Première partie
Point de vue d'Hailey
Assise dans le noir à même le sol, poignets ligotés ensemble je suis terrorisée. Je ne saurais dire depuis combien de temps je suis ici, 3 heures, 10 heures, un jour, une semaine peut-être ? J'ai perdu toute notion du temps. Sans voir aucune lumière hormis celle de la bougie qu'il m'apporte lorsqu'il me donne les repas ou qu'il m'accompagne à la salle de bain. Six jours. Je pense que ça fait six jours que je suis enfermée dans cet endroit délabré. Une maison abandonnée, vu l'état de la salle de bain et de la pièce dans laquelle il me retient. Un sol en terre battue et des murs en pierre nue. Un sous-sol ? J'ai l'impression que ma tête va exploser. Une grotte. Je suis enfermée dans une grotte.
Ils sont plusieurs ici, peut-être trois ou quatre. Deux. Ils sont deux je crois, je n'en sais rien. Mon esprit n'est plus capable de réfléchir correctement. Que des garçons. J'entends leurs voix à travers les murs des fois, rarement. Au début j'ai cherché à comprendre ce qu'ils disaient mais j'ai vite abandonné, c'est sans espoir. Même s'ils sont plusieurs, un seul s'occupe de moi. Je crois que l'autre, les autres, n'ont pas le droit de m'approcher. Je ne les ai jamais vus. Même lui, je ne l'ai jamais réellement vu. Son visage juste une fois. Il m'apportait mon repas et il est resté trop près de la bougie, quand il s'est rendu compte que je le regardais il m'a frappée si fort au visage que tout mon corps s'est effondré. J'ai retenu la leçon. Maintenant quand il vient, je détourne la tête ou je ferme les yeux. Même quand il me conduit à la salle de bain, j'évite de le regarder. Pourtant je me souviens que durant les quelques secondes où je l'ai vu je l'ai trouvé beau, magnifiquement et cruellement beau. Mais maintenant je ne me souviens même plus de ses traits comme si mon esprit avait voulu le chasser et qu'il avait réussi. Ou alors peut-être qu'en plus d'avoir perdu la notion du temps, j'ai aussi perdu une partie de ma mémoire. Je suis peut- être en train de devenir folle.
†
La porte de ma "cellule" s'ouvre laissant filtrer un peu de lumière comme à chaque fois. Je le vois se faufiler à l'intérieur avant de la refermer. Je suis de nouveau dans le noir à la différence que maintenant je ne suis plus seule. Il est là aussi. Je me recroqueville sur moi-même me faisant la plus petite possible. Je ne peux pas le voir, je ne l'entends pas non plus. Il est tellement silencieux que si je ne l'avais pas vu rentrer, je n'aurais jamais pu deviner qu'il était là. Mais même avec son silence, je sens sa présence et quand il se laisse glisser le long du mur à côté de moi, je sursaute de peur. Il m'a déjà apporté à manger et accompagnée à la salle de bain, il n'a rien à faire là. J'ai horreur de ça, de ces moments où il vient sans raison.
Au début, la première fois que je me suis réveillée dans cet endroit j'ai paniqué. Je ne comprenais pas ce que je faisais ici, j'étais hystérique, je cherchais à sortir, je hurlais, je frappais dans les murs, le noir m'effrayait. Je me rappelle encore avec quelle force il m'a immobilisée et plaquée au sol. Je ne sais plus ce qu'il m'a dit mais la colère dans sa voix m'avait tout de suite terrorisée, tout comme la gifle qu'il m'avait mise. J'ai essayé une fois de lui demander pourquoi moi, qu'est-ce qu'il me voulait, qu'est-ce que j'avais fait et qu'est-ce que je faisais là... Il s'est mis dans une telle colère qu'il a frappé le mur juste à côté de mon visage.
- La ferme !
