J'ai l'impression de me faire balader de partout, ces derniers temps.

Il y a deux jours, c'était Ife et sa bonne humeur surprenante qui a fait que tout le monde a enchaîné et couru un peu partout. Même Kozma suivait les efforts communs pour nettoyer les ruines sous les yeux neutres de l'Observateur. Ce qui fait que aujourd'hui j'ai le droit à des couloirs brillants presque de propreté alors que je suis tirée par Émile vers je ne sais où.

J'aimerai avoir la fibre sociale d'Eleanor, elle semble bien s'entendre avec tout le monde ici c'est assez impressionnant. Que se soit pour être calme avec Achroma, sportive avec Văn Kim, enfantine avec Émile, blagueuse avec Ismaïl, elle ne manque jamais de temps ou d'énergie pour tout le monde ici. Mais pourquoi est-ce qu'aujourd'hui Émile m'a kidnappée moi et pas elle donc ? Bonne question.

Je ne peux que le suivre, honnêtement. J'ai essayé de refuser et les yeux de chiot battu de l'imitateur m'ont fait céder bien rapidement. Écoutez, je n'y peux rien moi, essayez de faire face à ça ! Je reste une personne sensible même si je n'aime pas des masses les enfants...

Je dois lui demander de ralentir une ou deux fois, malgré ses petites jambes il va vite, celui-là ! Je ne suis pas une athlète olympique, contrairement à certains ici, j'ai mon rythme de marche non mais oh !

Les mains sur ma poitrine qui se soulève plus vite que... Quelque chose, je reprends mon souffle une fois au niveau de la passerelle en verre. Je ne sais toujours pas à quoi sert réellement cette passerelle, à part regarder les ruches d'en haut. On peut accéder à toutes les chambres depuis l'intérieur, et c'est assez haut pour que quiconque tombe se fasse au minimum très mal.

Ah peut-être que c'est pour ça qu'elle est là.

Je pose une main sur la rambarde pour m'équilibrer un minimum, mais ça n'aide pas à grand-chose. C'est pas conçu pour les grands, cet endroit, hein ? Mais j'ai pas vraiment le temps de m'en inquiéter, vu qu'Émile se met sur la rambarde en essayant de monter sur le toit... Oh bordel.

« Aide-moi ! Je dois monter là dessus !

– Je ne suis pas sûre que tu le « dois », Émile.

– Bien sûr que si ! On joue à cache-cache avec Eleanor et Ismaïl, et j'avais remarqué qu'on voit mal le toit du bâtiment, c'est la cachette parfaite !

– Ça m'a surtout l'air dangereux, t'es sûr que t'es pas un peu vieux pour cache-cache... ?

– Ma psy dit que je dois accepter de redevenir un enfant parfois, je ne fais que l'écouter ! »

...

AH.

Ah bah bravo Héloïse, bien joué. Maintenant je me sens mal de refuser de l'aider, même si j'ai la force d'un bigorneau échoué sur la plage. Bon, j'exagère un peu, mais ça n'empêche pas que j'ai du mal à supporter le poids du garçon qui lâche un cri de victoire une fois sur les tuiles du toit. Pas du tout dangereux ça...

Il m'aide à monter aussi, insistant que sinon, je risque trop de dire à Eleanor où je me cache. Je veux bien être une simp, mais quand même... J'essaie de rester avec un équilibre assez incertain sur les tuiles noires, qui sont presque brûlantes à cause du soleil qui n'a pas le moindre nuage pour le cacher aujourd'hui.

Je regarde vers le sol, où quelqu'un que je ne peux que supposer être Abel est en tenue d'apiculture, en train de vérifier l'état des ruches. Il n'est pas si loin de nous, à peine cinq ou six mètres entre nous et le sol, d'ici... Le plafond du rez-de-chaussée est étonnamment grand, même pour la plus grande ici qui est Morgan.

Émile rigole en regardant vers l'extérieur, et je peux voir le bâtiment secondaire d'ici, un simple bloc de béton comparé aux ruines ici. Je vois même la mer autour de l'île, l'océan qui continue à perte de vue.

