CHAPITRE II - 2 : Feeling regrets

Ok. Peut-être que j'ai exagéré, il y a trois jours. Je peux l'admettre. Mais comprenez-moi, un peu, j'en avais un peu marre d'être la seule à faire un peu d'effort pour qu'on se comporte comme si je n’étais pas là ? Comme si j’avais pas une grosse culpabilité déjà ?

Enfin, je ferai mieux de me lever et de manger un peu. Ne pas finir par mourir de faim c’est important, dans la vie.

Le repas de midi a sans doute été déjà mangé, si j’en crois le vide total du réfectoire. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais je fais avec, des pauvres pâtes réchauffées sur la table en face de moi. Le silence n’est pas vraiment désagréable, mais les repas animés du début de cette histoire me manquent.

Pourquoi est-ce que vivre ainsi est si compliqué ? En “colocation” avec treize autres personnes que je ne connais que peu et que je vais soit voir mourir, soit mourir de leurs mains. Est-ce une manière de vivre, même ?

Je vais faire la vaisselle, m’occupant de quelques assiettes mises de côté et non nettoyées du repas précédent. Sans doute le fait d’Emile, j’ai remarqué sa tendance à ne pas nettoyer lui même, un vrai gamin. Mais j’imagine que c’est normal, pour un ado de quinze ans. J’aurai sans doute du mal aussi avec la Sam de quatorze ou quinze ans, quand j’y pense.

Je m’essuie rapidement les mains, et ressere un peu les sangles de mon sac à dos quand je le remets sur mes épaules. S’il y a bien une chose que je ne compte pas perdre ici, c’est ce sac, non mais.

Passer par le salon et non la salle à manger pour quitter la cuisine n’était peut-être pas la meilleure des idées, vu que je croise Ismaïl l’air absolument… Démoli n’est pas un mot assez fort. Vraiment, et quand j’y repense, il avait déjà cet air de tristesse profonde lors du repas où j’ai explosé. Qu’est ce qu’il s’est passé…?

Bon. Est-ce que je suis une connasse et j’ignore quelqu’un qui a visiblement pas l’air bien, ou bien est-ce que j’offre mon aide ? Je suis énervée, pas un monstre non mais.

≪Ismaïl ? Tu as besoin de quelque chose ?≫

Bon, même la personne avec la pire reconnaissance des émotions au monde peut comprendre que le regard noir qu’il me lance avant de quitter la pièce est un très clair « Non, laisse moi. »… Aoutch.

Pas que je lui en veuille vraiment mais… A croire que c’est ma faute ce qui lui arrive avec la manière dont il m’a regardée. Quoi, j’ai pas le droit d’être frustrée ou énervée maintenant ? De vouloir un peu dire ce que je pense ?

… Est-ce que ce n’est pas moi l’hypocrite, ici ? Je lui ai hurlé dessus y pas une semaine, sans prévenir, et maintenant j’agis comme s’il n’a pas le droit de m’en vouloir un peu, surtout quand de toute évidence il passait pas déjà une bonne journée.

Rester dans le salon ne me fera aucun bien, autant que j’aille dans une autre pièce. Je sais pas encore laquelle, alors autant que je me balade.

Beaucoup font la sieste ou se reposent dans leur chambres, à cette heure, j’ai l’impression. Je les blâme pas vraiment, c’est vrai que c’est agréable, mais du coup je finis toute seule à vagabonder dans le tunnel qui m’inspirait tant de peur, avant. Après une vingtaine d’allers et retours à travers, on se fait au manque de lumière et à l’odeur de pourri qui empeste d’un bout à l'autre.

Une fois remontée à la surface, je peux vaguement entendre le son du piano de Génésis. Je n’ai pas envie de la déranger, mais écouter un peu de musique ne me fera pas de mal.

Quand j’entre dans le bâtiment, je vois l’eau de la piscine être transpercée sans difficulté par Văn Kim, sans doute en train de faire quelques longueurs de piscine. Mais devant la salle de musique est assise Morgan, les jambes en tailleurs et un livre sur les genoux. Je ne veux pas la déranger, mais on dirait qu’elle m’a remarquée vu qu’elle me fait signe de la rejoindre.

J'expire lentement et serre dans mes mains moites les bretelles de mon sac à dos. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais… mais j'ai peur. Terriblement peur.

Je m'assoie à côté de Morgan, qui ne lève pas les yeux de son roman. Je lis un peu par dessus son épaule, sans oser piper mot. J'aimerai bien vous y voir, moi, a ma place, avant d'avoir la moindre remarque de votre part ! Non mais…

Nous restons ainsi peut-être cinq minutes, lisant à deux un livre dont j'ai du mal à saisir les tenants et aboutissants, me reposant sur quelques noms au hasard des pages pour comprendre. J'entends Génésis changer de morceau de piano, de l'autre côté de la porte, toujours aussi passionnée par son art. J'essaie de ne pas poser ma tête sur l'épaule de Morgan, ça… serait mal venu. J'ai l'impression.