Il a hurlé et c'est ce que j'ai fait. Je n'ai plus reparlé depuis. Je ne sais même pas si je suis encore capable de parler.
J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'il est assis à côté de moi. Il est tellement silencieux que si par moment je ne l'entendais pas respirer, j'aurais pu me croire de nouveau seule. Il vient, s'assoit proche de moi et reste là immobile sans parler ni bouger, fumant cigarette sur cigarette pendant ce qui doit être des heures puis il s'en va. Cela n'a pas de sens. Des heures pendant lesquelles je suis paralysée de peur.
Je l'entends souffler, je me fige encore plus, même si je ne pensais pas ça possible. Il se lève et part sans un mot. La porte qui s'ouvre, la lumière qui filtre une nouvelle fois puis le noir. Je suis de nouveau seule. Je peux enfin recommencer à respirer.
†
Je suis perdue dans mes pensées. Je devrais penser à mes parents, à ma famille, à mes amis, au lycée, à ma vie pour ne pas perdre espoir mais j'en suis incapable. La seule chose que j'ai en tête c'est pourquoi. Pourquoi moi ? Pourquoi moi ? Pourquoi moi.
Le temps passe.
†
La porte s'ouvre, je sursaute. Il a une bougie. La lumière me fait cligner des yeux comme à chaque fois. Je détourne la tête.
- On y va.
C'est le moment. Le seul de la journée où je peux enfin sortir de cette pièce. Je me lève difficilement, mes membres sont engourdis. Il attend patiemment. Une fois debout je baisse les yeux, je fixe mes pieds. Je ne veux pas le voir, je ne veux pas refaire cette erreur. Je le suis silencieusement. Il marche devant, à un mètre de moi, et environ cinq mètres plus loin, il m'ouvre la porte, me laisse entrer puis la referme derrière moi, restant en dehors.
La salle de bain.
La première fois qu'il m'y a emmenée, j'étais pleine d'espoir. J'espérais pouvoir m'échapper. Mon espoir n'a pas duré longtemps. Une pièce minuscule avec une baignoire, un lavabo, un miroir et des toilettes. Rien de plus. Pas de fenêtre vers la liberté. Comme le couloir qu'on traverse pour venir de ma "cellule" à ici. Aucune sortie. Aucun espoir.
Je me lave le visage, la corde qui me lie les poignets me fait mal et ne me facilite pas la tâche. Mon propre reflet m'effraie, je suis décoiffée, j'ai des énormes cernes sous les yeux et ma lèvre du bas est fendue. Le coup qu'il m'a donné a laissé des marques. Je tourne en rond dans la pièce, c'est la seule occasion que j'ai de marcher et je ne veux pas la perdre même si la terre battue sous mes pieds nus me fait souffrir. Une robe blanche et des sous-vêtements blancs eux aussi m'attendent dans un coin de la pièce. Comme à chaque fois. Je ne sais pas pourquoi il a cette obsession pour les robes blanches mais je me change sans discuter. J'aimerais lui dire de me libérer les mains, que ce serait plus facile pour moi mais je refuse de lui parler. Il ne frappe jamais à la porte ou ne me demande jamais de sortir, il me laisse le temps mais je n'ose jamais rester trop longtemps de peur de le mettre en colère.
Je frappe, il m'ouvre et me reconduit. Je fixe toujours le sol.
Un matelas est posé à même le sol dans le coin de la pièce où je m'assois toujours, je suis surprise. Il a dû l'installer en m'attendant. Avant je n'avais qu'une couverture. Je le sens derrière moi, j'ai l'impression qu'il attend une réaction de ma part. Un merci peut- être ? Il peut toujours aller se faire voir. Il a dû le comprendre car il ferme la porte brusquement me laissant encore une fois seule, encore une fois dans le noir.
Je vais m'allonger sur mon nouveau lit, après avoir dormi sur le sol c'est agréable. Je pleure. Je donnerais tout ce que j'ai pour revoir la lumière du soleil rien qu'une seule fois.
