• CHAPITRE TRENTE-HUIT •

Los Angeles, une semaine plus tard

Soixante deux heures, trente cinq minutes et vingt huit secondes : voilà le temps qu'il m'a fallu avant de terminer le chef-d'oeuvre commandé par Emma Rosewood il y a maintenant près de deux semaines. Les terminaisons nerveuses de mes mains semblent rendre leur dernier souffle alors que j'éteins ma machine à coudre avec une énergie à peine sur-jouée. Toute la négativité que j'ai pu ressentir jusque-là a nourri l'entrain avec lequel j'ai terminé un projet bien plus rapidement que je ne m'en pensais capable.

Maintenant que je n'ai plus de but particulier à poursuivre, ma vie parait vide de sens. Je erre tel un fantôme dans une maison non seulement emplie de souvenirs mais un peu trop grande pour y vivre seule. Je sais pertinemment que je dois me préparer pour le cocktail donné par la star que j'ai la chance d'habiller pour le prochain événement de l'automne et dont les médias parleront durant des semaines. Je n'ai toutefois aucune réelle envie d'y aller. S'il faut que je me mette un coup de pied aux fesses pour y parvenir, alors je le ferai. Je suis cette fois-ci certaine de ne plus rien perdre de plus.

Voici au moins un avantage à ne presque plus rien avoir. L'aspect matériel de nos vies est si dérisoire comparé à l'importance des relations que l'on noue, aux rêves que nous poursuivons. Faire les cent pas dans un cinq cents mètres carrés me permettra peut-être de donner un sens au chemin parcouru ? Je me permets cependant d'en douter.

Tout en choisissant d'enfiler une combinaison beige afin de faire ressortir le teint hâlé que j'ai pu acquérir au cours de cette semaine, je jette un dernier coup d'oeil à mon nouvel écran. Sam n'a pas cessé de m'appeler durant ces sept derniers jours. Ma messagerie est pleine mais j'ai tout sauf le coeur à écouter sa voix se confondant en excuses. Peut-être que je devrais lui accorder une seconde chance mais le goût amer que m'a laissé notre dernier week-end me dicte d'aller de l'avant.

- Salut ma biche !, prononce Alda tandis que je coince mon téléphone entre ma tête et mon épaule, tout en tentant de fermer la fermeture présente dans mon dos de mes deux mains libres.

Entendre sa voix enjouée me donne du baume au coeur. Elle est parvenue à passer par-dessus tout cela plus vite que prévu, apparement. Ou peut-être a-t-elle quelque chose à me demander... Je préfère ne pas m'aventurer dans des conclusions hâtives, bien que réjouissantes.

- Déjà arrivée ?

Un rire étouffé se fait entendre au bout du fil, tandis que mon amie prend quelques minutes avant de me répondre. Je me pétrifie l'espace d'un instant, espérant plus que tout au monde qu'elle n'ait pas eu la merveilleuse idée de ramener le maitre de la manipulation à ses côtés.

- Euh oui. D'ailleurs je ne t'ai pas prévenu mais Matt se sent étonnement beaucoup mieux du coup je me suis dit que ce serait une bonne idée de le faire changer d'air, tu vois... Mais ne t'inquiète pas ! Il restera à l'hôtel tandis que nous passerons du temps toutes les deux. Je pensais alors que cela ne servait à rien de te prévenir étant donné qu'il ne nous dérangera pas, s'exclame-t-elle sans pour autant parvenir à empêcher son rire de se faire entendre au bout du fil.

Je lâche alors un soupir bien plus bruyant que je ne l'aurais pensé. Ma cage thoracique s'était comprimée d'air jusqu'à ce que mon cerveau comprenne réellement qu'elle n'aurait jamais pu me faire une chose pareille. Il faut vraiment que j'arrête de me passer mille et une mises en scènes tout-à-fait grotesques dans ma tête.

- Non mais ça ne va pas. J'ai assez de place ici pour accueillir tout un groupe de scouts !, m'exclamé-je tout en la soupçonnant d'avoir prémédité ma réaction.

Je ne suis pas du genre à laisser qui que ce soit sur le pas de la porte, contrairement à d'autres. Si cela la rend plus heureuse alors disons que c'est le principal. Et puis je suis contente de le savoir de retour parmi nous, même si sa présence risque de me ramener à l'absence de son frère.

- Tant mieux. Nous n'avions de toute façon pas encore réservé de chambre, glousse-t-elle.

Heureusement que je la connais depuis maintenant quelques années. Sa réaction en aurait sûrement fait frémir plus d'un. Quoiqu'elle fasse, elle parviendra simplement à me faire lever les yeux aux ciels et hausser les épaules. Certaines personnes méritent autant d'amour que je lui en accorde.

Après les avoir convié à me rejoindre un peu plus tard en raison du travail qui m'attend, je m'attèle à prendre la route avant que la boule de stress s'étant formée au creux de mon ventre grignote le peu de courage qu'il me reste.

