrer. Il semblait surpris de me voir là, à une heure aussi tardive.
"Parker?" Sa voix était teintée d'étonnement, mais aussi d'inquiétude.
"Est-ce que je peux entrer ?"
Mes propres mots semblaient étrangers à mes oreilles.
Il referma son ordinateur d'un geste brusque, révélant l'écran illuminé qui avait été témoin de mes actes. Ses yeux, derrière ses lunettes, semblaient transpercer mon âme, révélant une profonde méfiance mêlée à une colère contenue.
"Tu es déjà dans ma chambre, Parker." Sa voix, glaciale, sifflait dans l'air, accentuant l'atmosphère déjà chargée de tension.
Son corps évolua dans la lumière tamisée des lampes qu'il avait allumé par-ci par-là puis vint se planter juste devant le mien qui avait refermé la porte et s'était appuyé dessus.
"Qu'est-ce que tu fais encore debout à cette heure-ci?"
Je sentis ma gorge se nouer, luttant pour trouver les mots alors que chaque syllabe semblait être un fardeau insupportable. Sa mâchoire se serra.
"Est-ce que quelqu'un te dérange...?"
Sa question était comme un coup de poing dans l'estomac, révélant qu'il connaissait peut-être plus que ce que je voulais bien admettre. Dans sa bouche, la question sonnait plus comme un ordre - 'donne moi un nom' - qu'une simple attention.
"Je ne parviens pas à trouver le sommeil," murmurai-je, sentant son contact alors qu'il ajustait la bretelle de mon haut qui menaçait de glisser.
J'aurais pu lui confier mes tourments, l'obsession nocturne d'une présence indésirable qui perturbait mes nuits, mais je me taisais, craignant sa réaction. Son propre comportement étrange me dissuadait de me plaindre devant lui. Pourtant, sa présence seule me procurait un semblant de réconfort, me rappelant que ce n'était pas lui, encore une fois, qui était l'ombre au-dessus de mes nuits.
"Et tu penses que je pourrais te fredonner une berceuse?" proposa-t-il avec un sourire nerveux. "Tu ne demandes pas ça à la bonne personne, Parker."
"Pourriez-vous au moins entonner un bout de refrain ? Rien qu'un vers ? Ou même juste le mot de la fin ?"
Mes yeux s'accrochèrent aux siens, captivés.
"Même pas sous la menace," répliqua-t-il avant de se détourner, relâchant instinctivement mon poignet qu'il tenait.
Je le suivis alors qu'il regagnait son bureau. Mon corps s'immobilisa devant le bureau en bois, comme si j'étais venu pour une nouvelle mission.
"Dis-moi ce que tu veux vraiment, Parker. Je ne peux pas lire dans tes pensées, même si j'aimerais beaucoup en avoir la capacité ces temps-ci," déclara-t-il. "Tu sais que j'ai du travail et peu de temps à consacrer aux devinettes."
Ses lunettes rectangulaires à monture noire lui donnaient un aspect plus ordinaire qu'il ne l'était vraiment. Il aurait facilement pu passer pour un agent immobilier, un commerçant, voire même un homme politique ou... Un avocat.
"Lee Taeyong, celui que nous avons retrouvé dans le jardin du passeur. Il était avocat, n'est-ce pas ?"
Il releva brusquement les yeux vers moi alors qu'il tapotait distraitement le cuir de son bureau.
"C'est exact," confirma-t-il.
"Vous le connaissiez non ?"
Le fait qu'il ne résiste pas à répondre m'encouragea à poursuivre, soulagé d'enfin obtenir des réponses aux mystères qui s'accumulaient autour de lui.
"J'ai interrogé Hoseok à ce sujet et il m'a dit que..."
Mais il m'interrompit aussitôt dans mon élan.
"Je sais ce que vous avez demandé à Hoseok. Je sais aussi que vous en avez parlé à Kyungsoo," déclara-t-il, me fixant du regard avec une longueur d'avance toujours aussi déconcertante.
"Je n'ai rien dit à Kyungsoo, enfin, j'ai juste posé quelques questions mais il n'avait aucune information... Et Hoseok, c'est... merde, il avait juré de ne rien dire !" soupirai-je en y repensant.
Monsieur M se redressa de son siège et vint s'asseoir au bord de son bureau, face à moi, les bras croisés. J'étais convaincu qu'il ne me ferait aucun mal. Pourtant, un doute s'insinua dans mon esprit pour la première fois.
"Je ne suis pas ton ennemi. Si tu veux me parler ou me poser des questions, je répondrai à celles que je juge importantes. Mes employeurs méritent la transparence," déclara-t-il.
Il fit le tour de son bureau et lança violemment les photos que m'avait données Kyungsoo sur le bureau. Mon estomac se noua, j'avais le pressentiment que c'était la fin.
"En revanche, je n'apprécie pas qu'on me mente, ni qu'on fouille dans mes affaires," siffla-t-il d'une voix grave, empreinte de colère et de déception.