†
Il est de retour, c'est l'heure de manger. Je me redresse rapidement et j'essuie mes larmes d'un revers de la main. Il dépose le plateau contenant un sandwich, une bouteille d'eau et une bougie devant moi avant de s'éloigner dans l'autre coin de la pièce, là où je ne pourrai pas le voir. Je ne touche pas à ce qu'il m'a apporté. Je n'ai pas faim et je n'ai pas soif. Je ne sais pas depuis combien de temps je n'ai rien avalé ou rien bu. Je reste assise immobile à fixer mes mains, tête baissée.
- Mange.
Je sursaute, surprise. D'habitude il ne dit jamais rien, il reste dans son coin et au bout d'un moment, exaspéré, il reprend le plateau et part en claquant la porte. Je suis incapable de réagir, la peur m'envahit, je sens qu'il est en colère. Devant mon manque de réaction, il se lève brusquement et vient vers moi, je tourne immédiatement la tête sur le côté, je ne veux pas le regarder. Il prend le sandwich et le tend devant mon visage. Je me demande pendant quelques secondes s'il ne va pas me le mettre de force dans la bouche.
- Il faut que tu te nourrisses. Mange, rien qu'un peu... S'il te plaît.
Je suis complètement déstabilisée. Alors que je pensais qu'il allait se mettre en colère, me hurler dessus peut-être même me frapper, il me parle calmement et dans sa voix, j'ai l'impression de ressentir de l'inquiétude. Je me sens perdue, je ne comprends pas. Cela ne lui ressemble pas. Je tremble de tout mon corps. Vu le ton de sa voix, je suis persuadée que si je le regarde là maintenant, je verrai de l'imploration dans ses yeux. Seulement je suis incapable ni de le regarder, ni de lui parler. Je ferme les yeux, fort. Sa proximité me paralyse. Il reste un long moment ainsi me tendant le sandwich mais je n'esquisse pas même un mouvement. Je ne peux pas. Je le sens se crisper, il est de nouveau énervé.
- Très bien, va te faire voir !
Il balance le plateau qui vole à travers la pièce et s'éclate contre le mur dans un bruit de métal avant de tomber au sol. J'ai un mouvement de recul, je me replie sur moi-même attendant le coup qu'il va sûrement me donner mais il se relève et quitte la pièce furieux. Je m'effondre en larmes.
La fatigue finit par m'emporter.
†
La porte qui s'ouvre et se referme me réveille, je me redresse rapidement, je sais qu'il est là, je sens sa présence. Il s'assoit à côté de moi sur le matelas. Je n'ose pas bouger, je n'ose pas respirer. Après ce qu'il s'est passé, j'ai encore plus peur maintenant. J'ai l'impression qu'une éternité passe. Il ne parle pas, ne bouge pas. À croire que c'est à peine s'il respire alors que ma propre respiration fait un bruit épouvantable. Je prie intérieurement pour qu'il s'en aille, qu'il me laisse tranquille. Il frôle mon épaule, je sursaute, je ne le sentais pas si près. Je veux m'éloigner mais il me saisit le bras, comme ça, sans la moindre hésitation comme si le noir ne l'empêchait pas de voir, comme si nous étions en pleine lumière.
- Reste là.
Sa prise et sa voix sont fermes, je me rassois. Il doit sentir les tremblements de mon corps sous ses doigts, pourtant il ne me lâche qu'une fois certain que je ne tenterai pas de m'éloigner à nouveau. Même si je le voulais, j'aurais été incapable de ne serait-ce que lever le pied tellement mon corps tremble.
- Je suis désolé de m'être énervé tout à l'heure.
Sa voix rauque est calme. Il s'excuse, il m'a frappée deux fois et il s'excuse car il s'est énervé ? Ça n'a pas de sens. Il est malade. Je ne devrais pas être enfermée dans cette pièce minable et lui devrait être enfermé dans un asile ou en prison.