L'imitateur défait sa queue de cheval, laissant ses cheveux roux partir dans tous les sens avec le vent. C'est presque impressionnant, la longueur qu'il a réussi à avoir. Ce n'est pas au niveau d'Eleanor, mais quand même.

« Je peux te poser une question ?

– Bien sûr ? » il me regarde, le soleil se reflète dans ses lunettes d'une manière qui m'empêche de voir ses yeux correctement. « Qu'est ce qu'il se passe.

– Pourquoi tu agis comme si tu étais responsable de tout le monde ici ? Même quand Sam était vivante, tu étais là pour tenter de l'intégrer au groupe. Tu fais ça avec Abel et Achroma aussi, même Kozma d'une certaine manière, et pourtant il a pas l'air de t'aimer lui.

– Je... » je cligne des yeux. Qu'est ce que je suis censée dire ? Est-ce que je peux même lui expliquer ? Lui dire ? Est-ce que je suis même capable de mettre des mots dessus ? « Tu... As un exemple ?

– Le jeu de rôle. Même s'il jouait pas, t'as invité Abel a nous regarder, t'as invité Sam, Achroma, Ringo, moi. La seule qui est intégrée que t'as invité, c'est ton crush. T'as l'air vachement impliquée à ce qu'on se connaisse.

– ... C'est compliqué. » C'est bizarre, sans doute, que j'arrive à expliquer à Sam, mais l'idée de le dire à Émile me crispe. « Je... Je veux aider tout le monde. D'une manière.

– ... Achroma a dit que tes chéris étaient impliqués dans des Tueries, c'est pour ça ?

– Mes ? » Je sens mes joues chauffer. Achroma, bon sang, je sais que tu avais qu'une envie par rapport à Lan Yue et moi mais quand même... « Je... Je n'ai qu'une copine. Mais, erm, ouais, on peut dire ça.

– Y a pas qu'elle, pas vrai ? » Il se rapproche de moi, et derrière ses yeux d'enfants je vois le regard d'un adulte, de quelqu'un qui sait plus qu'il ne veut en dire. Comme l'Observateur, ses yeux m'intriguent, m'attirent. Il a l'air de vouloir en savoir plus sur le monde, et moi en passant. « Quand je t'ai rencontrée, je me suis dis que ton nom me disait un truc, et récemment je suis tombé sur des enregistrements d'une ancienne Tuerie. Je me suis rappelé, du coup, d'où j'avais entendu parler d'une Héloïse qui fait des jeux de rôles.

– S'il te plaît. Ne continue pas. »

Il reste silencieux un instant, et finit par s'excuser en me prenant dans ses bras. Je n'ai pas envie d'entendre parler de cette Tuerie qui m'a pris tant d'amis de cette manière. Je n'ai pas envie qu'on me rappelle l'implication de ceux-ci dans cette « démonstration ». Je ne veux pas me rappeler des larmes de leurs proches, alors qu'ils étaient encore à Hope's peak.

Je laisse Émile serrer ses bras autour de moi, et nous restons en silence quelques minutes. Il finit par s'écarter et m'offrir une sucette que j'accepte avec un peu d'hésitation.

« Encore désolé. Ma psy dit que je suis souvent trop curieux, c'est un truc que j'essaie de bosser.

– C'est rien, tu... Tu savais pas.

– Je t'aime bien, tu sais ? » je me tourne vers lui, et je crois que j'ai du mal à cacher ma surprise, vu son rire « Je te jure ! T'es vraiment sympa, et t'as des références drôles. T'es toujours à fond quand tu fais quelque chose, même si ça te fait pas forcément plaisir. T'es vachement cool, Héloïse. »

Il me sourit, et je souris également après quelques instants, le prenant sous mes bras à mon tour alors que je vois Eleanor passer sur la passerelle, ne pensant pas à regarder vers nous.

On dirait qu'on a toute la journée pour rigoler.