CHAPITRE III - 4 : Rassure-toi
Ife est en pleine forme, aujourd'hui.
Pas qu'elle ne soit pas joyeuse d'ordinaire, c'est bien celle qui essaie le plus d'égayer tout le monde ici. Mais aujourd'hui, elle déborde d'énergie que je n'avais pas vu chez elle depuis le début de ce jeu. Elle court d'un endroit à l'autre du bâtiment principal, saluant quiconque la croise à chaque fois. Ça doit faire dix fois qu'elle me dit « bonjour » et il n'est que neuf heures du matin.
J'ai essayé de demander à Văn Kim ce qui mettait de si bonne humeur la jeune femme, mais je n'ai eu le droit qu'a un haussement d'épaules et des pieds mouillés par l'eau tiède de la piscine avant d'y laisser le nageur et Eleanor qui s'amusaient à s'éclabousser un peu trop près de moi à mon goût...
Donc maintenant je suis au bar de la cuisine, Achroma pas très loin en train de dessiner sur un carnet . Nous ne parlons pas, elle comme moi préférons parfois le silence agréable qu'il y a entre nous. Elle non plus ne sait pas ce qui a possédé l'égyptologue ce matin, mais cette dernière lui a demandé si elle pouvait lui faire un portrait.
Pas le sien, apparemment. Celui d'un membre de sa famille, sa petite sœur. J'ai déjà rapidement entendu parler d'elle, une prof qui a à peu près mon âge. Ife en parle toujours avec tellement de fierté et de joie dans la voix, n'importe qui ayant des frères ou sœurs se mettrait à les manquer... Ou peut-être n'est-ce que moi.
Je me demande comment se débrouille Liam. Mes grands frères, ça va, ils sont bien plus âgés que moi et capables de s'en sortir si ça n'est pas mon cas, mais Liam... Il a six ans de moins que moi, à peine quatorze ans. C'est encore un enfant, et si je suis loin d'être la meilleure grande sœur au monde, je dois être là pour lui quand même.
Je me retiens de soupirer en prenant une gorgée de thé, le crayon dans ma main tape contre le marbre du bar sans réel rythme. J'essaie de réfléchir à une idée de jeu que j'ai eu dans la nuit, hier, mais penser aux détails me prend une éternité. J'ai envie de faire tellement de choses, de plein de manières et avec plusieurs personnes, mais c'est loin d'être une tâche aisée. Je me suis déjà brûlé les plumes à essayer de faire trop d'un coup, à Hope's Peak.
Ife revient dans la salle, commençant à s'affairer dans le frigo, remuant les bouteilles de jus de fruits à moitiés pleines et vides ainsi que de lait presque vide grâce aux céréales d'Émile, fredonnant un air que je ne connais pas.
C'est Achroma qui brise le silence, demandant plus d'indications sur le visage demandé et Ife se dépêche de lui indiquer les choses à garder et modifier sur le brouillon sommaire.
« Elle a souvent un eyeliner un peu comme ça... Je peux te montrer, si tu veux ?
– Ce serait avec plaisir, merci.
– Est-ce que je peux te demander ce qui fait que tu demandes ça aujourd'hui, Ife ?
– Oh ! » elle se tourne vers moi, comme si elle avait oublié que j'étais ici. « Eh bien, d'habitude j'appelle Theoris – ma sœur, tu sais ? – quand j'ai le droit d'appeler. Mais aujourd'hui, j'ai décidé d'appeler quelqu'un d'autre, et j'aimerai me faire pardonner, même en retard, quand je la reverrai !
– Vous semblez vraiment proches, toutes les deux. Tu as l'air de te souvenir de même le détail le plus insignifiant de son apparence.
– J'ai une excellente mémoire visuelle, écoute ! » elle rigole et hausse les épaules à la remarque d'Achroma « Et oui, on est proches. Elle est ma seule famille, et je suis toujours reconnaissante de l'avoir à mes côtés.
– Ta seule famille ? Comment ça se fait ?
– Héloïse, tu m'as vue ? Femme trans, en Égypte ? » La question ne porte aucun reproche mais je ne peux pas m'empêcher de grimacer. Oui, effectivement. « J'ai coupé les ponts après mon coming-out, quand je suis rentrée à Hope's Peak. J'avais un endroit où rester de manière quasi-permanente et qui m'aidait à obtenir ce dont j'avais besoin pour ma transition. C'est Theoris, qui m'a recontactée bien après.
– Tu avais coupé les ponts avec elle aussi ? » Achroma sonne étonnée, et je partage en partie cette surprise. Rare sont ceux qui parlent avec tant d'amours de ceux qu'ils ont coupé de leur vie ne serait-ce que quelques semaines, alors des années ?
« Ouais, elle avait suivi la réaction de mes parents, à l'époque. Je... Sais pas trop ce qui l'a motivée à me retrouver. Mais quand elle m'a appelée un jour, toute hésitante et la voix faible, j'ai compris que j'avais une chance de retrouver ma petite sœur. » elle rigole un peu, marmonnant à elle-même « J'aurais du mal à l'imaginer avec cette voix en face de moi maintenant...