Le silence nous envahit de nouveau. Je suis tétanisée, son épaule est collée à la mienne. C'est la première fois que nous avons un contact, à part les deux coups qu'il m'a donnés, il ne m'a jamais touchée. Je veux m'éloigner, son contact me brûle mais je ne fais rien. J'attends qu'il s'en aille. Quand je le sens bouger, je sursaute une nouvelle fois. Il s'allume une cigarette, la flamme de son briquet me fait cligner des yeux plusieurs fois. Mes pupilles ne sont plus habituées à être aussi proches d'une source de lumière. Je détourne la tête. Je ne veux pas prendre le risque de le voir.
- Tu en veux une ?
Il me tend une cigarette, je refuse d'un signe de tête et je ferme les yeux pourtant je sens toujours son regard posé sur moi à travers la flamme encore allumée. Il reste ainsi quelques secondes avant de souffler et j'entends le clic de fermeture du briquet. Il tire sur sa cigarette. Combien de fois l'ai-je imaginé écraser son mégot encore rouge sur ma peau. Combien de fois ai-je imaginé l'écho que ferait mon cri de douleur dans la pièce ? À chaque fois qu'il allume une de ses foutues cigarettes. Si seulement un cancer pouvait le foudroyer là maintenant, ou encore qu'il s'étouffe avec. Plusieurs scénarios possibles et improbables de sa mort défilent dans ma tête et ça me calme un peu.
Perdue dans mes pensées je ne l'ai pas senti se lever et quand il rallume son briquet, il se trouve au milieu de la pièce. Il allume des bougies qu'il situe un peu partout. Mon cœur s'emballe, pourquoi il fait ça ? Pourquoi allume-t-il des bougies, lui qui m'a frappée quand j'ai osé le regarder quelques secondes, là il rempli la pièce de lumière, ce qui va me permettre de le voir clairement. J'essaie de ne pas me laisser gagner par la panique et risque un coup d'œil vers lui, il est de dos à moi en train de s'affairer. Grâce aux flammes je peux le voir, il est grand et musclé. Aux coups que j'ai reçus et à la façon dont il m'a plaquée au sol le premier jour, je me doutais qu'il l'était mais je ne pensais pas à ce point là. Il porte un t-shirt blanc, ses omoplates se dessinent parfaitement sous le tissu. Je vois les muscles de ses bras se contracter à chaque fois qu'il active son briquet. Son corps est digne des statues grecques qu'on voit dans les musées. Il a les cheveux bouclés, je n'aurais pas cru. Ce sont les gentils qui ont les cheveux bouclés en général, pas les méchants qui kidnappent des filles. Les méchants, ils ont le crâne rasé et plein de tatouages. Pas lui. Il n'y a pas de tatouages sur ses bras et il a des boucles. Ses cheveux ne cessent de bouger à chacun de ses mouvements, mon ventre se tord, je le trouve magnifique. Une envie de vomir me prend, bien sur que non il n'est pas magnifique, il est moche, laid, horrible, il me retient prisonnière ici. Il est tout sauf magnifique.
Je détourne mon regard de lui pour inspecter la pièce, c'est la première fois que je la vois réellement. Elle ressemble à une cave. Je ne l'imaginais pas si petite, la porte se trouve à une dizaine de pas de moi à peine. Il ne la verrouille jamais quand il est dedans avec moi, seulement quand il me laisse seule. Je jette un autre coup d'œil dans sa direction, il est toujours occupé et ne fait pas attention à moi. Si j'arrive à être assez rapide peut-être que j'ai une chance de...
- N'y pense pas, tu n'as aucune chance de t'échapper.
