• CHAPITRE TRENTE-TROIS •
- Salut Matt, prononcé-je tout en plaçant délicatement la main sur l'épaule de mon ami baignant encore dans son habituel profond sommeil.
Malgré le fait que nous ayons peu dormi, Sam s'est finalement décidé à m'accompagner avant de commencer une nouvelle journée de travail. Il m'a fallu user de stratégies toutes plus improbables les unes que les autres afin de le tirer du lit une petite heure plus tôt, sans compter le verre d'eau que j'ai « accidentellement » renversé sur sa tête encore endormie.
Observant son air à la fois fatigué et désemparé, je décide de les laisser seuls tous les deux. Il faut dire qu'un café ne pourra de toute façon pas me faire de mal.
Tout en cherchant désespérément de la monnaie dans mon sac-à-main, ma tête heurte violemment le corps de la personne se trouvant en face de moi. C'est peut-être à moi que j'aurais dû verser un verre d'eau sur la tronche finalement !
Lorsque je lève désespérément les yeux afin de me confondre en excuses face à ma maladresse, je croise le regard de ma meilleure amie sur laquelle je peux parfaitement distinguer les cernes creusant intensément son visage. Ses airs de déterrée font peur à voir. Voilà deux jours que je n'ai pas pris de ses nouvelles et j'ai l'impression de faire face à un spectre. Sans davantage réfléchir, je la serre dans mes bras.
- Tu devrais aller te reposer un peu, soufflé-je dans le creux de son oreille tandis que sa tête repose mollement sur mon épaule.
- Et qui s'occuperait de Matt alors ? Toi ? Son frère peut-être ?, s'acharne-t-elle soudainement.
Elle se recule alors instantanément, me détaillant de la tête aux pieds. La dureté de ses propos me fait tout nettement redescendre de mon petit nuage. Il est vrai que je ne l'ai pas appelée hier mais cela n'a jamais été dans nos habitudes de rester sur le dos l'une de l'autre à chaque instant. Cela ne lui ressemble pas.
- Je suis désolée, prononce-t-elle quoiqu'un peu honteuse.
- Je comprends tout-à-fait ce que tu ressens. Tu sais que je suis aussi passée par-là, n'est-ce pas ?
Nous marchons à présent toutes deux en direction de la machine à café. Arrivées jusqu'à cette dernière, je verse l'intégralité de ma maigre monnaie afin de lui faire avaler ces satanées pièces. Je tends alors le premier gobelet brûlant à Alda qui s'assoit sans plus attendre sur l'une des chaises se situant à nos côtés.
- C'est insoutenable, toute cette attente. Le fait de ne pas savoir...
Je la regarde alors plus attentivement que tout-à-l'heure, essayant de la rassurer ne serait-ce que par ma présence. Dans ces situations, les mots ne suffisent malheureusement pas toujours. Je ne connais que trop bien le vide l'habitant, la sensation que le monde s'écroule autour de nous, sans personne ni rien pour nous aider ou nous achever une bonne fois pour toute. Elle flotte en ce moment précis entre deux mondes, sans savoir dans lequel faire le premier pas afin de soulager sa douleur.
- Je me sens tellement coupable, prononce-t-elle sans pouvoir retenir les larmes qui la menaçaient depuis notre rencontre.
- Tu n'es pas la fautive de ce qui s'est...
- Tu le fais exprès ? Putain Chloé, s'il te plaît, arrête de balancer des phrases toutes faites et laisse-moi exprimer ce que je ressens, moi uniquement pour une fois. Harvey me manque terriblement et je me sens d'autant plus coupable de ressentir cela maintenant que celui pour lequel je l'ai en quelque sorte quitté n'est plus capable que de respirer. Comment puis-je penser une chose pareille ? Je suis un monstre, un monstre qui n'a su que commettre des conneries de jeunesse qu'il regrettera probablement toute sa vie. Je suis vide de l'intérieur alors que ma tête, elle, est remplie de pensées qui ne veulent cesser de défiler.
Je m'empare alors de son verre à moitié vide afin de le poser à mes pieds et pouvoir m'emparer de sa main glacée. J'aimerais tellement lui dire que la douleur qu'elle connait actuellement n'est qu'éphémère, qu'elle se réveillera un matin l'esprit vide et le coeur léger.
- C'est bon, je te donne la parole, chuchote-t-elle dans un léger sourire.
Je secoue la tête en guise de réponse, me pinçant les lèvres face à son autorité toujours bien placée. Moi qui me plaignais sans cesse de ce trait de caractère, il faut croire que je suis attirée par ceux qui le possèdent.
- Quoi ? Il va neiger ! Pour une fois que tu n'as pas ton mot à dire sur quelque chose, s'empresse-t-elle de se moquer sans aucune retenue.
Aïe. Je ne l'aurais pas volé celle-ci. Heureusement que j'ai le pardon facile car si je devais mourir d'une once de sarcasme, je ne me trouverais déjà si pieds sous terre depuis le lycée !
- Je t'aime tu sais. Tu pourras toujours compter sur moi pour te soutenir dans la moindre de tes décisions, aussi insensées pourraient-elles être, lui répondis-je.