Aucun son ne franchit mes lèvres. J'étais pris en flagrant délit, soulagé qu'il ne mentionne pas son ordinateur, mais pétrifié à l'idée qu'il ne me fasse plus confiance, si tant est qu'il m'ait déjà fait confiance. La seule chose à faire était de présenter mes excuses et de laisser le destin décider.
"Je suis désolée... Je pensais bien faire, je voulais juste en apprendre davantage sur vous, c'est tout," balbutiai-je, mon regard fixé sur la corbeille à papier pleine à craquer. "Je voulais juste obtenir des réponses. Si seulement vous me parliez plus, je n'aurais pas eu à..." Ma voix se brisa, je m'étais emportée toute seule.
Il me lança la photo de lui et de son ami Taeyong le jour de la cérémonie.
"Donc, tu savais déjà pour Taeyong, n'est-ce pas ? Était-ce pour en avoir la confirmation ou simplement pour voir si je te mentirais que tu m'as posé la question ? Est-ce que tu doutes de mes choix ou essaies-tu simplement de me déstabiliser ? Crois-tu vraiment que j'ai tué Lee Taeyong ? Hein ?!" demanda-t-il d'un ton sinistre en tendant ses deux mains vers moi. "Dis-moi, Parker, de quel côté veux-tu être ? Avec moi, ou contre moi ?"
Ce maudit Hoseok avait vraiment tout déballé. Quel enfoiré. Mais en même temps, quel remarquable larbin.
"Je n'ai jamais été contre vous. Vous le savez mieux que moi," insistai-je en le regardant ranger rageusement les photos puis les enfermer à double tour dans le placard.
"Vraiment ? Est-ce vraiment le cas, Jimin ?"
L'utilisation de mon prénom, prononcé avec un ton qui transpirait la malice, me déstabilisa. Il savait. Je pouvais le lire clairement sur son visage, qui semblait se délecter de me voir aussi vulnérable face à sa colère.
"Vous le savez bien. C'est le cas. À moins que vous ne cherchiez également à savoir si je mens," répliquai-je, ma voix montant en intensité. "C'est vous qui me mentez constamment. Vous ne me dites jamais rien. Je suis toujours la dernière à être informée des missions et de leur nature ! Quand j'ai découvert le corps de votre... de Lee Taeyong, vous avez refusé de m'en parler, de répondre à mes questions. Et maintenant que je prends les devants, c'est vous qui continuez à vous rétracter, encore et encore..."
Monsieur M m'écoutait parler en silence, observant mes allées et venues frénétiques.
"J'ai voulu savoir ! Je vous ai demandé, et vous avez préféré que je parte plutôt que de m'expliquer ! Alors oui, je n'aurais pas dû fouiller dans vos affaires, mais je ne pense pas être la moins bien placée pour dire que c'est de bonne guerre. Vous aussi, vous avez des tonnes de..."
Documents sur moi dans votre ordinateur.
Mes pas se figèrent, mon souffle se coupa, et je tournai la tête pour voir s'il continuait de m'écouter ou si la fin de ma phrase avait miraculeusement échappé à ses oreilles. Son visage impassible ne m'apporta aucun indice.
"... des tonnes de secrets," changeais-je la fin de ma phrase en avalant ma salive.
"Va te coucher, Parker," gronda-t-il, sa voix emplie d'une autorité menaçante qui semblait percer jusqu'à mes os.
Était-ce la fatigue qui me faisait parler ? Ou la peur ? Si seulement il pouvait comprendre à quel point j'étais obsédé par le désir de connaître tous ses secrets les plus profonds : l'homme sur la plage, la mort de Lee Taeyong, et tout ce qui s'ensuivait. Je les découvrirais, coûte que coûte.
Mon corps pivota à contre-cœur, encore bouillonnant de frustration face à son silence obstiné. Je traversai la pièce, passant devant son lit immense avant de saisir fermement la poignée de la porte.
"Qu'est-ce que tu fabriques ?" marmonna-t-il d'une voix grognante.
"Je vais me coucher, n'est-ce pas ce que vous vouliez ?" crachai-je, le ton empreint d'une révolte retenue.
Il claqua sa langue avec mépris contre son palais.
"Je ne t'ai pas ordonné de retourner dans ta chambre, ni dans ton lit," trancha-t-il d'un geste de tête en direction de son lit double encore défait de sa journée de convalescence. "Dors et ne me dérange plus."
Je restai figé, observant cet homme aux lunettes carrées reprendre son travail comme si rien n'était. Dépourvu de tout amour-propre, peut-être aussi parce que je le désirais ardemment, je me glissai entre ses draps, sentant son regard peser sur moi pendant que je m'installais. Le sommeil ne tarda pas à m'emporter, bercé par l'odeur imprégnée du coussin, saturé de son parfum. C'était comme être enveloppé dans ses bras, étreint par la sécurité d'un repos enfin exempt de toute crainte.
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