• CHAPITRE TRENTE-SEPT •
À peine posé-je un pied sur la terre ferme parisienne que je me rus sur mon téléphone afin d'appeler Alda. J'ai tout sauf le coeur à me retrouver seule dans un appartement meublé par des pensées noires vagabondes. Les yeux encore embués par les larmes qui ne m'ont quitté que durant un court de temps de répit, les mots sortent presque machinalement de ma bouche.
Alors que je m'apprête à appeler un taxis, la silhouette de ma meilleure amie surgit d'entre les voitures dispersées le long du trottoir jonchant le devant de l'aéroport. Sans chercher à davantage comprendre de quelle manière elle a su que je rentrais de façon aussi précipitée, je me jette dans ses bras, cherchant le réconfort qui semble m'avoir quitté depuis que j'ai décollé.
- Que fais-tu ici ?, soufflé-je difficilement, la bouche éprise de la laine de son gilet.
Celle-ci m'écarte légèrement d'elle, sans pour autant rompre le contact s'étant établi entre ses mains et mes épaules. Ses yeux ronds s'écarquillent instantanément, me scrutant de haut en bas comme si celle-ci avait aperçu un fantôme.
- Si tu ne te rappelles même pas m'avoir appelé entre deux reniflements alors ma pauvre, c'est que tu es vraiment au plus bas...
- Pardonne-moi. Je me sens si égoïste de t'infliger tout cela alors que tu as tes propres problèmes.
- Ne t'en fais pas pour moi. Tu as le droit d'être triste et de penser à toi Chloé, tu sais, dit-elle doucement tout en prenant place dans sa voiture.
Le trajet se déroule dans un silence religieux. Contrairement à d'habitude, aucun mot ne fuse de ma bouche. Je n'ai ni l'envie, ni la force de déblatérer sur ce qui est mort et enterré. Je ressens toutefois un irréversible besoin d'hurler toute ma douleur, de mettre ne serait-ce qu'un son sur le poignard encore présent sur la plaie s'étant formée. L'hémorragie ne survient-elle pas lorsque l'on enlève l'objet nous ayant causé du tord ? Voilà à quoi je ne veux pas risquer de me confronter : une éternelle douleur qui pourrait causer ma perte.
Ce sentiment me perturbe d'autant plus que je pensais ne jamais connaitre le genre de douleur qu'on ne constate que dans les drames. La femme prête à tout pour réussir semble avoir déserté les lieux bien plus vite qu'elle n'avait réellement pris le temps de s'y installer. Comme quoi la vie ne nous réserve jamais d'éternels cadeaux.
En pénétrant enfin dans l'enceinte de mes quatre murs, je ne prends même pas la peine de me dévêtir avant de m'affaler sur mon canapé.
- Tu devrais manger quelque chose, prononce alors ma meilleure amie tandis qu'elle prend la peine d'allumer les lumières agressant immédiatement mes rétines.
Cela doit bien faire vingt-quatre heures que je n'ai rein avalé et j'ai pourtant l'impression d'avoir le ventre aussi plein qu'après un repas de Noël.
- Je mangerai demain, grogné-je tout en repoussant le paquet de chips que cette dernière a sorti de mon placard.
Tout en faisant preuve d'un effort considérable pour ne pas me forcer à avaler quelque chose, Alda s'allonge simplement à mes côtes, contemplant le point que je fixe sur le plafond depuis maintenant plusieurs minutes. Le temps semble s'écouler incroyablement lentement depuis que j'ai mis les pieds ici alors que les aiguilles de ma montre ont à peine avancé. Il faudrait peut-être que je pense à changer les piles. Ou alors à recharger mes propres batteries.
- Ce discours risque de te semble familier mais je connais parfaitement ce que tu ressens, dit-elle sans pour autant me forcer à la regarder.
Cette fille est vraiment incroyable. Peu importe l'état dans lequel celle-ci se trouve, elle s'avère en réalité toujours présente pour moi, ce que ce soit à en plein milieu de la nuit comme à ce moment précis ou aux aurores.
Tandis que je tente de me relever afin de daigner enfiler une tenue confortable, mon portable se met à sonner. Si jamais Sam ose...
- C'est ton père.
Pour la première fois, je lève les yeux vers mon amie comme si la réponse de son appel se trouvait sur son visage. De toute façon, il ne pourra jamais rien m'arriver de pire que ce que j'ai connu hier.
- Tu as donc décidé de me décevoir jusqu'au bout, prononce la voix rauque au bout du fil, tandis que je reste stoïque, le téléphone collé à mon oreille et les yeux se fermant à moitié sous l'effet de la fatigue.
- Bonsoir papa. Oui c'est cela, exactement, ironisé-je.