Celle-ci se contente simplement d'un sourire pour seul acquiescement. Voir son visage s'illuminer un tant soit peu derrière tout ce brouillard est tout ce qui compte en ce moment même. Je me fiche d'avec qui elle sort, de ses choix de vie, tant qu'elle parvient à garder le cap comme elle a toujours su le faire.
- Comment ça se passe avec le patron ténébreux ? Change-moi un peu les idées ma petite tête de mule, continue-t-elle de son entrain que je lui retrouve enfin.
J'aurais dû m'attendre à cette question.
Note à moi-même : préparer des réponses toutes faites qui ne laissent aucune place à la discussion gênante. Je la sens venir à des kilomètres...
- Ouais non en fait ça ne me ressemble pas de passer par quatre chemins. Il a enfin dégagé le tunnel ?
Mon air de dégoût ne peut s'empêcher de faire face à ses paroles. Je suis sûre qu'elle et son langage cru s'entendraient plus que bien avec Sam. Non mais qu'est-ce qui me prend de vouloir les présenter en bonne et due forme ? Un voyage ne vous pousse quand même pas à faire des plans sur la comète, si ? Nous sommes déjà partis ensemble et... Ok, cela ne s'est pas très bien terminé mais toutes les bonnes choses ont une fin !
Autre note à moi-même : se débarrasser de ses pensées pessimistes.
- Depuis quand joues-tu au prude avec moi ?, se précipite-t-elle de rajouter tout en scrutant mon air quelque peu désemparé.
Bon, sur le coup il faut avouer qu'elle n'a pas tort. Le fait de prononcer ce qu'il s'est passé à haute voix, me ferait tout simplement douter de sa réalité. Enfin je crois. Si ce que j'ai ressenti, ce que j'ai cru entrevoir entre nous, ne venait en réalité que de moi, je me sentirais bien idiote.
- Le seul tunnel dont je peux te parler est celui dans lequel nous nous envolons dans quelques jours.
Le sourire imperturbable se dessinant sur mon visage semble ne plus vouloir me quitter. Pourquoi diable suis-je en train de réagir comme une enfant incontrôlable ?
- Je suppose que tu es déjà passée à autre chose dans ce cas, s'empresse-t-elle de rajouter.
D'accord... Si son but était de plomber l'atmosphère alors c'est totalement réussi ! Je sais bien qu'elle n'est pas dans son assiette mais de là à m'incendier sans aucune réelle raison, j'avoue avoir du mal à saisir ce qu'elle cherche à provoquer.
- Excuse-moi, se reprend-t-elle aussitôt. C'est juste que... Ce n'est pas une raison mais Harvey me manque. Tout ce que j'entends me ramène à lui. Il ne me pardonnera jamais ce que je lui ai fait.
- Laisse lui du temps Alda. Ça ne pourra que te faire du bien à toi aussi.
- Mais justement, là est tout le problème ! Qu'est-ce qui me dit que je serai encore là demain ? Je ne sais même pas ce que je désire réellement. Mes pensées sont en vrac. Je me réveille en ayant envie d'être avec Matt et l'heure d'après, je suis sur le point d'envoyer un message à Harvey.
Vivre dans le risque de perdre un être cher est un événement que je ne souhaiterais à personne. Lorsque j'étais à sa place, je n'aurais pas supporté que l'on réponde à mes nombreuses questions. Je me serais énervée, reprochant à autrui qu'il ne comprend rien à rien.
À cet instant précis, je me revois petite, assise durant de longues heures à contempler le visage blafard de ma mère. Sans cette expérience, je n'aurais toutefois pas appris à quel point la vie est précieuse et qu'il faut saisir la moindre des possibilités comme une bénédiction. Sam avait raison lorsqu'il disait que je n'étais qu'un paradoxe à moi seule. N'ai-je après tout pas lutté pour lui résister ?
- La vie nous réserve tellement de surprises Alda. Tu ne sortiras que plus forte de cette épreuve. Le temps est le pansement de toutes nos blessures, même lorsque nous pensons ne pas nous relever d'un énième coup.
Au même moment, Sam franchit le seuil de la porte de la chambre d'hôpital. J'aperçois un court instant la tête de Matt, penchée en arrière sur le coussin de son lit, des tuyaux traversant son nez et sa bouche. Je reste persuadée qu'il s'en sortira. Son courage et sa combativité se ressentent autant dans ses yeux que dans ceux de son frère.
Quant à mon ami, la rougeur des siens ne tromperaient pas même un aveugle. Son voile de fatigue ainsi que celui de son arrogance semblent s'être évadés le temps d'un instant, ne laissant place qu'à la réalité foudroyante que peuvent nous infliger les mauvais jours. Ne dit-on pas qu'après la pluie vient toujours le beau temps ? Dans mon cas, j'y crois dur comme fer.
Si les nuages sont la vie de Sam Miller, alors je serai son soleil. Ne serait-ce que le temps d'un week-end. Tout comme je ferai tout mon possible pour aider ma meilleure amie à retrouver le goût des beaux jours.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top