• CHAPITRE TRENTE-SIX •
La stupéfaction de Sam se fait d'autant plus ressentir que sa bouche reste grande ouverte durant quelques secondes. La femme d'un âge mûr, quant à elle, prend le soin d'enlever ses lunettes, le bruit de ses talons hauts claquant sur la surface marbrée présente sous nos pieds. Ses fines jambes ne laissent percevoir aucun signe de vieillesse contrairement à ses yeux, qui eux, regroupent de légères rides en leur coin.
Ce n'est qu'au bout de quelques instants d'intense silence que son visage me revient à présent vaguement en mémoire. Oh non, ne me dîtes pas que...
- Maman ? Je te pensais à Los Angeles.
Bingo. Sa chevelure rousse aurait dû m'alerter plus tôt. Bien que la relation qu'entretenons Sam et moi ait pris un tournant quelque peu particulier, je n'avais pas réellement prévu de me confronter à ce genre de présentation dans l'immédiat. Alors que je réalise qu'aucun son, ne serait-ce que par simple politesse, n'ose sortir de ma bouche, je sens mon teint rosir à tel point qu'un feu incandescent semble parcourir mes joues. Son infini beauté n'arrange rien à cela. Ce que nos gestes trahissent ne sont qu'élégance pour sa part et intimidation pour la mienne.
- Mon chéri, tu sais bien que je me dois de garder un oeil sur chacune de ces petites beautés, prononce-t-elle d'une façon un tant soit peu arrogante, élevant élégamment son bras afin de présenter l'ensemble du bâtiment dans lequel nous nous trouvons. Qui est cette charmante jeune fille ?
À la minute même où ses paroles nous parviennent, mon voisin laisse nonchalamment retomber ma main venant percuter le haut de ma cuisse. Je jette un rapide coup d'oeil en sa direction, essayant tant bien que mal de distinguer ce qui le rend si nerveux. Leur relation n'est peut-être pas des plus cordiales mais de là à se montrer brusque dans ses gestes.
- Personne. Enfin, une collègue de travail, bafouille-t-il tout en plaçant ses deux index sur ses tempes.
Une collègue de travail ? Ai-je bien entendu ? Dîtes-moi que c'est une caméra cachée, qu'il ne va pas se remettre à agir comme le compétiteur de première qu'il peut être et dont la place que je vise l'effraie. Cette fois-ci, je n'aurai pas le courage d'affronter ses pulsions et d'accepter ses excuses. Je pensais que l'on était bien plus que cela, d'autant plus après ce qu'il a pu me dire lorsque nous sommes arrivés dans notre chambre.
Elle me détaille alors de haut en bas, arquant un sourcil d'une façon on ne peut plus dérangeante. Suis-je en train de devenir la bête de foire de la famille Miller ? On nage en plein délire là !
- Je vois que le mépris est génétique chez vous..., murmuré-je tandis que cette dernière tourne les talons afin de s'adresser à l'un des employés de l'hôtel.
Ces dernières paroles me valent toutefois un léger coup de coude au niveau de mon bras découvert, s'avérant légèrement plus fort qu'il n'était à mon avis censé l'être. Ce dernier reste à présent stoïque, ne me jetant pas le moindre regard et ce jusqu'à ce que sa génitrice ne revienne vers nous.
- Enchantée mademoiselle Jones, me lance-t-elle soudainement, tendant sa main parfaitement manucurée afin que je la lui sers.
Comment diable sait-elle qui je suis ?
Je m'exécute cependant à mon tour, m'efforçant de ne pas fondre sous le regard insistant de Sam. Quelque chose ne tourne pas rond ici et mon petit doigt me dit que je vais encore être la dernière au courant. Je commence tout simplement à être fatiguée de devoir subir des péripéties toutes plus rocambolesques les unes que les autres.
- On se parle plus tard si tu veux bien, conclut finalement son fils tout en m'entrainant presque de force jusqu'à l'un des nombreux ascenseurs venant de s'ouvrir.
La montée se fait d'autant plus pesante que je ne sens plus que la bombe à retardement s'agitant en silence à mes côtes. Sa mâchoire se contracte sans arrêt, tandis que ses mains, elles, s'ouvrent et se referment sur elles-mêmes à chaque seconde. Les étages défilent sous nos yeux à une vitesse effrénée, donnant l'illusion que cette course à l'apocalypse atteindra son paroxysme sans crier gare.
Lorsque nous arrivons dans la chambre, Sam passe nerveusement les mains dans ses cheveux, faisant les cent pas au milieu de la pièce tel un poisson tournant en rond dans son bocal. Celui-ci s'assoit alors sur le lit, avant de se relever et d'enfoncer son poing d'un grand coup sec dans le mur nous faisant face. Cette violence ne provoque qu'un sursaut de peur en moi, ne me permettant de trouver les mots justes susceptibles de le calmer. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, je parviens à éprouver de la compassion à son égard. Loin du sentiment de pitié que nous pourrions imaginer, je comprends parfaitement la colère l'animant : la même flamme est présente dans mes yeux après une énième discussion houleuse avec mon père. Je reste cependant convaincue que ce n'est pas une raison suffisante pour me traiter de cette façon. Je ne suis pas un chiffon ne servant qu'à évincer les quelques résidus de poussière présents sur les meubles et que l'on jetterait une fois la tâche fastidieuse accomplie.