– Et donc, vous avez reconnecté après tout ce temps... Vous avez eu de la chance toutes les deux.
– Je sais oui, et je chérirai toujours cette chance. Même si je dois mourir ici, j'aimerai qu'elle sache tout ce qu'elle veut dire pour moi. »
Achroma hoche la tête et reprend son croquis, corrigeant les traits de la femme sur le papier pour suivre les directions d'Ife. Petit à petit, c'est une femme d'une grande beauté qui apparaît sur le petit carré de papier, maquillage élaboré mettant en avant ses yeux sombres.
Quand Ife semble satisfaite du dessin, elle offre son feu vert à Achroma et retourne dans la partie fourneaux de la cuisine, devant prendre un escabeau par moment pour atteindre ce dont elle a besoin. Heureusement pour son ego, elle n'est pas la seule de notre groupe qui ait besoin d'aide pour atteindre les hauteurs des étagères, Eleanor ne manquant jamais de se plaindre de ce fait.
Elle commence à faire cuire quelque chose que je ne reconnais pas de là où je suis, et coupe divers légumes. Carottes, poireaux, oignons, courgettes et autres n'échappent pas à la lame de son couteau. Et je dois dire qu'elle est sacrément douée, avec une lame entre les mains, on sent les années à vivre seule que son histoire sous-entendait.
« Tu... N'es pas obligée de le dire, si tu ne veux pas. » Elle sort des épices d'un des placards, ne me répondant que par un « mmmmh » pas très attentif. « Si pas ta sœur, qui est-ce que tu as appelé ?
– Mes parents. » elle me répond comme si c'était normal, mais elle doit sentir ma surprise car elle enchaîne rapidement « Je voulais leur prouver qu'ils avaient tort. C'est... Pas vraiment un secret, mon truc avec Văn Kim.
– Effectivement... Désolée.
– Y a pas de soucis, ça aurait fini par se savoir... Et ce n'est pas la première fois que ce genre d'alibi est utilisé en procès, hein ? » Elle rigole simplement, concentrée à regarder que ce qu'elle cuit ne brûle pas dans la casserole bouillante. « Mais ouais. On a pas vraiment posé de mot là dessus, lui et moi, mais... Mais on y réfléchit. Et je voulais prouver à mes parents qu'ils avaient tort, sur le fait que jamais personne ne me verrait comme je suis.
– Je vois...
– Désolée, ce n'est pas très joyeux ! Tu as un sujet plus heureux pour nous changer un peu les idées ?
– Pas vraiment...
– Vraiment ? Je peux te proposer un truc alors ? » Je hausse les épaules avant de me rappeler qu'elle me tourne actuellement le dos. Je lui répond par la positive en prenant une gorgée de thé. « On parle de Văn Kim et moi, mais Eleanor et toi alors ? Vous semblez bien proches.
– Héloïse a peur de se brûler les ailes.
– Hey !
– Qu'est ce qui te fait dire ça Achroma ?
– Je l'ai vue tourner autour de ses crush et squish. J'étais celle qui avait le droit aux plaintes quand son adelphe n'était pas disponible. Insupportables, avec sa copine. Des années sans rien voir.
– Eh bien, je vois le genre, pour que même Achroma fasse cette remarque... Donc, juste une chérie ou.. ?
– Iel et moi on est polyamoureuses. » je sens mes joues chauffer. J'avais pas vraiment pensé à ce genre de scénario. Rigole Achroma, tu verras lors de notre prochain jeu de rôle ! « Iel et moi on le savait déjà avant qu'on se mette ensemble. Mais je sais pas si c'est vraiment juste, de me mettre avec quelqu'un quand iel est si loin.
– Tu as pu lui demander ?
– Non, Monokuma m'a retiré mes appels en punitions pour le coup de la bouffe. Et avant iel me vannait là dessus, mais rien de plus.
– Comme si Thal t'en voudrais, d'être amoureuse de quelqu'un en pleine Tuerie. »
Je vois l'éclair de réalisation dans les yeux d'Ife, mais je préfère l'ignorer et mettre fin à la discussion ici. Je t'aime beaucoup, Achroma, mais je n'ai pas vraiment envie de parler du fait que j'ai plus de chances de mourir ici et faire comme l'ancienne copine de man partenaire que de survivre et lae retrouver, et tout l'optimisme dont Ife peut faire preuve n'arrêtera pas ça.
Au lieu d'insister, l'égyptologue pose sa main sur mon épaule, un sourire doux sur le visage. Si ses lunettes m'empêchent de voir ses yeux clairement, nul doute qu'ils hurlent une seule chose : « Tout ira bien ».
J'ai envie d'y croire, alors qu'elle rajoute les légumes dans son bouillon et remue en reprenant la chanson qu'elle fredonnait plus tôt.
Peut-être que l'espace d'un instant, je peux espérer ne pas devenir comme Icare.
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