J'admets y être allée un peu fort sur le spectacle qu'offre ce vêtement mais lorsque l'on est parvenu à conserver un tel corps malgré l'âge et la pression constante de l'idéal de beauté s'abattant sur chacun tout au long de l'exercice du métier d'acteur, il ne devrait pas être acceptable de minimiser ses efforts en négligeant son apparition en public. Mon envie de perpétrer l'accomplissement de ma mère dans le milieu de la mode est une sorte d'aide que j'aimerais apporter à ceux qui peuvent en souffrir. Malgré le fait que je sois consciente d'en quelque sorte perpétrer cette pression de par mon travail, je reste convaincue qu'avoir le luxe de vivre de sa passion est le plus beau chemin que l'on puisse prendre. J'espère un jour parvenir à donner l'exemple qu'en tant que femme, rien n'est impossible et ce malgré tous les obstacles pouvant se mettre à travers notre chemin.

La robe que j'aperçois à travers mon rétroviseur, enrobée dans sa longue housse, fera à merveille ressortir ses cheveux blonds. La soie l'habillant, teintée d'un bleu dragée appelant à l'innocence, laisse ressortir les cristaux soulignant le côté droit de la poitrine. Une fente est également présente, plus bas, qui dévoilera de ce fait une jambe ornementée de collants brillants. L'unique bretelle tombant sur l'épaule gauche contrebalancera cependant l'aspect de nudité, le tout appelant à la félicité d'une vie réussie. Tout mon coeur a été mis à l'ouvrage afin de tirer le meilleur de tous les croquis que j'ai pu réaliser jusque-là et j'en suis plutôt fière.

Tout en confiant mes clefs au voiturier présent à l'entrée de l'immense allée donnant tout droit sur une sublime maison en bord de mer, je m'empare de ma création avant d'avancer d'un pas décidé vers le tumulte des invités déjà nombreux. Cette fausseté constante sur les visages m'écoeure d'autant plus que je suis confrontée à une impression de déjà-vu. Sauf que cette fois-ci, je n'aurai personne avec qui rire de cela. Il n'y a à présent que moi face à Emma Rosewood.

- Je suppose que ceci est pour moi ?, me questionne-t-elle tout en s'avançant délicatement vers moi, un coupe de champagne à la main.

Je hoche la tête avec difficulté, empêchant mes membres de trembler sous l'effet de la peur lorsque je me décide à lui montrer ce que j'ai à lui proposer. Son visage, l'espace d'un instant inexpressif, n'annonce en rien à quelle sauce je vais être mangée. Ma manie de vouloir à tout prix déchiffrer la moindre des expressions d'autrui finira bien par me tuer. Et bon sang, que mon corps cesse de bloquer la moindre de mes respirations à chacun de mes coups de pression. C'est toutefois plus fort que moi. Ces regards insistants et envieux braqués sur tous mes faits et gestes finiront par me donner de l'urticaire. Je finirai grand-mère avant même de réellement l'être à ce rythme là !

- C'est..., se racle-t-elle la gorge une première fois.

Oh mon Dieu, je ne vais pas pouvoir rester aussi négligemment souriante bien longtemps. Je n'ai qu'une envie : prendre mes jambes à mon cou, quitte à bousculer tout le monde sur mon passage.

- Je ne pouvais pas rêver mieux, mademoiselle Jones.

Un sourire béat s'installe alors confortablement sur mon visage. Je devrais être moins exigeante envers moi-même car au fond de moi, je trouve que cette robe est l'une des plus réussie que j'ai eu l'occasion de faire. Seulement, qu'elle soit acceptée par une célébrité comme elle était une autre affaire.

Cette dernière s'absente un court moment avant de revenir, son chéquier à la main. Ses doigts griffonnent rapidement un chiffre que je n'ai pas tout de suite l'occasion de constater.

- Avant que vous ne refusiez, sachez que le monde n'a pas fini d'entendre parler de vous. Vous pouvez être fière de ce que vous avez accompli. Votre mère le serait également, dit-elle en esquissant un vague sourire.

Mon coeur loupe soudainement un battement. Le monde semble se figer à mes côtés, me laissant seule au milieu du chaos de mes pensées.

- Vous connaissiez ma mère ?, bafouillé-je ridiculement, ne sachant quoi dire de plus.

- Depuis ses débuts, avant même que je ne sois connue. Et laissez-moi vous dire que vous marchez dans ses pas, si ce n'est que vous avez un don bien plus prononcé qu'elle pour la couture. Essayez de ne pas trop vous perdre dans ce monde de fous..., chuchote-t-elle près de moi tout en me tendant le petit bout de papier.

Je baisse machinalement les yeux sur celui-ci, frôlant l'évanouissement face à la somme bien trop généreuse par rapport au service rendu. Mes yeux s'écarquillent sur le nombre de six milles dollars inscrit noir sur blanc, restant fixés sur ce montant exorbitant durant de longues secondes. Je me retourne alors, la cherchant du regard aussi bien pour décliner tant de générosité que pour la remercier.

Mon corps se fige tout-à-coup sur une chevelure d'un roux flamboyant. La femme se tourne dans ma direction, discutant avec un homme vêtu d'un costume noir. Ce dernier, alors dos à moi, embrasse délicatement sa joue. Cette personne m'est familière mais je ne parviens pas à mettre un nom sur son visage. Je jurerais pourtant l'avoir déjà croisée.

Lorsque nos regards se croisent, j'aperçois sa main donner un léger coup dans le bras de son compagnon. Voilà que celle-ci s'approche de moi, attirant l'homme à ses côtés dans son avancée. Maintenant que plus personne ne me brouille la vue, les traits de son visage se font d'autant plus nets.

Oh non, ne me dites pas que...

- Chloé, s'agace alors mon père, la mère de Sam se tenant en arrière-plan.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top