- Merde !, hurle-t-il soudainement tout en s'allongeant finalement sur le lit, ses paumes recouvrant l'ensemble de son visage.
- Je peux savoir ce qu'il se passe ou comptes-tu encore me mettre à l'écart de tes élans de colère ?
- Oh ça va Chloé. Ce qu'il se passe, c'est qu'on rentre immédiatement, souffle-t-il.
Je reste un instant ébahie face à sa nouvelle. Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines, fatiguée de devoir une nouvelle fois subir ses agissements en si peu de temps.
- Ne me traite pas comme si je n'étais qu'une simple employée Sam, j'en ai marre de tout cela.
- Et bien au risque de te décevoir, c'est pourtant le cas. Si tu ne remballes pas tes affaires au plus vite, crois-moi que...
- Que quoi ?, crié-je à mon tour. Que tu vas me mettre à la porte ? Et tout ça pour quoi ? Satisfaire ton égo plus que sur-dimensionné ! Tu voulais me faire découvrir ton monde mais un tour de karting ne suffit pas à te connaitre. Si tu n'es pas prêt pour une relation alors pourquoi m'avoir emmené ici ?
- Une relation ? On a couché une fois ensemble, ce n'est pas la mer à boire à ce que je sache. Excuse-moi d'avoir pu laisser place au doute en t'emmenant jusqu'ici mais tu n'es rien de plus que la personne que j'essaie d'écarter de mon chemin pour arriver à mes fins. Point barre.
L'aisance avec laquelle ses paroles sont sorties me jette immédiatement un froid dans le dos. Ma vue se brouille instantanément, tandis que ma lèvre inférieure ne peut s'empêcher de trembler. Je m'empare alors nerveusement de mon téléphone afin d'appeler un taxi qui m'emmènera au plus vite à l'aéroport. Je ne resterai pas une minute de plus en compagnie d'un homme toxique, dont les intentions ont en réalité toujours été douteuses. Tous ces mots doux, ces semblants de confession sur l'oreiller n'ont été que subterfuges pour me manipuler aussi bien qu'il en a visiblement l'habitude.
- Je peux savoir ce que tu fais ?, me demande-t-il d'une voix s'efforçant de paraître plus calme.
Alors que je reste aussi muette que je ne l'ai jamais été, trop accablée par le mélange de désillusion et de rage me submergeant, celui-ci s'approche de moi afin de tenter de m'enlever le portable que je tiens fermement dans mes mains. Je recule brusquement, sans même prendre la peine de le considérer un instant de plus.
- Ne t'avise plus jamais de me toucher Sam. Si tout cela n'a jamais réellement existé alors très bien, je n'aurai aucun mal à devoir y mettre un point final, conclus-je finalement en m'emparant du sac que je n'avais pas encore défait.
Tout en fermant la porte derrière moi, les sanglots qui menaçaient mon corps sortent enfin, m'obligeant de ce fait à m'adosser contre la paroi dont je viens de tirer la poignée. Tous mes membres tremblent à présent dans un couloir si sombre qu'aucun rayon lumineux ne semble pouvoir s'y frayer un chemin.
Comment ai-je pu me montrer aussi crédule face à tant d'égoïsme, d'arrogance et de mépris ? Ce qui me rend le plus triste dans tout cela est que j'ai tout de même réussi à me détourner de tout ce qui a toujours réellement compté au profit de sentiments que je pensais sincères. Alda avait raison en s'étonnant de la vitesse à laquelle j'ai tiré un trait sur ce qu'il avait déjà osé me faire.
Pourtant, en entendant la violence avec laquelle Sam s'acharne sur le matelas, j'hésite un instant à revenir en arrière afin de lui demander de plus amples explications. Tout ne peut pas s'arrêter de cette façon, du jour au lendemain. Cependant, lorsque le son de l'ascenseur retentit jusqu'à moi, je me sens indéniablement forcée d'aller de l'avant. Je sais que cette fois-ci, Sam ne viendra pas tenter de m'abattre de son regard foudroyant, comme celui qu'il m'a lancé le premier jour. Non car aujourd'hui, il m'a littéralement broyée et ce alors que je pensais n'être qu'au début de mon vol.
Tandis que mes pieds se heurtent lourdement au plancher, un poids s'affaisse sur mes épaules. Le temps des questionnements a laissé place à celui des profonds regrets, m'abandonnant face à une tempête menaçant de me noyer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top