Sa voix me fait tellement sursauter que je pousse un gémissement de terreur. C'est le premier bruit qui sort de ma bouche depuis longtemps et il est douloureux car je n'ai pas bu depuis je ne sais pas combien de temps. Je ne peux me retenir de tousser plusieurs fois, j'ai l'impression d'avoir des couteaux dans la gorge. En m'entendant m'étouffer, il se précipite sur la bouteille d'eau, qui traîne dans le coin de la pièce là où il l'a balancée la dernière fois, il s'accroupit devant moi et me la tend débouchée.
- Bois.
Sa voix est de nouveau inquiète mais j'ai tellement mal que je ne fais pas attention à lui et me saisis de la bouteille sans protester. La première gorgée passe de travers et je la recrache immédiatement. Il essaie de dégager mes cheveux de mon visage mais je le repousse, il ne dit rien. J'arrive enfin à boire et la douleur ainsi que ma toux s'apaisent un peu, je reprends petit à petit ma respiration. Après quelques secondes je relève enfin la tête vers lui et je manque de m'étouffer à nouveau mais intérieurement cette fois. J'avais raison il est magnifique. Il est peut-être le pire monstre du monde, cela ne change rien, il reste magnifique. Des yeux clairs intenses, pas de sourire, une beauté froide et terrifiante. Comme figée, je le fixe incapable de me détacher de lui, il me fixe aussi. Je ne pense pas une seule seconde au coup qu'il pourrait me mettre pour avoir osé le regarder ainsi. Je suis bien trop subjuguée pour penser.
- Ça va mieux ?
J'ai un mouvement de recul, c'est la première fois qu'il me parle en me regardant dans les yeux. C'est trop pour moi, je détourne le regard.
- Regarde-moi.
Sa voix n'exprime pas de colère, il semble déçu. Le regarder ? Il y a quelques secondes encore je ne faisais que ça, le regarder, maintenant j'en suis incapable, bien trop effrayée. Ce comportement ne lui ressemble pas et le fait qu'il ait allumé des bougies et se laisse voir ainsi me fait peur. Il est accroupi devant moi. Je rabats mes genoux contre ma poitrine et j'enfouis ma tête dedans. Je contracte mes mains pour tenter de les empêcher de trembler mais c'est raté.
Va-t'en, laisse-moi tranquille.
Je hurle dans ma tête mais il ne bouge pas, il reste là. Je ne sais pas ce qu'il attend et plus je me pose des questions, plus ma peur monte. Je me replie encore un peu plus sur moi-même et je prie pour que ce cauchemar cesse. S'il a décidé de me tuer maintenant, je me suis résignée mais qu'il le fasse vite. Il pose une main sur mon genoux, surprise je recule encore plus me collant aux briques vierges qui me griffent le dos. Je suis prise au piège entre lui et le mur.
- Ouvre les yeux s'il te plaît.
Sa voix est calme et douce. À quoi il joue ? Ne se rend-il pas compte de la peur que je ressens ? Je refuse de lever la tête et le regarder, je ne veux pas voir ses yeux clairs encore une fois, surtout s'il s'apprête à me tuer. Je me cramponne bêtement à mes genoux comme s'ils pouvaient me sauver, mon corps est parcouru de spasmes. Impossible qu'il ne les sente pas. Je l'entends soupirer, je sens même son souffle sur mon bras tellement il est proche. Il saisit mon menton, pourtant bien caché, entre son pouce et son index et me force doucement à relever la tête. Je veux lui résister mais une légère pression de ses doigts suffit à m'en dissuader. Je suis certaine qu'il peut me briser la nuque d'une seule main s'il le souhaite.
- Je veux juste voir tes yeux Hailey...