Mon insolence à son égard n'est que méritée. Je ne sais même pas où je parviens encore à puiser la force me permettant de répondre à ses énièmes insultes. L'envie de me défouler me vient soudainement. Me connaissant, je ne pourrai refouler mes émotions trop longtemps. À défaut de mettre mon énergie dans mes créations, je la mettrai dans le micro de mon portable jusqu'à ce que le son de lama voix perce ses fichus tympans !
- Gâcher le défilé est une chose mais jouer les petites traînés au côté de mon associé... Tu dépasses définitivement les bornes et ce n'est pas faute de t'avoir prévenu, me semble-t-il.
Les coups que je reçois encore ne me font presque plus aucun effet. Je me sens si épuisée par la panoplie de sentiments m'ayant habité, qu'à présent, mon corps semble faire le vide par lui-même. Me faire marcher sur les pieds une fois de plus devient le cadet de mes soucis. Qui aurait cru que la lionne se transformerait en une gazelle éprise des griffes de son prédateur ?
- J'ose espérer que tu trouveras facilement un petit job afin de financer et ton appartement et tes études. Malheureusement, il me semble que le stage s'avère nécessaire pour valider ton diplôme et que l'argent ne suffira pas...
Je rêve où mon père est en train de me mettre à la porte de sa propre entreprise ? Et de sa manière toujours aussi subtile qui lui sied si bien, évidemment.
- Tu sais quoi ? Va te faire foutre !, hurlé-je dans le combiné avant de violemment jeter mon téléphone à mes pieds, l'écrasant sans pitié par la même occasion. Si tu crois que j'ai besoin de ton fric et de ton stage de merde, tu te mets le doigt dans l'oeil, m'égosillé-je plus fort qu'il ne le faudrait.
D'énièmes larmes surgissent soudainement. Moi qui pensais être arrivée au bout de mes peines, il faut croire que le ciel a décidé de me tomber sur la tête. Non seulement je me fais traiter comme une moins que rien mais en plus de cela, mon patron semble avoir pris un malin plaisir à s'engouffrer dans ma vie pour mieux la détruire. Dénoncer notre semblant de liaison ne fait qu'attiser la haine que j'éprouve envers lui. J'écrase alors une nouvelle fois mon téléphone déjà émietté sur le sol, tentant d'extérioriser la haine m'animant, avant de me précipiter sur les photographies accrochées au mur dans le but d'anéantir le visage de mon père.
Le sang bat à présent de plus bel dans mes tempes. Je n'ai plus rien. D'un simple revers de la main, deux hommes ont détruit ma vie comme si rien n'avait de valeur à leurs yeux si ce n'est la sauvegarde de leurs propres intérêts. Malgré tous les efforts que j'ai pu fournir, malgré toutes les épreuves que j'ai réussi à surmonter sans l'aide de personne, les plus grands égoïstes de l'univers m'ont enterré comme si je n'avais jamais existé. Alors que je m'arrête quelques instants, constatant le carnage des morceaux de verres jonchant le parquet, le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvre me permet de retrouver mes esprits. Je suppose que les voisins ne doivent pas être spécialement ravis d'être réveillés en plein milieu de la nuit. Eux ont encore un travail, à ce que je sache.
- Ce n'est quand même pas croyable, peste Alda tout en claquant la porte derrière elle.
- Je vais partir, lui annoncé-je, ignorant l'interruption de la famille du dessous.
Je sais pertinemment que les propos de mon père étaient on ne peut plus sérieux. Il n'est pas le genre d'homme à ne pas tenir sa parole. Depuis qu'il semble avoir fait le serment de me faire passer au second plan de sa vie, il faut croire que sa pensée a évolué dans un sens que je n'aurais jamais cru possible. Malgré son attitude envers moi, je ne pensais pas qu'il chercherait à me punir de mes propres sentiments, tout comme je n'imaginais pas possible que Sam Miller me fasse subir tout cela. Je suis bien obligée de constater que j'avais faux sur toute la ligne.
Toutefois, notre ancienne résidence de Los Angeles m'appartient encore en tant que fille légitime de la famille Jones. Alda semble avoir compris ce qui se trame dans mon esprit : elle s'apaise immédiatement, me serrant dans ses bras comme si nous ne nous reverrions plus jamais. Cela m'attriste de me dire que plus rien ne semble impossible mais pourtant, le pressentiment que rien n'est terminé demeure toujours là, recroquevillé dans un coin de mon esprit.
- Je comprends. Je t'y rejoindrai dans une semaine, le temps que Matt se rétablisse...
Cette nouvelle me réjouit un tant soit peu. Sam a dû être ravi d'apprendre cela... Chloé ! Tu te fiches très clairement de ce que cet idiot pense. À partir de maintenant, tu ne dois te focaliser que sur tes envies, ta vie, sur toi tout simplement. Au diable les faux-semblants.
En espérant que ce nouveau départ ne marque pas l'avènement de ma propre fin.
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