• CHAPITRE QUARANTE •
L'espace d'un instant, le temps semble s'être mis sur pause. Mon ouïe se brouille quelques secondes, plongeant mes pensées dans le rythme du grésillement constant résonnant dans mes oreilles. Les jambes encore allongées sur le sol couvrant l'allée de la maison, je cherche à comprendre si ce à quoi je pense n'est qu'une dure vérité ou un autre songe s'abattant sur moi.
Le bruit d'un poing s'écrasant sur la joue de Matt me ramène subitement à la réalité. Oui, mon père et le frère de l'homme que j'aime sont en train de se battre jusqu'à ce que la mort les sépare. Et moi qui pensais entendre ses mots dans un autre contexte... Ironie du sort, quand tu nous tiens.
- Tu en as assez maintenant ?, demande mon père tout en continuant à s'acharner sur sa victime.
Ses traits sont à présent si tirés qu'ils déforment l'expression de rigidité dominant habituellement son visage. La glace recouvrant sa carapace quotidienne a laissé la chaleur agrandir ses fissures bien plus vite que je ne le pensais possible.
Je ne pourrai supporter cette scène une seconde de plus. Les limites de l'acceptable ont déjà été franchies depuis bien longtemps et cette fois-ci, ce sont celles de mon self-control qui viennent tout simplement d'être enterrées. Pourquoi ai-je l'impression d'être figurante de ma propre vie ? Tout ce dont j'ai eu droit a été de subir les agissements de chacun et ce, toujours dans l'intérêt des autres. La jalousie, l'égoïsme et le narcissisme me font affront depuis bien trop longtemps. Cette mascarade doit prendre fin.
- Ça suffit, hurlé-je finalement en m'interposant entre les deux hommes. Je te préviens, la prochaine personne à qui je m'adresserai sera à un agent de police, conclus-je à bout de souffle, à destination de mon père.
Contre toute attente, celui-ci reprend instantanément ses esprits, se relevant avec le peu de dignité que lui confère encore son costume dont quelques bouts de tissus pendent ci et là. Non seulement la rage détruit mais celle-ci salit de par le sang se trouvant sur les mains de ceux ne sachant vivre qu'à travers elle.
- Où est donc passée ta reconnaissance ?, s'enquit-il aussitôt.
Malgré toute la colère me submergeant, aucune réplique sanglante ne me vient à l'esprit. Toute la force que je parvenais à puiser auparavant m'a définitivement quitté. Je n'ai plus l'énergie suffisante pour répondre à tant de maladresse, égoïsme ou tout autre adjectif étant susceptible de qualifier le monstre sans coeur qu'il incarne.
Soudainement, un énième bruit de moteur coupe toute possibilité d'altercation. Sam claque alors violemment la portière de sa voiture, avançant vers nous d'une démarche dont je ne connais que trop la signification. À sa vue et contre toute bonne volonté, mon coeur se réchauffe instantanément.
- Petit enfoiré, souffle-t-il, bousculant Matt alors que celui-ci cherchait le réconfort d'Alda. Maman m'a tout raconté. Si tu crois pouvoir t'en sortir indemne après m'avoir utilisé comme tu l'as fait...
Ce dernier s'écarte instantanément, levant les mains en l'air comme pour s'innocenter d'une chose ne présageant rien de bon. L'idée selon laquelle il n'est pas revenu pour moi me ramène toutefois brutalement à notre dernière séparation.
- Quant à vous, dit-il tout en se tournant vers mon père. Jusqu'à quel point irez-vous pour littéralement détruire vos propres enfants ?
Cette dernière question résonne en boucle dans mon esprit. Vos propres enfants ?
- C'est quoi ce bordel à la fin ?, hurlé-je malgré toute la retenue dont j'ai su faire preuve jusque-là.
- Demande plutôt à cette ordure quel bordel il a fichu en couchant à droite à gauche, prononce Sam bien plus tôt que je ne l'aurais souhaité.
Je marche alors doucement en direction de mon père, les jambes tremblantes et le souffle court. Tandis que j'avance à pas de loup vers celui qui a ruiné toute ma vie, le ciel semble s'effondrer sur mes épaules. Pour la première fois, toute l'attention que je lui porte demeure bel et bien volontaire. Je n'ai jamais été aussi suspendue aux lèvres de quelqu'un qu'en ce moment précis.
- Chloé, s'il te plait. Pas comme ça...
- Pas comme ça ? Tu ne penses pas m'en avoir assez fait baver ?, prononcé-je bien plus calmement que je ne voudrais l'être.
- Si vous ne voulez pas lui dire, je m'en chargerai. Et je veillerai surtout à ce qu'il n'y ait pas une once de chance pour qu'elle vous pardonne, intervient de nouveau Sam tandis qu'Alda l'entraine légèrement en arrière.
La réaction de ma meilleure amie est en réalité tout ce dont j'ai besoin en cet instant. Cette histoire restera entre un père et sa fille, peu importe ce que peuvent en penser les spectateurs. Être sous le feu des projecteurs est une sensation qu'il ne connait que trop bien mais sentir ses ailes brûler en plein spectacle est une autre affaire.
- Je suis ton demi-frère, intervient soudainement Matt.
Je continue toutefois à regarder mon père dans les yeux, attendant sa réponse avec impatience. Il ne s'en tirera pas grâce aux autres, je ne lui laisserai pas cette chance. Tant qu'il ne me confirmera pas cette information, je continuerai de ne pas y croire. Il n'y a plus que lui et moi face au soleil déclinant.
- Ta mère... Ta mère a eu une liaison après ta naissance. Notre mariage était sur la pente raide. Je n'avais à l'époque pas de travail. Il était donc convenu je passerais mon temps à m'occuper de toi. Du fait de son travail, aucune justification ne lui était nécessaire lorsqu'elle partait quelques jours. Je suis tellement désolé Chloé. Tout ce que j'ai pu faire était pour te protéger de ces Miller et de leurs griffes ne laissant aucune possibilité de retour en arrière.
Vingt deux ans. Vingt deux ans à vivre dans un mensonge constant. Vingt deux ans que l'image que j'ai pu avoir des personnes m'entourant ne se trouvait que faussée par la cupidité de mes parents. Vingt deux ans à idéaliser une mère qui ne s'avérait en réalité qu'être aussi humaine que chacun d'entre nous, commettant des erreurs aux dégâts parfois irréversibles.
Le regard plongé dans le vide, j'avance sans grande conviction vers le passage constituant l'entre-deux des haies de notre entrée. Je me souviens alors d'un soir de grandes vacances où nous étions tous trois venus ici pour que je puisse profiter des amis que j'avais pu me faire dans le voisinage, les années précédentes. À cette époque, tout était plus simple, plus beau. Rien ni personne n'avait du soucis à se faire quant à ma place au sein de tout ce cirque. Je baignais simplement dans un océan d'insouciance enfantine.
Le son strident des sirènes parvient soudainement au loin, me sortant du nuage de l'enfance m'ayant porté loin du vacarme constant que représente ces inconnus. Malgré tout ce qu'il s'est passé, malgré la rancoeur que je peux éprouver envers mon père, j'ai encore dû mal à croire qu'une fin heureuse n'est plus possible.
Pourtant, aucun retour en arrière ne semble possible.
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