C'est la première fois qu'il prononce mon prénom, il l'a seulement soufflé. Je prends une grande inspiration et j'ouvre lentement les yeux. J'ai l'impression que mon cœur explose. Magnifique n'est pas assez fort pour décrire ce que j'ai devant moi. Son visage est parfait, ses traits sont fins, ses lèvres sont roses, son nez est droit. On dirait qu'il sort tout droit d'un magazine photoshopé sauf qu'il est bien réel, là devant moi. Malheureusement. Pendant une fraction de seconde, je pense que j'ai de la chance, que tous les kidnappeurs ne doivent pas être aussi beaux mais je me reprends. Je crois que je commence à perdre un peu la tête. J'ai l'impression de l'avoir déjà vu. Oui, ça doit être ça, je perds la tête. Il se dégage d'un mouvement de tête habile, ça doit être un reflexe chez lui, la mèche de cheveux bouclés qui tombe devant ses yeux. Je me retrouve face à ses deux prunelles qui me fixent intensément. J'ai du mal à respirer. De quelle couleur sont-elles ? Vertes ? Grises ? Grises, elles sont grises. Ou peut-être vertes.
- N'aie pas peur...
Il a murmuré comme si cela pouvait me rassurer. N'aie pas peur ? Il se fout de moi ?
J'aurais voulu le pousser, lui cracher dessus, lui hurler au visage qu'il n'était qu'un con de ne pas voir à quel point il m'effrayait. Que tout ça était de sa faute, que je ne savais pas ce que je faisais là, qu'il n'avait pas le droit de me retenir ainsi. Que je voulais rentrer chez moi, qu'il n'avait pas le droit d'être aussi beau et que j'avais froid. J'aurais voulu lui dire que ce n'était qu'un monstre, le pousser, le faire tomber, lui marcher dessus, le tuer, m'échapper. Mais au lieu de ça, je reste immobile comme une idiote, tétanisée par la peur. Je serre encore plus fort mes genoux contre ma poitrine, sa main est toujours sur moi. Lui aussi, il reste immobile, il me fixe en silence. Je sais que je ne devrais pas le regarder mais c'est lui qui me l'a demandé et de toute façon je suis incapable de détacher mes yeux de son regard. Je me demande à quoi il pense. J'ai peur. Je l'ai déjà imaginé me tuer, des centaines de fois même. J'ai visualisé dans ma tête tous les scénarios possibles et inimaginables, tous plus horribles les uns que les autres. Je crois qu'une partie de moi s'est résignée à mourir mais je n'aurais jamais pu imaginer ça, cette attente, ne pas savoir à quoi il joue, c'est juste insoutenable.
Si tu dois me tuer, je t'en prie, fais-le maintenant.
Je sens une larme rouler sur ma joue, il l'essuie avec son pouce. Je tressaille violemment et repousse sa main, ce simple contact me brûle, je ne veux pas qu'il me touche. Je perds le contrôle, je veux le repousser, me dégager mais sans même un effort, il pose ses mains sur mes épaules afin de me maintenir assise.
- Chut calme-toi, je ne vais pas te tuer Hailey.
Il me le dit d'une voix douce comme s'il cherchait à me rassurer. Est-ce qu'il lit dans mes pensées ? C'est possible ? Je ne sais pas si c'est parce qu'il a prononcé mon prénom pour la deuxième fois mais je le crois. Il ne va pas me tuer. Je cesse ma lutte inutile et perdue d'avance de toute façon. Je n'ai aucune chance contre lui, il est beaucoup trop fort. Il lui a suffit d'une simple pression de ses mains sur mes épaules pour m'immobiliser. Il n'a même pas eu besoin de forcer. Je n'ai pas le temps de réaliser ses gestes qu'il défait la corde qui me retient les poignets. Je me sens perdue, je ne comprends pas. Il la déroule lentement et le frottement sur ma peau est douloureux. Je me mords la lèvre pour m'empêcher de gémir, il le voit et il pousse un grognement quand il réalise l'état de mes poignets, ils sont en sang. Il se met à les masser délicatement. Je me retiens de hurler, pas de douleur mais de surprise et de peur. Je veux qu'il s'en aille, je ne veux pas qu'il me touche comme ça, pourtant ses mains apaisent ma douleur. Je ferme les yeux et tourne la tête sur le côté. Je le sens se rapprocher de moi et me saisir le menton afin de me refaire tourner la tête vers lui. Je ne résiste pas. Je sens son souffle sur mon visage. Proche, il est beaucoup trop proche de moi.