Finalement, une profonde inspiration de Morgan me fait lever les yeux vers elle, pour voir qu'elle me regardait déjà. Je préfère ignorer mes joues qui chauffent pour détourner le regard. Une boule se loge entre mes poumons, une boule noire de honte et de regrets sous le regard pourtant doux de mon amie.

« Sam. On peut parler de ce qu'il s'est passé ? »

J'aimerai lui dire "non" ou "laisse moi tranquille" mais… je ne peux pas échapper pour l'éternité à cette discussion. C'est fou, je suis censée être plus âgée que Morgan, et c'est elle qui me fait des reproches et me remonte les bretelles. J’ai l’impression d’être une idiote.

« Autant faire ça, oui.

— Pour commencer, comment tu vas ? »

Ah. Je dois avouer que c’est pas la première question à laquelle je m’attendais, là, tout de suite. Et je dois faire une sacrée tête,  vu comment Morgan grimace un peu. Mais qu’est ce que je suis censée dire, exactement ?

« Je… Suis fatiguée, je crois. » Elle ne me répond pas, mais continue de me regarder avec ses yeux qui ont l’air de me décortiquer, de m’éplucher petit à petit. « J’ai l’impression de… De tout donner pour au final voir ce que j’essaie de construire être piétiné.

— Tu peux développer ce que tu veux dire par “ce que tu essaies de construire” ?

— C’est… Ça va faire une semaine que j’essaie de faire comme si j’allais bien, qu’on peut se relever et… Et en échange de ces efforts, j’ai droit à du mépris et de… Je sais pas, pas de l’ignorance, mais… De l’indifférence ?

— Je comprends tout à fait oui… » C’est ridicule, mais je sais qu’elle le pense. Qu’elle ne dit pas ça que pour me rassurer ou me réconforter sans réfléchir. « Tu t’es retrouvé dans une situation des plus compliquées. Tu t’es retrouvée obligée d’accuser et de condamner une fille qui n’avait rien demandé, et tu t’en sens coupable, c’est normal. Mais je peux sentir que c’est pas tout ce qui te trouble, là.

— T’as toujours été aussi douée pour me lire ? » Elle rigole un peu et secoue la tête, me donnant une petite tape sur le bras. « J’ai croisé Ismaïl, dans le salon. Et… J’ai vu qu’il allait pas bien, c’était tellement visible. Et quand j’ai proposé mon aide, j’ai eu droit à un… Un dédain total. J’ai eu l’impression d’être jugée pour mes sentiments.

— Mmmh… » Un moment de flottement, de silence s’installe. Même le piano a eu la gentillesse de cesser de ne pas perturber l’instant. « Je ne dis pas que tes sentiments ne sont pas légitimes, Sam. Mais je vais te demander d’imaginer ce qu’on a pu ressentir, quand au milieu d’apparemment nul part, une personne qui nous a tous aidés et tirés vers le haut se met à nous reprocher ce que tu nous as reproché.

— Comment ça..?

— On gère tous notre deuil et notre douleur différemment, Sam.

— Je sais ça-

— Laisse-moi parler s’il te plait. » Elle n’hausse pas le ton, et pourtant sa voix est assourdissante. « Pour prendre l’exemple d’Ismaïl, il ressortait de son appel. Et il avait déjà très mal, à faire un deuil en plus d’un autre deuil. Et tu lui reproche sa manière de deuiller. Tu as mis Ife sur le devant de la scène sans même lui laisser l’occasion de s’enlever de ce feu que tu as braqué sur elle.

— … Ça fait sens.

— Je comprends que tu as eu l’impression qu’on te jugeait sur ton deuil, et tes sentiments. Mais il ne faut pas oublier que tu n’es pas la seule à avoir vu deux personnes mourir Sam. »

Je soupire, ma tête bougeant lentement de haut en bas. Je ne peux que reconnaître qu’elle a raison. Sans un mot, elle me tend son épaule et me laisse y reposer ma tête. Mes yeux se ferment, et sa main trouve sa place sur ma taille, naturellement. On dit que vivre des évènements traumatisants peut rapprocher les gens de manière inattendue. Et si c’est le cas de Morgan et moi, je n’arrive pas à m’en préoccuper dans l’immédiat.

Et dans un fracas capable de réveiller la Belle au bois dormant, Génésis fait claquer contre le mur la porte de la salle de musique, avant de poser ses yeux sur Morgan et moi.

« Toi, moi. Dedans. Maintenant. »

Il rentre de nouveau dans la pièce, et j’échange un regard avec Morgan qui semble retenir un rire. Elle me lâche et sans mots, m’invite à rejoindre notre camarade dans la salle de musique.

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