- Ouvre tes yeux...
Pourquoi veut-il à tout prix voir mes yeux ? Je m'obstine à les laisser fermés, je ne veux pas le voir moi. Je ne veux pas voir son regard qui me perturbe. Sa main qui tient toujours mon menton n'est pas brutale ni même ferme, non elle est presque tendre. Je comprends enfin ce qu'il compte faire.
Mon cœur explose de terreur dans ma poitrine.
Il n'a pas l'intention de me tuer, c'est bien pire. Je réalise que de tous les scénarios que j'ai imaginés depuis que je suis ici, celui-là ne m'a jamais traversé l'esprit alors que c'est le plus évident pourtant. Il me veut. J'ai envie de vomir. J'ouvre lentement les yeux, je le supplie du regard, j'aurais voulu lui crier de ne pas me toucher mais mon cri se bloque dans ma gorge. Il n'est qu'à quelques centimètres de moi, nos souffles se mélangent. Ses yeux sont ancrés dans les miens, son regard est doux. Il fixe maintenant mes lèvres, il se mord les siennes, je suis paralysée. Sa respiration est saccadée et moi je n'arrive même plus à respirer. Il reporte enfin son attention sur mes yeux. Il sait que j'ai compris ce qu'il allait faire. Je pleure, je ne peux pas m'en empêcher. Il prend délicatement mon visage entre ses mains et de ses doigts il essuie mes larmes, je suis incapable de bouger. La panique et la peur me tétanisent.
- Ne pleure pas s'il te plaît...
Je tremble. Il s'approche et pose ses lèvres sur les miennes. Elles sont douces et chaudes, son haleine sent la menthe, ses doigts caressent mon visage. Je suis perdue, je ne m'attendais pas à ça, je m'attendais à de la violence mais pas à cette douceur ni à cette tendresse. Je ressens des frissons, j'ai l'impression que mon corps me trahit. Je devrais le repousser mais j'en suis incapable comme en transe. Il pousse un grognement et d'un seul coup, il devient brutal, ses lèvres appuient avec force sur les miennes. Je reprends enfin mes esprits et tente de le repousser, de tourner la tête mais il me tient fermement le visage me forçant à rester droite. Sa langue cherche à forcer l'accès jusqu'à la mienne, je le lui refuse et ça ne lui plaît pas. Il pousse un nouveau grognement. Je tente de me débattre mais en vain, la panique m'envahit, les larmes me brûlent les yeux et je réagis enfin comme j'aurais dû réagir depuis le début. Je frappe son torse de toutes mes forces mais ça ne lui fait rien, il est trop fort. Sa bouche devient pressante, alors sans réfléchir j'ouvre la mienne et lui mords la lèvre du bas, je sens son sang sur ma langue. Il pousse un juron et sous la surprise il a un mouvement de recul. Ses yeux sont complètement écarquillés, il est choqué. Je ne sais pas si c'est à cause de mon geste, j'ai l'impression qu'il réalise ce qu'il était en train de faire, comme s'il avait perdu le contrôle de lui même. J'ai du mal à respirer, mon torse se soulève beaucoup trop rapidement. Mon esprit est embrouillé, je le pousse de toutes mes forces, pris par surprise il tombe à la renverse et je me relève aussi vite que je peux. J'ai l'impression que mes jambes vont me lâcher tellement mon corps tremble. Je me jette sur la porte alors que je l'entends déjà derrière moi se relever et hurler mon prénom.
Va au diable.
Le couloir est plongé dans le noir et après l'intensité des bougies dans la pièce, je ne vois rien. Je cours dans tous les sens, je me cogne au mur, je ne sais pas où je suis, je ne sais pas où je vais. J'ai l'impression que c'est un couloir sans fin. Je suis perdue. Je l'entends derrière moi, j'entends ses pas. Il ne court pas et sa voix est calme. S'il ne panique pas, c'est qu'il est certain que je ne pourrai pas lui échapper. Je ne veux pas perdre espoir. Mes pieds nus me font mal, j'ai l'impression de marcher sur du verre. Je heurte un nouveau mur, le choc me surprend. Je l'entends qui se rapproche, je suis bloquée dans un cul de sac, prise au piège, de mes mains j'inspecte ce que je touche, c'est une porte. Je reprends espoir, il arrive, je cherche frénétiquement la poignée. Il est là. Il pose une main sur mon épaule, je pousse un cri.
- Tu ne peux pas m'échapper Hailey.
Il ne semble pas énervé, j'ai l'impression qu'il attend juste que je me fatigue. Je ne veux pas baisser les bras. Où est cette fichue poignée bon sang ?! Ça y est, je l'ai. Il devait penser que je ne la trouverais pas car quand il m'entend l'actionner, il change immédiatement de comportement et sa voix est gagnée par la panique.
- Non !
Il m'attrape par la taille pour me faire reculer mais j'agis plus vite que lui et le repousse.
- Va te faire foutre !
Je ne sais pas si c'est la surprise de m'entendre lui crier dessus mais il a un mouvement de recul qui me permet de rentrer dans la pièce et verrouiller la porte derrière moi. Je l'entends qui jure et qui frappe de toutes ses forces sur le bois. Je suis une fois de plus dans le noir, je tente de reprendre ma respiration, je tremble tellement que ça me fait mal. Je m'appuie contre la porte et je la sens vaciller dans mon dos tellement il tape fort. Il me hurle de lui ouvrir.
- Va te faire foutre !
Je lui répète en hurlant moi aussi. Je sais qu'il ne mettra pas longtemps avant de réussir à entrer. Je cherche l'interrupteur et quand je le trouve enfin et l'enclenche, mon cœur cesse de battre et l'horreur me gagne. Je suis prise de nausées, mon estomac se serre et je me retiens de vomir. Je ne peux plus respirer. J'avance doucement au centre de la pièce comme pour vérifier que je ne rêve pas.
Une pièce vide avec juste un lit et des murs remplis de photos.
De moi.
Des murs remplis de photos de moi. En cours, dans la rue, avec mes amis, ma famille, dans ma chambre. Le jour, la nuit. Il y en a partout. Je me prends la tête entre les mains, je suis en plein cauchemar. Je me sens mal, je crois que je vais vomir. Je n'arrive pas à respirer. Je n'arrive pas à reprendre ma respiration, ma tête tourne, mon corps tremble, je vais tomber. Je ne réagis même pas quand j'entends la porte se fracasser contre le mur derrière moi. Je suis dans un état second. Quand il prononce mon nom, sa voix est paniquée. Je ne sais pas comment mais je trouve la force de me tourner lentement vers lui pour lui faire face.
Il est là, immobile à l'entrée de la pièce et pour la première fois je vois de la peur dans ses yeux. Tout devient flou, mes jambes me lâchent. Je sens deux bras puissants m'envelopper avant que je ne m'effondre au sol, puis plus rien. Le noir complet.
†
« Elle me frappe au visage, me griffe. Je la plaque au sol.
- Calme-toi Hailey !
Elle pleure, elle hurle, j'ai peur. Elle court, je la vois s'éloigner.
Je veux la rattraper, elle m'échappe. Elle n'a pas le droit
de m'abandonner.
Sans elle, je ne suis rien.
- Reviens !
Elle ne m'écoute pas.
Je me réveille en sueur, le corps tremblant.
Je me passe une main sur le visage,
Les poings serrés, elle est à moi. »
†
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